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Description
Informations
Publié par | Les Éditions du Net |
Date de parution | 25 août 2014 |
Nombre de lectures | 0 |
EAN13 | 9782312023649 |
Langue | Français |
Extrait
Tankred
Jean-Marie Martin
Tankred
Dialogues au crépuscule d’Auschwitz
LES ÉDITIONS DU NET 22, rue Édouard Nieuport 92150 Suresnes
Du même auteur
Le Bouleau de Birkenau , roman, Aléas 2004
Le Phénix d’Ainay , roman, Aléas 2006
L’Impromptu de Salzbourg , roman, Aléas 2008
Le Crépuscule des Harii, roman, Aléas 2009
Un, Dieu, Trois… Soleil , autobiographie, Aléas 2010
Il t’attend sous le Figuier , pièce de théâtre, Aléas 2011
*
Tankred est tiré du roman ci-dessus
Le Bouleau de Birkenau , Éditions Aléas 2004
© Les Éditions du Net, 2014 ISBN : 978-2-312-02364-9
Aux quarante-quatre enfants d’Izieu assassinés à Auschwitz {1}
Personnages
SS-Unterscharführer {2} Tankred Wojnitsa
SS-Obersturmführer {3} Walter Heissmayer
Maximian Wojnitsa
SS-Sturmmann {4} Cesario Orsini
Salomon Krasenfeld
L’ ACTION SE PASSE À A USCHWITZ -B IRKENAU EN 1944
Chapitre 1
A USCHWITZ -B IRKENAU PRÈS DE LA RAMPE DE SÉLECTION
Tankred est en arrêt. Toute son attention se porte sur un châle de prière juif, curieusement disposé, car accroché à une aspérité de la portière d’un wagon vidé des détenus qu’il transportait. Le tissu tombe verticalement le long de la portière. Son propriétaire avait été précipité dehors avant de pouvoir s’en saisir.
T ANKRED W OJNITSA
(Tankred saisit d’une main le châle et semble se perdre en réflexion.)
Verdammnis ! J’ai déjà vu un châle accroché comme ça… mais où ?… Ça remonte loin, loin, loin dans ma mémoire !…
W ALTER H EISSMAYER
(Il vient d’entrer. Il se campe, les bras rassemblés dans le dos.)
Unterscharführer !
T ANKRED
Ouh là ! Quand le grand Obersturmführer m’appelle par mon grade, c’est qu’il va m’en cuire !
W ALTER
Ça se pourrait, en effet !
T ANKRED
Bonne ambiance, aujourd’hui, tu ne trouves pas, Walter ? Une vraie kermesse ! J’ai au moins gagné un nounours en peluche, non ? Tu me l’as apporté ? C’est ça que tu caches dans ton dos ?
W ALTER :
(détache ses bras, et sa cravache apparaît.
Il s’en frappe vigoureusement la cuisse.)
Ça suffit Tankred ! J’ai entendu le coup de feu ! Tu as encore failli semer la panique pendant la sélection ! On ne peut pas se le permettre, je te l’ai déjà dit ! Tout paraît bien organisé, bien huilé… cependant, dis-toi bien que tout peut déraper pour le moindre faux pas.
T ANKRED
Range ta boîte à musique, je connais la chanson !
W ALTER
Si on était tombé sur des résistants, tu mettais la chienlit quelque chose de bien !
T ANKRED
(hausse les épaules) :
Penses-tu !
W ALTER
Et l’arrivage des trains suivants aurait été bloqué dans tous les environs, et peut-être plus loin encore… Et ça tu le sais très bien !… On n’est pas au casino ici, on ne joue pas à la roulette !
T ANKRED
Tu ne trouves pas que t’en fais un peu trop, non ?
W ALTER
Tais-toi ! Sans parler des retombées ! Je ne pourrai pas toujours te protéger, dis-toi bien ça ! Berlin a besoin de têtes… et il en fait tomber pour moins que ça !… On ne touche pas à la sacro-sainte extermination des Juifs… si chère au Führer !
T ANKRED
Mais Walter, j’ai rien fait de mal, tu pleurniches pour une broutille ! Attends, je te raconte ! Tu vas voir, ça vaut le coup !
W ALTER
Tankred, ne me saoule pas avec ça ! J’imagine très bien le genre de broutille que tu vas me raconter, je connais ta perversité.
T ANKRED
Fais-moi plaisir, écoute-moi !
W ALTER
Tais-toi ! C’est un ordre !
T ANKRED
Mais qu’est-ce qui te prends, Walter, je t’assure que tu vas adorer mon histoire ! Ecoute, c’est croustillant !
W ALTER
Quelle plaie ! Bon alors vas-y !
T ANKRED
Je me suis placé à côté de l’officier-médecin qui opérait la sélection : À droite ! À gauche ! Je t’envoie au gazage, je t’envoie au travail…
W ALTER
Même résultat au final : je t’envoie à la mort !
