Sri Lanka : des élections en pleine guerre - article ; n°1 ; vol.9, pg 21-29
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Description

Critique internationale - Année 2000 - Volume 9 - Numéro 1 - Pages 21-29
9 pages
Source : Persée ; Ministère de la jeunesse, de l’éducation nationale et de la recherche, Direction de l’enseignement supérieur, Sous-direction des bibliothèques et de la documentation.

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Publié le 01 janvier 2000
Nombre de lectures 60
Langue Français

Extrait

Contre-jour Sri Lanka : des élections en pleine guerre d par Alan Bullion epuis 1983, la guerre qui met aux prises, au Sri Lanka, le gouvernement et l’organisation séparatiste des Tigres tamouls (Liberation Tigers of Tamil Eelam, LTTE) a fait environ 60 000 morts. Plus d’un demi-million de réfugiés tamouls ont fui l’île et continuent d’affluer en Europe, en Amérique du Nor d et en dif férents pays d’Asie au r ythme de quinze à dix-huit milleparan.CepetitÉtatdedix-neufmillionsdhabitantsentretientunearméede 120 000 hommes et aura consacré en 2000 près d’un milliard de dollars à sa guerre. Comment en finir avec cet interminable conflit, tel aura bien sûr été le thème central des élections législatives de l’automne 2000. La présidente Chandrika Kumaratunga (réélue de justesse en décembr e 1999) devait convaincre l’opinion du bien-fondé de la politique d’escalade militair e qu’elle pratique, au nom de la recherche de la paix, depuis l’arrivée au pouvoir de sa coalition de centre-gauche, l’Alliance populair e, en août 1994. À l’époque, son élection avait laissé espér er que le gouvernement prendrait enfin le tournant de la négociation politique avec les séparatistes. Mais, dans la campagne électorale de 2000, c’est au contrair e plutôt Ranil Wickremasinghe, le leader de la principale formation de l’opposition, le Parti national unifié (UNP), qui est apparu comme porteur d’un tel projet. La population du Sri Lanka se répar titgrosso modoentre une majorité cingha-laise principalement bouddhiste (74 %), les Tamouls (18,2 %), généralement hin-douistes, et les musulmans (7 %), qui parlent aussi le tamoul. Les Tamouls sont à leur tour subdivisés en indigènes de l’île (12,6 %) et ceux qu’on appelle « Tamouls e des plantations » (5,6 %), dont les ancêtres sont venus d’Inde au cours du XIX siècle pour travailler dans les plantations de thé. Bien que numériquement dominants sur l’île, les Cinghalais se considèrent comme les gardiens de la tradition bouddhiste theravada au sein du sous-continent indien, et à ce titre comme une « minorité mena-cée » ; tandis que les Tamouls, certes minoritaires au Sri Lanka, feraient partie, en tant qu’hindouistes, de la « majorité » du sous-continent. L’accession à l’indépendance, en 1948, a été beaucoup plus pacifique à Ceylan qu’en d’autres lieux de l’Empire britannique, notamment en Inde. Il existait à l’époque un certain consensus entre les communautés ethniques. Mais par la suite
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les gouvernements successifs ont adopté des politiques de l’éducation, de l’emploi, de la langue et de la religion que les Tamouls ont ressenties comme discrimina-toires. Jusqu’au milieu des années soixante-dix, les représentants modérés de la mino-rité ont tenté de trouver des solutions électorales et institutionnelles, avec pour objec-tif une solution fédérale négociée. Mais la génération suivante, déçue du résultat, a rejeté cette voie et choisi celle de la violence pour atteindre un but différent : un territoire séparé pour « Tamil Eelam » (la nation tamoule). Toutefois, la guerre pro-prement dite n’a éclaté qu’en juillet 1983, dans la péninsule de Jaffna, à l’extrême pointe Nord de l’île. Depuis, plusieurs tentatives de solution ont été torpillées soit par les gouver-nements successifs, soit par leurs oppositions, soit par les Tigres tamouls eux-1 mêmes . Mais la guerre d’usure affecte de plus en plus le moral des soldats, avec des taux de désertion et des problèmes de recrutement inquiétants. Et elle pèse lour-dement sur le budget. Au dernier Forum du développement tenu à Paris en mai 1999, les bailleurs de fonds inter nationaux ont certes confirmé leur engage-ment de verser 900 millions de dollars en 1999-2000, mais ils se sont inquiétés de l’incapacité du gouvernement à progresser vers une solution.
