Pour une déconstruction de la « diversité culturelle »
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La notion de « diversité culturelle » a, pour elle, l’attrait de l’apparente évidence. Comment pourrait-on être contre le pluralisme qu’elle implique ? Attrayante, la notion n’en pose pas moins problème en raison de sa polysémie. Ne permet-elle pas de légitimer tour à tour et les politiques publiques destinées à promouvoir une certaine pluralité culturelle et les stratégies des firmes globales de la communication oeuvrant au nom d’un accroissement de la palette des choix des consommateurs ? D’où la nécessité de considérer la notion de « diversité culturelle » non comme donnée, allant de soi, mais comme construite, évoluant au cours du temps, en fonction du contexte politique, économique et intellectuel. L’objectif de la présente contribution est ainsi de déconstruire cette notion. Pour cela, nous proposons un parcours théorique éclairant les transformations qui se sont opérées, depuis les années soixante-dix, dans les façons de penser les différentes formes de diversité culturelle ". Tristan Mattelart - Institut français de presse - Université Paris II.

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Publié le 30 septembre 2011
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Langue Français

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Observatoire des mutations des industries culturelles Réseau international de chercheurs en sciences sociales Série : « Perspectives transversales » Pour une déconstruction de la « diversité culturelle » Tristan Mattelart Institut français de presse - Université Paris II
   Ce texte a été publié pour la première fois sur le site de l’OMIC en janvier 2007 dans le cadre du programme de recherche « La diversité dans les filières d’industries culturelles ». Pour citer ce texte : Auteur, <« Titre du texte »>, Observatoire des mutations des industries culturelles [En ligne], mis en ligne le <Date de mise en ligne>. URL : <URL de l’article>. Consulté le <Date de consultation>. Tous les articles originaux du site sont publiés sous licence Creative Commons. Vous êtes libres de les reproduire, de les distribuer et de les communiquer au public, sous réserve du respect des conditions de paternité, de non-utilisation commerciale et de non-modification. Plus d’informations sur le site www.creativecommons.org.  
Pour une déconstruction de la « diversité culturelle »   Tristan Mattelart La notion de « diversité culturelle » a, pour elle, l’attrait de l’apparente évidence. Comment pourrait-on être contre le pluralisme qu’elle implique ? Attrayante, la notion n’en pose pas moins problème en raison de sa polysémie. Ne permet-elle pas de légitimer tour à tour et les politiques publiques destinées à promouvoir une certaine pluralité culturelle et les stratégies des firmes globales de la communication œuvrant au nom d’un accroissement de la palette des choix des consommateurs ? D’où la nécessité de considérer la notion de « diversité culturelle » non comme donnée, allant de soi, mais comme construite, évoluant au cours du temps, en fonction du contexte politique, économique et intellectuel. L’objectif de la présente contribution est ainsi de déconstruire cette notion. Pour cela, nous proposons un parcours théorique éclairant les transformations qui se sont opérées, depuis les années soixante-dix, dans les façons de penser les différentes formes de diversité culturelle. 1. LA DÉFENSE DE L’« AUTONOMIE CULTURELLE » Le parcours proposé débute avec l’économie politique critique de la communication. L’économie politique critique a en effet été, comme le rappelle Armand Mattelart dans son ouvrage Diversité culturelle et mondialisation, l’un des premiers lieux à partir desquels des chercheurs ont souligné le 1besoin, pour préserver la diversité culturelle, de mener des politiques publiques de communication. Les travaux de l’économie politique critique vont, dès la fin des années soixante, mettre à nu l’existence d’un système transnational des médias et montrer comment celui-ci s’articule avec le système-monde d’une économie capitaliste que l’on ne nomme pas encore globale. Les recherches critiques replacent les processus d’internationalisation des médias dans le cadre des rapports de domination qui affectent la planète : elles décryptent les relations d’inégalité qui traversent le système