Anna et Sigmund Freud,(lu par Mariane Perruche) / A partir du versant père-fille,( Roland Gori)
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S’il est un apport théorique de cette riche correspondance, c’est d’attirer notre attention sur le fait que la psychanalyse n’est jamais aussi créative que lorsqu’elle s’élabore en lien avec la vie, hors de tout repli dogmatique et de toute instrumentalisation. C’est ce que nous invite aussi à méditer le psychanalyste et co-initiateur de l’Appel 
des appels Roland Gori.
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Anna et Sigmund Freud, Correspondance 1904-1938, Fayard, 2012 (lu par Mariane Perruche)
Par Cyril Morana
Anna et Sigmund Freud,Correspondance 1904-1938, Fayard, 2012, 680 pages.
Sigmund Freud, le père de la psychanalyse, (1856-1939) entretint toute sa vie une correspondance fournie avec ses collègues, ses amis, écrivains ou analystes, et avec sa famille dispersée dans toute l’Europe. De nombreux extraits de cette correspondance sont disponibles tant en allemand qu’en français.
La partie professionnelle de la correspondance ne fait plus de mystère pour le public français, ainsi que tout ce qui concerne l’histoire et la préhistoire de la psychanalyse, comme par exemple la fameuse correspondance entre Freud et Fliess dont l’importance fut révélée par laNaissance de la psychanalyse, Lettres à W. Fliess 1887-1902(PUF, 1991).En revanche la partie plus intime de la correspondance, comme ses lettres à sa femme (toujours indisponibles en français) ou les lettres à sa Ille Anna présentées ici pour la première fois en français, ne manqueront pas d’attirer un public intéressé par l’histoire de la psychanalyse. Cette édition est établie par ïngeborg Meyer Palmedo (pour l’édition allemande en 2006) qui rédige également la postface et les notes et fournit un appareil critique précieux (index et bibliographies très complètes). Cette spécialiste de la correspondance de Freud a déjà travaillé sur la publication en allemand de la correspondance entre Freud et Ferenczi, puis sur celle de la correspondance de Freud avec ses enfants (Briefe an die Kinder,Berlin, Aufbau, 2010,Lettres à ses enfants,Aubier, 2012). La correspondance entre Freud et sa Ille cadette présente toutes les lettres échangées entre Sigmund et Anna depuis 1904, alors que celle-ci, la dernière de ses six enfants, est âgée d’à peine 9 ans et Freud de 48, accompagnées d’un appareil critique très précis après chaque lettre permettant à tout public, même peu informé, de suivre commodément le ux de cette correspondance. Meyer-Palmedo confronte de façon rigoureuse les événements évoqués dans cette correspondance avec les biographies bien connues de Freud, au premier chef celle d’Ernest Jones (Das Leben und Werk von Sigmund Freud, Stuttgart, 1960-1962, trad. en français PUF, Quadrige, 2006) et celle d’Anna Freud par Elizabeth Young-Bruehl (trad. française, Payot, 2006). Meyer-Palmedo n’hésite pas à remettre en question tel et tel détail de ces biographies qui ont fait autorité à la lumière de cette correspondance entre Freud et Anna, ce qui fera bien sûr de cet ouvrage un précieux allié pour les historiens de la psychanalyse et les spécialistes de l’œuvre de Freud.
Mais le principal intérêt de cet ouvrage n’est pas seulement dans cette précision historiographique. ïl n’apportera pas non plus de révélation qui viendrait nourrir
les polémiques récentes autour de la vie et l’œuvre de Freud : celui-ci y apparaît au Il des pages comme un père de famille attentif, soucieux, aimant, souvent douloureusement meurtri par les maladies et le décès de ses proches et préoccupé par la nécessité d’établir la sécurité Inancière d’une nombreuse famille.
On y retrouvera au Il des échanges, souvent étoué par une sorte de retenue commune à Freud et à Anna, le deuil de sa Ille Sophie, décédée subitement de la grippe espagnole en 1920 : en eet Anna se chargera pendant de longs mois des deux enfants de celle-ci à Berlin au foyer de Max Halberstadt son mari et se prendra d’aection pour l’aîné, Ernst, dont elle assumera l’éducation pendant quelques années. Et on retrouvera l’émotion très contenue de Freud concernant la mort de son petit-Ils préféré, Heinele, trois ans après celle de sa mère (195 SF, p.392).