Une situation militaire indécise et coûteuse
L’armée a por té un coup psychologique aux T igres en leur reprenant, en jan-vier 1996, la péninsule de Jaffna qu’ils tenaient depuis 1990. Pour autant, Kuma-ratunga n’a pas réussi à tr ouver un accor d avec le chef séparatiste V ellupillai Prabakharan. Et depuis, malgré d’importants succès militaires des LTTE, aucune victoire décisive, d’un côté ou de l’autre, n’est intervenue sur le terrain. Après la chute de leur bastion de Jaffna, les Tigres se sont dispersés dans les jungles duNordetdelEstetontconcentréleursattaquesautourdespotrsdelacôteEst, Trincomalee et Batticaloa. Ils ont progressivement repris des points stratégiques qu’ils avaient per dus, et occupent désor mais des positions qui leur per mettent d’isoler du reste du pays les troupes gouvernementales postées à Jaffna. Leur arme-ment provient, d’une part, de ce qu’ils parviennent à prendre à l’armée régulière lors des combats, d’autre part d’acquisitions financées par des fonds (évalués à plus d’un million de dollars par mois) levés auprès de leur diaspora aux multiples implantations : Canada, Australie et Nouvelle-Zélande, Suisse, Grande-Bretagne, France, Italie, pays scandinaves... Singapour et Hong Kong, stratégiquement situées sur leurs lignes d’approvisionnement et qui disposent de très bonnes struc-tures bancaires, constituent les grands carrefours de leur réseau d’armement. De là sont activées des cellules établies en Thaïlande, au Pakistan et en Birmanie, où les LTTE entrent en contact avec les florissants marchés d’armes de l’Asie de l’Ouest, du Sud et du Sud-Est, qui proposent notamment du matériel en prove-
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nance de Chine, de Corée du Nord, du Cambodge et du Vietnam. Les Tigres uti-lisent aussi des sociétés écran et des intermédiaires basés en Afrique et en Europe pour des achats auprès de pays de l’ancienne URSS (en particulier l’Ukraine), du Moyen-Orient et d’Afrique subsaharienne (entre autres le Nigeria, le Zimbabwe et l’Afrique du Sud). Ils possèdent aussi leur propre flotte, très secrète, d’au moins dix cargos équipés de radars et de systèmes de communication ultramodernes et 2 naviguant sous pavillon de Panama, du Honduras ou du Liberia . Vers la fin de l’an-née 1997, une de leurs sociétés opérant à partir de l’Afrique du Sud a réussi, grâce à de faux documents, à détourner à leur profit 32 400 charges de mortier de 81 mm que le gouvernement sri-lankais avait commandées au Zimbabwe... L’objectif militaire central des Tigres tamouls est la reprise de Jaffna, et ils ont de fait remporté ces derniers mois des succès importants. Ils pratiquent aussi l’assassinat de personnalités politiques : ils ont abattu, le 29 juin 1999, le député Neelan Tiruchelvam, dirigeant d’un parti tamoul modéré, le TULF (Front de libération tamoul unifié) ; le 7 juin 2000, lors d’une cérémonie militair e, ils sont parvenus à tuer le ministre de l’Industrie Clement Gunaratnae. Ce dernier leur était ouvertement hostile et était de ceux qui avaient convaincu la présidente Kumara-tunga de les bouter hors de Jaf fna à la fin de 1995, après l’échec des pourparlers de paix qu’elle avait lancés. Au contrair e, Tiruchelvam, lui, s’était fait de longue date l’avocat de la négociation et de concessions régionalistes (dévolution), mais dans des termes beaucoup trop conciliants pour les LTTE. De son