Réunies à l’occasion d’un colloque organisé conjointement par l’Association des professeurs d’histoire-géographie (APHG) et l’Association des historiens modernistes des Universités françaises (AHMUF), les onze contributions de ce volume retracent et analysent les conditions culturelles, matérielles, économiques ayant rendu possible la naissance puis l’épanouissement d’un monde de l’imprimé.Mobilisant une historiographie amplement renouvelée, les auteurs mettent en valeur la richesse de cet objet, désormais commun, tout en rappelant la nécessité de ne pas le réduire à sa seule matérialité pour mieux appréhender la co-construction à laquelle sociétés et imprimé se livrent tout au long de l’époque moderne.Croisant plusieurs champs disciplinaires (histoire du droit, histoire du livre, histoire politique, histoire économique, histoire religieuse, etc.) et illustrant par là le foisonnement de ce monde de l’imprimé, ce volume, initié à la suite d'une question apparue pour le programme de l'agrégation d'histoire 2021, suscitera sans nul doute l’intérêt des spécialistes, des étudiants ou encore des amoureux de l’histoire. Ces textes sont réunis et édités par Joëlle Alazard, Céline Borello, Camille Desenclos et Fabien Salesse.
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Extrait
Le monde de l’imprimé en Europe occidentale (vers 1470vers 1680)
« Le monde de l’imprimé en Europe occidentale des années 1470 aux années 1680 », ce thème mis au programme d’histoire moderne de l’agrégation d’histoire 2021 invite opportunément les futurs professeurs à rééchir sur un monde que nous serions en train de perdre, pour paraphraser le titre du célèbre ouvrage de Peter Laslett. Au seuil d’une publication dont l’existence même illustre la salutaire résistance de l’imprimé à la dématérialisation générale, il est agréable au président national de l’Association des professeurs d’histoire et de géographie de rappeler combien celle-ci attache de l’importance à la « civilisation du livre » – son nouveau logo en témoigne – et aux concours de recrutement des enseignants de l’Éducation nationale, vestige de l’ordre méritocratique républicain à préserver e sans désemparer. La « civilisation du livre » est devenue aussi, dès lexviisiècle, celle des périodiques, des journaux et des revues. La revue de l’APHG,Historiens et Géographes, consacre depuis des lustres son numéro de rentrée à la publication des bibliographies de concours. Elle publie aussi régulièrement des articles et des dossiers destinés à fournir des ressources aux candidats puis à aider les nouveaux professeurs dans l’exercice de leur métier.
Depuis récemment, sous l’impulsion de sa vice-présidente Joëlle Alazard, dont l’ardeur n’a d’égale que l’inventivité, l’APHG entend amplier encore sa mission de production de ressources en mettant très rapidement sous presse les actes des journées d’étude organisées à l’automne autour des programmes des concours. Grâce à l’énergie de sa vice-présidente et de Fabien Salesse, de la Régionale lyonnaise de l’APHG, en partenariat avec l’AHMUF, le présent volume, nourri de la généreuse science d’auteurs remarquablement réactifs, met à la disposition des lecteurs des études extrêmement précieuses pour pénétrer et comprendre à partir de différents angles le monde naissant puis épanoui de l’imprimé, à cheval sur les vieux découpages chronologiques frappés d’obsolescence, sur ce sujet comme sur bien d’autres.
Qu’il soit donc permis au médiéviste « tardif » qui écrit cette brève préface de la terminer sur une mention personnelle. Depuis le temps désormais bien lointain du doctorat, une fascination l’habite pour les incunables parce que son
héros de thèse, Robert Gaguin (1433-1501), docteur régent de la faculté de décret de Paris, ministre général de l’ordre des Trinitaires, penseur humaniste et auteur prolique, eut les relations les plus étroites avec le monde des imprimeurs parisiens et lyonnais. Ces derniers mirent sur le marché du livre en plein essor la majeure partie de ses écrits, et notamment son abrégé d’histoire de France en latin. Émerveillé par l’ars articialiter scribendicomme nous pouvons l’être à présent par le numérique, mais conscient aussi que cettearspouvait reproduire l’erreur à l’effrayante échelle, pour l’époque, de plusieurs centaines, voire milliers d’exemplaires, notre lointain collègue nous rappelle la double facette de toute invention.
C’est évidemment pour le meilleur que le présent volume paraît. Remercions-en chaleureusement les grands architectes et les auteurs. Souhaitons-en une lecture fructueuse aux préparateurs et aux préparationnaires de cette belle question.
