APPROCHE DE L'EVENEMENT
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APPROCHE DE L'EVENEMENT

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      APPROCHE  DE  L'EVENEMENT                                        par           Gérard TIRY                                   1969                                           Editions ETRE LIBRE         
 
1
Introduction   Le philosophe du XIVe siècle Buridan avait imaginé l'hypothèse d'un âne se trouvant sur la place du marché, aussi affamé qu'assoiffé, et placé à très égale distance entre un seau d'avoine et un seau d'eau. L'âne sollicité par deux impulsions de même valeur ne pouvait choisir et mourait entre les deux seaux, de faim et de soif.  Cette fable n'aurait aucune chance de se réaliser et l'âne, aussi peu doué qu'on le considère généralement, réagirait de façon à survivre. La raison en est simple : le monde dans lequel il existe n'est pas soumis à des lois statiques s'appliquant avec rigueur. Le comportement des êtres est dynamique dans un monde soumis des changements constants. Les réactions que nous éprouvons à la chaleur, à la faim, à la soif sont de seconde en seconde différentes. Plus exactement, elles sont reliées entre elles par un film continu, entraîné lui-même par un flot renouvelé de sensations.  Mais l'homme possède la faculté d'imaginer des lois par lesquelles il fragmente la réalité et partant de ces lois de créer « le problème », c'est-à-dire une sorte de nœud dans l'espace-temps. Artificiellement l'esprit arrête le cours des événements et crée un état absolu qui est une fiction. Cette fiction risque d'être une source de mésaventures et d'erreurs, si la conscience n'est pas éveillée au fait qu'il s'agit là d'une construction mentale.  L'âne possède cette supériorité de ne pas créer de lois et de ne pas poser de problèmes qui seraient autant d'écrans entre le mouvement de la vie et lui. Il est directement branché sur le monde changeant des événements et risque fort d'apparaître moins buté que le philosophe.  Si l'on imagine un instant, Buridan dans la situation où il a placé l'âne, on réalise qu'effectivement il mourrait de faim et de soif en s'imposant un rébus insoluble, sans prendre garde qu'il est à la fois le geôlier et le prisonnier. Il ressemblerait alors étrangement à celui que l'on a pu considérer dans certaines circonstances comme « le plus sot animal ».  L'homme peut en effet réaliser cette étrange expérience qui consiste à mourir pour des opinions qu'il s'est imposées ou qu'il s'est laissé imposer. L'histoire est en partie le récit des exploits accomplis pour satisfaire des notions de patrie, de religion, d'économie, d'idéal... Si l'on établissait la liste des personnes qui se sont sacrifiées pour des idées ou qui ont obligé d'autres personnes à se sacrifier pour ces mêmes idées, celle-ci serait impressionnante. Ne nous moquons pas ! Dans un ouvrage où il analyse le phénomène de la, guerre Gaston Bouthoul écrit ceci : « Tel qui sourit au souvenir de ceux qui se battaient pour une phrase de Saint-Augustin est prêt à se faire tuer pour une théorie politique qui lui tient à cœur ».  Si nous analysons la fable de Buridan nous nous apercevons qu'il existe une différence de nature entre le problème imaginé par le philosophe et la vie. Mais de nos jours, quelle définition pouvons-nous donner à la vie ? Comment pouvons-nous exprimer avec précision le monde dans sa totalité présente ? Le terme « événement » est celui qui, au niveau actuel de notre connaissance, rend le mieux compte du phénomène de la vie tel qu'il peut être considéré à un moment déterminé. 2  
Partant de l'événement, l'homme effectue diverses opérations qui lui permettent d'imaginer un ordre dans l'univers. Dans une première opération, il distingue des objets c'est-, à-dire, qu'il détache arbitrairement certains faits de leur environnement. L'objet n'étant pas observable dans le mouvement, il arrête ce dernier et découpe une tranche de vie. L'objet est donc sélectionné ; prenons un exemple : l'Anapurna.  Dans une deuxième opération, l'homme distingue dans certains objets une propriété commune et les classe suivant des ensembles ; par exemple : les montagnes de plus de 2.000 mètres, les hommes blonds, les vieillards.  Enfin, il met en évidence des structures, qui sont un ensemble de relations dans un ensemble d'objets. La structure d'une société, ce sont les liaisons qui existent entre les différents groupes, la structure du corps humain est constituée par les relations existant entre les systèmes nerveux, sanguins, musculaires, etc... Dans ces structures la vie passe, c'est l'événement.  