T ANKRED
N’est-ce pas ! J’adore voir leurs têtes dans la file… tous des pantins !
W ALTER
Bon alors, ton histoire ?
T ANKRED
Un gamin arrivait devant lui. Le médecin lui demanda son âge. Il devint tout rouge en répondant. L’homme plus âgé qui se trouvait juste derrière lui était blême. Il se mordait les lèvres – c’était sûrement son père –. (Il ricane) Irrésistible ! Devant l’embarras du gamin l’officier hésita. Visiblement, ce morpion était en train de lui mentir, mais constatant sa robustesse, il le dirigea vers le groupe des condamnés au travail. Le visage du père se détendit. Maintenant, il se trouvait lui-même devant le médecin. Celui-ci évalua son aspect physique, et le dirigea sans hésiter vers la file des condamnés au gazage. Je m’écriai : « Qu’est-ce que vous faites, docteur, cet homme pouvait travailler ! » Le médecin répondit : « Je veux faire payer au père le mensonge du fils ! »
W ALTER
Très futé ! Ça a dû te plaire !
T ANKRED
Tu penses, évidemment ! Le père s’est affolé et il a voulu rejoindre son fils. Celui-ci cria « Papa ! » en courant vers son père. Je me suis placé aussitôt devant lui pour l’arrêter. Je lui ai crié : « Abruti, tu sais maintenant ce que ça coûte de mentir à un officier de la SS. Retourne dans la file ! » Comme il hésitait, je lui criai encore : « Retourne dans la file, sale Juif ! Tu l’aimes tant que ça ton père ? Alors pourquoi tu l’as envoyé à la mort ? » Devant cette odieuse accusation – dont je suis assez fier, soit dit en passant – l’enfant se pétrifia, puis, ayant réussi à reprendre sa respiration, il poussa un hurlement. Le père se détacha de l’autre groupe et courut vers son enfant. Alors, je sortis mon arme en un instant, et je tirai à bout portant. Bam ! L’homme eut la trachée artère éclatée, et s’effondra sur le gravier de la rampe de débarquement en râlant. Aussitôt, cliquetis de mitraillettes : tous les gardes SS mirent en joue le groupe des détenus. Un vrai western, Walter ! C’était génial, complètement génial ! J’étais très fier de mon petit effet, les assistants étaient terrorisés ! Ce sont des moments comme ça que j’aime !
W ALTER
(furieux)
Et si je te mettais aux arrêts pour avoir mis en péril le bon déroulement de la solution finale ?
T ANKRED :
(surpris)
Ça te reprend ? Mais qu’est-ce qui t’arrive ? Tu sais bien que personne ici comprendrait que tu me fasses arrêter ! À Birkenau, j’ai une excellente réputation, et j’en suis fier, alors remballe ton discours ! Plus vite on sera débarrassé de ce ramassis de déchets, mieux ça vaudra !
W ALTER
Tankred, nous sommes amis depuis les jeunesses hitlériennes, je n’ai pas de meilleur ami que toi. J’espère toujours pour toi un avancement dans la SS qui te fera grimper très haut. Aussi je veux te protéger de toi. Tu es un excellent tueur, je l’admets, et je m’en réjouis, un bon serviteur du Nazisme, mais trop impulsif, et si tu mets en péril le processus de sélection… je te mets au bloc ! Tu vas te tenir tranquille, oui ou non ?
T ANKRED
Oui ! Walter ! Oui, je te le promets… sur la tête de ma prochaine victime !
(Il rit nerveusement et se retourne vers le châle, dont la présence semble l’obséder. Pendant ce temps Walter opère un repli en direction du mess des officiers. Voyant Walter partir…)
T ANKRED
Attends, je finis mon histoire !
W ALTER
Ah non !
T ANKRED :
(Il tape du pied comme un enfant gâté)
Si !… C’est presque fini, écoute-moi un peu, bon sang !
W ALTER
Non !… Allez viens, on va boire un verre au mess. Cette fumée qui s’échappe des cheminées nous éraille la gorge… La poussière de Juif, ça étouffe !…
(Il se retourne, prenant conscience que Tankred ne suit pas. Celui-ci est en train de fixer du regard le châle de prière)
Allez, arrive… tu rêves à quoi ?
T ANKRED
Qu’est-ce que c’est, au juste, ces grands trucs qu’ils se mettent sur la tête ?
W ALTER
Tu le sais pas encore ? (Il éclate de rire) Je vois, tu veux te convertir !
T ANKRED
Imbécile ! Ça m’a encore jamais intéressé de savoir à quoi ça servait, c’est tout !
W ALTER
Eh bien, mon cher ! Ces grands châles leur servent à faire la prière. Pour se protéger des fureurs du ciel ! Ça leur sert pas à grand chose d’ailleurs, t’as vu avec quel empressement leur Dieu vient les secourir ! On dirait qu’il a plutôt hâte de s’en déba