L’intérêt principal de l’ouvrage consistera dans le fait que le lecteur peut suivre pour ainsi dire en direct le transfert d’Anna sur son père, qui fut aussi son analyste, et le développement de ce que l’on pourrait appeler son rêve d’être Antigone : Anna découvre très tôt dans sa vie son intérêt pour l’œuvre de son père, la psychanalyse. Le lecteur suivra avec attention et émotion au Il des échanges, la fragile jeune Ille, sourant peut-être d’anémie et même de divers symptômes hystériques, sentir naître en elle ce désir, non seulement de soutenir l’œuvre de son père, mais aussi d’être analysée par lui, puis de devenir elle-même analyste. Freud, dans un premier temps, sans clairement s’opposer à ce projet, s’en inquiète et a peur des conséquences pour sa Ille de cette ambition intellectuelle qu’il perçoit chez elle : elle transige dans un premier temps en s’intéressant à la pédagogie, désir peut-être plus susceptible d’être accepté comme « féminin », et veut devenir enseignante, mais très vite, se forme son projet d’être analyste d’enfants.
La limpidité de ce destin transférentiel fait que l’on peut lire dans cette correspondance la réponse à la double question : « Comment devient-on analyste ? » et « Comment se transmet la psychanalyse ? ». Au Il de ses lettres
parsemées de récits de rêves, le portrait d’Anna Freud se dévoile sous le signe du transfert au père et de la dicile construction de sa personnalité en tant que femme.
Le double destin d’Anna Freud en tant que femme et en tant qu’analyste s’est construit autour de l’ambiguté de son désir de plaire - et de ne pas déplaire - au père, mais aussi autour de l’ambiguté de son désir à lui, Freud, vis-à-vis de sa Ille. ïl ne cesse de la mettre en garde, et cela très tôt, contre les éventuels prétendants, et en tout premier lieu contre Jones, qu’il soupçonne de vouloir courtiser Anna, alors âgée de dix-neuf ans, lorsque celle-ci s’est rendue seule en Angleterre. On lira – outre les interdictions explicites adressées à Jones dans la lettre du 20 juillet 1914 dans la note 1 p.119 - très attentivement la succession des lettres 40 à 45 qui décideront de son rapport à la féminité : la carte postale qu’il lui envoie, représentant une guenon très intelligente en train de se coier (une caricature d’Anna si elle devenait une femme savante !), ses préventions contre Jones, sa Ine analyse de la diérence de sa Ille cadette par rapport à ses sœurs (« tu as plus d’intérêts intellectuels et tu ne te satisferas vraisemblablement pas sitôt d’une activité purement féminine » 43SF, p.117) jusqu’à la réponse d’Anna en 45AF : elle rêve de Loe Kahn, la maîtresse de Jones et écrit « Cela doit être beau d’écrire quelque chose ». Anna se sent attirée par les femmes et est traversée par la volonté de créer. Son goût pour l’écriture sera sans arrêt combattu par son père.
Au fond Anna suit le même chemin que son père : celui-ci a fait son auto-analyse à travers sa correspondance avec W. Fliess et il est certain que l’analyse d’Anna et le nouage de son lien transférentiel à son analyste-père ont commencé avant l’analyse proprement dite par les nombreux récits de rêves qu’elle transcrit dans ses lettres : elle ne cesse de rêver d’être « totalement examinée » (au moment de passer son diplôme d’enseignante), désir inconscient d’être « analysée » révélé à son père (49 AF, p.128). Et - encore plus beau - Anna rêve chaque nuit de Mme Jones et qu’elle est devenue aveugle (53 AF, p.133) : c’est Antigone qui rêve d’être Œdipe, manifestant tout à la fois son penchant homosexuel et son identiIcation au père. Tout cela aboutira clairement en 1915 au rêve de devenir la gardienne du temple (58 AF) : «J’ai rêvé récemment que je devais défendre une métairie qui nous appartenait contre des ennemis, mais le sabre était brisé et j’ai eu honte devant les ennemis » (p.140). Anna est alors âgée de 20 ans : comment devenir le porte-étendard de la psychanalyse quand on est une
femme ? Mais aussi, et tout aussi dicilement, comment être autre chose qu’un porte-étendard du père ?
