Actes et Paroles, Volume 4 par Victor Hugo
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Actes et Paroles, Volume 4 par Victor Hugo

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Publié le 08 décembre 2010
Nombre de lectures 118
Langue Français

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The Project Gutenberg EBook of Actes et Paroles, Vol. 4, by Victor Hugo #11 in our series by Victor Hugo
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Title: Actes et Paroles, Vol. 4 Depuis l'Exil 1876-1885
Author: Victor Hugo
Release Date: July, 2005 [EBook #8490] [Yes, we are more than one year ahead of schedule] [This file was first posted on July 15, 2003] Edition: 10 Language: French
*** START OF THE PROJECT GUTENBERG EBOOK ACTES ET PAROLES, VOL. 4 ***
Produced by Carlo Traverso, Anne Dreze, Marc D'Hooghe and the Online Distributed Proofreading Team
ACTES ET PAROLES IV par VICTOR HUGO
DEPUIS L'EXIL 1876-1885
1876
I
POUR LA SERBIE
Il devient nécessaire d'appeler l'attention des gouvernements européens sur un fait tellement petit, à ce qu'il paraît, que les gouvernements semblent ne point l'apercevoir. Ce fait, le voici: on assassine un peuple. Où? En Europe. Ce fait a-t-il des témoins? Un témoin, le monde entier. Les gouvernements le voient-ils? Non.
Les nations ont au-dessus d'elles quelque chose qui est au-dessous d'elles les gouvernements. A de certains moments, ce contre-sens éclate: la civilisation est dans les peuples, la barbarie est dans les gouvernants. Cette barbarie est-elle voulue? Non; elle est simplement professionnelle. Ce que le genre humain sait, les gouvernements l'ignorent. Cela tient à ce que les gouvernements ne voient rien qu'à travers cette myopie, la raison d'état; le genre humain regarde avec un autre oeil, la conscience.
Nous allons étonner les gouvernements européens en leur apprenant une chose, c'est que les crimes sont des crimes, c'est qu'il n'est pas plus permis à un gouvernement qu'à un individu d'être un assassin, c'est que l'Europe est solidaire, c'est que tout ce qui se fait en Europe est fait par l'Europe, c'est que, s'il existe un gouvernement bête fauve, il doit être traité en bête fauve; c'est qu'à l'heure qu'il est, tout près de nous, là, sous nos yeux, on massacre, on incendie, on pille, on extermine, on égorge les pères et les mères, on vend les petites filles et les petits garçons; c'est que, les enfants trop
petits pour être vendus, on les fend en deux d'un coup de sabre; c'est qu'on brûle les familles dans les maisons; c'est que telle ville, Balak, par exemple, est réduite en quelques heures de neuf mille habitants à treize cents; c'est que les cimetières sont encombrés de plus de cadavres qu'on n'en peut enterrer, de sorte qu'aux vivants qui leur ont envoyé le carnage, les morts renvoient la peste, ce qui est bien fait; nous apprenons aux gouvernements d'Europe ceci, c'est qu'on ouvre les femmes grosses pour leur tuer les enfants dans les entrailles, c'est qu'il y a dans les places publiques des tas de squelettes de femmes ayant la trace de l'éventrement, c'est que les chiens rongent dans les rues le crâne des jeunes filles violées, c'est que tout cela est horrible, c'est qu'il suffirait d'un geste des gouvernements d'Europe pour l'empêcher, et que les sauvages qui commettent ces forfaits sont effrayants, et que les civilisés qui les laissent commettre sont épouvantables.
Le moment est venu d'élever la voix. L'indignation universelle se soulève. Il y a des heures où la conscience humaine prend la parole et donne aux gouvernements l'ordre de l'écouter.
Les gouvernements balbutient une réponse. Ils ont déjà essayé ce bégaiement. Ils disent: on exagère.
