Traditionnellement, l’anthropologue occidental étudiait une société étrangère mais s’adressait à un public occidental. Depuis quelques décennies, l’histoire de l’anthropologie a connu un changement signifi catif, la venue d’anthropologues qui lisent et critiquent ce qui est, a été, sur leur « propre » société. Dans ses publications antérieures, Hassan Rachik proposait une critique compréhensive de la littérature anthropologique coloniale et postcoloniale sur le Maroc. Dans le présent livre, il revient sur son parcours, qui s’étale sur quatre décennies, pour examiner ce que devenir et être anthropologue chez soi veulent dire. Le débat quant à la position sociale de l’anthropologue ne porte plus seulement sur l’ailleurs (l’Occident), le lointain et le regard éloigné mais aussi sur l’ici, le proche, le familier et le regard complice. Se pose une nouvelle question dans l’histoire de l’anthropologie : comment un anthropologue chez soi interprète-t-il sa propre culture ? À travers une restitution réfl exive et minutieuse de sa pratique de terrain, de ses conversions disciplinaire et théorique, Rachik vise un degré d’abstraction qui permet de comparer avec d’autres expériences et de répondre à des questions théoriques, ethnographiques, politiques et éthiques en rapport avec le devenir du métier d’anthropologue.
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Extrait
Devenir anthropologue chez soi Interpréter sa propre culture
HASSAN RACHIK
Pubîé avec e soutîen de ’Académîe du Royaume du Maroc
DEVENIR ANTHROPOLOGUE CHEZ SOI Interpréter sa propre culture
HASSAN RACHIK
À la mémoire de mon père et ma mère
S Y S T È M E D E T R A N S C R ï P T ï ON
Nous aons adopté un système de transcrîptîon sîmpe quî permet d’îdentîIer a racîne des mots arabes et berbères empoyés. Les mots sont empoyés unîquement au sînguîer.
ç : s emphatîqueص gh : r grasseyéغ h : h égèrement aspîréحh : arynga spîranteه kh : équîaut à ajotaespagnoخ q : k prononcé aec a oûte du paaîsق r : r rouéر ‘ : pharyngae spîranteعâ : oyee ongue
P R É LU D E
u début des années 8, î étaît împudîque et ascîentîIque de parer de soî, de son parcours, de a raîsoAns ordînaîres quî ont orîenté e choî de ses thèmes, de ses dîmensîon quotîdîenne de son traaî de terraîn, des rapports au înformateurs et d’autres îdées sîmîaîres. Dans un soucî d’objectîîté scîentîIque, c’étaît eNousquî deaît ’emporter sur eJe. Depuîs es années , î est deenu quasî norma que e chercheur s’înscrîe dans son tete ; ’empoî duJeauraîtété même érîgé en un rîte quasî obîgatoîre. On sort de a dogmatîque de ’objectîîté, du détachement de a îsîon oympîenne de ’obserateur pour s’engouffrer dans une autre faîsant de ’engagement, de a maadîe du journa et de ’înscrîptîon narcîssîque duJee credo du chercheur postmodernîste. Tradîtîonneement, ’anthropoogue îre au ecteur es résutats (a îtrîne) de son traaî de terraîn et rarement es processus (’ateîer) quî y conduîsent, processus qu’î n’oseraît pas déoîer dans un traaî académîque sous prétete qu’îs sont personnes, oîre întîmes. (Sperber, 8, p. 6.) Dîerses métaphores eprîment a dîmensîon cachée, occutée ou sîmpement négîgée et îgnorée d’une recherche : ’ateîer, a cuîsîne et es couîsses. ï arrîe que
8 — Devenîr anthropoogue chez soî