Son destin d’Antigone se nouera malgré elle au printemps 1923, lors de la survenue du cancer de Freud qui lui vaudra trente opérations et de longues années de sourance. C’est aussi cette même année que se déroulera un voyage à Rome de trois semaines en septembre qui marquera symboliquement pour la jeune femme la transmission de la psychanalyse. Le programme de leurs visites, consciencieusement noté par Freud et consultable dans l’ouvrage (p.400-401 et commenté en Annexe 1, p.536-545) est impressionnant. C’est un véritable voyage initiatique qui permit à Anna de s’installer avec l’accord de Freud comme son héritière spirituelle.
C’est à partir de cette année-là qu’Anna décida de ne plus quitter le foyer familial et de rester auprès de son père pour le soigner. Son père l’intronise psychanalyste en 1925 – en lui orant un fauteuil d’analyste : il faut lire ces quelques lignes de Freud (207 SF, p.415), si caractéristiques du ton humoristique et complice qui régnait entre eux. Mais, paradoxalement pour le lecteur, le renforcement du lien entre le père malade et la jeune femme va amenuiser la correspondance : Anna, qui était aussi la principale inIrmière de Freud, ne quittait que très rarement son père, sauf pour le représenter lors des réunions ocielles de l’Association psychanalytique internationale, et pour quelques vacances avec Dorothy Burlingham. Dorothy, qui avait quitté New York était venue à Vienne pour conIer à Anna son Ils Bob en psychothérapie. Cette jeune femme issue d’une riche famille américaine fut à la fois sa compagne, sa complice et son associée dans le projet de créer une école privée inspirée par une pédagogie innovante et intimement associée à la psychanalyse appliquée aux enfants. Cette école vit le jour en 1927 à Heintzig (dans la banlieue de Vienne) et ceux qui y enseignèrent eurent pour nom Erik Erikson et August Aichhorn. Ce projet pédagogique incarne l’interprétation personnelle d’Anna de la psychanalyse et trouvera son juste prolongement dans la Hampstead Child Therapy Clinic fondée par Anna et Dorothy Burlingham à Londres après l’exil de la famille Freud en 1938.
Anna Freud n’est pas un clone de son père : loin des carcans familiaux viennois, elle est à la recherche d’une autre féminité, d’un mode de vie alternatif, fondé sur l’idée d’une famille élargie. Anna incarne une psychanalyse de terrain, moins théorique, et animée par le souci d’améliorer le bien-être de l’enfant.
A partir de In 1932, la correspondance s’amenuise, constituée uniquement de cartes autographes de Freud, adressées à Anna pour son anniversaire et accompagnant un présent – toujours symbolique : un bureau (1932), un bijou chinois (1933), une bague en or (1935), une statuetteHan(1936) sont les dernières marques du lien indéfectible entre l’un et l’autre. ïl ne subsiste plus aucune lettre d’Anna depuis septembre 1930. La dernière lettre de Freud à Anna, qui se trouve à Paris chez Marie Bonaparte pour le Congrès psychanalytique international en juillet, est datée d’Août 1938 et comporte des accents tragiques : un an avant sa mort, Freud, émigré à Londres in extremis en juin 1938, se montre à juste titre préoccupé par le sort de ses quatre sœurs restées aux mains des nazis à Vienne. ïl mourra avant de connaître leur sort : déportées d’abord à Theresienstadt, où l’une mourut de faim, puis à Treblinka, où les trois autres périrent tragiquement.
On ne peut donc que recommander la lecture de cet impressionnant travail de retranscription de la correspondance entre Sigmund et Anna Freud : l’historiographe de la psychanalyse y trouvera son bien ainsi que le profane, qui lira cet ouvrage aussi facilement qu’un roman, tant les « personnages » nous y apparaissent vivants et tant les lettres nous les restituent dans un décor toujours changeant, au gré des déplacements des deux rédacteurs. L’amour de l’écriture, sensible partout, resserre les liens familiaux, si importants dans la famille Freud ; il est aussi la marque d’une société viennoise très férue de littérature romanesque. Nulle impression de voyeurisme en lisant cette belle correspondance : ni crépuscule, ni idolâtrie, mais la matière d’une vie - ou plutôt de vies - au service de la psychanalyse.
