A quoi sert une thèse ? Petite réflexion d’un doctorant en mal de reconnaissance. Par Laurent Jourdaa. C’est une question naturelle que doit se poser toute personne souhaitant se lancer dans cet exercice difficile mais enrichissant intellectuellement et qui relève du défi, un peu comme le sportif (pour prendre une image) qui chercherait à signer un exploit marquant l’Histoire. Ainsi, d’illustres personnages ne se sont-ils pas fait une renommée grâce avant tout à leur travaux de doctorat ? Quid à ce sujet des Kant, Gény, Calvin ou Einstein ? C’est donc souvent avec fierté qu’un thésard, un doctorant annonce sa réussite à ses proches ou amis en leur indiquant qu’il fait une thèse sur un sujet X (donc spécialisé dans un domaine très précis de l’ensemble des sciences étudiables) et que celle-ci va lui permettre de lui ouvrir des perspectives de carrière intéressantes au niveau professionnel avec tout le prestige qui peut en découler. Mais est-ce la réalité ? C’est oublier que le parcours du doctorant, avant tout un pur chercheur sans forcément devenir un véritable « rat de laboratoire », un prospecteur d’idées (quel que soit le domaine concerné) est souvent semé d’embuche et entouré d’incertitudes voire de doutes. Certes la réussite du doctorat clôture la vie universitaire par le fait qu’il constitue le plus haut diplôme délivré par une université ou une grande école mais est-il synonyme de réussite professionnelle voire de réussite tout court ?
A quoi sert une thèse ? Petite réflexion dun doctorant en mal de reconnaissance.
Par Laurent Jourdaa.
Cest une question naturelle que doit se poser toute personne souhaitant se lancer dans cet exercice difficile mais enrichissant intellectuellement et qui relève du défi, un peu comme le sportif (pour prendre une image) qui chercherait à signer un exploit marquant lHistoire. Ainsi, dillustres personnages ne se sont-ils pas fait une renommée grâce avant tout à leur travaux de doctorat ? Quid à ce sujet des Kant, Gény, Calvin ou Einstein ? Cest donc souvent avec fierté quun thésard, un doctorant annonce sa réussite à ses proches ou amis en leur indiquant quil fait une thèse sur un sujet X (donc spécialisé dans un domaine très précis de lensemble des sciences étudiables) et que celle-ci va lui permettre de lui ouvrir des perspectives de carrière intéressantes au niveau professionnel avec tout le prestige qui peut en découler. Mais est-ce la réalité ? Cest oublier que le parcours du doctorant, avant tout un pur chercheur sans forcément devenir un véritable « rat de laboratoire », un prospecteur didées (quel que soit le domaine concerné) est souvent semé dembuche et entouré dincertitudes voire de doutes. Certes la réussite du doctorat clôture la vie universitaire par le fait quil constitue le plus haut diplôme délivré par une université ou une grande école mais est-il synonyme de réussite professionnelle voire de réussite tout court ? Tout homme qui porte en lui lhumaine condition, pour reprendre les propos de Montaigne, nest pas jugé que sur ses qualités intellectuelles à réaliser une uvre que lon peut qualifier duvre de lesprit et qui sera lue et critiquée par de doctes savants mais qui naura plus de valeur 10 ans plus tard dans une société mondialisée qui évolue aujourdhui de plus en plus vite avec les nouveaux moyens de communications et les nouvelles technologies et dont les travaux doivent être sans cesse novateur surtout dans des domaines comme la médecine, la physique ou les métiers dingénieurs. Il faut se poser donc la question de lutilité de faire une thèse qui peut être motivée soit par une recherche personnelle dun bonheur ou dun plaisir comme il en existe tant dautres sur cette terre soit pour relever un défi, celui de se surpasser pour susciter ladmiration des autres ce à quoi lHomme aspire depuis la naissance de lHumanité soit enfin pour permettre de clôturer un cycle détude sans laisser derrière lui un gout dinachevé. Il sagit, en somme, ici dune recherche de la perfection. Boileau ne disait-il pas de « remettre sans fois sur le métier son ouvrage ». En somme, un doctorant ne saurait apparaitre maintenant aux yeux de tous que comme un hédoniste voire masochiste ou mégalomane, arriviste, fétichiste. Bref, rien qui ne contribue aux yeux des autres à lui donner une meilleure image.
