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Niveau: Supérieur, Bac+5

  • exposé


14 . DEES 112/JUIN 1998 Le concours Évolution de l'épreuve professionnelle au Capes Interview de monsieur le professeur Jacques GUIN, président des jurys 1992 à 1995, et de messieurs les inspecteurs Jean ÉTIENNE et Claude SAGE, vice-présidents Jacques Guin, vous êtes devenu président du jury du Capes externe de sciences économiques et sociales en 1992, au moment où les IUFM se mettaient en place. Cette création va entraîner des changements dans les épreuves ; pouvez-vous rappeler lesquels, comment ils se sont effectués, avec quels objectifs? J. Guin : C'est effectivement avec la session de 1992 que le Capes de sciences économiques et sociales a connu une importante modification de son organisation. Elle est vraisembla- blement liée aux nouvelles possibilités offertes par l'existence des IUFM en matière de formation, mais je dois reconnaître que ce n'est pas autour de ce genre de préoccupation qu'on mobilise l'attention de celui auquel on demande d'être le nouveau prési- dent ! On s'assure d'abord de son engagement à faire fonctionner l'administration du concours, en sorte que se sont les membres du jury qui siégeait encore en juin 1991 qui ont attiré mon attention sur les enjeux de l'importante réforme que nous aurions à conduire. Rappelons-en brièvement l'essen- tiel : jusqu'à cette session, le concours comportait trois épreuves écrites d'admissibilité, sciences économiques et sciences sociales pour tous les can- didats, et une troisième épreuve à et sociales.

  • candidat dans les conditions habituelles

  • candidat libre

  • réflexion sur les modalités de l'enseignement au lycée

  • jurys du capes des universitaires

  • réflexion

  • science economique

  • candidat


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Publié le 01 juin 1998
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Langue Français

Extrait

Le concours Évolution de l’épreuve professionnelle au Capes
Interview de monsieur le professeur Jacques GUIN, président des jurys 1992 à 1995, et de messieurs les inspecteurs Jean ÉTIENNE et Claude SAGE, vice-présidents
Jacques Guin, vous êtes devenu président du jury du Capes externe de sciences économiques et sociales en 1992, au moment où les IUFM se mettaient en place. Cette création va entraîner des changements dans les épreuves; pouvez-vous rappeler lesquels, comment ils se sont effectués, avec quels objectifs?
J. Guin:C’est effectivement avec la session de 1992 que le Capes de sciences économiques et sociales a connu une importante modification de son organisation. Elle est vraisembla-blement liée aux nouvelles possibilités offertes par l’existence des IUFM en matière de formation, mais je dois reconnaître que ce n’est pas autour de ce genre de préoccupation qu’on mobilise l’attention de celui auquel on demande d’être le nouveau prési-dent !On s’assure d’abord de son engagement à faire fonctionner l’administration du concours, en sorte que se sont les membres du jury qui siégeait encore en juin 1991 qui ont attiré mon attention sur les enjeux de l’importante réforme que nous aurions à conduire. Rappelons-en brièvement l’essen-tiel :jusqu’à cette session, le concours comportait trois épreuves écrites d’admissibilité, sciences économiques et sciences sociales pour tous les can-didats, et une troisième épreuve à
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choisir entre droit public et science politique, psychologie sociale, histoire économique et sociale ou, enfin, géographie économique et humaine. N’ayant pas moi-même pratiqué ce dispositif, il est préférable que Jean Étienne, que j’ai alors confirmé comme membre, et appelé comme vice-président du jury, en charge de la nouvelle épreuve, évoque les avantages et inconvénients du système qui était abandonné.