Oui, l'on exagère. Ce n'est pas en quelques heures que la ville de Balak a été exterminée, c'est en quelques jours; on dit deux cents villages brûlés, il n'y en a que quatrevingt-dix-neuf; ce que vous appelez la peste n'est que le typhus; toutes les femmes n'ont pas été violées, toutes les filles n'ont pas été vendues, quelques-unes ont échappé. On a châtré des prisonniers, mais on leur a aussi coupé la tête, ce qui amoindrit le fait; l'enfant qu'on dit avoir été jeté d'une pique à l'autre n'a été, en réalité, mis qu'à la pointe d'une bayonnette; où il y a une vous mettez deux, vous grossissez du double; etc., etc., etc.
Et puis, pourquoi ce peuple s'est-il révolté? Pourquoi un troupeau d'hommes ne se laisse-t-il pas posséder comme un troupeau de bêtes? Pourquoi? … etc.
Cette façon de pallier ajoute à l'horreur. Chicaner l'indignation publique, rien de plus misérable. Les atténuations aggravent. C'est la subtilité plaidant pour la barbarie. C'est Byzance excusant Stamboul.
Nommons les choses par leur nom. Tuer un homme au coin d'un bois qu'on appelle la forêt de Bondy ou la forêt Noire est un crime; tuer un peuple au coin de cet autre bois qu'on appelle la diplomatie est un crime aussi.
Plus grand. Voilà tout.
Est-ce que le crime diminue en raison de son énormité? Hélas! c'est en effet une vieille loi de l'histoire. Tuez six hommes, vous êtes Troppmann; tuez-en six cent mille, vous êtes César. Être monstrueux, c'est être acceptable. Preuves: la Saint-Barthélemy, bénie par Rome; les dragonnades, glorifiées par Bossuet; le Deux-Décembre, salué par l'Europe.
Mais il est temps qu'à la vieille loi succède la loi nouvelle; si noire que soit la nuit, il faut bien que l'horizon finisse par blanchir.
Oui, la nuit est noire; on en est à la résurrection des spectres; après le Syllabus, voici le Koran; d'une Bible à l'autre on fraternise;jungamus dextras; derrière le Saint-Siège se dresse la Sublime Porte; on nous donne le choix des ténèbres; et, voyant que Rome nous offrait son moyen âge, la Turquie a cru pouvoir nous offrir le sien.
De là les choses qui se font en Serbie.
Où s'arrêtera-t-on?
Quand finira le martyre de cette héroïque petite nation?
Il est temps qu'il sorte de la civilisation une majestueuse défense d'aller plus loin.
Cette défense d'aller plus loin dans le crime, nous, les peuples, nous l'intimons aux gouvernements.
Mais on nous dit: Vous oubliez qu'il y a des «questions». Assassiner un homme est un crime, assassiner un peuple est «une question». Chaque gouvernement a sa question; la Russie a Constantinople, l'Angleterre a l'Inde, la France a la Prusse, la Prusse a la France.
Nous répondons:
L'humanité aussi a sa question; et cette question la voici, elle est plus grande que l'Inde, l'Angleterre et la Russie: c'est le petit enfant dans le ventre de sa mère.
Remplaçons les questions politiques par la question humaine.
Tout l'avenir est là.
Disons-le, quoiqu'on fasse, l'avenir sera. Tout le sert, même les crimes. Serviteurs effroyables.
Ce qui se passe en Serbie démontre la nécessité des États-Unis d'Europe. Qu'aux gouvernements désunis succèdent les peuples unis. Finissons-en avec les empires meurtriers. Muselons les fanatismes et les despotismes. Brisons les glaives valets des superstitions et les dogmesqui ont le sabre aupoing. Plus deguerres,plus de massacres,plus de
carnages; libre pensée, libre échange; fraternité. Est-ce donc si difficile, la paix? La République d'Europe, la Fédération continentale, il n'y a pas d'autre réalité politique que celle-là. Les raisonnements le constatent, les événements aussi. Sur cette réalité, qui est une nécessité, tous les philosophes sont d'accord, et aujourd'hui les bourreaux joignent leur démonstration à la démonstration des philosophes. A sa façon, et précisément parcequ'elle est horrible, la sauvagerie témoigne pour la civilisation. Le progrès est signé Achmet-Pacha. Ce que les atrocités de Serbie mettent hors de doute, c'est qu'il faut à l'Europe une nationalité européenne, un gouvernement un, un immense arbitrage fraternel, la démocratie en paix avec elle-même, toutes les nations soeurs ayant pour cité et pour chef-lieu Paris, c'est-à-dire la liberté ayant pour capitale la lumière. En un mot, les États-Unis d'Europe. C'est là le but, c'est là le port. Ceci n'était hier que la vérité; grâce aux bourreaux de la Serbie, c'est aujourd'hui l'évidence. Aux penseurs s'ajoutent les assassins. La preuve était faite par les génies, la voilà faite par les monstres.