transnational, démontant les rouages de l’hégémonie qu’y exercent les multinationales de la communication occidentales. Celles-ci sont largement décrites, avec leurs relais nationaux, comme enveloppant les populations du monde dans une culture globale de la consommation, avec toutes ses déclinaisons locales. Les multinationales de la communication sont considérées, à ce titre, dans ces travaux, comme des agents majeurs de l’intégration des sociétés nationales dans l’économie capitaliste mondiale2. L’internationalisation des médias est dans cette perspective porteuse pour les pays de la périphérie de différents ordres de dépendance économique bien sûr, mais aussi politique et culturelle, à l’égard des acteurs dominants du système global.                                                                           1 Mattelart Armand, Diversité culturelle et mondialisation, Repères-La Découverte, Paris, 2007 (1ère édition en 2005). 2 Voir en particulier Schiller Herbert I., Communication and Cultural Domination, International Arts and Sciences Press Inc., White Plains, 1976, et Mattelart Armand, Multinationales et systèmes de communication. Les appareils idéologiques de l’impérialisme, Anthropos, Paris, 1976.  3 
Pour une déconstruction de la « diversité culturelle »   Tristan Mattelart L’économie politique critique ne se penche pas seulement sur les mécanismes de sujétion que recèle le système transnational, largement commercial, des médias pour les sociétés qui y sont soumises, mais va réfléchir également aux moyens qui peuvent être mis en œuvre pour y échapper. Dans cet objectif, les chercheurs critiques vont proposer des concepts qui vont être centraux pour penser les phénomènes d’internationalisation des médias : identité culturelle (qu’il s’agit de défendre), identité nationale, culture nationale… Ainsi Kaarle Nordenstreng et Herbert I. Schiller font-ils de la protection de la « souveraineté nationale » une question centrale de l’étude de la communication internationale. Cees J. Hamelink place, lui, la préservation de l’« autonomie culturelle » au premier rang de l’agenda des recherches critiques3. Pour pleinement comprendre l’enjeu que représentent ces travaux, il faut prendre en compte le contexte dans lequel ils apparaissent — celui des décolonisations et des efforts entrepris par les pays nouvellement décolonisés afin de promouvoir certaines formes d’indépendance culturelle. Afin de prémunir les médias du Tiers Monde d’une concurrence internationale inégale, et leur permettre de jouer un rôle favorable dans le développement socioéconomique, les chercheurs critiques vont de cette façon mettre en avant la nécessité pour ces pays d’élaborer des politiques publiques nationales en ce domaine. L’agenda de l’UNESCO pendant les années soixante-dix se fera l’écho des préoccupations des chercheurs critiques : en témoignent les différentes conférences intergouvernementales qu’organise, pendant cette décennie, cette institution sur le thème des politiques nationales en matière de moyens de communication. La notion de diversité culturelle n’est alors, bien entendu, pas utilisée systématiquement par les recherches critiques. L’on voit néanmoins bien comment ces travaux ont pu servir de socle à une des acceptions contemporaines de la diversité culturelle. Ici, la diversité culturelle renvoie à la nécessaire préservation de la pluralité des expressions culturelles, mise sous tension par les logiques d’internationalisation et de commercialisation des médias. 2. LE PROTECTIONNISME COMME APPAUVRISSANT LOFFRE CULTURELLE Ces thèses de l’économie politique critique vont être, dès les années soixante-dix, âprement discutées. Le plus célèbre pourfendeur de ces thèses est le chercheur américain Ithiel de Sola Pool, qui considère les chercheurs critiques comme autant de « cultural nationalists ». Au cœur de l’argument d’Ithiel de Sola Pool, il y a la conviction du caractère néfaste de toute politique protectionniste en                                                                           3 Nordenstreng K. et Schiller H. I. (Eds.), National Sovereignty and International Communication, Ablex, Norwood, 1979 ; Hamelink Cees J., Cultural Autonomy in Global Communications. Planning National Information Policy, Longman, New York, 1983.  4 