J. Étienne:Le dispositif antérieur à la réforme de 1992 faisait effective-ment place, à côté des deux épreuves obligatoires de sciences économiques et de sciences sociales – dont le sujet était, en général, à dominante socio-logique – à une épreuve optionnelle portant sur le programme d’une troi-sième science sociale. Dans les faits, la plupart des étudiants choisissaient l’option «histoire économique et sociale »ce qui permettait de tester la capacité des candidats à bien ancrer l’étude des phénomènes économiques et sociaux dans leur contexte histo-rique et à réfléchir à leur sociogenèse. La nécessité d’une telle réflexion nous paraissait en effet au cœur du projet originel des sciences économiques et sociales fortement inspiré, comme chacun le sait, par les travaux de l’École historique des Annales. De ce point de vue, la suppression de cette troisième épreuve académique a pu être vécue comme fortement domma-geable pour la formation des futurs professeurs de sciences économiques
et sociales. Le jury en a cependant minimisé les conséquences négatives en continuant de poser, dans le cadre de la «leçon »,des sujets comportant une dimension historique évidente. De plus, chaque commission du jury de leçon comprenait dans ses rangs un historien professionnel qui ne manquait pas, lors de l’entretien fai-sant suite à l’exposé de la leçon, d’interroger systématiquement les can-didats sur la dimension historique des sujets – économique ou sociologique – qu’ils avaient traités. Même si on peut regretter la dispa-rition de cette troisième épreuve écrite, force est de reconnaître que l’intro-duction d’une épreuve professionnelle à l’oral a constitué une innovation fon-damentale dans les processus de recru-tement des professeurs de l’enseigne-ment secondaire: pour la première fois, on insérait, à côté des interrogations disciplinaires traditionnelles, une épreuve spécifiquement destinée à éva-luer l’aptitude des candidats à réfléchir sur l’exercice du métier d’enseignant. Il faut y voir la première tentative sérieuse de professionnalisation d’une fonction, souvent considérée jusque-là comme relevant davantage de l’art ou du charisme personnel que de la for-mation méthodique à un véritable métier. Cette évolution, rendue indis-pensable par les mutations importantes que connaissait le système éducatif avec l’arrivée dans le second cycle de l’enseignement secondaire des «nou-veaux publics lycéens», constitue un acquis indéniable de la réforme intro-
duite en 1992. Ajoutons, par ailleurs, que l’intro-duction de cette nouvelle épreuve a puissamment contribué à dynamiser le potentiel de réflexion épistémolo-gique, didactique et pédagogique au sein de la discipline, notamment à tra-vers les équipes de formateurs qui se sont constituées au sein des IUFM. En témoigne la floraison, ces dernières années, de publications sur «la didac-tique de l’enseignement des sciences économiques et sociales».
J. Guin:On peut donc considérer que la réforme de 1992 vise à prendre en compte le potentiel du dispositif IUFM et le rôle que les instituts vont prendre dans la formation, mais sans pouvoir négliger le fait que, cette pre-mière année, c’est encore moins de la moitié des candidats qui sont passés par les IUFM, obligeant à mettre en place, à l’intention des autres, un dis-positif de substitution. L’objectif poursuivi est d’intro-duire, parmi les épreuves du concours, et donc sa préparation, une première évaluation de l’aptitude profession-nelle des candidats. Ce projet s’ac-corde bien avec le stage en situation que les élèves des IUFM sont amenés à faire, durant leur première année, dans un établissement scolaire: à tra-vers cet exercice, on peut aller vers une réflexion sur les pratiques péda-gogiques, la didactique et la discipline, le fonctionnement de la classe, voire de l’établissement ou du système éducatif en général; mais des craintes sont apparues rapidement quant à la réalisation de ces stages et, notam-ment, la possibilité pour les étudiants d’IUFM d’obtenir leur stage dans leur discipline de concours. De là vont découler les modalités de la nouvelle épreuve. Si la dénomination retenue, « épreuveprofessionnelle »,consti-tue à elle seule l’affirmation d’une volonté politique visant à tirer parti des nouvelles possibilités offertes par les IUFM, on ne pouvait pas pénali-ser les candidats hors IUFM, ou ceux dont le stage paraissait peu adapté ou mal maîtrisé; il fallait donc mainte-
nir la possibilité d’une autre modalité de l’épreuve, d’où, ce régime option-nel. La première option de l’épreuve professionnelle est destinée aux can-didats qui, ayant suivi un stage en cours d’année de préparation du concours, décident de faire porter leur épreuve sur ce travail d’observation des classes. Le règlement veut que leur inscription en ce sens soit prise dès le début novembre, et ce choix devient irréversible. À la veille de leur épreuve, ils doivent fournir au jury un dossier comportant six observations faites en stage; le jury, après en avoir pris connaissance, formule un sujet portant sur une de ces observations, et qui est posé au candidat dans les conditions habituelles: il donne lieu a la séquence exposé-entretien prévue par le règlement. La deuxième option permet à tous ceux qui ne veulent pas, ou ne peu-vent pas, choisir le système ainsi décrit, de substituer au dossier fourni par le candidat un dossier préparé par le jury. Le déroulement de l’interro-gation est ensuite identique. Cette nouvelle épreuve va, par ailleurs, prendre place parmi celles d’admission qu’elle complète avec, comme corollaire, la disparition de l’épreuve écrite optionnelle à laquelle elle se substitue. Observons au passage que l’équilibre du concours en est affecté :le champ du contrôle écrit en vue de l’admissibilité est réduit, alors que celui de l’oral est élargi et renforcé; il en a résulté pour nous l’obligation de revoir les critères de sélection à l’admissibilité pour que le concours ne se joue pas dans sa phase d’élimi-nation sur des bases de contrôle trop étroites, alors que les épreuves d’ad-mission allaient permettre une éva-luation plus complète et plus diversi-fiée des candidats pour leur sélection. Il convient maintenant d’en rap-peler les principales attentes et ce en quoi elle répond à son intitulé « d’épreuveprofessionnelle ».Per-sonne ne pourrait le faire mieux que Jean Étienne.
