DISCOURSDISCOURS50 ANS DE DISCOURS
UNE SÉLECTION DE TEXTES ET DISCOURS DES DIFFÉRENTS MINISTRES DE LA CULTURE SUR LES POLITIQUES
CULTURELLES ENTRE 1959 ET 2008.
DISCOURSCHRISTINE ALBANEL
EXTRAIT DE « CÉLÉBRATIONS NATIONALES 2009 »,
éd. par la Direction des archives de France,
Délégation aux célébrations nationales, 2008
IL Y A CINQUANTE ANS, LORSQUE LE GÉNÉRAL DE GAULLE NOMMA ANDRÉ MALRAUX Premier mi-
nistre des Affaires culturelles, la France comptait en tout et pour tout un théâtre national
(la Comédie-Française) et cinq centres dramatiques nationaux. Le Louvre abritait en-
core en son sein le ministère des Finances et Orsay était une gare-hôtel. Sur l'unique
chaîne de la télévision – qui n'était pas encore entrée dans tous les foyers – l'émission
Cinq Colonnes à la une, emmenée par Pierre Lazareff, Pierre Desgraupes, Pierre Du-
mayet, Igor Barrère et Eliane Victor, inventait le documentaire d'investigation. On écou-
tait la musique sur vinyles et le problème de la copie des œuvres ne se posait pas.
André Malraux n'a pas seulement établi le diagnostic – devenu célèbre – des « déserts
culturels » en région. Il a appelé à les conquérir et envoyé pour cela d'illustres pionniers.
Il a fixé une feuille de route, qui est restée d'une ardente actualité : « rendre accessible
au plus grand nombre les œuvres capitales de l'humanité et favoriser la création des
œuvres de l'art et de l'esprit qui l'enrichissent. »
En cinquante ans, grâce à l'action conjuguée de l'État et des collectivités territoriales,
la France s'est dotée d'un réseau d'équipements culturels sans équivalent dans le
monde. Le Louvre, le centre Georges Pompidou, le musée d'Orsay, l'arc culturel du
nord-est de Paris, le nouvel opéra Bastille se sont imposés comme des établissements
d'envergure mondiale. L'ensemble du territoire a été également innervé par quelque
3 000 bibliothèques publiques, par plus de 1 200 musées de France et environ
43 000 monuments historiques protégés, par près de 850 théâtres et compagnies sub-
ventionnées par l'État, 13 opéras en régions, 285 ensembles musicaux soutenus, sans
compter 5 362 salles de cinéma (soit le 4e parc mondial).
Depuis cinquante ans, le ministère de la Culture est également le fer de lance de l'« ex-
ception culturelle » – devenue un enjeu internationalement partagé, en évoluant sous
la notion de « diversité culturelle » – défendant la spécificité des biens culturels et de
la logique de la création face à la logique de marché, intervenant dans tous les secteurs
des industries culturelles pour les réguler et soutenir leur part la plus créative : le livre
avec la loi sur le prix unique du livre, le cinéma avec les systèmes d'aides du Centre
national de la cinématographie, la musique et le jeu vidéo avec la lutte conte le piratage
et le crédit d'impôt. Défendant également avec force la clé de voûte de ces économies
par essence fragiles : le droit d'auteur, condition sine qua non du renouvellement de la
création.
Bâtisseur, régulateur, le ministère de la Culture est une institution à part, unique au
monde par son importance et l'ampleur de ses interventions. Les artistes, les écrivains,
les professionnels de la culture et les Français y sont viscéralement attachés.
DISCOURSBien évidemment, le paysage artistique et culturel n'est plus le même qu'il y a 50 ans,
qu'il y a 25 ans, qu'il y a même 10 ans. Songeons aux spectaculaires bouleversements
induits par le développement d'Internet cette dernière décennie : les français ont appris
à écouter la musique différemment, à regarder les films différemment, à s'informer dif-
féremment. Ils apprendront sans doute bientôt à lire différemment.
Les défis pour la culture sont immenses : la menace inédite sur les droits d'auteur et
sur toute l'économie du disque et du cinéma, apparue avec le piratage ; la situation du
livre, qui doit anticiper son entrée dans l'ère numérique ; les graves problèmes auxquels
est confrontée la presse ; l'essor du marché de l'art mondial mais l'essoufflement du
marché de l'art français...
Autant de défis qui nécessitent de conjuguer les politiques culturelles au futur, tout en
continuant d'assurer les missions fondatrices que Malraux a définies en 1959 : préser-
ver et transmettre le patrimoine, soutenir les créateurs et faciliter l'accès de tous à la
culture. Autant de défis qui nécessitent plus que jamais un ministère conscient de son
rôle, modernisé en profondeur dans sa gestion, dans son fonctionnement, dans ses
outils.
Cinquante ans après sa création, le ministère de la Culture et de la Communication,
œuvre collective bâtie sous l'autorité de 19 ministres successifs, vit un tournant de son
histoire. C'est ce qui rend cette célébration tout à fait singulière.
On célèbre le plus souvent des personnalités disparues, des événements inscrits dans
le passé. Le cinquantenaire du ministère de la Culture est un anniversaire actif, tourné
vers l'avenir, puisqu'il coïncide avec une réforme profonde, sans précédent, de cette
prestigieuse institution. Cela fait des années que les acteurs et les observateurs du mi-
lieu culturel attirent l'attention sur la nécessaire modernisation de ce ministère qui a
toujours évolué en ajoutant des directions et des établissements les uns aux autres.
Le ministère fêtera donc ses cinquante ans en faisant peau neuve, avec la création de
trois grandes directions générales (patrimoines de France, création et diffusion, médias
et économie culturelle), d'un secrétariat général renforcé, et d'une fonction d'inspection
rénovée. Il fêtera ses cinquante ans avec l'arrivée historique de la direction du déve-
loppement des médias, qui lui est officiellement rattachée. Il fêtera ses cinquante ans,
enfin, avec des directions régionales des affaires culturelles qui comptent désormais
parmi les huit grandes directions régionales de l'État.
Bref, il fêtera ses cinquante ans en réaffirmant son autonomie, l'importance de son rôle
et des missions que lui avait confiées Malraux.
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