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Pour la première fois dans l'histoire - Et l'Égypte s'est ...

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oLesCahiersdujournaLismen19 – hiver2009
Et l’Égypte s’est retrouvée e au cœur du 21 siècle
Amr ZOHEIRI
Journaliste et doctorant Membre de l’équipe de recherche ELICO (EA 4147)amr.zoheiry@univ-lyon2.fr
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our la première fois dans l’histoire de la télévision égyptienne, les 2006 n’Pont pas été retransmis sur les chaînes matchs du Mondial de football hertziennes, mais sur des chaînes privées, donc à destination des seuls abonnés. La presse a suivi les réactions d’exaspération de la rue égyptienne et le « braconnage » des téléspectateurs. Le journaliste égyptien Hassan El 1 Mistikawi reflétait ce sentiment de colère dans l’un de ses articles parus avant le début de la Coupe du monde 2006 : «La FIFA pourra-t-elle intervenir pour faire face au codage des matchs de football dans le futur, pour limiter la chute du nombre des téléspectateurs, et pour que n’apparaissent pas de nouvelles générations qui n’acceptent pas le football ou même ne le connaissent pas ? À tel point que l’on puisse imaginer dans un futur lointain un fils demandant à son père : “Papa, c’est quoi 2 le football ?Ce propos était un signe“ ». de l’entrée de l’Égypte dans une nouvelle ère : celle de la mondialisation des moyens de diffusion, avec le développement du monopole de grands groupes médiatiques, disposant des pleins pouvoirs sur la retransmission audiovisuelle des compé-titions sportives. Traditionnellement, la quasi-totalité du championnat égyptien était retransmis sur les chaînes publiques. Aujourd’hui, la Fédération égyptienne de football s’interroge sur une éventuelle vente des droits à des chaînes privées. Le téléspectateur égyptien serait alors obligé de s’abonner ou de regarder les matchs
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dans les cafés et autres lieux publics, comme ce fut le cas pour la Coupe 3 du monde 2006 : une première en Égypte en matière de « décodage ». Quelques incidents ont émaillé l’entrée dans cette nouvelle ère. Ainsi, lors du match entre le club égyptien AHLI et le club tunisien 4 ESS, en finale-aller de la Ligue des Champions africaine en2005 à Sousse, le public égyptien a-t-il été contraint de suivre la rencontre par 5 l’intermédiaire de l’ART (Arab Radio and Television), cette chaîne saoudienne monopolisant par la suite les éditions successives de la Coupe des Confédérations. Le cas de la retransmission de la Coupe d’Afrique (CAF) 2004 en Tunisie, sur la deuxième chaîne égyptienne, avait déjà posé un premier problème juridique, résolu par une diffusion 6 de la rencontre en français . En 2006, le tournoi africain s’est déroulé en Égypte. Il n’y eut donc pas de problème pour le téléspectateur égyptien, puisque cet accueil de la compétition donnait le droit au pays organisateur de retransmettre les matchs. Mais en 2008, le tournoi s’est joué au Ghana et les responsables de la télévision égyptienne ont bien cru que l’ART allait renégocier son contrat avec la CAF, corriger son erreur de 2004 et se procurer aussi l’exclusivité de la retransmission en français. Finalement, la formule de 2004 fut reprise : la compétition fut donc retransmise sur la deuxième chaîne de la télévision égyptienne avec les commentaires en français de trois journalistes mis à disposition 7 par la chaîne égyptienne francophone Nile TV pour toute la durée de la compétition. Quant à la finale, elle fut offerte à la télévision égyptienne par l’ART, comme cela avait été le cas pour la finale de la Coupe du monde 2006.