J. Étienne:Comme le rappelle
J. Guin, l’épreuve dite professionnelle comportait en réalité deux options bien distinctes, même si elles étaient unifiées par un corpus de références identiques. La première option, principalement choisie par les candidats ayant suivi une préparation à l’IUFM ou ayant déjà exercé une activité enseignante comme maître-auxiliaire, consistait à interro-ger le candidat sur l’une des six notes de synthèse qu’il avait préparées au cours des stages effectués dans les classes. Ces notes de synthèse étaient le plus souvent supervisées par les for-mateurs de l’IUFM et/ oules tuteurs pédagogiques des stagiaires. Ne ris-quait-t-on pas dès lors d’évaluer davan-tage la qualité des formateurs que la performance des stagiaires eux-mêmes ?En fait, ce risque a été en grande partie évité par le jury pour deux raisons: d’abord, parce qu’il posait unequestion précisesur l’un des éléments relatés dans la note de synthèse qu’il avait sélectionné, ren-dant ainsi impossible la simple récita-tion par le candidat d’un «topo »pré-paré à l’avance; ensuite, parce qu’il évaluait les capacités d’observation et de réflexion personnelles du candidat sur ce qu’il avait fait et/ ouvu lors de son stage, et non pas la qualité intrin-sèque des notes de synthèse qu’il pré-sentait au jury. La seconde option, généralement choisie par les «candidats libres», consistait en une ou plusieurs ques-tions s’appuyant sur un dossier docu-mentaire qui comprenait des extraits de divers documents: instructions officielles, programmes, manuels, annales de sujets de baccalauréat, etc. Le spectre des interrogations possibles était relativement large et prenait en compte les dimensions épis-témologique, didactique et pédago-gique de la discipline, en veillant à ce que les candidats mettent en perspec-tive ces données par rapport à l’his-toire de l’enseignement des sciences économiques et sociales et au posi-tionnement de cette discipline dans le système éducatif. Il faut signaler, en outre, la novation toute particulière que constituait, à l’époque, l’intro-
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duction, dans le programme de cette option, de références à l’utilisation de logiciels et de vidéogrammes élabo-rés par des professeurs de sciences économiques et sociales.
L’épreuve a été modifiée pour le concours de 1994…
J. Guin:C’est alors même que se déroulait le concours de 1993 que le devenir de cette épreuve a été mis en question. On ne peut pas taire que cela s’est produit à partir du changement de majorité aux élections législatives du printemps. Une offensive est lancée contre les IUFM par des groupes de pression auxquels la nouvelle majorité n’est pas insensible, et il est remar-quable que ce soit principalement du côté de l’enseignement supérieur que viennent les attaques les plus violentes, dès lors que les universités ont été « dépossédées »par les IUFM de la préparation des concours et que – mais je reviendrai sans doute sur cette idée – l’épreuve professionnelle, pour la pré-paration de laquelle elles se sentent peu de vocation, apparaît comme sym-bolique de leur perte d’influence. La « Ruede Grenelle» mènera, pour sa part, une réflexion plus «philoso-phique »sur l’élargissement à l’ensei-gnement secondaire, à travers les IUFM, de «l’esprit écoles normales» et ses conséquences. La survie des IUFM étant finale-ment acquise, l’épreuve profession-nelle concentre sur elle les derniers feux du débat (et du combat). Elle est attaquée sur plusieurs fronts : – sur le plan juridique, au nom de l’inégalité entre candidats qui naîtrait du fait de ses deux modalités; – sur le plan pédagogique, au nom de l’incohérence de l’évaluation d’une « pratiqueprofessionnelle »de ceux qui, étant encore candidats, ne pour-raient par définition n’en avoir aucune ; – sur le plan idéologique, parce qu’elle serait l’expression de la place, jugée « excessive »,de la didactique, et plus généralement du pouvoir des sciences de l’éducation, dans le concours.