côté, l’ar mée lance sans cesse de nouvelles attaques contr e les camps d’entraînement des Tigres et tente (toujours en vain) de rouvrir les voies de com-munication vitales entr e Jaf fna et le r este de l’île. En novembr e 1999, date à laquelle de violents combats ont repris, elle affirmait avoir contraint les Tigres à la défensive et avoir réduit pr ogressivement leur territoire à quelque 3 200 kilo-mètres carrés, contre environ le triple fin 1995. Depuis, elle tente de les empêcher de regagner du terrain. Elle a récemment acquis, entre autres, des avions de com-bat Kfir et des avisos-torpilleurs Dvora venus d’Israël, quatre avions supersoniques russes MIG-27, des hélicoptères de protection américains Bell et, en provenance de Chine et du Pakistan, des systèmes radar AN/TPQ-36 Firewinder et autres équi-pements. L’armée et la marine sri-lankaises reçoivent par ailleurs un entraînement tactique de l’armée américaine. Depuis l’arrivée des conseillers et des armes israéliens et américains, 150 mil-lions de dollars se sont ajoutés aux dépenses de défense, ce qui les a portées à 880 millions. Mais certaines de ces dépenses se dissimulent dans d’autres cha-pitres du budget. Si l’on prend également en compte les dépassements budgé-taires probables, on arrive à un milliard de dollars pour l’année 2000, soit un peu plus de 6 % du PIB. C’est un chiffre moyen pour un pays en développement, mais qui a beaucoup augmenté par rapport à l’an passé (moins de 660 millions). Environ
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le tiers de ces coûts est financé par une taxe dite « de sécurité nationale », qui frappe une large gamme de biens et de services. Le reste est couvert par l’emprunt et l’inflation. Pour stopper l’hémorragie de devises, le gouvernement a renchéri le coût des importations. Le kérosène, le gas-oil et le gaz de cuisine ont augmenté. La roupie sri-lankaise a été dévaluée de près de 5 %. L’économie de l’ombre a pris des pro-portions préoccupantes. Un ancien gouverneur de la Banque centrale, N.U. Jaya-3 wardena, l’estime à environ 3 milliards de dollars par an .
Les tentatives de médiation
La présidente Kumaratunga s’est souvent élevée contre diverses propositions de médiation (à la différence de l’UNP, qui prône désormais d’entrer en pourparlers avec les LTTE avec l’aide des Norvégiens ou d’une autre tierce partie). Elle a ainsi déclaré, dans une interview au ton belliqueux publiée par le journalThe Hindu le 18 novembre 1999 : « Nous avons pour ainsi dire cessé de discuter [...] et même d’essayer de négocier [...]. Pour le moment, cela ne nous intéresse pas ». Pourtant, des médiations ont bien lieu. Dans un entretien accordé à la BBC peu après sa réélection en décembr e 1999, la Présidente a révélé que le Secrétair e général du Commonwealth Emeka Anyaoku avait été appr oché au milieu de l’année 1997 à de telles fins. Il aurait ainsi facilité des conversations informelles avec les Tigres qui se sont poursuivies environ dix-huit mois. Toutefois, ces conversations, comme une tentative antérieure conduite avec l’aide de la France, n’avaient abouti à rien. En septembr e 1999, à Londres, contact a donc été pris par des r eprésen-tants de la Norvège avec l’idéologue des LTTE Anton Balasingham. Ce dernier était réputé agir avec le plein accord de Prabarakhan. Mais les LTTE ont ensuite exprimé plusieurs conditions préalables à tout début