Pour une déconstruction de la « diversité culturelle »   Tristan Mattelart matière culturelle. Ses idées méritent un petit détour, car elles reviennent sur le devant de la scène académique aujourd’hui, avec les écrits sur la mondialisation. Toute culture, avance Ithiel de Sola Pool dans ses textes de la fin des années soixante-dix, est le produit d’interactions culturelles, d’enrichissements culturels grâce à l’importation d’éléments étrangers dans la culture nationale. Il existe un « cycle de diffusion culturelle » : les éléments culturels étrangers sont en effet progressivement intégrés par les cultures nationales4. Ithiel de Sola Pool raisonne plus particulièrement à partir de l’exemple de la télévision. Le petit écran est, dans les pays du Tiers Monde, explique-t-il, pendant la deuxième moitié des années soixante-dix, largement dans la première phase du cycle de diffusion culturelle. Ces pays n’ont pas encore acquis un savoir-faire propre, et ne sont pas, en tout cas, en mesure de produire tous leurs programmes, ils ont donc besoin d’en importer, en grand nombre. Cette première phase est naturellement marquée par une forte domination des programmes américains. Pourquoi américains ? Parce que ces programmes sont issus d’un système commercial concurrentiel, tout entier voué à produire et à diffuser des contenus plébiscités par les téléspectateurs. Dans la deuxième phase de ce cycle de diffusion culturelle appliqué à la télévision, les producteurs nationaux vont apprendre, grâce à l’exemple des programmes importés, à développer leurs propres programmes nationaux. Les émissions étrangères, loin de mettre en péril la création nationale, servent, selon ce raisonnement, de facteur d’émulation, ou mieux, de modèle pour la production de programmes nationaux. Programmes nationaux qui, à l’issue de la deuxième phase de ce cycle, seront en mesure de regagner leur public national, voire, même, de conquérir un public international. L’on comprend alors qu’Ithiel de Sola Pool soit extrêmement hostile à l’égard des mesures protectionnistes. « La culture n’a en général pas besoin de protection », écrit-il. Une politique nationale de communication qui prendrait des mesures protectionnistes ne pourrait qu’aboutir à une production culturelle médiocre puisqu’elle n’aurait pu profiter de l’émulation que constituent les programmes importés. Contre les thèses de l’économie politique critique, Ithiel de Sola Pool développe donc une argumentation qui in fine fait l’apologie du modèle télévisuel commercial américain et du libre-échange en matière culturelle. Seul le libre-échange des biens culturels, à ses yeux, permettra de satisfaire les attentes des consommateurs. Dans cette perspective, les politiques de la diversité culturelle proposées par les chercheurs critiques sont nécessairement considérées comme conduisant à un appauvrissement de l’offre culturelle et à une réduction des choix culturels pour les consommateurs.                                                                           4 Pool I. de Sola, « The changing flow of television », Journal of Communication, vol. 27, n°2, 1977, p. 142-144.  5 
Pour une déconstruction de la « diversité culturelle »   Tristan Mattelart 3. LA CONSOMMATION, LIEU DE PLURALISME CULTUREL Dans les années quatre-vingt, une mutation importante dans la perception du lieu de production de la diversité culturelle va s’opérer. Autant avec les chercheurs critiques cette diversité s’incarnait dans des politiques nationales volontaristes, autant, pendant cette décennie, va se répandre l’idée que l’un des principaux lieux de production de la diversité culturelle est la consommation. Ce déplacement est largement lié au développement des recherches sur la réception de la télévision. L’un des travaux les plus représentatifs de ces recherches est bien entendu celui qu’Elihu Katz, grande figure des Uses and Gratifications, mène pendant les années quatre-vingt, avec sa collègue Tamar Liebes, sur la réception interculturelle de Dallas, qui aboutira à la publication, en 1990, de leur ouvrage : The Export of Meaning. Leur objectif, tel qu’il est défini dans l’avant-propos du livre, est d’invalider, à partir de l’instance de la réception, les théories de l’économie politique critique en montrant comment les populations du monde résistent aux contenus idéologiques véhiculés par les programmes américains. Ils montrent, en travaillant sur diverses populations en Israël, combien la réception d’une fiction comme Dallas, alors