Entretien avec Jacques Delors - article ; n°2 ; vol.2, pg 5-16
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Description

Revue française d'économie - Année 1987 - Volume 2 - Numéro 2 - Pages 5-16
12 pages
Source : Persée ; Ministère de la jeunesse, de l’éducation nationale et de la recherche, Direction de l’enseignement supérieur, Sous-direction des bibliothèques et de la documentation.

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Publié par
Publié le 01 janvier 1987
Nombre de lectures 9
Langue Français

Extrait

Entretien avec Jacques Delors
In: Revue française d'économie. Volume 2 N°2, 1987. pp. 5-16.
Citer ce document / Cite this document :
Entretien avec Jacques Delors. In: Revue française d'économie. Volume 2 N°2, 1987. pp. 5-16.
doi : 10.3406/rfeco.1987.1139
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/rfeco_0769-0479_1987_num_2_2_1139Jacques
DELORS
Entretien
nous souhaiterions débattre de vos conceptions générales onsieur le en Président, écono
mie et notamment de celles qui fondent vos recommandations de poli
tique économique.
Depuis le début des années quatre-vingts, les gouvernements occiden
taux ont inversé, semble-t-il, la hiérarchie de leurs objectifs de politique
économique. Le plein emploi est-il encore pour vous une « ardente obl
igation » ? Jacques Delors 6
Jacques Delors : L'emploi et la recherche du plein emploi
ont toujours été entièrement liés, pour moi, à l'action écono
mique. Mais qu'est-ce que cela signifie en pratique pour le re
sponsable politique? Il ne peut s'agir d'un volontarisme du
verbe. L'homme politique a toujours la tentation de se pré
senter en démiurge économique : il suffirait qu'il parle, qu'il
exige, pour que la réalité s'y plie. Or, jamais le décalage n'a été
aussi grand entre le discours politique et la réalité économique
et sociale. A la décharge du volontarisme et de l'interventio
nnisme maladroit, reconnaissons que nous sommes aujour
d'hui dans l'attente d'un nouveau Keynes. Encore que les tr
avaux actuels, notamment ceux d'E. Malinvaud, soient très
éclairants. Mais nous avons besoin d'une pensée économique
neuve, surgie de quelque collectif imaginatif, qui nous fasse
comprendre le paradigme des économies modernes.
De mon côté, j'ai cherché à ce que la politique
économique demeure intelligible aux forces sociales, y comp
ris lorsque les contraintes du court terme ne permettaient
pas de s'attaquer directement au niveau du chômage. Ce fut
le cas, en 1982, lorsque je devais faire face à deux impératifs
immédiats : débarrasser les Français de la drogue de l'inflation
et les rendre vigilants à la contrainte extérieure. L'impératif de
l'emploi résidait alors dans une articulation, difficile à réussir
et à faire comprendre, entre l'assainissement à court terme et
le dynamisme à moyen terme. A cette époque, pourtant,
jamais le contact entre la rue de Rivoli et les organisations
syndicales ou patronales n'a été rompu. La pédagogie, en tant
qu'instrument de la cohésion économique et sociale, est un
impératif majeur de la politique économique. Je reconnais le
droit à l'erreur, pas à la dissimulation.
R.F.E. : L'existence d'un chômage important est-elle un signe de
déséquilibre majeur ou nos sociétés vous paraissent-elles pouvoir trou
ver leur équilibre macro-économique malgré ce chômage ?
J.D. : Nous n'avons pas encore mesuré toutes les consé- Jacques Delors 7
quences à moyen et long terme du chômage actuel. Nous en
apercevons certains effets partiels : pauvreté, déséquilibre des
régimes sociaux, délinquance. L'un des phénomènes les plus
graves, en raison de ses répercussions pour l'avenir, c'est
l'accroissement de la durée du chômage. Elle réduit
l'employabilité et mine la force d'un pays. La reconduction
des recettes macro-économiques traditionnelles face à de tels
risques a quelque chose de décourageant.
En l'absence d'un nouveau paradigme convaincant,
je m'efforce de m'en tenir à des idées simples. Ne devrait-on
pas aujourd'hui élargir, au-delà de l'emploi, les possibilités
d'activité ? On admet désormais qu'un emploi à temps partiel
est un emploi. On n'est pas encore prêt à imaginer que cha