Mariane Perruche
http://blog.crdp-versailles.fr/oeildeminerve/index.php/post/05/01/2013/Anna-et-Sigmund-Freud%2C-Correspondance-1904-1938%2C-Fayard%2C-2012-%28lu-par-Marianne-Perruche%29
La grande aventure de la cure par la parole, à partir du versant père-Ille
Les Éditions Fayard ont publié récemment la correspondance entre Freud et sa Ille Anna. Environ 300 lettres jusqu’alors inédites, qui témoignent de ce que la psychanalyse, comme l’explique ci-dessous Roland Gori, est aussi une « afaire personnelle ».
Sigmund Freud et Anna Freud, Correspondance 1904-1938, édition établie et postacée par ïngeborg Meyer-Palmedo, préace d’Élisabeth
Roudinesco, traduit de l’allemand par Olivier Mannoni, Fayard, 2012. 35 euros. Du télégramme anodin aux lettres les plus circonstanciées, c’est d’abord un morceau de vie d’une famille viennoise au début du siècle dernier que les Éditions Fayard nous donnent à découvrir. Une famille pas des plus anodines, évidemment, puisqu’il s’agit des Freud, juifs laques de la classe moyenne, dont le père, Sigmund, fomente une « révolution de l’intime », selon la belle formule proposée par Élisabeth Roudinesco, en préface de l’ouvrage, pour désigner l’aventure de la psychanalyse. Quand la correspondance débute en 1904, Anna, dernière-née d’une famille de six enfants, n’a que neuf ans. Quand elle s’achève, en 1938, l’Allemagne nazie envahit l’Autriche, poussant les Freud à un exil londonien (Anna Freud fut elle-même arrêtée par la Gestapo puis relâchée). Entre ces deux dates, il se passe énormément de choses, et notamment la création, en 1910, de l’Association internationale de psychanalyse (ïPA), le passage de Freud de la première topique (inconscient/pré-conscient-conscient) à la seconde (ça/moi/surmoi) avec, en 1920, Au-delà du principe de plaisir, puis, en 1923, le Moi et le Ça… Mais ce ne sont pas là, bien sûr, les sujets abordés dans cette correspondance personnelle entre un père et sa Ille. ïl y est plutôt question des rêves et des tourments de la jeune Anna, de sa jalousie envers sa sœur Sophie, de la découverte à demi-mot de son homosexualité (qu’elle refusera toujours d’admettre). Se dévoile aussi un père inquiet des attirances de sa Ille, mais qui jamais, à la diérence de celle-ci, n’assimilera l’homosexualité à une maladie. Entre 1918 et 1924, Freud prend à deux reprises Anna en analyse. Plus tard, père protecteur s’il en est, il l’aide à obtenir des traductions dans la maison d’édition psychanalytique, le Verlag. Celle qui s’intéresse aux caractères respectifs de ses neveux Ernstl et Heinz, comme en témoignent certains de ses courriers de l’année 1922, fondera bientôt des institutions pour enfants en diculté et s’arontera à l’autre grande femme de la psychanalyse, Mélanie Klein, sur les conditions de la psychanalyse des enfants. S’il est un apport théorique de cette riche correspondance, c’est d’attirer notre attention sur le fait que la psychanalyse n’est jamais aussi créative que lorsqu’elle s’élabore en lien avec la vie, hors de tout repli dogmatique et de toute instrumentalisation. C’est ce que nous invite aussi à méditer le psychanalyste et co-initiateur de l’Appel des appels Roland Gori.
Roland Gori. « ïl s’agit là d’un témoignage exceptionnel »
La parution de la correspondance entre Anna Freud et son père était-elle particulièrement attendue par la communauté des analystes ?
Roland Gori : Cette correspondance est susceptible d’intéresser bien au-delà de la communauté des analystes. Elle s’adresse à ce que nous pourrions appeler l’opinion éclairée. La correspondance de Freud avec sa Ille Anna ne traite pas seulement de psychanalyse. Elle constitue une sorte de rhizome où s’enchevêtrent les racines de l’histoire de la psychanalyse, celles d’une relation exceptionnelle d’une Ille avec son père et ses disciples, mais aussi celles de la « grande Histoire ». Ce dernier aspect n’est pas négligeable. Les historiens disposent là d’un document précieux sur la vie d’une famille viennoise de la
classe moyenne, juive laque pendant les premières décennies du XXème siècle. Un autre intérêt de cette correspondance, comme d’autres précédemment publiées (celle entre Freud et Ferenczi, notamment), est de nous montrer que les concepts psychanalytiques ne sont jamais élaborés dans l’éther pur de la théorie et de la pratique. ïls émergent dans une surdétermination où se mêlent les logiques des pratiques thérapeutiques, de la réexion théorique, du contexte culturel, mais aussi des diverses relations transférentielles, passionnelles et aectives.Entre Freud et ses disciples, la psychanalyse n’est pas qu’un domaine scientiIque, c’est aussi «une aaire personnelle ». En se spécialisant dans l’éducation psychanalytique des enfants, Anna a certainement trouvé la voie pour donner des enfants à son père…
Qu’un père prenne sa Ille en analyse nous paraîtrait aujourd’hui tout à ait incongru… Etait-ce une pratique courante au début du 20ème siècle ?