emblématique de la domination exercée par les produits culturels américains sur le marché mondial, est marquée par une variété de lectures. D’une culture à l’autre, analysent-ils, les modes de réception du programme et de résistance à son égard sont très différents. Si des programmes comme Dallas « peuvent diffuser un message homogène dans le village global », écrivent Elihu Katz et Tamar Liebes, « il y a néanmoins pluralisme dans le décodage5 » Leur argument va être repris par John Fiske qui se réclame, lui, des Cultural Studies. Son ouvrage-clef, Television Culture, publié en 1987, est également emblématique de ce déplacement du lieu de production de la diversité culturelle. À la base du raisonnement de John Fiske, il y a une distinction entre les programmes de télévision et les textes télévisuels. Le programme de télévision étant produit par le producteur de télévision, le texte télévisuel étant lui une combinaison de codes que doit décoder le lecteur-téléspectateur : le texte télévisuel est ainsi produit par le téléspectateur. Cette distinction invite l’auteur à renverser totalement la façon de penser les effets de l’internationalisation des images télévisées. John Fiske en convient, Hollywood et quelques grands pays européens dominent le commerce international de programmes de télévision. Mais peut-on pour autant, s’interroge-t-il, considérer qu’il y a homogénéisation culturelle sous la force de la circulation de ces programmes ? Non, répond-il : si un nombre restreint de fictions hollywoodiennes dominent effectivement le marché international, les lectures qui en sont faites par les populations du monde                                                                           5 Liebes Tamar et Katz Elihu, The Export of Meaning. Cross-Cultural Readings of Dallas, Oxford University Press, New York, 1990, p. 152.  6 
Pour une déconstruction de la « diversité culturelle »   Tristan Mattelart sont, elles, en revanche très diverses. Et John Fiske de citer les conclusions de l’étude d’Elihu Katz et Tamar Liebes sur Dallas6. La domination par Hollywood du commerce des images ne produit donc pas de l’homogénéisation culturelle. Bien au contraire, argumente-t-il, les impératifs de l’exportation obligent les entreprises hollywoodiennes à produire des fictions largement polysémiques qui, en tant que telles, généreront une plus grande variété de lectures que ne pourraient susciter des fictions nationales ! Le renversement de perspective qu’opère John Fiske va plus loin. La distinction qu’il établit entre programmes et textes télévisuels l’invite de fait à déconstruire la notion même de programme « national ». Une fiction dite « étrangère » peut de fait être lue par certains téléspectateurs d’un pays donné comme étant plus proche culturellement de leurs réalités qu’une fiction nationale. À l’appui de sa thèse, John Fiske met en avant la manière dont Miami Vice (Deux flics à Miami) offre, selon lui, dans les années quatre-vingt, à certains téléspectateurs australiens un cocktail de sons et de plaisirs qui est plus pertinent que celui que peut offrir un programme « national ». Miami Vice met l’accent sur une société consumériste, hédoniste, avec drogues, sexe, sensualité, rock et société multiraciale. L’univers que propose la série hollywoodienne à l’attention des jeunes Australiens est alors davantage en consonance avec leurs réalités que l’univers que présentent les fictions australiennes — des fictions qui, à en croire John Fiske, ont, dans la décennie quatre-vingt, un grand penchant pour la mise en scène d’immigrants britanniques, blancs, venus s’installer en Australie pour y bâtir une société nouvelle. On voit bien avec cet argument extrême le problème que pose le fait de penser la diversité culturelle en privilégiant l’instance de la consommation : le problème de l’offre devient alors secondaire, ce qui relativise le besoin de défendre les industries culturelles nationales. La situation n’est ainsi pas, dans ces années quatre-vingt, sans être paradoxale. Au moment même où, sous l’effet des politiques de déréglementation et de la montée en puissance des logiques de commercialisation et d’internationalisation qu’elles impliquent, le système transnational n’a jamais été aussi développé, émergent des analyses tendant à relativiser la nature des défis que peut représenter la croissante circulation internationale des contenus culturels pour les cultures nationales. 4. UN SYSTEME GLOBAL « FLEXIBLE » Dans ce contexte de la fin des années quatre-vingt, plusieurs nouvelles ruptures vont se produire dans la façon d’appréhender la diversité culturelle. Rupture d’importance, le système capitaliste                                                                           6 Fiske John, Television Culture, Routledge, Londres, 1987, p. 319-323.  7 