Franck Collard,président national de l’Association des professeursd’histoire-géographie (APHG)
Ce volume propose un ensemble de synthèses permettant de retracer les mutations culturelles ayant marqué les débuts de l’époque moderne. Il dessine un panorama très complet des productions imprimées, de la circulation des ouvrages et de leur effet sur les pratiques de piété comme sur l’application de la justice.
Des années 1470 aux années 1680, l’Europe occidentale s’est profondément transformée. L’encadrement étatique et le contrôle social se sont renforcés à mesure que l’imprimé s’est diffusé. Textes et images se sont répandus d’une telle façon que l’horizon culturel s’est considérablement élargi. Le sentiment religieux comme les imaginaires et les pratiques politiques ont connu de profonds bouleversements.
Le taux d’alphabétisation restait pourtant faible. Le nombre de « signants », dans la France des années 1680, ne dépassait pas 21 % en moyenne (29 % des hommes, 14 % des femmes), mais il était plus élevé dans le Nord, spécialement 1 en Champagne, et dans les villes . Dans le monde germanique, pourtant berceau 2 de l’imprimerie, ce taux était inférieur à 10 % . On s’émeut encore quand, en dépouillant les registres de mariage ou de baptême du temps de Louis XIV, on constate que les époux et leurs témoins, ou les parents et les parrains et marraines, « ont déclaré ne sçavoir signer ». À défaut de savoir écrire correctement et sans être capable de lire un livre, on pouvait déchiffrer quelques phrases et l’on était impressionné par les estampes. Les images pieuses, comme les portraits du prince et de sa famille, par le biais des almanachs, se sont répandus d’une façon spectaculaire. Par ailleurs, le message imprimé était diffusé par des médiateurs, privés ou institutionnels, qu’il s’agisse de crieurs publics ou de gens d’Église.
Si l’on ne soutient plus que la Réforme a été la lle de l’imprimerie, son essor puis celui de la Contre-Réforme ont entraîné un développement de la lecture et une expansion de la production imprimée. Le livre n’a pas été le seul vecteur des
1. François Furet, Jacques Ozouf (dir.),Lire et écrire. L’alphabétisation des Français de Calvin à Jules Ferry, Paris, Éd. de Minuit, 1977. 2. Fania Oz-Salzberger, « Languages and Literacy », dans Hamish Scott (dir.),The Oxford Handbook of Early Modern European History, 1350-1750.Volume I :Peoples and Place, Oxford, Oxford University Press, 2015, pp. 192-213.
transformations religieuses, mais il les a accompagnées et renforcées, jouant un 3 rôle de « témoin tangible de la conviction, qu’il matérialise par sa possession » . Concomitamment, le contrôle de l’imprimé est rapidement devenu un enjeu majeur pour les autorités, civiles ou religieuses, comme en témoignent la précoce condamnation des écrits luthériens (1520) puis la multiplication des Index : à Paris (publication en 1544 de la liste des livres interdits par la Sorbonne), à Venise 4 (1549), en Espagne (1551), à Rome (1559) .
L’histoire des productions imprimées est une histoire tout à la fois culturelle, politique, religieuse, sociale et économique. Sans porter préjudice à quiconque et sans voler personne, les contributions rassemblées dans cet ouvrage démontrent, s’il en était besoin, que l’essor de l’imprimerie a constitué l’une des caractéristiques majeures de la modernité occidentale.
Je souhaite remercier tout particulièrement la secrétaire générale de l’Association des historiens modernistes des universités françaises (AHMUF), Céline Borello, qui a déployé toute son énergie pour organiser le colloque du 28 novembre 2020 dont ce volume constitue les actes. Je remercie également Camille Desenclos, secrétaire générale adjointe chargée des publications, qui a apporté une contribution technique majeure à la tenue de ce colloque, avant de s’employer à la publication de cet ouvrage.
Je me réjouis enn de l’excellente collaboration nouée avec l’Association des professeurs d’histoire-géographie (APHG) qui témoigne de cette particularité française qu’est le lien étroit entre l’enseignement secondaire et l’enseignement supérieur, notamment par la préparation aux concours de recrutement de l’Éducation nationale. On regrettera, malheureusement, que cette très belle question d’histoire moderne sur le monde de l’imprimé n’ait été proposée qu’aux étudiants préparant l’agrégation externe d’histoire, alors qu’elle aurait pu trouver sa place également au programme du Capes.
Nicolas Le Roux,président de l’Association des historiensmodernistes des universités françaises
3. Lucien Febvre et Henri-Jean Martin,L’Apparition du livre, Paris, Albin Michel, 1958 ; rééd. 1971, p. 403. 4. Mario Infelise,I libri proibiti da Gutenberg all’Encyclopédie, Bari-Rome, Laterza, 1999 ; rééd. 2013.