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Qui sont les autres ? Lenfer disait Sartre. Pour le doctorant, cest un peu la même chose même si lui aussi en devient un pour ses proches qui doivent constamment le soutenir dans ce long parcours, ce dédale obscur où la solitude est pesante et le combat contre soit est chaque jour mentalement épuisant. Mais tout ça pour quoi ? Une étude récente menée par le journal « Le Monde » (mars 2011) montre que le doctorat ne facilite pas nécessairement lintégration plus rapide du « jeune docteur » sur le marché du travail. En effet, ce constat est flagrant pour les diplômés dans les sciences dites humaines (comme le Droit ou léconomie) car dans les sciences dites « dures » (comme la physique ou la médecine), la thèse garde un coté pratique et novateur puisquelle peut permettre de dégager une solution pouvant conduire à une applicabilité dans un domaine pointu de certaines sciences comme la médecine par exemple. Dans ce cas, la thèse aura un impact important sur la carrière du futur chercheur car avant tout le but dun travail de recherche est dapporter des solutions concrètes aux problèmes contemporains et faire évoluer la science et la société de manière positive. « Science sans conscience nest que ruine de lâme » affirmait Rabelais. Une thèse est donc un ouvrage avant tout scientifique mais est-ce aussi une uvre artistique comme laffirme M. Beaud dans lart de la thèse (ouvrage de méthodologie). « Jus es ars aequi et boni » nous dit ladage juridique. uvre artistique car cest une uvre de lesprit protégée comme pour les ouvrages par les dispositions du code de la propriété intellectuelle et soumise aux droits dauteur si celle-ci est publiée ou aux règles du copyright si elle est diffusée sur support électronique, ce qui semble de plus en plus privilégié afin de permettre une plus grande connaissance et lisibilité des travaux menés par le doctorant durant de longue année sur un sujet très précis. Artistique, aussi car elle fait appel à la technique de lart oratoire où durant la soutenance, le doctorant doit défendre ses idées face au jury. Mais la frontière entre scientifique et artistique est difficile à définir sagissant dun écrit qui peut varier en contenu, en taille selon le domaine. Ainsi, peut-on dire quune thèse de droit par exemple est moins scientifique car moins concrète au premier abord quune thèse de médecine. Pourtant à comparer les deux, on y retrouve des similitudes : un sujet souvent précis, une problématique et des hypothèses de recherches qui permettent lélaboration dun plan structuré répondant à la problématique. Bien que la qualité des travaux menés dans ses deux domaines parfois est souvent indéniable, aux yeux du grand public et notamment des profanes, lutilité dune thèse portant sur un domaine rationnel tel la médecine est plus perceptible que pour une thèse de Droit, domaine où les hypothèses de recherches et les questionnements abordées ne permettent pas dapporter des réponses exactes à des phénomènes dits « sociaux ».
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Est-il alors plus prestigieux et plus cohérent dans lesprit et la conscience collective de soutenir une thèse de doctorat dans un domaine porteur c'est-à-dire celui des sciences rationnelles qui appellent à de nombreuses découvertes pouvant savérer capitales dans un avenir proche. Le but de toute société étant de tendre avant tout vers le progrès technologique plus que vers lhumanisme. Cest ce quen tout cas répondront les esprits matérialistes et positivistes en suivant les préceptes du philosophe A. Comte. Une thèse est donc avant tout une uvre immatérielle devant trouver une application concrète dans un domaine pratique. Le Droit fait-il exception à ce principe par rapport aux domaines dits « plus scientifiques ». Dailleurs, ce dernier est un peu le parent pauvre des sciences car par exemple, il nexiste pas de prix Nobel pour les juristes. Pourtant, la scientificité de cette discipline est indéniable quand on observe le processus de création des normes au sein des institutions qui sont de véritables « machines à fabriquer » du Droit. Par ailleurs, les juristes ne sont-ils pas ce que les chirurgiens sont à la médecine, c'est-à-dire des « réparateurs du Droit » ? Le Droit est certes une science qui nest pas exacte mais qui repose néanmoins sur lobservation de phénomènes sociaux pour reprendre la pensée du sociologue Durkheim, de leur interprétation et de leur transcription en normes ou actes normatifs comme la loi par exemple. Le Droit est donc une science transdisciplinaire qui nest pas dénuée de tout caractère rationnel comme les sciences dures à condition de ne pas senfermer dans la dogmatique visant à dire que le droit est cloisonné et quen dehors du juridique il nexiste rien. Cest tout ce travail de décloisonnement du Droit quà tenter de mener avec succès le grand juriste J. Carbonnier à travers de nombreux écrits. Une thèse juridique comme toute autre thèse peut donc avoir une utilité concrète et avoir sa place autre part que dans une bibliothèque universitaire au milieu dautres livres poussiéreux et désuets. Le Droit est partout présent, autours de nous, sans parfois que nous nous en rendions compte car la vie des individus est tissée de rapports juridiques (contractuels ou non) et la multiplication des contentieux