Pour une déconstruction de la « diversité culturelle »   Tristan Mattelart mondial, et partant le système transnational des médias, qui tendait à être vu par l’économie politique critique comme porteur de logiques d’homogénéisation culturelle, va, de plus en plus, être représenté comme générateur, à l’inverse, de diversité culturelle, même si placée sous le signe de la marchandisation. L’un des principaux livres à l’origine de cette rupture est celui du géographe britannique David Harvey, The Condition of Postmodernity, publié en 1989. L’hypothèse centrale que formule l’auteur est que les mutations que connaît le système capitaliste mondial depuis le choc pétrolier de 1973 ont eu 7dimportantes répercussions sur la condition culturelle contemporaine. Au système capitaliste « fordiste », multinational, explique David Harvey, succède, depuis le début des années soixante-dix, un système capitaliste « post-fordiste », plus global. Le système capitaliste fordiste était caractérisé par une production et une consommation de masse. Le système capitaliste post-fordiste est caractérisé, lui, par sa « flexibilité », par sa capacité à épouser la segmentation des marchés, à satisfaire les attentes spécifiques des consommateurs et à répondre au caractère plus éphémère des modes. Or, explique David Harvey, à chaque ordre capitaliste déterminé correspond un ordre politique et social particulier qui est, aussi, un ordre culturel particulier. Au sein du capitalisme « fordiste » s’était développé un ordre culturel « standardisé », largement commercialisé qui avait pour mission, à travers les médias et la publicité, d’assurer la correspondance entre la production et la consommation de masse. Au sein du capitalisme « flexible » s’est développé un nouvel ordre culturel encore plus commercialisé que le précédent qui joue toujours un rôle essentiel de correspondance entre la production et la consommation, mais qui, à la différence du précédent, n’est plus considéré comme créant de la standardisation culturelle. Ne s’efforce-t-il pas de toucher des segments de marché toujours plus précis, de coller aux attentes de plus en plus spécifiques des consommateurs, en permanente mutation ? Au sein du système capitaliste fordiste, les médias étaient perçus comme produisant de la standardisation culturelle. Avec l’avènement d’un capitalisme plus « flexible », les médias vont être considérés comme engendrant, pour résumer, cet univers de différence et de fragmentation culturelle qui caractériserait la condition postmoderne. L’émergence de cette culture postmoderne ne s’accompagne cependant pas d’une diminution du « corporate power », bien au contraire. La déréglementation qui a accompagné la montée en puissance du nouvel ordre capitaliste flexible s’est de cette façon, note David Harvey, traduite par l’accentuation des logiques de concentration à une échelle globale.                                                                           7 Harvey David, The Condition of Postmodernity. An Enquiry into the Origins of Cultural Change, Basil Blackwell, Londres, 1989.  8 
Pour une déconstruction de la « diversité culturelle »   Tristan Mattelart Les thèses du géographe vont exercer une grande influence dans le monde académique anglo-saxon et nourrir, en particulier, la pensée de Stuart Hall, figure majeure des Cultural Studies britanniques. Les logiques de flexibilité invitent celui-ci à penser les effets de la « culture de masse globale » sous le signe de la « contradiction ». Bien sûr, argumente-t-il dans plusieurs articles écrits à la fin des années quatre-vingt ou au début des années quatre-vingt-dix, la culture de masse globale est porteuse « d’homogénéisation des formes de représentation culturelles », dominée qu’elle est par les technologies, les capitaux, les agents et l’imaginaire des sociétés occidentales. Mais, dans le contexte du capitalisme « post-fordiste », estime Stuart Hall, « l’homogénéisation n’est jamais absolue », tant le « pouvoir économique », aussi concentré soit-il, nécessite de vivre « culturellement au travers de la différence », voire de « la prolifération de la différence », pour mieux toucher ses consommateurs8. Aux travaux de l’économie politique critique s’inquiétant des menaces d’homogénéisation culturelle que recèle le système transnational des médias, se substituent ainsi de plus en plus, depuis la fin des années quatre-vingt, des analyses percevant celui-ci comme générant aussi, au moins en partie, de la diversité culturelle. 