cette dîmensîon Igure dans es préfaces, es înterîews, es journau de terraîn et es mémoîres pubîés après a bataîe, maîs rarement dans e tete anthropoogîque Ina. L’un des întérêts de a ague dîte « postmodernîste » est d’aoîr faît e îen entre es couîsses et a scène, ’ateîer et a îtrîne et d’aoîr suggéré ’înscrîptîon de ’epérîence du terraîn dans e tete Ina. (Cîfford et Marcus, 86.) Je pense qu’î est fastîdîeu de montrer sîmutanément ’ateîer et a îtrîne. Un dosage s’împose : a partîe réleîe sera réduîte sî ’objectîf est de présenter des résutats de a recherche. Ce que j’aî faît dans mes troîs premîers îres. ïnersement, ’eposé des résutats sera secondaîre sî a umîère est projetée sur es processus de traaî de terraîn et d’écrîture. Ce que j’essaîe de faîre dans e présent îre. (Rachîk, 6, pp. -, -6.) À présent, je peu me e permettre, îbéré des résutats de mes recherches déjà pubîées. Nous constatons une rétîcence, couerte d’une certaîne pudeur, à prendre ’înîtîatîe pour parer de soî, partager son epérîence et son parcours. On se justîIe souent. C’est e sutan, un coègue, un ancîen étudîant, un amî, un édîteur quî e suggèrent . Après une quarantaîne d’années de pratîque de a recherche, j’étaîs maîntes foîs tenté de reenîr sur mon epérîence et sur mes traces. Ce seraît mahonnête de ma part de ne pas dîre que oyager dans mon passé de
. Voîr ’înterîew aec Jacques Goody saamment réaîsée par Dîonîgî Abera concernant sa formatîon, ses engagements poîtîques, son epérîence mîîtaîre, et notamment e chapître întîtué « Deenîr anthropoogue » (Goody, , pp. 6-.) Dans un îre (Dhoquoîs, dîr, 8) quî porte un tître sîmîaîre, Comment je suîs devenu ethnoogue, une dîzaîne de chercheurs parent de eurs ocatîons et epérîences (M. Augé, J. Faret-Saada, M. Godeîer, F. Hérîtîer, etc.). Voîr aussî Geertz, ; Rîcœur, ; Mendras, .
Préude — 9
chercheur étaît une motîatîon essentîee, un îmmense paîsîr maîs aussî une angoîsse poîgnante quant au résutats împréîsîbes des courses. Cette motîatîon a été nourrîe par mes recherches sur es epérîences d’autres anthropoogues. (Rachîk, ; 6, pp. -6.) J’étaîs aussî appeé, par mes étudîants et par mes coègues, à partager aec eu des bouts de mon epérîence et des etraîts de mes carnets de terraîn. Maîs je trouaîs artîIcîee cette dîchotomîe entre ’écrît et ’ora, entre pubîer es résutats de sa recherche et raconter son epérîence de chercheur. Pourquoî ce que je raconte ne mérîte-t-î pas d’être écrît ? Je pense que c’est un deoîr de notre génératîon de pubîer une partîe de nos conceptîons et de nos pratîques de terraîn et d’organîser des îsîtes guîdées au aéoes de nos ateîers. D’un narcîssîsme suspecté, je suîs passé à un atruîsme assumé. En restîtuant mon parcours, je suîs conscîent de ne pas être deant e mêmeJe. ï s’agît d’une înteractîon, d’une reatîon de face-à-face décaé dans e temps, entre dîfférents Je. Dîre que j’écrîs sur moî-même est un peu court orsque je réléchîs sur une ongue durée. Certes, je suîs à a foîs e sujet et ’objet de cette réleîon. Maîs cet objet réfère, en faît, à des sujets quî sont à a foîs es mêmes et dîfférents : e débutant, e noîce, ’împrégné par ’anayse structurae, e compîce des paradîgmes de ’actîon et de ’ethnographîe mîcroscopîque, e consutant. Le recu hîstorîque dont je dîspose me permet de déceer es dîfférences et es sîmîîtudes que courent e Je. Sans trop spécuer sur eSoî, e pus împortant c’est d’être attentîf au rapport entre « a dîfférence/dîscontînuîté » et « a sîmîarîté/contînuîté » quî caractérîse tout parcours et toute bîographîe înteectuee. (Rîcœur, ,.)