de pourparlers, à commencer par le retrait des forces de sécurité de la presqu’île de Jaffna. Ces préa-lables ont été transmis par la Norvège au gouvernement de Colombo, qui les a bien 4 sûr trouvés inacceptables . Selon Balasingham, des mesures de confiance mutuelle telles que l’échange de prisonniers, la libre circulation des civils et des produits ali-mentaires, la désescalade de l’effort de guerre pourraient conduire à des progrès réels. Après la première réunion de Londres, une délégation conduite par l’ancien secré-taire d’État norvégien au Développement, à la Coopération et aux Droits de l’homme, Lere Lunde, s’est rendue au Sri Lanka dans la troisième semaine de janvier 2000. Une nouvelle réunion de quatre heures a eu lieu le 16 février à Colombo entre l’ancien ministre norvégien des Affaires étrangères Knut Vollebaek et Chandrika Kumaratunga, accompagnée de son ministre (tamoul) des Affaires étrangères Lakshman Kadirgamar. Étaient également présents le Haut Commis-saire (ambassadeur) sri-lankais en Inde, Mangala Moonesinghe, et le secrétaire aux
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Affaires étrangères Lionel Fernando. Vollebaek a également rencontré, le même jour, le dirigeant de l’UNP Wickremasinghe. L’étape suivante a été celle de conversations tenues à Oslo, début avril, entre Tharmalingham Sarvendra, chef du Comité de coordination tamoul (TCC), Anton Balasingham des LTTE, et des responsables norvégiens, durant lesquels on a exa-miné les propositions gouvernementales de dévolution. D’autres entretiens réunis-saient à Sri Lanka une délégation norvégienne et des représentants des LTTE. Le 22 mai 2000, une nouvelle série de discussions a réuni à Colombo des représen-tants du gouvernement sri-lankais et de la Norvège. Mais, en juin, les Tigres réus-sissaient une percée importante et progressaient en direction de la ville de Jaffna. Depuis, les négociations ont cessé, mais n’ont pas été explicitement closes. Kuma-ratunga a répété en juillet qu’elle était disposée à discuter avec les Tigres, mais ceux-ci auraient déclaré aux négociateurs norvégiens que de telles conversations ne sont pas possibles tant que le sort de Jaffna reste en suspens, autrement dit qu’ils n’auront pas repris la ville. En outre, la Présidente exige que les LTTE déclarent préalablement un cessez-le-feu (ce que l’expérience passée, notamment celle de 1995, conduit à considérer comme tout à fait irréaliste) et que son texte serve de base de discussion, alors qu’Anton Balasingham l’a r ejeté comme beaucoup trop éloigné des revendications tamoules. Bref, le compromis est encore loin. Chacun sait que la Norvège a joué un rôle d’intermédiation décisif entre Israël et les Palestiniens, couronné par les accords d’Oslo de 1993. Mais elle est aussi inter-venue dans des processus de paix comme ceux du Guatemala (1996), de Haïti, du Soudan, de Chypre, du Kosovo (1999) et de Colombie (2000). Dans le cas des di-s cussions entre Israël et les Palestiniens, l’aide du gouvernement norvégien a consisté à fournir des lieux de réunion secrets et des facilitateurs qualifiés pour entretenir cette ambiance constructive qui rend possible des percées inattendues. La Norvège se considère comme bien placée pour agir en tiers impar tial dans de tels conflits un peu partout dans le monde. Elle a d’ailleurs par fois été qualifiée de « grande 5 puissance humanitaire » .
