INDUSTRIE MUSICALE, MÉDIATIONS ET IDÉOLOGIE. Pour une approche critique réactualisée des « musiques actuelles ». Thèse présentée et soutenue publiquement par Jacob T. Matthews pour l'obtention du grade de Docteur de l'Université Bordeaux 3 en Sciences de l'Information et de la Communication le 3 janvier 2006.
UNIVERSITE BORDEAUX 3 - MICHEL DE MONTAIGNE
U.F.R. Sciences de l’Information et de la Communication
THESE
Pour obtenir le grade de
DOCTEUR DE L!UNIVERSITE BORDEAUX 3
en Sciences de l’Information et de la Communication
Titre :
INDUSTRIE MUSICALE, MEDIATIONS ET IDEOLOGIE
Pour une approche critique réactualisée des « musiques actuelles »
Présentée et soutenue publiquement par
Jacob T. Matthews
Le 3 janvier 2006
Directrice de la thèse :
Professeur Mireille Vagné-Lebas (Université Bordeaux 3)
Jury :
Professeur Patrick Baudry (Université Bordeaux 3)
Professeur Philippe Bouquillon (Université Paris 8)
Professeur Béatrice Galinon-Mélénec (Université du Havre)
Professeur Jean-François Tétu (Université Lyon 2)
Professeur André Vitalis (Université Bordeaux 3)
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2REMERCIEMENTS
Ma reconnaissance va tout d’abord à ma directrice de recherche Mireille Vagné-Lebas.
Sans son encouragement et ses conseils avisés, ce travail n’aurait tout simplement pas pu voir le
jour.
J’aimerais par ailleurs exprimer ma gratitude à Julie Brochard, chargée de communication
du Zoobizarre et à Capucine Frey, responsable de la pépinière du Krakatoa, qui m’ont toutes deux
facilité les enquêtes sur la scène musicale bordelaise. A ce titre, je tiens également à remercier
Patrice Caumon, membre du groupe Les oisillons tombés du nid, ainsi que le poète et chanteur
Gauthier David, sans oublier son aimable contrebassiste, Julien Perugini. De même, je remercie
Myriam Eckert du groupe Aléatoire avec qui j’ai eu le plaisir de m’entretenir à plusieurs reprises au
cours de la réalisation de ce travail.
Merci enfin à Nicolas Peter, qui m’a gracieusement fourni les annexes de son mémoire de
recherche de maîtrise, et à deux camarades doctorants en S.I.C., David Pucheu et Thierry Van
den Berg. De nombreuses discussions que j’ai pu avoir avec ces deux amis, au cours des
dernières années, ont sensiblement influé sur les orientations de mes recherches. Je demeure
impatient de lire les résultats de leurs travaux respectifs.
«When I watch the TV and I see helicopters
swirling their brutal and bountiful sensation
over the fields and the comic walls
I can only smile and fix a meal
And think about the child
Who will one day own you. »
3 4SOMMAIRE
INTRODUCTION :
I. Quelques définitions préalables.
II. Un « parcours de recherche » : ce qui nous amène jusqu!ici…
PREMIERE PARTIE :
L!APPORT DE LA THEORIE CRITIQUE.
I. L! « Ecole de Francfort » : une présentation historique.
II. Spécificités de l!approche critique.
III. Les limites de l'approche critique.
IV. Après Francfort : extensions et liens théoriques.
DEUXIEME PARTIE :
INDUSTRIE MUSICALE ET APPROCHE CRITIQUE.
I. L!évolution de l!industrie musicale : pour resituer l!approche critique.
II. Considérations méthodologiques.
III. Excursions au sein de l!industrie musicale.
TROISIEME PARTIE :
ELEMENTS D!ANALYSE THEORIQUE.
I. Pour un état des lieux des débats et réflexions théoriques en cours.
II. Rassembler les pièces du puzzle : une contribution à l!analyse théorique.
III. Théorie et pratique de l!industrie musicale.
CONCLUSION GENERALE :
I. L!utilité de la théorie critique, aujourd!hui.
II. De la suite dans les idées : perspectives de recherche futures.
III. Le chercheur face à son travail : retour sur un parcours singulier.
5 6« Tout ce qui est typique laisse froid, seul ce que l’on comprend
sous l’angle individuel nous jette hors de nous. Tel est l’apaisement
serein que procure la science. »
Thomas Mann
Le Docteur Faustus
INTRODUCTION
1. Quelques définitions préalables :
La définition des principales notions mobilisées dans le cadre d’une recherche universitaire
apparaît comme une condition préliminaire pour que puisse s’engager à partir de celle-ci une
discussion non biaisée. Il semble donc utile de formuler quelques éclaircissements introductifs, afin
d’expliciter plus clairement les choix des termes privilégiés et des concepts explorés au cours de
cette thèse. C’est également à partir de ce premier aperçu des « combinaisons » théoriques
propres à ce travail que pourront se dessiner les grandes lignes de son objet, ainsi que les
principales hypothèses qui seront examinées au cours de son développement.