L’État passe la main et « la fraude » s’organise
Période charnière, la Coupe du monde 2006 est l’objet de cet article. À cette date, en effet, la télévision égyptienne, propriété de l’État, qui a été toujours considérée en Égypte comme l’outil le plus influent du pouvoir politique, a abdiqué face au pouvoir des chaînes et des groupes privés. Un vif débat s’ensuivit dans les pages des journaux pour qui cette abdication est une conséquence directe de la mondialisation, qui s’applique ici à une échelle régionale. C’est aussi un effet du développement du sport professionnel. Enfin, c’est le résultat du développement des techniques, des supports et des moyens de diffusion, qui permettent de satisfaire le besoin énorme qu’éprouvent les nouvelles chaînes satellites sportives extra-communautaires – créées pratiquement au même moment à l’échelle planétaire – de s’alimenter en programmes pour obtenir l’audience qui
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les rend rentables aux yeux des annonceurs. Le problème n’est plus de « pouvoir » retransmettre un match, mais de le « vouloir ». Le développement de technologies récentes est en effet au cœur du droit de réponse accordé dans les pages d’Al Ahramau directeur 8 de la campagne de la Coupe du monde de l’ART, Yousri Abdel Latif . Selon ce dernier, «la société Infront Sports and Media a acheté les droits de retransmission de la Coupe du monde à la FIFA et a vendu l’exclusivité de 9 la diffusion au Moyen-Orient à l’ART». Et le représentant de la chaîne saoudienne précise : «La FIFA et la société qui détient les droits sont chargées de veiller au respect des limites définies dans les contrats de diffusion, les nouvelles technologies doivent s’y conformer[…]Les matchs seront diffusés sur des chaînes satellites étrangères. Mais elles ne seront pas captées par les téléspectateurs du Moyen-Orient. Cela demande des paraboles immenses et des capteurs très sensibles et très coûteux. Les chaînes allemandes, françaises et anglaises comme la B.B.C. ou TF1 respecteront ces modalités de diffusion. Mais les nouvelles technologies offrent la possibilité de suivre les rencontres 10 par le biais des satellites. » La presse, tout en annonçant au public égyptien que l’ère de la gratuité pour regarder les compétitions sportives de niveaux international et régional était terminée, a clairement désigné le coupable. En l’occurrence, la FIFA qui accroît les tarifs et prive le public de ses « acquis », au nombre desquels figure la possibilité de suivre les compétitions gratuitement. Voilà pourquoi la conférence de la FIFA à Marrakech en septembre 2005 aura connu une couverture exceptionnelle par la presse égyptienne. Achraf Mahmoud, envoyé spécial d’Al Ahram AlArabi, le magazine d’informations del’Ahram, Achraf Mahmoud, voit dans cette conférence «une démonstration de force 11 et un moyen pour la FIFA de montrer ses muscles». De son côté, l’envoyé spécial du quotidienAl Ahram, Ayman Abou Ayed, raconte comment il a mis dans l’embarras le président de la FIFA, Joseph Sepp Blatter, en obligeant celui-ci à revoir sa réponse à une question relative aux «droits des peuples pauvres à regarder le Mondial, sous l’ère du décodage : comment cette intention est-elle compatible avec l’objectif de la FIFA de récolter trois milliards de dollars en 2010, au lieu d’un milliard 750 millions en 2006 ?»,a demandé le journaliste […]Blatter a répondu que l’Afrique regarderait le Mondial 2010 gratuitement, puis il a consulté l’un de ses conseillers[…]et 12 enfin, je n’ai rien compris de sa réponse», a expliqué l’envoyé spécial de Al Ahram. En apprenant la non-retransmission sur les chaînes publiques du Mondial 2006, les Égyptiens ont le sentiment d’être placés devant le fait accompli. Une lueur de révolte se manifeste dans la presse qui
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insiste alors sur la possibilité de regarder les matchs en utilisant la parabole grâce au satellite européen Astra. Il faut toutefois remplir une condition : disposer d’une parabole de 180 centimètres de diamètre ! 13 L’information est reprise parAl Ahram jusque dans le très sérieux éditorial de Mistikawi.