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Pour le jury, qui l’a assurée deux années durant, ces critiques sont très excessives, mais l’épreuve telle qu’elle a fonctionné n’est pas vierge de tout reproche. lMatériellement, elle engendre trois types d’inconvénients: – les risques d’erreur au moment de l’inscription, avec une confusion entre « option1 »et «option 2». Le jury a effectivement été confronté à plusieurs cas d’erreurs, découvertes au moment de l’épreuve, par des candidats se croyant inscrits en option 2 et l’étant en option 1 sans avoir constitué et donc déposé leurs dossiers. Il a constaté des dérapages de la part de candidats découvrant leur bévue et tentant de constituer en quelques minutes et par « emprunts »un dossier réunissant six observations… qu’ils n’avaient évi-demment jamais faites. Enfin il est apparu que la réalité du stage et sa qua-lité étaient très inégales, du fait de dif-férences d’organisation selon les aca-démies, et qu’il pouvait en résulter de grandes disparités; – la difficulté à délimiter le champ des observations acceptées par le jury; une note avait été diffusée auBOEN du 26.09.91 pour la définir; elle n’a pas empêché toutes les erreurs; le jury a dû, par exemple, éliminer un candi-dat ayant produit un excellent dossier d’observation… de séquences de TD dans une université! – les inconvénients du dépôt du dos-sier quelques heures à peine avant l’épreuve :la difficulté à choisir vite entre des documents ne traduisant pas forcément de hiérarchie d’intérêt, l’in-fluence incontrôlable de l’inégalité matérielle dans la présentation des documents, la difficulté enfin à for-muler des sujets respectant une bonne égalité des chances entre candidats, en découlent. lScientifiquement, elle soulève au moins trois autres questions: – celle de sa dépendance à l’égard de la formation elle-même, c’est-à-dire de la qualité de l’accueil en stage, de la pertinence des conseils donnés par le professeur accueillant, de la qualité enfin du contexte de la classe ou de l’établissement. On perçoit, sur ces
points, des risques de dégradation qui auraient pu devenir inquiétants dans certaines zones; – celle du caractère trop précoce d’une réflexion sur des pratiques professionnelles qui n’ont été que trop brièvement intégrées à la formation; – celle du risque de substitution, à une observation personnelle maladroite ou manquant de fondements solides, d’un discours théorique, souvent abstrait et convenu, sur la situation d’enseigne-ment, généralement révélé par le voca-bulaire employé et mal maîtrisé. lFondamentalement enfin, il n’est pas possible d’assurer que les deux modalités de l’épreuve, quels qu’aient été les soins apportés par le jury à leur réalisation, n’aient pas été génératrices de certaines inégalités sans qu’il soit pour autant possible d’en affirmer le sens. On relèvera à cet égard ce qu’écrit, dès la session suivante, le rapporteur de «l’épreuve sur dossier» dans le Rapport du jury 1994: «Cette option 1 consistant en la soutenance d’un travail d’observation apporté par les candidats correspondait certes à des candidats mieux préparés, le plus souvent en IUFM, mais aussi à la prise en compte de documents dont la qua-lité pouvait assurer une sorte de prime, même lorsque la prestation était plus terne. L’actuelle épreuve sur dossier reprenant grosso modo la modalité de l’option 2, cet effet ne joue plus, et tous les candidats se retrouvent à éga-lité de ce point de vue, en n’étant éva-lués que sur leur prestation. Cette uni-cité du mode d’évaluation se marque d’ailleurs dans la distribution des notes… d’une forme pyramidale clas-sique alors que, l’an dernier, plusieurs pics montraient l’existence de sous-populations. »
J. Étienne:En effet, tout en reposant sur un référentiel commun de savoirs et des attentes en grande partie simi-laires, les deux options s’appuyaient sur des supports différents: dans l’op-tion 1, des observations faites en classes et consignées dans des notes de synthèse; dans l’option 2, un dos-sier documentaire choisi librement par le jury. Le champ des questions qui