La dimension régionale
Le conflit sri-lankais présente une composante régionale importante. Colombo s’est inquiété de la composition du gouvernement indien conduit par le parti nationa-liste hindou BJP (Bharatiya Janata Party) : plusieurs de ses membres, originaires du Tamil Nadu, sympathisent notoirement avec la cause des Tigres. C’est aussi le cas du chef du gouvernement de l’État du Tamil Nadu, Muthuvel Karunanidhi, qui propose un « divorce de velours » entre les zones tamoule et cinghalaise de l’île, sur le modèle de la séparation tchéco-slovaque de 1993. Mais ce n’est pas si simple : que faire, notamment, de la minorité musulmane parlant tamoul ? L’attribution du
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portefeuille indien de la Défense à George Fernandes a été une bonne nouvelle pour les Tigres, persuadés qu’il est tacitement favorable à leur objectif séparatiste. Par ailleurs, il semblerait que la contrebande entre le Tamil Nadu et les zones de l’île tenues par les Tigres soit relancée. L’Inde soutient pourtant largement la stratégie de « guerre pour la paix » de Kumaratunga et son projet de dévolution. L’implication du leader LTTE Praba-kharan dans l’assassinat, en 1991, de Rajiv Gandhi et les révélations de la commission Jain sur la question ont encore durci son attitude. En juillet 1987, un accord avait été signé entre les deux premiers ministres, Rajiv Gandhi et Junius Jayewardene, à la suite duquel l’Inde était intervenue au Sri Lanka. Les opérations avaient duré trois ans, sans succès, et il paraît peu probable que l’on répète une telle expé-rience. On a bien vu à cette occasion qu’une puissance régionale extérieure ne peut guère contribuer à résoudre ce qui est essentiellement (malgré les relations étroites qu’entretiennent les Tigres avec le Tamil Nadu) un conflit interne. Toutefois, lorsque la guerre a flambé à nouveau en juin 2000, l’Inde a offert au Sri Lanka un 6 prêt de 100 millions de dollars au titr e de l’« assistance humanitair e » . C’est qu’elle commence à s’inquiéter au moins autant qu’en mai 1987. L’éventualité d’avoir à voler au secours des quelque 35 000 soldats sri-lankais bloqués dans la péninsule de Jaf fna et à accueillir de nouvelles vagues de réfugiés traversant le détroit de Palk semble se rapprocher. L’Inde s’oppose depuis toujours à toute intervention d’une tierce partie dans sa région (par exemple à pr opos du conflit qui l’oppose au Pakistan dans le cas du Cachemire). Mais, en tant que puissance hégémonique régionale, elle ne saurait prétendre au rôle de médiateur. Le choix de la Norvège a été grandement influencé par le peu de goût des r esponsables indiens de la Défense pour une présence directe des grandes puissances, et surtout des États-Unis, dans ce qu’ils considè-rent comme des affaires intérieures sud-asiatiques. Mais les choses sont surveillées de près : il ne faudrait pas qu’un petit pays comme la Norvège devienne en réalité l’instrument d’une politique américaine indésirable en Asie du Sud. En tout cas, l’Inde ne peut que désirer avoir un problème régional de moins sur les bras, et donc voir se dénouer un conflit dont les conséquences préoccupantes se font sentir bien au-delà du Sri Lanka.