Roland Gori :En tant que tel, c’est un cas exceptionnel. Mais à cette époque, il y avait une grande porosité entre la psychanalyse et la vie quotidienne. Dès lors, il n’est pas rare que l’on s’analyse mutuellement entre amis ou connaissances. Ferenczi a « psychanalysé » son commandant lors de balades à cheval, il a pris aussi la Ille de sa maîtresse en analyse et a eu avec elle une relation amoureuse. ïl a aussi tenu absolument à être analysé par Freud qui se montrait réticent à cette aventure. C’est un moment où la psychanalyse s’invente et se cherche, non sans risques. Les psychanalystes, Freud le premier, se sont trouvés dans la situation des physiciens, telle Marie Curie, qui a été irradiée par le radium qu’elle découvrait. Freud disait : « Nous risquons d’être roussis au feu du transfert ». ïls s’y sont parfois « cramés ». Cela contraste avec la conception technique de la psychanalyse, qui tend à dominer aujourd’hui. Le moment de la découverte, avec ses tâtonnements et ses expériences foisonnantes, comporte des risques mais détient aussi une formidable créativité. A ce titre aussi, cette Correspondance est un témoignage exceptionnel.
Pouvez-vous donner des exemples de cette créativité perdue ?
Roland Gori :Les concepts inventés en psychanalyse obéissent à une double logique. ïl y a une logique de validité de la connaissance en lien avec l’expérience théorico-pratique. Et puis, il y en a une autre qu’on peut dire « subjective ». Prenons le débat Freud – Ferenczi sur l’importance du trauma dans la fabrique des symptômes. La découverte de Freud est que les symptômes proviennent de la réalité fantasmatique, psychique, du patient et non de la réalité de son histoire ; sans renier cette découverte, Ferenczi montre qu’une part de la réalité participe à fabriquer le symptôme. L’hypocrisie des parents, la violence symbolique de
l’environnement, l’hypocrisie professionnelle du psychanalyste, peuvent jouer un rôle traumatique dans la création des névroses. Cette importance du trauma dans la pratique et la théorie de Ferenczi proviennent bien évidemment de son expérience clinique. Et dans la relation avec Freud, elle prend un sens : en plaçant entre Freud et lui le trauma, Ferenczi révèle une ambivalence que Freud ne manque pas d’analyser. Les transferts participent aux innovations théoriques et pratiques inévitablement. Comment ne pas percevoir dans les débats qui opposèrent Anna Freud et Mélanie Klein sur la place des parents dans l’analyse des jeunes enfants les tourments et les satisfactions de leur histoire personnelle ? ïl n’est pas sans importance que ce soit Anna Freud, dont l’analyste était le père, qui défende précisément l’idée qu’on ne peut psychanalyser les jeunes enfants qu’en associant leurs parents.
Anna Freud est passée à la postérité comme une « gardienne du temple », qui aurait rigidiIé l’héritage de son père. Pourtant, si l’on vous suit, elle a orgé sa propre démarche à partir du dialogue avec son père, lequel pratiquait et pensait la psychanalyse en rapport constant avec la vie courante et son lot d’imprévus… N’y a-t-il pas là une certaine ambiguté ?
Roland Gori :Ce qu’il faut bien comprendre, c’est que la psychanalyse n’a pas pour objet de rendre les analystes meilleurs, plus intelligents, etc. ïl s’agit d’une méthode mise en acte dans une pratique clinique qui permet parfois une émancipation, jamais acquise une fois pour toutes. C’est une bévue de croire que l’on est psychanalyste à plein temps, à vie, et que l’on est à jamais émancipé. Une telle illusion et une telle idéologie sont d’autant plus aliénantes qu’elles se prévalent de la liberté et du désir. Les institutions psychanalytiques ont montré que le traitement politique qu’elles font des passions qui les traversent constitue leur impensé.