pouvaient être posées à chaque can-didat ayant choisi l’option 1 était donc, dans une certaine mesure, contraint par le nombre et la nature des situa-tions pédagogiques observées, alors que le jury avait une plus grande liberté de choix pour l’option 2. De ce point de vue, comme J. Guin le souligne, il n’y avait pas une parfaite égalité entre les candidats puisque la base d’interrogation était plus limitée dans le premier cas que dans le second, même si l’avantage relatif des candidats ayant choisi l’option 1 était, en partie, compensé par le fait que les interrogations et les attentes du jury concernant cette option s’avéraient plus pointues que celles de l’option 2. Malgré tout, on constatait un écart de moyenne significatif entre les deux catégories de candidats (plus de deux points d’écart à la session 1993, en faveur des candidats ayant choisi l’op-tion 1). Il faut cependant préciser que ce différentiel de notes peut aussi bien s’expliquer par une motivation plus forte et une préparation plus systé-matique à l’épreuve professionnelle de ces candidats que par les diffé-rences inhérentes aux deux options. Il n’était pas rare, en effet, d’interroger dans le cadre de l’option 2, des can-didats qui ne connaissaient ni les règles du jeu ni le contenu du pro-gramme de cette épreuve! Si l’abandon de l’option 1, à l’oc-casion du concours de 1994, a permis de rétablir une plus grande égalité des chances entre les candidats, on peut cependant regretter qu’elle ait mis un véritable coup d’arrêt à l’expérience, très riche pour les jeunes étudiants, de stages en situation de longue durée qui leur permettaient de développer un sens certain de l’observation des situations pédagogiques et d’appuyer leur réflexion didactique sur des situa-tions éducatives concrètes. Il reste cer-tainement à trouver un type d’épreuve qui concilie la nécessaire égalité des chances entre les candidats, et le besoin, tout aussi impérieux, d’assurer une véritable pré-professionnalisation aux métiers de l’enseignement dès les études universitaires.
Vous n’avez donc pas vu de «régression » dans le remplacement de l’épreuve professionnelle par l’épreuve sur dossier?
J. Guin:Le passage de l’épreuve pro-fessionnelle à l’épreuve sur dossier a paradoxalement combiné les deux aspects, d’une déception puisqu’il fal-lait tourner la page d’une grande inno-vation à laquelle nous avions beau-coup travaillé, mais en fait d’une consécration puisque, après beaucoup de craintes, s’ouvrait à nous la possi-bilité de pérenniser les principaux acquis de l’épreuve professionnelle tout en essayant d’en écarter les prin-cipaux inconvénients. C’est très exactement dans cet esprit que nous avons construit l’épreuve sur dossier du Capes de sciences économiques et sociales; il semble aujourd’hui assez clair que toutes les disciplines n’ont pas suivi la même voie, en sorte que ce qui suit est réellement propre aux sciences économiques et sociales. Un texte de clarification paru auBOENdu 21.10.93 l’explicite. C’est Claude Sage, devenu vice-président pour la session 1994, au départ de Jean Étienne, qui a conçu avec moi et assuré cette transition. Il fallait d’abord opérer les cor-rections requises: – les inconvénients juridiques et maté-riels disparaissent mécaniquement avec une épreuve unique qui, dans la forme, va être très proche de l’option 2 de l’épreuve professionnelle. Il n’y a plus d’option, donc de risque d’er-reur matérielle à l’inscription; il y a certes moins d’initiative de la part du candidat, ce qui est sans doute la prin-cipale «perte »puisqu’il est moins motivé, durant ses stages, par la rela-tion directe avec l’épreuve du concours, mais il y a en contrepartie égalité de traitement entre tous les candidats ; – l’ambiguïté quant à la nature «pro-fessionnelle »d’une épreuve interve-nant par définition avant l’année de formation professionnelle (deuxième année d’IUFM obligatoire pour tous
les candidats admis au Capes) est clai-rement levée, sans pour autant renon-cer, comme nous allons le montrer, à la dimension didactique de l’exercice. Restait alors à recaler nos attentes. Ce fut fait de la manière suivante: – comme la «leçon »,l’épreuve sur dossier repose sur un fondement dis-ciplinaire. Mais si la «leçon »peut se développer dans une perspective aca-démique et faire une place importante à l’érudition, l’épreuve sur dossier, construite dans l’esprit de la discipline sciences économiques et sociales et de ses pratiques pédagogiques, doit être l’occasion de s’interroger sur ce qu’un «item »,constitutif de la base du dossier, peut permettre d’enseigner à l’élève, au-delà de son contenu scientifique lui-même, et comment l’enseigner pour que cet objectif soit atteint ; – l’épreuve sur dossier suppose donc: - un savoir disciplinaire, qui lui sert de point de départ, mais n’en consti-tue pas l’objectif, - des capacités de communication à travers le plan, l’usage