La télévision en Égypte : une fenêtre entrouverte sur le monde
En Égypte comme en France, des chaînes publiques hertziennes, trois nationales et six régionales, cohabitent avec celles qui diffusent sous forme analogique par satellite : au total, on compte 33 chaînes. Auxquelles s’ajoutent, en plus du câble ou des bouquets fournis par des groupes comme ART (10 chaînes de sport actuellement), Al Jazeera Sports, et Orbit, Show Time, dont le financement est assuré par des capitaux arabes du Golfe. Mais la majorité de la population possède une 14 parabole, qu’on appelle familièrement en Égypte «El dèche», à partir d’une déformation de l’anglaisSatellite-Dish. Grâce à la parabole, un certain nombre de chaînes internationales, régionales et locales peuvent être captées gratuitement. Cette parabole s’est fortement démocratisée au fil des dernières années. On peut ainsi recevoir un grand nombre de chaînes publiques égyptiennes diffusées par satellite : chaînes spécialisées comme la chaîne culturelle ou sportive, ou celle de la femme et de l’enfant, ou encore la chaîne d’information. Cela s’explique par l’importance accordée par le pouvoir politique à l’information et à l’audiovisuel. Ainsi, le téléspectateur égyptien était-il jusque-là fort bien loti : il pouvait voir gratuitement un très grand nombre de chaînes égyptiennes, arabes et internationales. Davantage qu’un téléspectateur européen ou nord-américain ! Mais la recomposition du paysage médiatique, qui a coïncidé avec la retransmission du Mondial 2006 de football, a changé la donne. Les dirigeants de l’ART ayant déclaré que l’affaire était bouclée à l’échelle mondiale, et qu’il ne serait plus possible désormais de regarder la compétition sans un abonnement ART, le nombre des abonnés a été multiplié par 10. Ce mouvement a concerné d’abord les particuliers et les commerces. Les cafés et les salons de thé du Caire et d’Alexandrie ont ainsi anticipé l’événement et souscrit des abonnements. Les clubs sociaux et sportifs se sont abonnés à leur tour.Puis, les élus du parlement égyptien ont équipé les écoles. Les QG des partis politiques en campagne électorale, principalement ceux du PND (Parti National Démocrate), le parti au pouvoir, se sont dotés d’écrans géants dans les
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circonscriptions et ont souscrit des abonnements afin de permettre à leur électeurs de regarder les matchs. Mais des poches de résistance se sont formées également parmi les nombreux téléspectateurs détenteurs du système « Dèche » afin de 15 contrer l’hégémonie saoudienne sur le marché audiovisuel égyptien. Pendant la compétition, en effet, des chaînes ukrainienne et italienne ont retransmis quelques matchs, à ceci près qu’il s’agissait des rencontres auxquelles participaient les équipes d’Ukraine et d’Italie. Plus intéressante est la façon dont les téléspectateurs égyptiens ont détourné les chaînes suisses TSR 1 et 2 qui retransmettaient les matchs enchangeant quotidiennement, et parfois deux fois dans la journée, le 16 code « Viaccess » qui permet de les décoder. Les Égyptiens se sont aussitôt mis à s’échanger ces codes par SMS. C’est même devenu un jeu à l’échelle nationale ! Nombreux sont les téléspectateurs qui se sont engagés dans ce mouvement parmi les abonnés d’ART : une manière de protester contre le monopole de la chaîne saoudienne, en suivant l’exemple deshackersde l’Internet ou des utilisateurs des logiciels libres par opposés à Microsoft. Ainsi, les Cairotes ont-ils reçu par SMS les nouveaux codes à installer sur leurs machines pour regarder les matchs chez eux.