L'avenir est un dieu traîné par des tigres.
Paris, 29 août 1876.
II
AU PRÉSIDENT DU CONGRÈS DELA PAIX A GENÈVE
Paris, 10 septembre 1876.
Mon honorable et cher président,
Je vous envoie mes voeux fraternels.
Le Congrès de la paix persiste, et il a raison.
Devant la France mutilée, devant la Serbie torturée, la civilisation s'indigne, et la protestation du Congrès de la paix est nécessaire.
C'est à Berlin qu'est l'obstacle à la paix; c'est à Rome qu'est l'obstacle à la liberté. Heureusement le pape et l'empereur ne sont pas d'accord; Rome et Berlin sont aux prises. Espérons. Recevez mon cordial serrement de main.
VICTOR HUGO.
III
LEBANQUET DEMARSEILLE
Victor Hugo, invité au banquet par lequel les démocrates de Marseille célèbrent le grand anniversaire de la République, et ne pouvant s'y rendre, a écrit la lettre suivante:
Paris, 22 septembre 1876.
Mes chers concitoyens,
Vous m'avez adressé, en termes éloquents, un appel dont je suis profondément touché. C'est un regret pour moi de ne pouvoir m'y rendre. Je veux du moins me sentir parmi vous, et ce que je vous dirais, je vous l'écris.
L'heure où nous sommes sera une de celles qui caractériseront ce siècle.
En ce moment la monarchie fait à sa façon la preuve de la république. De tous les côtés, les rois font le mal; la querelle des trônes et flagrante; de pape à empereur, on s'excommunie; de sultan à sultan, on s'assassine. Partout le cynisme de la victoire; partout cette espèce d'ivrognerie terrible qu'on appelle la guerre. La force s'imagine qu'elle est le droit; ici, on mutile la France, c'est-à-dire la civilisation; là, on poignarde la Serbie, c'est-à-dire l'humanité. A cette heure, il y a un gouvernement, qui est un bandit, assis sur un peuple, qui est un cadavre.
Certes les monarchies ne le font pas exprès, mais elles démontrent la nécessité de la république.
La monarchie impériale aboutit à Sedan; la monarchie pontificale aboutit au Syllabus. Le Syllabus, je l'ai dit et je le répète, c'est toute la quantité de bûcher possible au dix-neuvième siècle. Au moment où nous sommes, ce qui sort de l'autel, ce n'est pas la prière, c'est la menace; l'oraison est coupée par ce hoquet farouche: Anathème! anathème! Le prêtre bénit à poing fermé. On refuse aux cercueils ce qui leur est dû; on ajoute à la violation du respect la violation de la loi; on méconnaît ce qu'il y a de mystérieux et de vénérable dans la volonté du mourant; on choisit, pour insulter la philosophie et la raison, l'instant où la liberté de la conscience s'appuie sur la majesté de la mort.
Qui fait ces choses audacieuses? Le vieil esprit sacerdotal et monarchique. Ici la conquête, là le massacre, là l'intolérance; le mensonge épousant la nuit, la haine de trône à trône engendrant la guerre de peuple à peuple, tel est le spectacle. Où la démocratie dit: Paix et liberté! le despotisme dit: Carnage et servitude! De là les crimes qui aujourd'hui épouvantent l'Europe. Admirons la manière dont les monarchies s'y prennent pour montrer les beautés de la république: elles montrent leurs laideurs.
Tant que les fanatismes et les despotismes seront les maîtres, l'Europe sera difforme et terrible. Mais espérons. Que prouvent les carcans et les chaînes? qu'il faut que les peuples soient libres. Que prouvent les sabres et les mitrailles? qu'il faut que les peuples soient frères. Que prouvent les sceptres? qu'il faut des lois.
