La lecture à portée de main
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Publié par | bibebook |
Nombre de lectures | 26 |
EAN13 | 9782824711034 |
Langue | Français |
Extrait
P I ERRE LO T I
L’EX I LÉE
BI BEBO O KP I ERRE LO T I
L’EX I LÉE
Un te xte du domaine public.
Une é dition libr e .
ISBN—978-2-8247-1103-4
BI BEBO OK
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V ous de v ez aribuer l’ o euv r e aux différ ents auteur s, y
compris à Bib eb o ok.CARMEN SY LV A
No v embr e 1887.
ma vie er rante , il m’ est ar rivé une fois de m’ar
rêter dans un châte au enchanté , chez une fé e .A Le son lointain du cor dans les b ois a le p ouv oir de f air e r e viv r e
p our moi les moindr es souv enir s de ce séjour .
C’ est que le châte au de la fé e était situé au milieu d’une forêt pr
ofonde dans laquelle on entendait constamment des tr omp ees militair es
au timbr e grav e se rép ondr e comme de très loin. Ces sonneries
étrangèr es, inconnues, avaient une mélancolie à p art, semblaient des app els
magiques, dans l’air sonor e qu’ on r espirait là , — l’air silencieux, vif et
pur des cimes. . .
La musique a p our moi une puissance é v o catrice complète ; des
lamb e aux de mélo die ont conser vé , à trav er s le temps, le don de me rapp eler
mieux que toutes les imag es certains lieux de la ter r e que j’ai habités,
certaines figur es qui ont trav er sé mon e xistence .
D onc, quand j’ entends au loin des tr omp es sonner , je r e v ois tout à
coup , aussi neement que si j’y étais encor e , un b oudoir r o yal ( car la fé e
1L’ e xilé e Chapitr e
dont je p arle est en même temps une r eine ), donnant p ar de hautes
fenêtr es g othiques sur un infini de sapins v erts ser rés les uns aux autr es
comme dans les forêts primitiv es. Le b oudoir , encombré de choses
précieuses, est d’une magnificence un p eu sombr e , dans des teintes sans nom,
des gr enats aénués tour nant au fauv e , des or s obscur cis, des nuances de
feu qui s’éteint ; il y a des g aleries comme de p etits balcons intérieur s, il y
a de grandes drap eries lourdes masquant des r e coins my stérieux dans des
tour elles. . . Et la fé e me ré app araît là , vêtue de blanc, av e c un long v oile ;
elle est assise de vant un che valet et p eint sur p ar chemin, d’un pince au
lég er et facile , de mer v eilleuses enluminur es ar chaïques où les or s
dominent tout, à la manièr e b y zantine : un travail de r eine du temps p assé ,
commencé depuis tr ois anné es, un missel sans prix, destiné à une
cathédrale .
Le costume blanc de la fé e est de for me orientale , tissé et lamé
d’ar g ent. Mais le visag e , qui s’ encadr e sous les plis transp ar ents du v oile ,
a ce je ne sais quoi d’adouci, de nuag eux qui n’app artient qu’aux races
affiné es du Nord. Et p ourtant il règne dans tout l’ ensemble une si p arfaite
har monie qu’ on dirait ce costume inv enté pré cisément p our la fé e qui le
p orte . — Pour cee fé e qui a é crit elle-même quelque p art : « La toilee
n’ est p as une chose indiffér ente . Elle fait de v ous un objet d’art animé , à
condition que vous soyez la parure de votre parure. »
A v e c quels mots dé crir e les traits de cee r eine ? Comme la chose est
délicate et difficile ; il semble que les e xpr essions ordinair es, qu’ on
emploierait en p arlant d’une autr e , de viennent tout de suite ir ré v encieuses,
tant le r esp e ct s’imp ose dès qu’il s’agit d’ elle . L’éter nelle jeunesse est dans
son sourir e , elle est sur ses joues d’un inaltérable v elouté r ose ; elle brille
sur ses b elles dents, clair es comme de la p or celaine . Mais ses magnifiques
che v eux, que l’ on v oit à trav er s le v oile semé de p aillees ar g enté es, sont
pr esque blancs !. . . « Les che v eux blancs, a-t-elle é crit dans ses Pensées ,
sont les p ointes d’é cume qui couv r ent la mer après la tempête . »
Et comment e xprimer le char me unique de son r eg ard, de ses y eux
gris limpides, un p eu enfoncés dans l’ ombr e sous le fr ont lar g e et pur :
char me de suprême intellig ence , char me d’infinie pr ofondeur , de discrète
et sy mp athique p énétration, de souffrance habituelle et d’immense pitié !