que citoyen puisse trouver sa place dans la société, grâce à
diverses formes d'activité, au besoin avec de nouveaux sta
tuts. Que chacun trouve sa place, son rôle social, n'est-ce pas
l'enjeu fondamental ?
Je suis également convaincu que la cohésion des
pays membres de la Communauté Européenne constitue
pour chacun d'eux, du point de vue de l'emploi, un enjeu
vital.
R.F.E. : Ce nouveau paradigme — à la différence de l'analyse keyné-
sienne — peut ne pas déboucher sur une politique économique pré
cise...
J.D. : Avant d'en venir à des recommandations précises, il
faut d'abord qu'une prise de conscience s'opère du degré de
notre interdépendance au plan européen, puis au plan mond
ial.
Du point de vue français, le monde est notre pro
vince et l'Europe notre commune. Je veux dire que la macro
économie nationale en « circuit fermé » est vouée à dépérir. Je
disais il y a cinq ans à des syndicalistes qu'ils ne pouvaient
plus ignorer désormais les négociations de salaires au Japon
ou en Corée du Sud. L'Etat nation n'a plus les capacités que 8 Jacques Delors
Keynes avait permis, à son époque, d'identifier avec succès.
Le réseau d'interdépendances économiques est devenu d'une
extrême complexité. Certains ont conclu alors qu'il n'y a plus
rien d'autre à faire que de se confier au marché. Mais l'analyse
par le marché ne nous dit rien sur l'inégalité des acteurs et les
effets de pouvoirs qui conditionnent le bénéfice que chacun
d'eux en tire. Faute d'une telle évaluation des rapports de
domination, les Etats souverains se transforment, à leur insu,
en Etats-lobbies. Leurs horizons se bornent à défendre pied à
pied l'intérêt de leurs ressortissants dans le court terme.
L'urgence, au contraire, est d'organiser, pour la faire fructifier,
l'interdépendance de fait.
R.F.E. : Pour en revenir au chômage, quelles leçons tirez-vous de
l'expérience américaine qui, en ce domaine, est un succès ?
J,D. : Sur le plan macro-économique, il n'y a guère de leçon à
tirer de l'expérience américaine des cinq dernières années.
C'est une politique classique, fondée sur l'accroissement
du déficit budgétaire. La position dominante des Etats-Unis
leur a permis jusqu'à présent d'éviter de se soumettre à la
contrainte extérieure.
Par contre, sur le plan micro-économique, les Etats-
Unis ont su créer des emplois là où il était possible de le faire,
non seulement dans les services rendus aux ménages, mais
aussi dans les services rendus aux entreprises, grâce à la maît
rise des nouvelles technologies. C'est là un véritable succès
pour l'économie américaine. A sa source, un foisonnement
d'entrepreneurs schumpéteriens, parfaitement servis par un
environnement dynamique, bancaire et financier, et par un
réseau efficace d'administrations locales et fédérales, et aussi
par une fertilisation croisée avec le système éducatif.
Il nous faut, nous aussi, créer ces bassins d'activités
et les synergies qui les animent, où les différents niveaux de
responsabilités administratives, financières, professionnelles
ou syndicales pourraient se rencontrer, ajuster leurs compor- Jacques Delors 9
tements en fonction de besoins et de potentialités visibles. On
ne doit pas dire que c'est utopique : cela fonctionne dans cer
tains pays Scandinaves ; je connais dans l'ouest de la France,
en particulier dans le Choletais, un exemple vivant de cette
capacité «endogène». Les leçons à en tirer sont fortes : la
décentralisation ne consiste pas à remplacer l'Etat par des
autorités locales qui imiteraient ses prérogatives : elle consiste
à rendre possible, au niveau pertinent, l'articulation entre
l'Etat, les pouvoirs locaux et tous les autres acteurs de la vie
économique et sociale, y compris — je le répète — tous ceux
qui jouent un rôle dans l'éducation première comme dans la
formation permanente.
R.F.E. : Et l'Europe?
J.D. : Face à la crise, au début des années soixante-dix,
l'Europe avait le choix entre trois solutions : le protection
nisme, qu'elle a heureusement refusé ; la baisse radicale des
salaires et de la protection sociale, qui est impensable ; enf

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