Les lois, les voici: liberté de pensée, liberté de croyance, liberté de conscience; liberté dans la vie, délivrance dans la mort; l'homme libre, l'âme libre.
Célébrons donc ce rassurant anniversaire, le 22 septembre 1792. Il y a une aurore dans l'humanité, comme il y en a une dans le ciel; ce jour-là le ciel et l'homme ont été d'accord, les deux aurores ont fait leur jonction.Lux populi, lux Dei.
La généreuse ville de Marseille a raison de vénérer ce jour suprême; elle fait bien; je m'associe à sa patriotique manifestation.
Cet anniversaire vient à propos.
Il y a quatrevingt-quatre ans, à pareil jour, au milieu des plus redoutables complications, en présence de la coalition des rois, l'immense énigme humaine étant posée, une bouche sublime, la bouche de la France, s'est ouverte et a jeté aux peuples ce cri qui est une solution: République! Il y a dans ce cri une puissance d'écroulement qui ébranle sur leur base les tyrannies, les usurpations et les impostures, et qui fait trembler toutes les tours des ténèbres. L'écroulement du mal, c'est la construction du bien.
Répétons-le, ce cri libérateur République!
Répétons-le d'une voix si ferme et si haute qu'il ait raison de toutes les surdités. Achevons ce que nos aïeux ont commencé. Soyons les fils obéissants de nos glorieux pères. Complétons la révolution française par la fraternité européenne, et l'unité de la France par l'unité du continent. Établissons entre les nations cette solide paix, la fédération, et cette solide justice, l'arbitrage. Soyons des peuples d'esprit au lieu d'être des peuples stupides. Échangeons des idées et non des boulets. Quoi de plus bête qu'un canon? Que toute l'oscillation du progrès soit contenue entre ces deux termes:
Civilisation, mais révolution.
Révolution, mais civilisation.
Et, convaincus, dévoués, unanimes, glorifions nos dates mémorables. Glorifions le 14 juillet, glorifions le 10 août, glorifions le 22 septembre. Ayons une si fière façon de nous en souvenir qu'il en sorte la liberté du monde. Célébrer les grands anniversaires, c'est préparer les grands événements.
Mes concitoyens, je vous salue.
1877
I
LES OUVRIERS LYONNAIS
Le dimanche 25 mars, une conférence a lieu dans la salle du Château d'Eau pour les ouvriers lyonnais.
Victor Hugo et Louis Blanc y prennent la parole.
Voici le discours de Victor Hugo:
Les ouvriers de Lyon souffrent, les ouvriers de Paris leur viennent en aide. Ouvriers de Paris, vous faites votre devoir, et c'est bien. Vous donnez là un noble exemple. La civilisation vous remercie.
Nous vivons dans un temps où il est nécessaire d'accomplir d'éclatantes actions de fraternité. D'abord, parce qu'il est toujours bon de faire le bien; ensuite, parce que le passé ne veut pas se résigner à disparaître, parce qu'en présence de l'avenir, qui apporte aux nations la fédération et la concorde, le passé tâche de réveiller la haine. (Applaudissements).
Répondons à la haine par la solidarité et par l'union.
Messieurs, je ne prononcerai que des paroles austères et graves. Avoir devant soi le peuple de Paris, c'est un suprême honneur, et l'on n'en est digne qu'à la condition d'avoir en soi la droiture. Et j'ajoute, la modération. Car, si la droiture est la puissance, la modération est la force.
Maintenant, et sous ces réserves, trouvez bon que je vous dise ma pensée entière.
A l'heure où nous sommes, le monde est en proie à deux efforts contraires.
Un mot suffit pour caractériser cette heure étrange. A quoi songent les rois? A la guerre. A quoi songent les peuples? A la paix. (Applaudissements prolongés.)
L'agitation fiévreuse des gouvernements a pour contraste et pour leçon le calme des nations. Les princes arment, les peuples travaillent. Les peuples s'aiment et s'unissent. Aux rois préméditant et préparant des événements violents, les peuples opposent la grandeur des actions paisibles.
Majestueuse résistance.
Les populations s'entendent, s'associent, s'entr'aident.