du tableau, le recours à des schémas, des don-nées quantitatives, des techniques comme l’informatique, - un comportement physique, une dis-tanciation vis-à-vis de ses notes, - une réflexion sur l’intérêt du sujet dans la construction des savoirs liés de l’élève, - la maîtrise enfin d’un certain nombre de connaissances didactiques appuyées sur l’enseignement des sciences économiques et sociales. À ces éléments, essentiels, s’ajou-tent, selon les textes officiels, des élé-ments de connaissance des pro-grammes, de l’histoire de la discipline et de l’organisation d’un lycée qui doi-vent permettre ces mises en perspec-tive, l’interrogation, à ce dernier pro-pos, étant limitée à quelques instants dans les «questions complémen-taires »,ce qu’il est de la responsabi-lité du vice-président et du président de contrôler. Effet «boomerang »de l’instaura-tion de l’épreuve sur dossier ainsi conçue, la «leçon» peut être libérée du souci, souvent encombrant jusqu’alors,
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de la relation à faire entre le sujet tiré et son «adaptation »à un auditoire d’élèves, et donc reprendre une dimen-sion totalement académique et scien-tifiquement plus ambitieuse. La mise en œuvre de cette évolu-tion a, me semble-t-il, été bien accep-tée par le jury dès lors qu’il n’avait pas eu à se «renier »et qu’au contraire il clarifiait les rôles des différentes épreuves. Cela n’écarte évidemment pas toutes les difficultés de mise en œuvre, et les débats que cette épreuve a pu susciter, récemment encore.
Cl. Sage:Pour beaucoup de sujets, il n’y a pas eu de changement. Seuls ont été écartés les sujets supposant une expérience professionnelle. Dès la fin de la première session, on s’est orienté vers une formule du type: «Interro-gez-vous sur l’intérêt que peuvent pré-senter ces documents pour traiter telle ou telle question» mais sans exclure l’analyse des manuels de différentes époques, l’intérêt des travaux dirigés, celui de l’informatique etc. Le problème a été de faire com-prendre aux candidats ce qui était attendu du dossier. Il était relative-ment facile de dire ce que cette épreuve n’était pas. Il ne s’agissait pas de leur demander un cours sur la ques-tion, ni d’attendre d’eux un discours « pédagogique »convenu et polyva-lent. Il a fallu batailler longuement, au fil des rapports, pour éliminer ces discours jargonnants, mais cela s’est finalement produit. Plus difficile a été de définir posi-tivement la finalité pédagogique de l’épreuve. Comment demander à des candidats qui n’ont jamais enseigné de porter un jugement sur des maté-riaux utilisables pour cet enseigne-ment ?Nous nous sommes référés pour cela à l’expérience universitaire des candidats, jointe à une connais-sance des objectifs de l’enseignement qu’ils veulent pratiquer, en posant le problème de la façon suivante: «Vous savez un certain nombre de choses sur telle ou telle question d’économie ou de sciences sociales, vous avez dans le dossier des éléments qui, figurant pour la plupart dans les manuels, préten-
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dent constituer une aide pour ensei-gner telle ou telle question, vous êtes par ailleurs censé connaître les pro-grammes enseignés: vous avez tous les éléments pour nous dire ce que vous pensez de l’intérêt et des limites de ce qui vous est proposé.» Cette capacité à faire le tri est essentielle pour le professeur même et surtout débutant ;elle s’enrichira par l’expé-rience mais ne la présuppose pas. Ce travail au «deuxième degré» n’est pas évidemment très simple et l’on s’in-terroge sur sa pertinence, mais faire glisser l’épreuve sur dossier vers une épreuve «académique »liquiderait l’aspect novateur introduit par la réforme et ne justifierait plus la pré-sence de professeurs du terrain dans les IUFM. Un autre problème, qui est apparu de façon très visible dès la première session, a été celui des questions de vie scolaire, résultat du stage qui est resté facultatif mais dont il importe de tenir compte si l’on ne veut pas sa dis-parition complète. Nous avions convenu de ne pas en faire des sujets spécifiques mais de poser dans chaque sous-jury des questions vers la fin de l’entretien. Des divergences notables ont été observées entre les jurys, nous amenant à réglementer de façon stricte l’évaluation des connaissances des candidats dans ce domaine. Une seule question a été choisie par demi-jour-née pour l’ensemble des sous-jurys. On revient aujourd’hui vers davantage de souplesse.