5. LA CULTURE ET LIDENTITÉ NATIONALES EN QUESTION Autre changement théorique de taille : la déconstruction des notions de culture et d’identité nationales qui étaient au cœur de l’édifice théorique de l’économie politique critique de la communication. La défense des cultures nationales était, dans les années soixante-dix, dans le contexte des lendemains de luttes de libération nationale, vue comme un gage de diversité culturelle. Les notions de culture et d’identité nationales sont, depuis la fin de la décennie quatre-vingt, largement perçues, à l’inverse, dans nombre de travaux, comme étouffant la diversité culturelle. Les notions d’identité et de culture nationales, explique Stuart Hall dans plusieurs textes de cette époque, ont pendant trop longtemps été considérées comme définies a priori, une fois pour toutes. Or, ces notions doivent être perçues comme des productions idéologiques ayant pour vocation d’absorber les différences qui composent la nation — qu’elles soient de classe, de sexe, ethniques ou régionales —, afin de présenter celle-ci comme « une entité homogène », ce qu’elle n’est pas. Les phénomènes de mondialisation invitent néanmoins à repenser la nature des identités et des cultures nationales. Les logiques d’interdépendance économique, en abaissant les frontières, fragilisent « l’État-nation et les identités nationales qui lui sont associées » ; les croissants flux d’immigration introduisent du désordre dans les représentations identitaires nationales ethniquement                                                                           8 Hall Stuart, « The local and the global : Globalization and ethnicity », in King Anthony D. (Ed.), Culture, Globalization and the World-System. Contemporary Conditions for the Representation of Identity, University of Minnesota Press, Minneapolis, 1997 (1ère édition en 1991), p. 19-39.  9 
Pour une déconstruction de la « diversité culturelle »   Tristan Mattelart homogènes ; l’avènement d’une « culture de masse globale » invite à mieux appréhender les interactions qui existent entre celle-ci et les cultures locales. Les processus de mondialisation forcent alors à davantage prendre en compte les influences extérieures qui alimentent les identités culturelles. Stuart Hall en appelle de cette façon à penser les identités culturelles comme « n’étant pas définies une fois pour toutes, […] comme étant toujours en formation […], en construction9 », comme se redéfinissant en permanence sous la pression des contacts avec les flux culturels transnationaux. L’auteur incite à cet égard à davantage reconnaître les différences dont se nourrissent les identités et les cultures nationales, leur intrinsèque « hétérogénéité », « diversité », « hybridité10 ». Cette reconceptualisation des notions d’identité et de culture par les Cultural Studies converge avec celle qui est à l’œuvre dans un autre champ dans les pays anglo-saxons, celui de l’anthropologie. L’un de ceux qui opèrent, au sein de ce champ, ce travail de révision théorique est l’anthropologue américain James Clifford qui a publié, en 1988, un livre au titre explicite : Malaise dans la culture (The Predicament of Culture). « La culture est une idée compromise », va-t-il jusqu’à écrire. Elle est compromise parce qu’elle a été trop souvent pensée sous le signe de l’authenticité. Or, explique James Clifford, le monde moderne est un « monde d’interconnexions », où il ne peut y avoir de culture authentique. Dans ce monde, les cultures ne peuvent être que le fruit de « mélanges », elles ne peuvent être qu’hybrides, ou encore « syncrétiques11 ». Cette théorisation « syncrétique » des identités et des cultures va avoir de profondes répercussions sur les manières de penser les conséquences culturelles de l’internationalisation ou de la mondialisation des médias. Tant que les cultures étaient conçues comme