L’un des enjeux de cette correspondance entre Freud et sa Ille Anna, c’est la question de l’homosexualité. Or il se trouve qu’aujourd’hui, la psychanalyse est interrogée dans les débats de société autour du mariage pour tous et de l’homoparentalité. Cette correspondance entre Freud et Anna est-elle de nature à nous éclairer sur les divisions actuelles de la communauté psychanalytique sur ces questions ?
Roland Gori :Contrairement à un préjugé tenace, Freud ne condamnait pas l’homosexualité. Même si, dans cette correspondance, on pressent qu’il ne reconnaît pas celle d’Anna et la voue davantage au modèle traditionnel de la famille qui domine à l’époque. C’est un père à la fois soucieux de l’avenir de ses enfants, aimant et compréhensif, prodiguant aides, conseils et mises en garde,
mais plutôt respectueux de leurs choix. ïl faut replacer les choses dans leur contexte. La famille est un mot qui recouvre une réalité en perpétuelle évolution dans l’histoire, dont la signiIcation change au fur et à mesure que les mœurs évoluent. Un même mot n’est pas un même concept. ïl en va ainsi du mot « homosexualité » dont la déInition psychanalytique n’a rien à voir avec la signiIcation courante. Freud disait que « nul ne peut être tenu pour homosexuel en fonction de son choix d’objet ». Autrement dit, un Don Juan peut très bien être dans une position psychique homosexuelle malgré ses conquêtes féminines si son désir est orienté vers les rivaux ou la statue du commandeur. Pour la psychanalyse, ce n’est pas le comportement sexuel qui compte, mais la position psychique. Alors inutile de chercher dans la psychanalyse un guide des bonnes mœurs. Je le répète : il faut cesser d’instrumentaliser la psychanalyse pour promouvoir une idéologie ou façonner une morale, du type pour ou contre le mariage gay, pour ou contre l’homoparentalité. De mon point de vue ce n’est pas aux psychanalystes de délivrer des prescriptions morales ou sociales, d’édicter des normes de comportement. Les psychanalystes qui s’aventurent sur cette voie se leurrent en favorisant une servitude volontaire dont la psychanalyse est censée nous aider à nous émanciper. C’est en tant que citoyen que le psychanalyste peut participer à un débat de société, non en tant qu’expert.
Roland Gori
Roland Goriestpsychanalysteà Marseille et professeur de psychologie et depsychopathologiecliniques. ïl est l'auteur de nombreux ouvrages de psychanalyse.
Sommaire
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1Approche
2L'appel des appels
3La psychanalyse et l’université
o
o
o
3.118996à3e19D: L’acte de parole
3.2"comme un récit de rêve..." de 1983 à 2000
3.3Les thématiques les plus actuelles De 2000 à 2011
3.3.1Mémoire et souvenir
3.3.2La logique des passions
3.3.3Épistémologie et rationalité de la psychanalyse
3.3.4Contre les empires
3.3.5ahcyspaliouqeell-esteselynaelnmoD?
4Parcours institutionnel et éditorial
5Œuvres
6Notes et références
7Voir aussi
8Liens externes
Approche
La parole et le langage ont une place essentielle dans son écriture et son enseignement. Son œuvre est centrée sur et par le discours psychanalytique dans une référence freudienne. DansLogique des passions, Roland Gori écrit : « des discours qui habitent l’humain nous n’avons que les mots pour retrouver un monde perdu ou que nous n’avons jamais possédé. Et sous les mots, il y a encore [réf. nécessaire] d’autres mots, et sous les autres mots d’autres mots encore… »
Très engagé dans les débats actuels, il s'oppose à ce qu'il voit comme « les dérives du scientisme en psychiatrie et l'instrumentalisation de l'humain » et 1 plaide "pour des sciences encore humaines" .