La presse donne le « la »
Al Ahram,le 7 juin 2006, deux jours avant le début de la compétition, publie un article intitulé : «Le décodage des matchs de la Coupe du monde contrarie les téléspectateurs arabes et les cafés proposent la formule du “Mondial “». Le journal informe ses lecteurs qu’il est possible de frauder en toute légalité. L’article, non signé, explique où l’on peut trouver des retransmissions gratuites dans l’ensemble du monde arabe, puisque l’exclusivité de l’ART est régionale : «Donc en Egypte, les habitants du Canal de Suez, de Suez, Port-Saïd et Ismaïlia capteront la Coupe du monde gratuitement sur les chaînes israéliennes, chypriotes et grecques grâce à la simple télévision, puisqu’ils sont situés dans les zones de diffusion de ces chaînes. Les Jordaniens, quant à eux, pourront suivre la compétition sur les chaînes palestiniennesdont le nombre avoisine les 20 chaînes et qui ne sont pas 17 non plus sous le mandat de l’ART. » Le même exemple de retransmission transfrontalière s’était produit en France en 1954, lorsque les Français de l’est du pays avaient pu suivre le couronnement d’Elizabeth II d’Angleterre sur les chaînes allemandes. Le phénomène avait eu pour conséquence immédiate le vote d’une loi en France favorable au développement de l’audiovisuel français.
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Dans la même perspective, la presse égyptienne a exercé sa fonction de contrepouvoir et a essayé d’inciter le président égyptien Moubarak à intervenir pour que les matchs de la Coupe du monde 2006 soient retransmis sur les chaînes hertziennes de la télévision égyptienne. Mais ce mouvement n’a guère rencontré de succès. Le nationalisme audiovisuel égyptien, en effet, semble ne plus avoir de complexes vis-à-vis de la diffusion des chaînes étrangères sur son territoire. À la fin des années 1980, l’arrivée de cette parabole dite « Dèche » avait été présentée par le gouvernement comme un signe d’ouverture démocratique. Ce système de réception du satellite a évolué pour devenir, au début des années 2000, un équipement présent dans tous les foyers égyptiens. La version la plus répandue en Égypte était une version gratuite ou à carte, les Égyptiens utilisant la plupart du temps de fausses cartes piratées pour capter les bouquets de chaînes européennes. En 2004, l’installation d’un « Dèche » comprenant le prix du système, plus l’installation, coûtait à une famille aux alentours de 50 18 euros . La plupart des foyers ont adopté ce système qui permettait de capter principalement les satellites européens Astra et Hotbird, le satellite arabe Arabsat, le satellite égyptien Nile-Sat, et d’autres satellites encore comme les satellites turc et israélien. Grâce à ce système, les foyers égyptiens ont pu ainsi pendant des années regarder la totalité des matchs français de la Ligue 1, retransmis instantanément sur les différentes chaînes du bouquet français «Multivision».
Un tournant irréversible
À 15 jours du début de la Coupe du monde 2006, les chaînes françaises TF1 et M6 étaient visibles sans aucune difficulté et n’exigeaient pas d’abonnement spécial. Mais la promesse de l’ART était fondée, et les nouvelles technologies ont montré les limites de ce que beaucoup de gens en Égypte croyaient acquis. Plus aucune de ces chaînes « gratuites » ne pouvait en effet être captée durant la compétition. Cela a sans doute limité le développement du prospère marché égyptien de la parabole « Dèche ». Un marché qui n’avait cessé de croître en raison de l’accord implicite du régime pour laisser faire et laisser passer l’information venant d’autres pays et d’autres télévisions que celles de l’État égyptien, et cela depuis la fin des années 1980. Sans aucun doute pour développer un autre volet de ces nouvelles techniques télévisuelles qui est le câble et les bouquets de chaînes.