Theodor Adorno et Max Horkheimer furent les premiers à employer le terme « industrie
culturelle » (Kulturindustrie), dans leur ouvrage commun La dialectique de la raison, publié pour
la première fois en 1944 (en langue allemande). On pourra apprécier, au cours de la première
partie de cette thèse, l’intérêt que l’approche critique peut encore présenter à l’époque actuelle,
notamment du point de vue de l’analyse des formes et des contenus idéologiques des produits
culturels industriels. Sans rentrer, pour l’heure, dans les méandres philosophiques de cette
conceptualisation, il convient de préciser que pour ces deux théoriciens critiques, l’industrie
culturelle participe d’un processus complexe d’autodestruction de la Raison, dont la
standardisation et la marchandisation des « biens culturels » ne constituent que deux symptômes
parmi bien d’autres. Contrairement à ce qui a souvent été suggéré par la suite, cette notion ne se
rapportait donc pas précisément à un « secteur industriel culturel », ce dont atteste d’ailleurs
l’absence de recherches économiques sur ce point parmi les travaux des différents auteurs de l’
« Ecole de Francfort ».
Alors que La dialectique de la raison n’avait toujours pas été publiée en France, cette
terminologie a connu un « second souffle » au cours des années 1960, sous la plume de
sociologues comme Edgar Morin et Georges Friedman, qui n’hésitaient pas à l’utiliser en tant que
7synonyme d’une « culture de masse », dont ils mettaient clairement en avant le pouvoir
d’uniformisation sociale. Dans son ouvrage La société de connivence (1984), Paul Beaud revient
1sur la généalogie de la notion de « masse » . Ainsi, évoque-t-il la définition de Georges Gurvitch,
pour qui la « masse » s’apparentait à une forme de « sociabilité passive », dans laquelle la
pression du groupe est si forte qu'elle annihile la capacité d'adhésion individuelle, subjective. Le
sociologue allemand Leopold von Wiese, quant à lui, a conçu la « masse » comme étant un
groupe dépourvu de toute conscience ou représentation de sa propre unité, comme un mélange
de classes inconscientes. On s’aperçoit que ces divers positionnements théoriques partagent
l’hypothèse première d’une dissolution de l’individu au sein de la « masse », tendance qui aurait
par ailleurs pour finalité de niveler ses composants, fut-ce dans un sens plutôt positif. Ainsi, la
« culture de masse » d’Edgar Morin se présente comme une forme élémentaire de
« démocratisation » culturelle, espace symbolique où se rencontreraient enfin les différentes
classes sociales.
C’est justement parce qu’elle règle d’emblée la question de savoir s’il peut exister ou non
de la subjectivité au sein des phénomènes culturels contemporains que cette notion a été évitée :
en présentant le problème de la « conscience de classe » ou du « sujet historique » comme étant
définitivement résolu, cette définition se coupe de tout un champ d’investigation dont j’espère
montrer l’intérêt (et la complexité) au cours de mon travail.
Pour une raison similaire, il a semblé préférable de ne pas recourir à la notion de culture
« populaire » (ou de musique « populaire »), si ce n’est en employant de prudents guillemets. On
se trouve là encore face à un terme qui paraît davantage contribuer à clore le débat qu’à l’ouvrir,
dans la mesure où celui-ci présuppose clairement la « popularité » de la culture, c’est-à-dire – à
l’inverse des sociologues de la massification – la liberté et l’autonomie des sujets de cette culture.
Or, la recherche se doit justement d’interroger cet aspect de la réalité sociale ; pour ce faire, il
paraît plus judicieux de partir d’une terminologie qui ne réponde pas aux questions « avant de les
avoir posées ». De façon analogue, la notion de « culture affirmative », chère à Herbert Marcuse,
semble sérieusement limiter la discussion, avant même que celle-ci n’ait pu commencer : si la
culture peut être d’emblée définie comme étant de nature « affirmative » cela voudrait donc dire
qu’elle ne contient déjà plus aucune place pour une éventuelle négation de la domination.
Certes, le terme d’industrie culturelle peut également sembler problématique, à première
vue, mais comme je l’ai rappelé plus haut, la définition qu’en proposent Adorno et Horkheimer
s’inscrit dans le cadre d’une réflexion critique beaucoup plus large, dont la prétention, toutefois,
n’est aucunement de tendre vers une théorie anthropologique ou sociologique de la culture. Le
néologisme Kulturindustrie fut mis au point afin de se référer à la production industrielle de biens
culturels – fait empirique que l’on peut difficilement remettre en question – comme manifestation
1 BEAUD, Paul, La société de connivence : médias, médiations et classes sociales, Paris : Aubier, 1984,
p74.
8« ponctuelle », parmi d’autres, d’une régression civilisationnelle déjà en germes dans l’évolution
humaine depuis l’ère préhistorique. Ainsi, s’il faut également l’utiliser avec circonspection, on
conviendra que dans son acception purement descriptive, il présente moins de « risques » que les
autres formulations mentionnées jusqu’ici. De plus, comme on le verra, il offre l’intérêt de pouvoir
être décliné se