des entités homogènes, au haut degré de cohérence, les logiques d’internationalisation ou de mondialisation ne pouvaient être perçues que comme ayant des influences profondément déstructurantes. Avec l’adoption d’une conception plus syncrétique de la culture, les flux transnationaux vont être vus moins comme des menaces pour les cultures locales que comme des apports extérieurs contribuant à leur recomposition. Différents termes vont être proposés par divers anthropologues pour rendre compte des processus d’interaction créatrice que provoquent, au niveau local, les flux culturels transnationaux. Les flux                                                                           9 Hall Stuart, « Old and new identities, old and new ethnicities », in King Anthony D. (Ed.), Culture, Globalization and the World-System, op. cit., p. 41-68. 10 Hall Stuart, « Cultural identity and diaspora », in Rutherford Jonathan (Ed.), Community, Culture, Difference, Lawrence and Wishart, Londres, 1990. 11 Clifford James, Malaise dans la culture. L’ethnographie, la littérature et l’art au XXème siècle, École nationale supérieure des Beaux-arts, Paris, 1996, p. 13-24. (Traduction de : The Predicament of Culture, Harvard University Press, 1988.)  10 
Pour une déconstruction de la « diversité culturelle »   Tristan Mattelart culturels transnationaux vont être ainsi décrits tour à tour par Arjun Appadurai, Ulf Hannerz ou Nestor García Canclini comme « indigénisés », « créolisés » par les cultures locales, ou comme participant à leur « hybridation12 ». L’économie politique se penchait sur les dangers d’homogénéisation culturelle dont sont porteurs les flux médiatiques transnationaux. Les nouveaux regards impulsés par les Cultural Studies et l’anthropologie présentent les flux transnationaux circulant en temps de mondialisation comme produisant, au contraire, de la diversité culturelle, par appropriation. L’État avait, dans les travaux de l’économie politique critique, un rôle essentiel à jouer, à travers en particulier les politiques de communication nationales, dans la structuration d’un environnement garantissant la diversité culturelle. Ce même État est perçu avec beaucoup de méfiance par ces travaux des Cultural Studies et de l’anthropologie qui tendent à préférer la figure de la circulation transnationale, porteuse d’interactions créatives, à la figure de l’État, porteur de nationalisme culturel. 6. LA MONDIALISATION, FERMENT DE DIVERSITÉ CULTURELLE Dans le contexte et de ces travaux et de la montée en puissance du thème suite aux négociations du GATT, de l’OMC et de l’UNESCO, certains économistes vont, à leur tour, à l’instar de l’économiste américain Tyler Cowen, à partir de la fin des années quatre-vingt-dix, se saisir de la question de la diversité culturelle. Les travaux de Tyler Cowen, qui s’en prennent explicitement aux recherches menées par l’économie politique, font clairement écho aux thèses développées par Ithiel de Sola Pool, même s’ils ignorent les écrits de ce chercheur. Cet auteur partage en tout cas avec Ithiel de Sola Pool son aversion des politiques volontaristes en matière culturelle : il est, aux États-Unis, connu pour ses prises de position contre ce qu’il nomme les politiques « nationalistes » de la culture menées par les pouvoirs publics français. Contre les chercheurs critiques, soupçonnés de considérer que « la technologie moderne et les médias corrompent la culture », Tyler Cowen loue dans son ouvrage In Praise of Commercial Culture, paru en 1998, la capacité de l’économie de marché capitaliste à assurer, en particulier dans les secteurs du cinéma et de la musique, tant la « diversité » que la « vitalité » de la production culturelle13.                                                                           12 Hannerz Ulf, « Notes on the Global Ecumene », Public Culture, vol. 1, n°2, 1989, reproduit in Sreberny-Mohammadi Annabelle et al. (Eds.), Media in Global Context. A Reader, Arnold, Londres, 1997, p. 11-18 ; Appadurai Arjun, Modernity at Large. Cultural Dimensions of Globalization, University of Minnesota Press, Minneapolis, 1996 ; García Canclini Nestor, Culturas híbridas. Estrategias para entrar y salir de la modernidad, Grijalbo, Mexico, 1990. 13 Cowen Tyler, In Praise of Commercial Culture, Harvard University Press, Cambridge, 1998, p. 8-11, 22.  11 
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