Ainsi, voyez:
Lyon souffre, Paris s'émeut.
Que le patriotique auditoire ici rassemblé me permette de lui parler de Lyon.
Lyon est une glorieuse ville, une ville laborieuse et militante. Au-dessus de Lyon, il n'y a que Paris. A ne voir que l'histoire, on pourrait presque dire que c'est à Lyon que la France est née. Lyon est un des plus antiques berceaux du fait moderne; Lyon est le lieu d'inoculation de la démocratie latine à la théocratie celtique; c'est à Lyon que la Gaule s'est transformée et transfigurée jusqu'à devenir l'héritière de l'Italie; Lyon est le point d'intersection de ce qui a été jadis Rome et de ce qui est aujourd'hui la France.—Lyon a été notre premier centre. Agrippa a fait de Lyon le noeud des chemins militaires de la Gaule, et ce procédé péremptoire de civilisation a été imité depuis par les routes stratégiques de la Vendée. Comme toutes les cités prédestinées, la ville de Lyon a été éprouvée; au deuxième siècle par l'incendie, au cinquième siècle par l'inondation, au dix-septième siècle par la peste. Fait que l'histoire doit noter, Néron, qui avait brûlé Rome, a rebâti Lyon. Lyon, historiquement illustre, n'est pas moins illustre politiquement. Aujourd'hui, entre toutes les villes d'Europe, Lyon représente l'initiative ingénieuse, le labeur puissant, opiniâtre et fécond, l'invention dans l'industrie, l'effort du bien vers le mieux, et cette chose touchante et sublime,—car l'ouvrier de Lyon souffre,—la pauvreté créant la richesse. (Mouvement.) Oui, citoyens, j'y insiste, la vertu qui est dans le travail, l'intuition sociale qui connaît et qui réclame sans relâche la quantité acceptable des révolutions, l'esprit d'aventure pour le progrès, ce je ne sais quoi d'infatigable qu'on a quand on porte en soi l'avenir, voilà ce qui caractérise la France, voilà ce qui caractérise Lyon. Lyon a été la métropole des Gaule, et l'est encore, avec l'accroissement démocratique. C'est la ville du métier, c'est la ville de l'art, c'est la ville où la machine obéit à l'âme, c'est la ville où dans l'ouvrier il y a un penseur, et où Jacquard se complète par Voltaire. (Applaudissements.) Lyon est la première de nos villes; car Paris est autre chose, Paris dépasse les proportions d'une nation; Lyon est essentiellement la cité française, et Paris est la cité humaine. C'est pourquoi l'assistance que Paris offre à Lyon est un admirable spectacle; on pourrait dire que Lyon assisté par Paris, c'est la capitale de la France secourue par la capitale du monde. (Bravos.)
Glorifions ces deux villes. Dans un moment où les partis du passé semblent conspirer la diminution de la France, et essayent de détrôner le chef-lieu de la révolution au profit du chef-lieu de la monarchie, il est bon d'affirmer les grandes réalités de la civilisation française, c'est-à-dire Lyon, la ville du travail, et Paris, la ville de la lumière. (Sensation. Bravos répétés.)
Autour de ces deux capitales se groupent toutes nos illustres villes, leurs soeurs ou leurs filles, et parmi elles cette admirable Marseille qui veut une place à part, car elle représente en France la Grèce de même que Lyon représente l'Italie.
Mais élargissons l'horizon, regardons l'Europe, regardons les nations, et, en même temps que nous démontrons la solidarité de nos villes, constatons, citoyens, au profit de la civilisation, tous les symptômes de la concorde humaine.
Ces symptômes éclatent de toutes parts.
Comme je le disais en commençant, à l'heure troublée où nous sommes, les phénomènes inquiétants viennent des rois, les phénomènes rassurants viennent des peuples.
Au-dessous du grondement bestial de la guerre déchaînée il y a sept ans par deux empereurs, au-dessous des menaces de carnage et de dévastation à chaque instant renouvelées, quelquefois même réalisées en partie, témoin l'assassinat de la Bulgarie par la Turquie, au-dessous de la mobilisation des armées, au-dessous de tout ce sombre tumulte militaire, on sent une immense volonté de paix.