T rès chang e ante est l’ e xpr ession de ce visag e , bien que le sourir e y soit
2L’ e xilé e Chapitr e
pr esque à demeur e . — « Cela fait p artie de notr e rôle à nous, me dit-elle
un jour , de constamment sourir e comme les idoles. » — Mais ce sourir e de
r eine a bien des nuances div er ses ; quelquefois c’ est tout à coup de la g aîté
fraîche , pr esque enfantine ; très souv ent c’ est un sourir e de mélancolie
résigné e , — p ar instants même , de tristesse sans b or nes.
D es chagrins qui ont blanchi les che v eux de cee souv eraine , il en est
un que je sais, — que je puis mieux que p er sonne compr endr e , — et qu’il
m’ est p er mis de dir e : au milieu du grand jardin d’une résidence r o yale ,
on m’a conduit p ar son ordr e au tomb e au d’une p etite princesse qui lui
r essemblait, qui avait hérité de ses traits et de son b e au fr ont lar g e .
Sur le tomb e au, j’ai lu ce p assag e de l’Évangile : « Ne pleur ez p as, elle
n’ est p as morte , elle dort. » Et en effet, la p etite statue couché e semble
dor mir p aisiblement dans sa r ob e de marbr e .
« Ne pleur ez p as. » Pourtant la mèr e de la p etite endor mie pleur e
encor e , pleur e amèr ement son enfant unique . Et v oici une phrase d’ elle qui
souv ent me r e vient à la mémoir e , comme si une v oix la r e disait en
dedans de moi-même av e c une lenteur funèbr e : « Une maison sans enfant
est une clo che sans baant ; le son qui dort serait bien b e au p eut-êtr e , si
quelque chose p ouvait le ré v eiller . »
Oh ! comme je me rapp elle les moindr es instants de ces causeries e
xquises dans ce b oudoir sombr e , av e c cee r eine vêtue de blanc. — A u
commencement de ces notes, j’ai dit une fé e . C’était une manièr e à moi
d’indiquer un êtr e d’ essence sup érieur e . A ussi bien, je ne p ouvais p as dir e :
un ang e , car ce mot-là , on en a abusé au p oint d’ en fair e quelque chose
de suranné et de ridicule . Et il me semble d’ailleur s que ce nom de fé e ,
pris comme je l’ entends, convient bien à cee femme — jeune av e c une
che v elur e grise ; souriante av e c une e xtrême désesp érance ; fille du Nord
et r eine d’Orient ; p arlant toutes les langues et faisant de chacune d’ elles
une musique ; char meuse toujour s, ayant le don de jeter autour d’ elle ,
quelquefois rien qu’av e c son b on sourir e , une sorte de char me
bienfaisant qui r elè v e , qui rassérène , qui console . . .
D onc, je r e v ois en esprit la r eine av e c son long v oile ( je n’ ose plus
dir e la fé e , à présent que je l’ai désigné e plus clair ement). Elle est
devant son che valet et elle me p arle , tandis que les dessins ar chaïques, qui
semblent sortir tout natur ellement de ses doigts, s’ enr oulent sur le p
ar3L’ e xilé e Chapitr e
chemin du missel. A uprès de Sa Majesté sont assises deux ou tr ois jeunes
filles, ses demoiselles d’honneur , — jeunes filles br unes, dont le costume
oriental est de couleur s étrang es, tout doré et p ailleté ; elles lisent, ou elles
br o dent sur de la soie de grandes fleur s aux nuances anciennes ; elles r
elè v ent leur s y eux noir s de temps