aujourdhui, dans nos sociétés, est patente. Cest propre à tout juriste, surtout doctorant, cette propension à développer un symptôme quil convient de nommer « la paranoïa du Droit » Il faut donc briser le dogme affirmant quil existe des thèses juridiques à visées professionnelles et dautres qui nont quune valeur doctrinale. La plupart des thèses de Droit tendent à permettre de comprendre un peu mieux les aspects du Droit dans un domaine bien spécifique, en proposant dy apporter des solutions qui se traduiront par des réformes que ce soit au niveau institutionnel ou au niveau des entreprises. Un doctorant juriste peut donc participer à linnovation et au progrès autant quun doctorant en physique ou en médecine. Bien que nous vivions dans une société où limage est le moyen de communication le plus utilisé (une société du spectacle comme lécrivait G. Debord), les écrits doivent garder une 3
place importante de part leur caractère durable et non éphémère. Un adage juridique dit « les paroles sen vont et les écrits restent ». Limage comme la parole est volatile. Une thèse qui est un écrit souvent volumineux et exhaustif (entre 300 et 600 pages pour ce qui est dune thèse de Droit) a donc une certaine valeur quel que soit le domaine abordé et le thème choisi par le doctorant avec son directeur de recherche. Certes, daucuns diront que la valeur des écrits avec le temps va seffacer car une thèse soutenue en 2011 par exemple et qui aura été publiée après avoir reçu toutes les éloges gardera t-elle dans 10 ans toute sa scientificité et son authenticité ? Une thèse en chasse une autre peut-on répondre et comme comparaison citons V. Hugo qui dans Notre Dame de Paris affirme « ceci tuera cela », vérifiable aujourdhui en matière dInternet où les images qui circulent via le web a tendance à détruire la place laissée aux écrits. Mais le but dune thése nest pas forcément de perdurer dans le temps car la société évolue sans cesse donc il faudra la réactualiser voire la réécrire. Mais là nest pas la question. Limportance dune thése de doctorat, quel que soit le domaine abordé, cest quelle doit laisser la place à dautres écrits parfois sinscrivant dans la continuité ou pas des travaux menés. Elle doit être une porte ouverte sur lextérieur que le doctorant ne doit pas fermer quand il en écrit les conclusions. Une thèse doit laisser place dans lavenir à dautres perspectives de recherches toutes aussi précieuses et dune grande rigueur scientifique que ce soit une autre thèse, un article publié dans une revue ou un mémoire Le doctorant qui entreprend décrire une thése doit avoir conscience que ce quil réalise naura quune valeurlimitée temporellement et que la « célébrité de ses travaux » ne sera quéphémère à moins que ses écrits soient visionnaires et que le temps lui donne raison et fasse taire les critiques. Mais la gloire et le passage à la postérité qui sensuit se traduira par la reconnaissance des travaux menées qui conduira le titulaire du doctorat à voir sa thèse citée dans des écrits de grandes qualités. En conclusion, comment définir le mot « thèse » provenant, rappelons le du grec « thesis » qui signifie « poser » ou « mettre à plat ». Donnons une définition personnelle consistant à dire que la thèse est le fruit dun long travail de recherche et de réflexion amenant à une confrontation didées qui toutes ont pour but damener le lecteur, lauteur à trouver des réponses qui contribuent à faire avancer le domaine de la recherche, le champ des possibles » Lutilité dun tel travail pour savérer fructueux et bénéfique doit être clairement déterminé et encadré. Une thèse de doctorat est à la fois, et cela vaut pour type de travaux de recherche :
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- Unexercice académique validé par lobtention dun grade universitaire, le doctorat qui signifie enseigner, en latin « docere » ;
Un document riche dinformations scientifiques originales ; -
- Laboutissement dun travail de recherche ;
Elle doit sinscrire dans le cadre dun projet professionnel clairement défini. -
Lensemble des points évoqués ci-dessus les aptitudes à avoir pour devenir un bon enseignant-chercheur ou un praticien éclairé de la discipline où lon a choisi de se spécialiser. En tous les cas, une thèse aide énormément professionnellement puisque la base de tout travail intellectuel est de lire de la documentation que lon aura trouvée, de lassimiler, de traiter de lessentiel (partir du général pour arriver au particulier) en adoptant un raisonnement clair et objectif. La carrière universitaire, si prestigieuse soit-elle, ne doit pas être lunique objectif du thésard car, comme souligné plus haut, le doctorat nest pas un grade dont la reconnaissance est limitée au secteur de lenseignement supérieur bien que ce soit de prime abord lidée qui traverse lesprit de tout doctorant. Les propos que je tiens nengage que moi, simple doctorant en mal de reconnaissance et qui au fil de lécriture de ce petit texte, prend conscience que la problématique que je pose dans le titre de ma note pourrait donner à elle seule lobjet dune étude sous forme de thèse dont lintitulé pourrait être : « le doctorant et sa thèse » ou « lutilité dune thèse de doctorat et le statut du jeune chercheur ». Faire une thèse sur ce quest une thèse relève dun défi encore plus tordu. A limpossible, nul nest tenu