ac iné L196 de luttes politiques, appela un bilan des processus de scolarisation nés depuis parfois plus dun siècle et inégalement institués ; les missions y avaient pris part et souvent joué un rôle pionnier (Ngoyi 1969 ; Bouche 1974). Les dirigeants de lenseignement catholique, pour la plupart encore missionnaires, dépendaient ainsi, nouvellement, de contextes nationaux singuliers. Ils sinquiétèrent : la décolonisation nallait-elle pas engendrer au sein des systèmes scolaires un affaiblissement, voire, au pire, une disparition des enseignements confessionnels, préjudiciable aux réseaux décoles catholiques et à lÉglise, au profit des seuls États ? Cette question reflétait les préoccupations de certains missionnaires en réaction à ce quils appréhendaient comme un « danger de létatisme »1. Avec le recul du temps, il est possible de reconsidérer ce qui fut perçu chez eux parfois avec prescience comme un danger et ainsi distinguer plusieurs modes de gestion étatique des héritages scolaires missionnaires. Les politiques scolaires des États varièrent : certains sapproprièrent les réseaux scolaires catholiques, dautres les reconduisirent ; les formes de ré-appropriation et de reconduction alors en cours de réalisation étaient elles-mêmes diverses ; un sentiment dinquiétude gagna les églises catholiques : les nouveaux États supplanteraient-ils les Églises en mettant en place des politiques scolaires excluant leurs écoles des systèmes nationaux denseignement ou bien, les incluant mais selon des modalités qui ne leur seraient pas favorables ? Internationalisation et formes dintégration nationale des enseignements catholiques Linternationalisation des relations politiques construites à partir de sociétés africaines, désormais dotées dÉtats indépendants, relança, dès 1960, lintérêt de la curie romaine quant au devenir des enseignements catholiques, un domaine dintervention quelle avait eu tendance à laisser à lappréciation des grands chefs missionnaires, notamment pour lex-AOF à Mgr Lefebvre2. Rome intervint à partir 1. Ce « danger » fut publiquement évoqué à plusieurs reprises, en 1965, lors de la Conférence panafricaine de lenseignement catholique. Voir Oiec 1965. 2. À plusieurs reprises, au cours de lhistoire du Congo, le Vatican apparut comme linterlocuteur privilégié du Roi Léopold ou du pouvoir colonial belge : des conventions scolaires concrétisèrent leurs alliances. Dans dautres zones géopolitiques africaines, les métropoles gardèrent le monopole de la législation scolaire sans éprouver le besoin dinterpeller le Vatican. Sur les politiques déducation suivies par le Vatican en Afrique subsaharienne, on peut se reporter à P. DECRAENE1993 : 2-5et G. BUSUGUTSALA1997.
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dune aire géopolitique particulière, celle des territoires du Congo-Ruanda-Urundi où avait résidé, à lépoque coloniale, Mgr Sigismondi, représentant permanent du Saint-Siège, nommé, à lheure des indépendances, secrétaire de la Propagande, lune des plus puissantes institutions du Vatican. Pour les avoir côtoyés à lépoque coloniale, ce prélat italien connaissait bien les représentants belges de lenseignement catholique, en particulier le chanoine Moerman en poste au Bureau de lenseignement catholique à Kinshasa (Bec) entre 1955 et 1960. Stratégiquement, le Vatican sappuya sur un organisme catholique spécialisé dans lenseignement, lOffice international de lenseignement catholique (Oiec) : en 1960, une représentation régionale de cet organisme simplanta sur le continent africain, à Brazzaville. Conformément à ce projet, alors que lÉglise catholique entrait dans une période conciliaire (Concile Vatican II), Mgr Sigismondi confia au vice-président de lOiec, le chanoine Moerman, un « mandat prioritaire » : organiser au nom de lOiec, plus spécifiquement de son récent Secrétariat régional pour lAfrique et Madagascar (Sram), une Conférence panafricaine de lenseignement catholique (Copec). Le devenir des écoles catholiques entre politique vaticane et politique africaine Au sein de ces nouvelles structures (Oiec, Sram) et à loccasion de cette Conférence qui eut lieu à Léopoldville du 16 au 23 août 1965 (Copec) des tensions éclatèrent chez les missionnaires, révélatrices dune divergence de point de vue ; le dessein panafricaniste de la Conférence fut critiqué : des spécificités historiques liées à limplantation des écoles catholiques rendaient sa réalisation douteuse ; dautre part, les gouvernements africains commençaient à mettre en uvre leurs propres politiques éducatives ; ainsi lobjectif visé dune fédération panafricaine des directions nationales de lenseignement catholique ne fut pas