Le bilan est-il donc totalement positif?
J. Guin:Personne n’oserait signer une telle affirmation; serait-elle d’ailleurs acceptable de la part d’un universi-taire forgé aux règles de l’analyse cri-tique ? Il existe évidemment des ombres à ce tableau, qui prennent, selon l’angle sous lequel on les observe, plus ou moins de place, sans qu’à mes yeux elles compromettent l’essentiel de ce qui a été fait. Tout au plus, peut-il être intéressant d’en faire un objet d’études, et c’est en ce sens que je vais
aborder un de ces problèmes dans le cadre de votre revue. Je choisirai pour cela, en tant qu’universitaire, une question qui interpelle les universités, d’autant plus que les circonstances récentes d’une mission d’expertise pour le Comité national d’évaluation m’ont permis de constater qu’elle ne semble pas en voie d’être résolue: je veux parler de la véritable démission des universités devant la préparation de l’épreuve sur dossier et sa consé-quence, la difficulté à nommer dans les jurys du Capes des universitaires pour entrer dans les commissions appelées à évaluer cette épreuve; pour ma part, je n’y avais pas réussi. Une telle situation mérite attention par son aspect paradoxal d’abord. Les universités n’ont pas vécu dans la joie la mise en place des IUFM, et beau-coup de «facultés »ont soigneusement organisé la résistance et veillé à garder le contrôle de la préparation au concours, maintenant en leur sein, toutes disciplines confondues, les enseignements de la première année d’IUFM. Mais il y a une exception, elle aussi pratiquement commune à toutes les disciplines: les universités ne se sont pas investies dans la pré-paration de l’épreuve professionnelle (puis sur dossier), semblant considérer qu’elles n’avaient en la matière pas d’intérêt et pas de compétences, et que les «centres de ressources» se trou-vaient sans doute parmi les formateurs IUFM issus de l’enseignement secon-daire auxquels elle ne disputaient exceptionnellement pas ce chantier. Ainsi, très peu d’universitaires se sont-ils impliqués dans la réflexion sur les modalités de l’enseignement au lycée, ou la didactique de leur discipline, se déchargeant totalement sur l’IUFM pour le faire. Les sciences écono-miques et sociales n’échappent pas à cette tendance générale. Il faut donc être attentif aux enchaînements qui découlent de cette situation. Peu concernée par la for-mation, la communauté universitaire n’a pas pu être impliquée dans les jurys pour en évaluer le résultat; sous ma présidence, aucun universitaire n’a siégé à titre permanent dans les com-
missions d’épreuve sur dossier, ce qui constitue une exception au principe général de composition des jurys qui mérite attention. Il y a là un «vide » dont les racines échappent aux pou-voirs du président, mais qui oblige à s’interroger sur l’équilibre des res-ponsabilités qui en découle puisqu’une des composantes des jurys – l’uni-versitaire – est absente de ces com-missions. De plus, quelques principes élémentaires de sociologie des orga-nisations suggèrent alors qu’il peut s’établir, dans ces commissions, des équilibres de pouvoirs spécifiques, ne résultant pas d’un projet quant aux objectifs poursuivis, mais de données structurelles. Claude Sage y fait d’ailleurs explicitement référence lors-qu’il constate que, sur quelques points, il a dû, en tant que vice-président en charge de cette épreuve, «réglementer de façon stricte». Pour autant, quand je regarde, avec le recul dont je dispose aujourd’hui, ce qu’il en a été sous ma présidence, j’ai la conviction que le cap a été tenu: la qualité des hommes et des femmes qui ont agi dans ce cadre (car un jury est fait aussi de chair et de sang), l’es-time réciproque qu’ils se manifes-taient, l’expérience et une longue pra-tique de responsabilités partagées, leur autorité combinée à leur ouverture d’esprit ont, je le crois, été garants de ce que nos objectifs soient tenus. Mais cela n’empêche pas de tou-jours espérer progresser: il serait pour cela indispensable qu’en sciences éco-nomiques et sociales, comme dans bien d’autres domaines, la didactique de la discipline devienne objet de recherche et d’enseignement univer-sitaires, élargissant du même coup l’éventail possible des membres du jury comme le champ académique des questionnements au concours. Pour y parvenir, il ne me paraît pas paradoxal de dire, même si certains pourront trouver le propos provoquant, que les IUFM, qui ont eu tant à lutter pour faire reconnaître leur place et leurs responsabilités par les universités, devraient, sur ce point très précis, chercher à obtenir d’elles une réelle implication dans leur travail de pré-
paration de l’épreuve sur dossier et oser renoncer là à un de leurs rares monopoles, même si ce monopole est valorisant et donc d’autant plus diffi-cile à sacrifier.