Nous voyons que, partant de l'événement, dans lequel nous puisons nos distinctions, nous cherchons à reconstruire ce dernier. Les structures sont une tentative d'approche pour décrire l'événement mais ne sont pas ce dernier. Son essence échappera toujours à une représentation intellectuelle.  Dans l'exemple de Buridan, il est clair que la vie ne passe pas dans les structures. Cependant, le fait le plus important à observer est que notre philosophe identifie ses constructions mentales au phénomène de la vie. C'est ce que nous faisons lorsque nous adhérons à des systèmes philosophiques, politiques, économiques, etc... Si nous étions suffisamment vigilants nous conserverions la conscience que nos formulations sont faites à propos de la vie mais qu'elles ne sont pas la vie. Sans cette conscience, la révolution, qui consiste et substituer un nouveau système à un ancien, nous laisse au même niveau de compréhension.  Pour étudier la vie, il nous faut en arrêter le mouvement, nous devons la figer sous peine de ne pouvoir l'examiner scientifiquement, mais, ce faisant, l'essentiel nous échappe. La possibilité qui nous est donnée d'immobiliser dans notre mental ce qui reste dynamique en dehors de lui, nous permet de créer des situations fictives dont nous examinerons deux aspects.  Nous avons observé que d'une part l'esprit isolait telle partie ou telle autre de l'événement, il suit donc un chemin qui le conduit de l'unité vers la diversité ; d'autre part il se sclérose dans la notion d'objectivité.  Buridan immobilise l’âne sur deux impulsions d'égale valeur. Le fait d'ignorer le mouvement lui permet de distinguer les instincts de l'animal de ses autres facultés, de les diviser en « faim » d'une part et « soif » de l'autre, de les égaliser et d'annoncer la mort puisque la situation demeurera inchangée.  Il ne faut pas reléguer cette fable au XIVe siècle en protestant que nous avons dépassé ces modes de raisonnement. La situation est bien actuelle, je n'en veux pour preuve que cet 3  
interview paru récemment dans un quotidien où une femme déclare aimer autant son mari que son enfant. Il est à souhaiter qu'elle ne se trouve jamais à égale distance des deux. On ne peut faire le compte des sentiments avec une balance. Il est dangereux d'immobiliser la vie sur un équilibre et de se placer à l'extérieur en arbitre. Certains adverbes tels que : autant », « peu à « peu », « aussi », apparaissent, lorsqu'on les analyse, bien suspects (elle est aussi intelligente que belle !).  La vie sociale est tissée de cette habitude que nous avons d'égaliser les deux plateaux de la balance avec des choix préétablis selon l'application erronée du principe que les mêmes causes produisent les mêmes effets. Ceci égale cela : tel crime ne peut être accompli que pour telle raison, il vaut telle peine ; pour penser ainsi cette personne doit être folle !  La division la plus simple est celle qui consiste, partant de l'unité, à séparer le monde en deux et à obtenir ainsi un système dualiste : bien ou mal, beau ou laid, grand ou petit, juste ou injuste, amour ou haine, etc... Il faut être doué d'une grande vigilance pour ne pas séparer, ou d'une grande intuition pour réconcilier les opposés à un niveau différent.  C'est un déconditionnement important que de savoir se libérer du choix. Un proverbe oriental l'exprime en ces termes : Ne contemple en toutes choses qu'une, c'est la seconde qui te fourvoie. Prenons deux exemples :  Nous établissons une distinction entre la culture littéraire et la culture scientifique en mettant en opposition dans la communauté intellectuelle l'esprit littéraire qui prend des décisions d'ordre politique, social et parfois économique, et l'esprit scientifique au caractère inhumain auquel on reproche de changer l'homme, à travers la technique, en robot. Dans son essai : « Littérature et Science », Aldous Huxley montre que les deux langages sont différents. La science utilise un langage extentionnel, des définitions, une terminologie objective et des symboles quantitatifs. La littérature utilise un langage intentionnel et s'intéresse au subjectif et au qualitatif. Si ces langages différents paraissent appeler une pratique de la pensée opposée, il ne faut cependant pas perdre de vue que cette opposition n'apparaît que sur le plan symbolique dont le plan verbal constitue l'aspect le plus important. Nous sommes partis de l'unité et il dépend d'une certaine flexibilité de l'esprit de ne pas demeurer prisonnier des divisions qu'il a élaborées. Cependant en nous-mêmes et dans la société où nous vivons, les barrières élevées entre le scientifique et la littérature sont plus hautes qu'on ne croit. Elles sont autant d'obstacles à notre participation au mouvement de la vie.  