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L’Égypte est passée de l’étape de la France d’avant 1981 à la TNT, en sautant l’étape des privatisations (TF1) et celle des chaînes cryptées (Canal+). Aujourd’hui, la retransmission des événements sportifs sur des chaînes cryptées payantes impose le passage par la case Canal+. e C’est la réalité du 21 siècle et le nouveau visage de l’audiovisuel et du sport, de ce qui a été appelé le «Sportainment» (contraction desportet deentertainment). C’est aussi, à l’échelle mondiale, l’étape de TF1, ou de la privatisation de quelques chaînes publiques, de nature à stimuler la concurrence puisque l’audiovisuel est devenu une industrie culturelle prospère grâce au sport, et non plus un simple organe d’information étatique. Mais la privatisation de l’audiovisuel public en Égypte ne semble pas encore à l’ordre du jour, même si le régime égyptien a donné l’impression ou a véritablement cru en cette « révolution des techniques de la télécommunication et nouveaux moyens de communication ». Il a démontré beaucoup de conviction pour que celles-ci deviennent un moteur du développement économique et social. L’Égypte a ainsi lancé dans l’espace son premier satellite, le Nile-Sat 101, en 1998, puis un 19 deuxième, Nile-Sat 102, en 2000 . Aujourd’hui, un foyer sur deux dans les grandes villes égyptiennes possède un récepteur et une parabole de satellite. Ce système est l’équivalent égyptien de la TNT. Jusqu’au début de la Coupe du monde 2006, il permettait de capter les principales chaînes et bouquets européens alors qu’aujourd’hui, il sert principalement à capter les chaînes du satellite égyptien Nile-Sat et du satellite arabe Arab-Sat.
Les priorités d’un État passent avant le Mondial
Si l’on ne doute pas de la sincérité des journalistes et des écrivains qui ont impulsé le débat sur la gratuité, force est de constater que celui-ci a contribué à créer des illusions. Les jeux étaient faits, malgré le régime ou avec son consentement tacite. Le ministre de l’Information, Anas El Fiqi, l’a reconnu : «La somme demandée par la FIFA pour acquérir les droits de diffusion des matchs était exorbitante, et il était préférable de mettre cet argent dans la construction de nouvelles écoles et d’autres projets 20 de développement durable. » Un argument perçu par l’ensemble des citoyens comme raisonnable. Mais, dans le même temps, la télévision 21 égyptienne a débloqué 35 millions d’euros , au minimum, pour produire des feuilletons égyptiens en vue du mois de Ramadan 2007.
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Cet investissement important n’obéissait-il pas également à une logique marchande ? Les feuilletons de Ramadan demeurent la propriété intellectuelle exclusive de la télévision égyptienne qui peut les vendre et les revendre à souhait… A contrario, les matchs de la Coupe du monde demeurent une propriété partagée avec d’autres diffuseurs nationaux ou internationaux et ne laissent pas espérer une « revente ». D’autre part, la rediffusion des matchs de sport n’engendre pas de recettes publicitaires, comme la première diffusion d’un évènement sportif où l’ignorance du résultat constitue une part importante du spectacle. Sous ce point de vue, les feuilletons de télévision sont plus rentables qu’une compétition comme la phase finale du Mondial 2006 à laquelle l’Egypte ne participait pas. Il est en outre impossible au gouvernement de se mettre en valeur à travers des matchs internationaux de football lorsque l’Égypte n’y participe pas, contrairement à son investissement dans la Coupe d’Afrique des Nations (cf. sa stratégie expliquée plus haut). Mais la véritable problématique soulevée par le cryptage des matchs du championnat est que cela entraîne l’afflux de supporters vers les stades. La question devient dès lors politique pour un gouvernement qui n’encourage pas les rassemblements populaires et tend même plutôt à les réprimer. Ainsi, depuis 2004, lederbydu Caire Ahly-Zamalek ne se joue-t-il plus au stade du Caire (74 100 spectateurs), mais au stade de l’académie militaire (28 500 places). Avec pour conséquence une augmentation des tarifs de la billetterie des matchs, notamment ceux de ces deux clubs. Les stades sont, en Égypte, les seuls endroits où le rassemblement de plusieurs milliers de citoyens n’est pas interdit par la loi. Ceci est symptomatique dans un pays où l’état d’urgence a été décrété de 1981 à 2007 – le droit de grève et le droit de manifester sont de nouveau reconnus – et où un terrain de football était et demeure, non seulement une enceinte sportive, mais aussi un lieu d’expression politique. Dernièrement, le meilleur buteur égyptien Abou Trika, en pleine Coupe d’Afrique des Nations, a ainsi exhibé un message de solidarité avec les Palestiniens de la Bande de Gaza, qu’il portait sous le maillot national. L’Égyptien s’intéresse rarement à la politique, mais il s’intéresse 22 toujours au football , qui apparaît comme une véritable religion dans un pays qui n’est pas exportateur de joueurs. On peut y voir une marque de nationalisme, la volonté de conserver et de maintenir des stars du championnat qui revêtent, aux yeux du public, la stature de dieux vivants.