Ces changements ont-ils permis d’améliorer le recrutement des enseignants?
J. Guin:Je l’espère, et je le crois, si la question vise bien la création succes-sive des deux épreuves, «profession-nelle »et «sur dossier». Mais je l’ex-pliquerai par une réponse plus complète et un peu détournée: – installer et pérenniser la didactique de la discipline parmi les épreuves du concours est incontestablement un progrès. Si l’épreuve professionnelle pouvait induire en erreur par l’ambi-guïté de son intitulé, l’épreuve sur dos-sier «colle »aux pratiques pédago-giques fondatrices des sciences économiques et sociales et, à ce titre, est devenue essentielle dans nos recru-tements ; – mais, au-delà de ce dispositif «tech-nique »,la réflexion collective des jurys successifs sur cette épreuve a constitué une grande opportunité car il a fallu, pour la mettre en place et la faire évoluer, s’interroger sur sa signi-fication, sa portée, et donc procéder à une remise en question et une évalua-tion de toutes les habitudes, voire les rituels, et même peut-être les scories que génère toute institution installée dans ses routines, y compris l’ensei-gnement des sciences économiques et sociales. En nous imposant cette démarche, en choisissant une réponse progressivement construite, amendée au fil de nos échanges, en faisant en sorte que chaque étape soit l’aboutis-sement d’un débat, parfois âpre, mais dans lequel j’ai toujours exigé que les positions divergentes soient explici-tées et argumentées, nous avons trans-formé l’oukase réglementaire en une vraie discussion constructive sur les objectifs de notre discipline et les moyens que nous nous donnions pour les atteindre. Je veux d’ailleurs saluer ici tous les membres du jury de ces
épreuves, qui ont très largement contribué à ce travail et veillé à la mise en œuvre de ses résultats, sans oublier ceux des autres épreuves, tou-chés «indirectement »par le change-ment et qui ont su le mettre à profit pour adapter leurs propres critères d’évaluation et les «recibler »en vue de la décision finale. Loin de moi pour autant aujour-d’hui l’illusion de croire que tout est parfait pour cette épreuve. Les risques de repli sur un savoir réglementaire, comme sur les seuls savoirs discipli-naires, constituent les deux précipices entre lesquels il faut continuer à faire avancer le travail sur une ligne de crête. Rien non plus n’est jamais défi-nitif, et il appartient par définition à chaque jury de recevoir, année après année, l’héritage du précédent comme un chantier à poursuivre et non comme un monument à sauvegarder: il ne faut céder à la tentation ni de la facilité de la table rase ni du musée. À ce prix, le travail qui a été entrepris sous ma présidence et qui a conduit à réfléchir sur le sens de l’admissibilité et son articulation avec l’admission, sur le niveau des notes, sur les mis-sions différenciées des différentes épreuves constitutives de l’admission – dont l’épreuve professionnelle/ sur dossier – et les conséquences à en tirer pour leur mise en œuvre (cf. aussi les changements intervenus en mathé-matiques), a pleinement bénéficié de ce que, au-delà de nos déclarations d’intention, les heurts et malheurs de l’épreuve professionnelle, puis sur dossier, nous ont imposé d’être créa-tifs. Les choix qui ont été les nôtres me semblent avoir un dernier intérêt : ils ouvrent pleinement la voie à la formation didactique de la seconde année d’IUFM et au mémoire profes-sionnel ;pour le concours, le candidat ne peut pas aller beaucoup plus loin que la perception d’un besoin de formation en ces domaines qu’il satisfait de façon théorique; avec sa deuxième année, il sait à quels besoins répondent les axes profes-sionnalisants de l’IUFM. C’est donc bien une démarche, au sens propre «fondatrice »,qui a été
DEES 112/ JUIN1998. 19
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