Dans l'article « La novlangue de la psychopathologie aujourd’hui » : "Faute de remettre en cause le pouvoir autoproclamé de l’expertise et de l’évaluation généralisée, la santé mentale redeviendrait une branche de l’hygiène publique dont la psychiatrie est issue. Elle se trouverait réduite ainsi à un dispositif biopolitique de recomposition de nos sensibilités psychologiques et sociales au sein duquel nous deviendrions tous des exclus potentiels à l’intérieur de la cité. Un tel dispositif risquerait au nom de la « science », quelque peu malmenée, de se faire le simple alibi d’un pouvoir souverain sur ce que Giorgio Agamben nomme « la vie nue » des exclus. Lorsque la vie et la politique s’identiIent, le risque est grand de voir se développer ces totalitarismes qui font du « biologique » cette fatalité au nom de laquelle les décisions politiques sont recodées comme des normes « naturelles ». Nous ne devrions pas oublier que nos décisions ne relèvent d’aucune naturalité mais procèdent presque toujours d’actes et de paroles dont émerge notre humanité."
L'appel des appels
Roland Gori, avecStefan Chedri, a lancé en décembre 2008 le mouvement de "L'appel des appels". Revendiquant près de 75000 signatures en quelques [réf. nécessaire] semaines , cet "appel" invite les professionnels du soin comme de la justice, de l'enseignement ou de la culture à se rassembler, échanger pour mieux réagir et s'opposer aux logiques de normalisations et d'évaluation systématique des pratiques de chacun. L'appel dénonce ce qui serait un «phénomène idéologique et de convergence de méthodes qui vise à araser l'humain au proIt des logiques comptables et marchandes ». Au cours de l'année 2009 des comités et groupes locaux de l'appel des appels ont cherché à se structurer et à proposer des événements et rencontres variés.
La psychanalyse et l’université
En suivant les chemins de son œuvre, trois périodes se distinguent
De 1969 à 1983 : L’acte de parole
Dès ses premiers travaux, soutenus parDidier Anzieu(Anzieu qui sera son directeur de thèse), la question de l'acte de parole est posée aIn d’en circonscrire sa place et sa fonction. Le langage et le discours en sont les axes fondamentaux, tant sur le plan théorique que méthodologique, pour interroger la vérité inconsciente qui parle le sujet.
À quoi s’intéresse Roland Gori ? Probablement à ce que les discours produisent dans leur énonciation, comment ils structurent le sujet, tout en voilant et dévoilant les désirs inconscients. Le discours EST la pensée pour autant que l'on lise cela à la lumière de la méthode freudienne des associations "libres".
Ainsi la psychanalyse freudienne apparait comme à la fois le corpus théorique propre à conceptualiser cela, mais aussi comme la méthode qui met en jeu dans la cure analytique par la confrontation aux sourances, ces mêmes notions alors incarnées. Ainsi a t il entreprit une réexion épistémologique sur les rapports d’“inquiétante familiarité” entre la psychologie clinique et la psychanalyse.
Des questions sont alors en germes que l’on peut condenser ainsi : quelle est l’architecture des mots assemblés en discours, comment rendre compte par les mots de l’inconscient et de ses eets en nous, quelle théorisation permet de dégager le langage de sa réduction à la communication, comment rendre compte du transfert par le jeu des mots adressés ? Sommes nous dépendants de la langue au point de lui devoir l’illusion de notre être ? et quelles sourances n’aeurent elles pas dans les mots et les plaintes, au point de tenter dans le site de la cure analytique d’en analyser les contours et les labyrinthes ? avec quelle rigueur universitaire peut on écrire ou dire ces mots sous les mots et le transfert ? Des notions se dégagent alors comme : le corps et le code en lien avec l'article de Didier Anzieu, mais aussi une proximité d’avec les textes deWinnicott.
"comme un récit de rêve..." de 1983 à 2000
Le modèle puissant de l’analyse des rêves tel queFreudl’a proposé dès 1900 devient alors une source encore plus profonde. Roland Gori s’emploie dès lors à proposer une analyse des discours de sourance des patients dits “somatiques” (à distance de toute prétention causaliste et de la psychosomatique) mais dans la prescription méthodologique freudienne, aIn de considérer tout récit de plainte comme un récit de rêve ! ïl insistera ainsi dans son ouvrage central la preuve par la parole sur des notions comme celle de "roman de la maladie" étroitement liée à celle du "roman familial" freudien, ou encore sur la notion de "complaisance somatique"…
"Comme un récit de rêve" cette formule centrale conjugue à la fois une rigueur théorique et des propositions de recherches. Cela signiIe qu'avant de
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