On oppose également la philosophie orientale et la philosophie occidentale ; or la technique de survie et de créativité qui s'impose aux orientaux et aux occidentaux par la réflexion est la même, quoique les conditions puissent nous apparaître parfois différentes. En fait, la même pensée se présente dans chacune des civilisations à un niveau différent. La forme d'interrogation est différente. L'Orient pose la question de savoir pourquoi les choses existent, compréhension intuitive de l'événement, semblable à celle qui a été la nôtre jusqu'à la fin du XVIe siècle. L'Occident cherche à savoir comment les choses existent. Certains pays asiatiques comme la Chine changent actuellement d'interrogation. Les questions varient mais la réalité demeure, ce qui est exprimé par le quatrain bouddhique suivant :   « Vraiment, il n'existe ni Est ni Ouest ! 4  
 Existe-t-il un Sud et un Nord ?  L'illusion renferme le monde,  l'illumination l'ouvre de tous côtés ».  L'application à la vie de concepts statiques peut revêtir des aspects plus subtils. C'est ainsi que l'on peut également séparer dans le temps en traitant les situations présentes par rapport à un avenir hypothétique ou un passé historique. Les rigidités politiques que l'on observe dans la majorité des pays se justifient par la recherche d'un idéal lointain défini pour de nombreuses années. Elles provoquent souvent un retard considérable dans l'amélioration désirée, car on ne peut dissocier la rigidité politique, des rigidités économiques et humaines. Un homme ne peut être rigide politiquement et être flexible du point de vue créatif. Les objectifs à atteindre sont également des formes de l'immobilisme. Ceux qui sont définis par les pays socialistes, capitalistes et par les dictatures sont autant de façons d'éviter l'instant présent et les difficultés actuelles en se justifiant par la recherche d'un avenir incertain embelli par l'imagination. « When a great ship cuts through the sea, the waters are always stirred and troubled. And our ship is moving toward new and better shores ». (Extrait du discours sur l'Etat d'Union du Président Johnson, janvier 1968).  Les sacrifices demandés en vue d'un monde meilleur, d'un âge d'or, les encouragements à remettre à demain, cela fait partie, c'est un fait connu, du programme de tous les gouvernements. Cela justifie d'activer les désirs des individus, de flatter leur personnalité, leur vanité ; la production n'ayant aucun avenir si les besoins ne sont pas d'abord créés puis renouvelés. L'économique ne peut assumer le rôle qui est dû à l'humain et l'on ne peut, sans perpétuer des troubles sociaux majeurs, rejeter indéfiniment dans le lointain la place qui est due à l'être.  La recherche humaine s'est donc orientée jusqu'à nos jours vers la fragmentation de l'événement. L'idée sous-jacente était que l'on approchait du mystère de la vie en observant des fractions toujours plus petites de ses manifestations. Nous assistons actuellement à un renversement de tendance. Cette même recherche est entrée dans une phase de réintégration, que nous avons, individuellement, les plus grandes difficultés à suivre, liés que nous sommes à nos habitudes de pensée. Ce que nous savons est loin d'être intégré dans notre comportement.  La science, par le fait de son application dans la technique, est soumise à des vérifications constantes. Le souci d'une meilleure adéquacité a conduit à renoncer aux séparations qui éloignaient l'esprit de la réalité. Pour approcher de l'événement, les chercheurs ont intuitivement conçu la réunion dans des concepts communs de la matière et de l'énergie, de l'espace et du temps, du psychique et du somatique.  Les sciences humaines suivent la même voie. Si la fragmentation des tâches a atteint son apogée dans la période industrielle du début de ce siècle, nous assistons de nos jours à une forme d'adaptation plus proche de la vie. Ce que le professeur Georges Friedmann appelait : « le travail en miettes » s'est révélé avoir un taux de rentabilité assez bas, parce qu'il excluait de nombreux facteurs humains. Il en résulte que les ouvriers ne sont plus placés dans des chaînes, mais à la préparation du travail et que les tâches tendent à se diversifier.   
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