Le projet de dévolution
Les propositions de réforme constitutionnelle avancées par le gouvernement d’Alliance populaire présentent d’une part un volet général : le poste de « Prési-dent exécutif » serait supprimé et l’on reviendrait ainsi à un système parlementaire de type Westminster, qui avait fait place en 1978 – sous l’influence du leader de l’UNP Jayewardene, alors au pouvoir – à un régime plus présidentiel. Ce retour
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au système parlementaire était un élément important de la plate-forme électorale de la coalition portée au pouvoir en 1994. D’autre part, un conseil provisoire serait mis en place pour administrer les provinces du Nord et l’Est, que les LTTE revendiquent comme leur territoire. Pour que le projet passe, il faut qu’il recueille les deux tiers des voix au Parlement (150 sur 225), puis qu’il soit approuvé par un référendum. Même si plusieurs personnalités influentes de l’UNP se sont décla-rées favorables, ce double obstacle est de taille. C’est que le projet dans sa forme actuelle est inacceptable par les partis tamouls parlementaires, qui sont aussi les alliés du gouvernement dans sa guerre contre les séparatistes : le Front de libération tamoul unifié (TULF), le Parti démocratique populaire d’Eelam (EPDP), l’Organisation populaire de libération de Tamil Eelam (PLOTE) et l’Organisation de libération du Tamil Eelam (TELO). Leur attitude pèsera lourd lors du vote du texte. Or ils se montrent aujourd’hui très critiques à son égard. Un conseil provisoire serait d’abord créé pour gouverner un ensemble consti-tué des pr ovinces Nord et Est pendant au maximum cinq ans. À la fin de cette période, un référendum serait organisé dans la province de l’Est pour décider de la question de sa fusion avec celle du Nord. Or le principe d’un tel référendum est une hérésie pour les partis tamouls, qui considèrent l’ensemble Nord-Est comme la patrie tamoule, et la revendication de la fusion comme « non négociable ». La province de l’Est abrite une population musulmane et une population cinghalaise non négligeables, qui en cas de référendum voteraient sans doute pour découpler les deux provinces. Les parlementaires tamouls soutiennent que, comme les non-TamoulsdelEst,notammentlesCinghalais,ontétéimplantéslàdanslecadrede programmes de « colonisation », ils n’ont pas à êtr e consultés. En outre, la dis-position du texte concernant le référendum s’accompagne d’une clause addition-nelle de poids : si, après la période en question, les conditions ne sont pas réunies pour le mener à bien, les deux provinces seraient automatiquement découplées. En ce qui concerne le contrôle des terres de l’État, les partis tamouls voudraient qu’il soit clair ement dévolu aux régions, par ce qu’ils pensent que c’est le seul moyen de protéger leur « patrie » d’une plus grande « colonisation » de la part des Cinghalais. Enfin, la formulation actuelle selon laquelle le Sri Lanka est « une république comportant un centre et des régions » est considérée comme très en retrait par rapport à l’engagement, pris en 1995 par la Présidente, de faire du Sri Lanka une « union de régions ». Le parti d’opposition UNP, de son côté, a exprimé de grandes réserves tant à propos du contenu du projet que de la forme sous laquelle il devrait être soumis au Parlement : tandis que le gouvernement d’Alliance populaire voulait en faire la nouvelle Constitution, l’UNP souhaitait qu’il soit considéré comme un Livre blanc servant de base de négociation avec les Tigres. De même, il s’est élevé contre la disposition repoussant à 2005 la suppression de la Présidence exécutive, alors
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même que la nouvelle Constitution proposée place le pouvoir exécutif entre les mains du Premier ministre. Le gouvernement a expliqué qu’une présidence forte est nécessaire tant que dure la guerre, et que, comme les LTTE rejettent pour l’ins-tant ses propositions, les hostilités ne sont pas près de cesser : l’UNP n’a évidem-ment pas accepté l’argument. D’autres forces encore s’opposent aux propositions de réforme. C’est le cas du Janatha Vimukhti Peramuna (Front populaire de libération, parti d’origine maoïste) et surtout de plusieurs groupes nationalistes cinghalais et d’une importante frac-tion du clergé bouddhiste (Maha Sangha). Ce dernier ne s’élève pas seulement contre le calendrier proposé, mais plus fondamentalement contre ce qu’il perçoit comme un « bradage » qui, à partir d’une forme assez diluée de fédéralisme, finirait par conduire à la division du pays en deux États ethniques. « La présidente Kumara-tunga devra nous passer sur le corps pour faire voter cette loi », a déclaré Madu-7 luwave Sabitha Thera, président du Conseil national du Sangha . Kumaratunga avait pourtant tenté de se concilier ces adversair es en promettant de ne pas toucher à la place « prépondérante » de la religion bouddhiste telle qu’elle est inscrite dans l’article 9 (chapitre II) de la Constitution de 1978. Inutile de dir e que cette pro-messeseraàsontourfurieusementcombattueparlesdéputéstamouls.Encoerun obstacle majeur sur le chemin épineux de la paix. Les liens très étroits qu’entretient le Sangha avec la majorité ethnique ainsi que sa politisation (par le biais de la défense de la langue cinghalaise et du bouddhisme) interdisent d’espér er de lui une attitude ouver te et pacifique. Il s’est d’ailleurs opposé plus d’une fois, depuis 1956, aux r evendications tamoules. Plusieurs de ses responsables estiment tout bonnement qu’on a affaire à un phénomène terro-riste qu’il convient d’abord d’éradiquer avant d’envisager un règlement politique. Si l’influence du Sangha n’est plus ce qu’elle était, l’opinion populaire voit toujours dans les clercs des figures de l’autorité et des chefs de la communauté.