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Conclusion
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Qui va gagner cette bataille engendrée par la mondialisation entre les groupes des médias arabes : le gouvernement, le téléspectateur ou tout simplement le football égyptien ? La conjoncture actuelle oblige l’ensemble de ces acteurs, notamment le gouvernement égyptien, à ne plus pratiquer la politique de l’autruche. Une étude menée à la demande du Conseil des ministres égyptien a montré que 74% des personnes 23 interrogées n’avaient pas suivi les matchs de la Coupe du monde . Cette enquête visait à étudier la possibilité de racheter les droits pour les prochains Mondiaux. Mais si 74% des personnes interrogées n’ont pas suivi la compétition ou l’ont ignorée, c’est d’abord parce que l’Égypte n’y participait pas et parce que les matchs n’étaient pas retransmis gratuitementn
Abou Trika, le joueur offensif de l’équipe égyptienne, fait passer un message politique après un but marqué lors de la CAN2008 (Photo AP).
Notes
1. Hassan El Mistikawi est le chef du service des Sports du quotidien égyptienAl Ah-ram.
2. Édito de Hassan El Mistikawi, «walana moulahaza» (« Nous avons une remarque »), titré «Ala al camar…Astra..!», (« Sur la parabole… Astra ! »), paru àAl Ahram, le 11 mai 2006.
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3. C’est le nom utilisé en Égypte pour désigner l’opération de chiffrage ou de déchif-frage, codage ou décodage, effectuée par un récepteur numérique ou analogique pour permettre ou non de regarder les chaînes en clair.
4. Étoile sportive de Sahel (équipe tunisienne).
5. ART : abréviation de Arab Radio and Television, ensemble de chaînes privées qui forme un bouquet de chaînes satellites qui est aussi présent en Europe et dans le monde, même si ses activités principales restent concentrées dans le monde arabe. Le groupe est de propriété Saoudienne.
6. L’ART (Arab Radio and Television) qui détient les droits exclusifs de la transmis-sion télévisuelle, dans les pays arabes, de la Coupe du monde de football, détient aussi depuis la Coupe d’Afrique de 2004, les droits de la transmission, en arabe et en anglais, de la Coupe d’Afrique pour l’Égypte. Le chef de l’édition française de Nile TV, Nabil El Choubachi, a proposé alors une diffusion en langue française, et puisque le contrat entre la « Confédération africaine de football » et l’ART donnait l’exclusivité de la transmission à ce groupe en arabe et anglais, la télévision égyptienne a signé un contrat complémentaire avec la CAF pour obtenir les droits de transmission en français, si bien que la transmission sur les chaînes égyptiennes s’est faite uniquement en français. Idem pour la version 2008 de la CAF.
7. Nile TV est la deuxième chaîne publique satellite égyptienne, et la première chaîne arabe à diffuser ses programmes en langues étrangères ; anglais, français et hébreu. http://en.wikipedia.org/wiki/Nile_TV.
8. Hassan El Mistikawi, article titré «Suivre les matchs de la Coupe du Monde, et la définition du mot gratuit… !», publié àAl Ahram, le 19 avril 2006.
9.Ibid.
10.Ibid.
11. L’article de Achraf Mahmoud est titré : « Ses limites sont sans limites, et son pouvoir est au-dessus de tous : la FIFA, son accord vaut de l’or et sa colère équivaut au gel et à la suspension »,Al AhramAl Arabi, n°444, 24 septembre 2005.