atteint, la Copec savéra un fiasco ; des missionnaires semployèrent à sa mise en échec ; cette conférence, tant attendue des autorités vaticanes, faisait déjà douter des chances de lidéal panafricaniste, mis en uvre par certains chefs dÉtat au moment des décolonisations, notamment Kwamé Nkrumah par exemple (MBokolo 1985 : 150-151). LOiec et le réseau des institutions internationales vaticanes Créé en 1952 à linitiative de Mgr Op de Coul3, lOffice international de lenseignement catholique (Oiec) avait comme fonction de représenter les intérêts des enseignements catholiques auprès des instances internationales issues du contexte de laprès-guerre, principalement lUnesco. Cet organisme à vocation internationale, toujours actif en 2002, fait partie dun ensemble plus vaste, celui des organismes internationaux catholiques (Oic) spécialisés selon des secteurs dactivité (enseignement, santé, alimentation). Le Vatican les a tous homologués. Le secteur de lenseignement regroupe, outre lOiec, quatre organismes internationaux : la Fédération internationale des universités catholiques (Fiuc), lUnion mondiale des enseignants catholiques, le Secrétariat international des enseignants secondaires catholiques (Siesc), le Centre international détudes de la formation religieuse (Ciefr). Un bulletin de liaison « à usage interne et privé » commença à paraître à partir de juin 1964, appelé Bulletin du Centre de documentation des organisations internationales catholiques denseignement (CCIC). Ce bulletin cessa de paraître en 1978 ; il diffusait en Europe, sous forme de brèves nouvelles, des informations concernant laction des cinq organismes auprès de lUnesco et de son Bureau régional 3. Évêque du diocèse de La Haye.
10 Éric Lanouede léducation en Afrique (Breda) ; ce bulletin fournissait aussi des informations ts catho es d rperleastsievessisaeuàxLeénospeiogldnveimllee,nappeléeliDqoucumenAtfartiiqoune,eteinnfporromvaetnioannsceendAufnreiqaugee(nDceia)d4e.LOiec, le plus important parmi les cinq organismes, bénéficie dun statut consultatif auprès de lUnesco depuis 19585. Ses ramifications sétendent vers dautres institutions internationales, en particulier le Bureau international du travail (BIT). Les coulisses dune conférence : une riposte des missionnaires dAfrique de lOuest au « panafricanisme » de l enseignement catholique (1962-1965) Avant la tenue de la Conférence panafricaine de lenseignement catholique, les catholiques développèrent une stratégie de présence et dintervention au sein des conférences continentales ayant trait à léducation en Afrique. En 1961, de nombreuses personnalités du monde catholique participèrent à la Conférence dAddis-Abéba, parmi lesquelles le chanoine Moerman, au titre de lOiec, Jean Larnaud, secrétaire du Centre international catholique auprès de lUnesco (CCIC)6. Tous les nouveaux ministres africains de lÉducation nationale des pays devenus indépendants y assistèrent, de même des élites intellectuelles comme Joseph Ki-Zerbo, représentant officiel de la Haute-Volta7. Outre ses objectifs dune scolarisation universelle, cette conférence engagea les ministres africains, à concevoir léducation comme un moteur du développement économique et social (Unesco 1961), en conséquence à entrer dans une phase de planification de léducation, condition nécessaire à lobtention dune aide financière internationale. Un autre motif rendait urgente la tenue de cette conférence qui devait, selon ses organisateurs, marquer un tournant décisif dans le devenir des enseignements catholiques : entre décembre 1962 et janvier 1963, à Salisbury, en Rhodésie, les protestants venaient juste de tenir leurs assises ; le chanoine Moerman y avait assisté. Le chanoine rencontra deux difficultés majeures dans la réalisation de son mandat, destiné, rappelons le, à fédérer les enseignements catholiques africains depuis le Congo-Brazzaville ; la première était dordre pratique : il lui fallut sillonner le continent africain, prendre connaissance de lensemble des régimes politiques et apprécier leurs dispositions à légard de lenseignement privé confessionnel ; la seconde, dordre diplomatique, consistait à faire pression sur les directeurs nationaux de lenseignement catholique : ils devaient convenir dun statut définitif de leur ordre denseignement avec les autorités publiques. Convaincus qu« une certaine unité 4. Nous avons systématiquement dépouillé les bulletins cités. 