Comme en 1994, l’élection devait donc se disputer autour de la question de la guere et de la paix, mais cette fois Kumaratunga était du côté des faucons et Wickrema-singhe du côté des colombes... Et la population est fatiguée de la guerre. Au-delà de l’arène parlementaire, l’attitude de Prabakharan sera décisive. Si les Tigres et de larges fractions du spectre politique décident d’en finir avec ce blocage en recherchant un règlement négocié avec l’aide de la communauté internationale, cela pourrait enfin ouvrir des perspectives. Mais une telle aide ne saurait s’imaginer sous la forme d’une intervention des Nations unies. Tant l’insignifiance géostratégique de l’île que l’hostilité des acteurs régionaux s’y opposeraient, même si les Tigres ont été impressionnés par l’exemple du référendum tenu au Timor oriental sous le patronage de l’ONU en 1999.
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La tâche immédiate est de rétablir la confiance de la population dans la capa-cité du gouvernement à gouverner, à maintenir un ordre civilisé, à unifier le pays autour d’un projet démocratique. Même si les perspectives de changement ne sont pas précisément souriantes, rien n’est irrévocablement perdu.
Traduit de l’anglais par Rachel Bouyssou
1. En avril 1997, Liam Fox, alors sous-secrétaire au ministère britannique des Affaires étrangères, avait voulu s’entremettre entre la coalition d’Alliance populaire de la Présidente et son principal opposant l’UNP pour que chacun des deux partis s’engage à ne pas torpiller des négociations de paix conduites par l’autre. Cette tentative n’avait pas abouti ; elle a été qua-lifiée de « farce » par la Présidente à l’occasion d’une interview accordée le 18 novembre 1999 au journalThe Hindu. 2. P. Chalk, « Liberation Tigers of Tamil Eelam’s international organisation and operations. A preliminary analysis », Canadian Security Intelligence Service (CSIS), Commentary n° 77, hiver 1999. 3. « The growing cost of war »,The Economist, 15 juillet 2000, p. 74. 4. Même le rôle que les deux adversaires sont disposés à accorder à la Norvège ne va pas de soi : le gouvernement préfère les méthodes plus informelles et discrètes des « bons offices » et de la « facilitation », tandis que les LTTE voudraient que la Norvège soit un véritable médiateur. 5. La Norvège n’est cependant pas aussi complètement étrangère au Sri Lanka qu’on pourrait le croire. Elle est présente sur l’île par le biais de nombreux projets de développement et d’aide sociale conduits par des organismes comme Cey-Nor, Worldview, Redd Barna et l’Agence norvégienne de développement et de coopération (NORAD). Par ailleurs, elle abrite une population non négligeable (7 000) de réfugiés tamouls. 6. « India to give $ 100 million to Sri Lanka »,India Today Online(New Delhi), 12 juin 2000.www.india-today.com 7. « Sri Lanka faces Buddhist opposition over key reforms »,Reuters(Colombo), 2 août 2000.
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