12. Ayman Abou Ayed, « Les coulisses de ce qui s’est passé à Marrakech ». Parmi les sous-titres : « Le secret de la marginalisation de Ben Haman et Platini » ; « Est-ce que le président de la Fédération dit vrai et on regardera le Mondial d’Afrique du Sud gratuitement ? »,Al Ahram, septembre 2005.
13.Éditorial de Hassan El Mistikawi, «walana moulahaza» (« Nous avons une remarque »), titré «Ala al camar…Astra..!», (Sur la parabole…Astra..!), paru àAl Ahram11 mai 2006.
14. Le nom donné en Égypte à la parabole personnelle.
15. Les chaînes payantes en Égypte appartiennent principalement à des Saoudiens ; l’Orbit appartient majoritairement à des investisseurs saoudiens et l’ART appartient au Saoudien Saleh Kamel. Le bouquet Al Jazeera appartient aux Qataris.
16. Viaccess est un système de codage pour la télévision numérique.
17. Article non signé, paru dans l’Ahramdu 7 juin 2006.
18. Actuellement aux alentours, ou plutôt à partir d’un peu moins de 400 livres égyp-tiennes, selon les statistiques de l’état du monde cela constitue le quart d’un salaire
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égyptien moyen selon le PIB, mais en effet cela va plutôt aux alentours d’un demi-salaire, si l’on compte un salaire moyen qui est de 1 000 livres. Au milieu des années 1990, ce même système – mais les anciens modèles étaient moins performants – coûtait environ 5 000 livres, ce qui constituait à l’époque 10 fois le salaire moyen. Enfin de compte, le prix varient selon le diamètre de la parabole, et la sensibilité du récepteur dit « decoder ».
19. www.nilesat.com.eg/satellite.htm.
20. www.arab-ewriters.com/?action=showitem&&id=2193.
21. www.babnet.net/festivaldetail-8833.asp.
22. Les partis politiques, à l’exception du parti au pouvoir, sont incapables de rassembler dans leursmeetingsun dixième du public moyen au stade du Caire lors d’un match de derbyAhli-Zamalek, ou même plus récemment dans le stade de l’académie militaire.
23. www.idsc.gov.eg/Docs/DocsDetails.asp?rIssueCategory=3&MainIssues=7&DocID =317
Annexe : Le football égyptien, une puissance africaine
1 Considéré comme « le premier sport populaire du pays », le football revêt une importance majeure en Égypte, candidate infortunée à l’organisation de la Coupe du monde 2010. Champion d’Afrique en titre pour la deuxième année consécutive, ce pays – qui est aussi le plus titré avec six victoires au total dans cette compétition continentale – constitue un marché audiovisuel de 72 millions d’habitants. En 2001, 2 on comptait 217 téléviseurs pour 1 000 habitants . L’État y a longtemps dirigé sans partage le sport et sa diffusion, à tel point qu’au milieu des années 1960, le ministre de la Défense de 3 l’époque, le Maréchal Abdel Hakim Amer , qui fut également président de la Fédération égyptienne de football de 1958 à 1966, décidait sans contestation possible de l’interdiction des transferts de joueurs entre les clubs du championnat pendant plusieurs saisons. Plus récemment, l’Égypte s’est pliée à la décision de l’ancien premier ministre Kamal El 4 Ganzouri de placer la Fédération de football sous sa tutelle. La fragile réputation de l’Égypte sur le plan footballistique tient peut-être aussi à sa participation très occasionnelle à la Coupe du monde (sa dernière 5 participation remonte à 1990 et la précédente à 1934 ) et au système inégalitaire de qualification entre les continents. Le championnat égyptien est pourtant très compétitif, malgré 6 7 un monopole presque exclusif de deux clubs, Ahli et Zamalek , qui détiennent aussi le palmarès des équipes les plus titrées au niveau africain, au niveau de la Ligue des Champions africaine avec cinq
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