5. LOiec jouit aussi dun statut consultatif et dinformation auprès dautres agences des Nations Unies depuis la fin des années 1950 (Unicef 1963 et Ecosoc 1958) et du Conseil de lEurope.Documentde présentation de lOIECSecrétariat général, Bruxelles, Belgique. Une assemblée générale se réunit, tous les trois ans ; elle élit un Conseil composé de 17 membres ; une présidence de ce Conseil est assurée ; un Secrétaire général est lorgane exécutif permanent et représente lOffice dans ses relations extérieures ; 5 secrétariats généraux animent des activités au plan régional à Dakar (Afrique et Madagascar), Bogota (Amérique du Nord et Amérique latine), à New Delhi (Asie et Océanie), au Caire (Proche et Moyen Orient) et à Bruxelles (Europe). Le Secrétariat de la région Afrique et Madagascar sest déplacé de Brazzaville à Kinshasa puis de Kinshasa à Dakar. 6. Un envoyé du Pape Paul VI y assista de même que Jan Lindemans, un des fondateurs de lOiec, enseignant à luniversité catholique de Louvain. 7. Joseph Ki-Zerbo était en 1961 un des enseignants africains les plus gradés (diplômé de Sciences politiques et agrégé dHistoire). Selon son témoignage, la Conférence dAddis-Abeba, fut « la première grande conférence sur les objectifs stratégiques de laprès-indépendance, la primauté fut donnée au quantitatif, toute la conférence était axée sur la question : dans 20 ans scolariser toute lAfrique ». Entretien avec Joseph Ki-Zerbo, Paris, le 22 août 1998.
Acteurs, enjeux et tendances des écoles catholiques en Afrique subsaharienne11africaine sur le plan de léducation nétait pas utopique »8, le chanoine et son équipe, cherchèrent à identifier au cours de leurs voyages des « soucis communs » aux enseignements catholiques africains ; ils en vinrent à dégager une sorte dépure des problématiques rencontrées comprenant les thèmes suivants : « lécole catholique et lÉtat », « le financement des écoles catholiques », « lintégration aux politiques de planification », « ladaptation des contenus denseignement », « lintroduction des langues africaines à lécole ». Chacun de ses thèmes appelait une mise en question des échanges passés entre lÉglise catholique et les États à partir des modifications des relations internationales. Les visées panafricanistes et les intentions centralisatrices du chanoine et de son équipe suscitèrent de vives oppositions dans le milieu des directeurs nationaux de lenseignement catholique. Des documents darchives portent trace de cette scission des mondes mission-naires autour des questions scolaires. Ils datent de 1964. Les auteurs de la riposte, un groupe de dix missionnaires directeurs nationaux de lenseignement catholique, en exercice dans des pays de lAfrique de lOuest francophone et invités à la Copec décidèrent de se retirer. Ils firent part de leur décision au secrétaire de lOiec installé à Bruxelles, ce dernier la consigna dans un « mémorandum confidentiel » : « Nous avons appris que quelques jours avant le Conseil de lOiec, des directeurs nationaux de lenseignement catholique de pays relevant de la nonciature de Dakar sétaient réunis à Abidjan pour préparer la présente réunion du Conseil et pour donner un mandat au père Galopin [le directeur national de lenseignement catholique au Sénégal] et pour quil fasse en leur nom une déclaration ». (Mémorandum confidentiel, 14 décembre 1964, archives du Centre catholique international (CCIC). Ces missionnaires de dix pays africains dont sept dAfrique de lOuest francophone9 redoutaient un affaiblissement de leur position nationale face à la « menace que ferait peser sur lenseignement catholique de leur pays le fait dassister à une réunion exclusivement ou principalement financée par des fonds américains et belges et ayant un caractère trop publicitaire pour ne pas dire triomphaliste ». En conséquence, ils proposèrent aux membres dirigeants de lOiec soit la suppression pure et simple de la Conférence panafricaine soit sa transformation en une session plus discrète de type « séminaire». LOiec envoya ses émissaires en Afrique de lOuest, à Dakar ; au terme dune négociation, ils trouvèrent un compromis avec le père Galopin, chef de file de la coalition missionnaire contestataire10; finalement, le missionnaire donna son accord en échange dune réduction de la couverture médiatique de lévénement. Ajournée à cause de lévolution politique violente du Congo, la conférence eut quand même lieu. Le Président de lOiec, Mgr Descamps11avait évité le désistement de la coalition missionnaire ouest africaine ; il justifia lajournement par « la nécessité dapprofondir davantage les directives du Concile12et leur application en Afrique ». 08. Entretien avec le chanoine Moerman, Genève le 15 février 1999. 0 les dix pays signataires de la déclaration, on trouve : le Sénégal, la Côte-dIvoire, le Dahomey, la9. Parmi Haute-Volta, le Togo, le Mali, le Niger, le Tchad, le Cameroun et le Gabon. 10. Ce missionnaire participa à lélaboration des politiques scolaires au Sénégal. Il fait partie dune génération de missionnaires ayant connu au poste de directeur de lenseignement catholique la période coloniale et postcoloniale dans un pays africain. 11. Mgr Descamps, évêque français, dirigea le Comité national de lenseignement libre pendant vingt ans, entre 1944 et 1964. Il commença une carrière internationale au sein de lOiec dont il assura la présidence à partir de 1964. Cest lui qui prononça le discours douverture de la Copec en août 1965. 12. Le Concile Vatican II produisit des textes extrêmement prudents au sujet des questions politiques portant sur lintégration des héritages scolaires missionnaires en Afrique subsaharienne. Les textes
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Quel sens donner à cette riposte ? Selon les dirigeants des enseignements catholiques de lAOF-Togo et ceux de lAEF-Cameroun, le choix de Léopoldville comme capitale daccueil de cette conférence traduisait une stratégie particulière de défense de lenseignement catholique congolais face à un État qui lui était défavora-ble. Plus quune querelle entre chapelles missionnaires, ce quelle ne fut dailleurs pas, cette riposte des missionnaires aux menées centralisatrices du chanoine Moerman permet de circonscrire un enjeu relatif à la compétition des enseignements catholiques, particulièrement forte au moment de lentrée des États africains dans des organismes internationaux. Le Congo-Léopoldville, et à travers lui la Belgique ne pouvait plus assurer le leadership scolaire dantan ; en revanche, des pays dAfrique de lOuest comme la Côte-dIvoire et le Sénégal pouvaient continuer dassurer ce leadership, ne fut-ce quen raison de la participation des écoles catholiques à la planification scolaire de leur pays et surtout en raison de labsence dune politique dite de « nationalisation »13. En définitive, même si la conférence put avoir lieu à Léopoldville, la raison des nations et des coalitions géopolitiques lemporta sur les tentatives dune fédération panafricaine des enseignements catholiques impulsées à partir de laxe Léopoldville/Brazzaville. Linternationalisme catholique seffaçait devant les spécificités afférentes aux contextes nationaux. Diversité des formes dintégration nationale et résolutions adoptées à la Copec Un mois avant la tenue de la conférence, son principal organisateur, le chanoine Moerman, exprimait devant le Conseil de lOiec réuni à Anvers, les divergences de points de vue relatifs à ce quil était convenu dappeler à lépoque « les nationalisations », autrement dit la capture réelle ou envisagée des écoles catholiques par des États désireux de les métamorphoser en écoles publiques : « Face aux menaces de nationalisation de lenseignement, les réactions catholiques ne sont pas unanimes. Pour les uns, lenseignement représente un moyen dapostolat dont la perte représenterait un mal irréparable ; pour les autres, il est impossible tant du point de vue financier que psychologique de vouloir conserver ces écoles et alors il faut repenser tout le problème sous langle de la pastorale et du service à rendre aux jeunes nations. Il est vraisemblable que ces oppositions, entre lesquelles il y a de nombreuses positions intermédiaires, ne manqueront pas de se manifester à la conférence, y aura t-il majorité dans un sens ou dans lautre, ou sarrêtera t-on à une solution médiane ? » (Conseil de lOiec, Documentation et informations en Afrique DIA , 16 novembre 1964, Kinshasa). Les propos du chanoine illustrent un malaise répandu, en lien avec les perceptions missionnaires de lhéritage scolaire à lépoque des décolonisations : la question de savoir si lécole catholique devait continuer dappuyer le processus dévangélisation trouvait un écho sur lensemble du continent africain. Autant pour lÉglise que pour les États, le legs des écoles catholiques construites au temps de la Mission constituait une pomme de discorde. Quand il sagit dévoquer lhistoire des écoles catholiques, « naturellement » resituées à lépoque missionnaire, et toujours vues comme « une pépinière délites », on évoque moins les prises de position divergentes auxquelles leur repositionnement en période dindépendance donna lieu ; or, contre les louanges commémoratives dont ces écoles font aujourdhui lobjet, il faut rétablir que le conciliaires discutaient davantage de la participation des laïcs à lenseignement catholique des différents pays. Le chanoine Moerman et deux de ses collaborateurs à lOiec ont publié un recueil des grands textes conciliaires sur léducation (J.LINDEMANS,J.MOERMAN&C.PETIT1966). 13. Nous reviendrons sur ce terme couramment usité ; il ne nous semble pas adéquat.