Je le répète et j'y insiste, qui veut la guerre? Les rois. Qui veut la paix? Les peuples.
Il semble qu'en ce moment une bataille étrange se prépare entre la guerre, qui est la volonté du passé, et la paix, qui est la volonté du présent. (Applaudissements.)
Citoyens, la paix vaincra.
Ce triomphe de l'avenir, il est visible dès aujourd'hui, il approche, nous y touchons. Il s'appellera l'Exposition de 1878. Qu'est-ce en effet qu'une Exposition internationale? C'est la signature de tous les peuples mise au bas d'un acte de fraternité. C'est le pacte des industries s'associant aux arts, des sciences encourageant les découvertes, des produits s'échangeant avec les idées, du progrès multipliant le bien-être, de l'idéal s'accouplant au réel. C'est la communion des nations dans l'harmonie qui sort du travail. Lutte, si l'on veut, mais lutte féconde; éblouissante mêlée des travailleurs qui laisse derrière elle, non la mort, mais la vie, non des cadavres, mais des chefs-d'oeuvre; bataille superbe où il n'y a que des vainqueurs. (Longs applaudissements.)
Ce spectacle splendide, il est juste que ce soit Paris qui le donne au monde.
1870, c'est-à-dire le guet-apens de la guerre, a été le fait de la Prusse; 1878, c'est-à-dire la victoire de la paix, sera la réplique de la France.
L'Exposition universelle de 1878, ce sera la guerre mise en déroute par la paix.
Ce sera la réconciliation avec Paris, dont l'univers a besoin.
La paix, c'est le verbe de l'avenir, c'est l'annonce des États-Unis de l'Europe, c'est le nom de baptême du vingtième siècle. Ne nous lassons pas, nous les philosophes, de déclarer au monde la paix. Faisons sortir de ce mot suprême tout ce qu'il contient.
Disons-le, ce qu'il faut à la France, à l'Europe, au monde civilisé, ce qui est dès à présent réalisable, ce que nous voulons, le voici: les religions sans l'intolérance, c'est-à-dire la raison remplaçant le dogmatisme; la pénalité sans la mort, c'est-à-dire la correction remplaçant la vindicte; le travail sans l'exploitation, c'est-à-dire le bien-être remplaçant le malaise; la circulation sans la frontière, c'est-à-dire la liberté remplaçant la ligature; les nationalités sans l'antagonisme, c'est-à-dire l'arbitrage remplaçant la guerre (mouvement); en un mot, tous les désarmements, excepté le désarmement de la conscience. (Bravos répétés.)
Ah! cette exception-là, je la maintiens. Car tant que la politique contiendra la guerre, tant que la pénalité contiendra l'échafaud, tant que le dogme contiendra l'enfer, tant que la force sociale sera comminatoire, tant que le principe, qui est le droit, sera distinct du fait, qui est le code, tant que l'indissoluble sera dans la loi civile et l'irréparable dans la loi criminelle, tant que la liberté pourra être garrottée, tant que la vérité pourra être bâillonnée, tant que le juge pourra dégénérer en bourreau, tant que le chef pourra dégénérer en tyran, tant que nous aurons pour précipices des abîmes creusés par nous-mêmes, tant qu'il y aura des opprimés, des exploités, des accablés, des justes qui saignent, des faibles qui pleurent, il faut, citoyens, que la conscience reste armée. (Applaudissements prolongés.)
La conscience armée, c'est Juvénal terrible, c'est Tacite pensif, c'est Dante flétrissant Boniface, c'est-à-dire l'homme probe châtiant l'homme infaillible, c'est Voltaire vengeant Calas, c'est-à-dire la justice rappelant à l'ordre la magistrature. (Sensation. Triple salve d'applaudissements.) La conscience armée, c'est le droit incorruptible faisant obstacle à la loi inique, c'est la philosophie supprimant la torture, c'est la tolérance abolissant l'inquisition, c'est le jour vrai remplaçant dans les âmes le jour faux, c'est la clarté de l'aurore substituée à la lueur des bûchers. Oui, la conscience reste et restera armée, Juvénal et Tacite resteront debout, tant que l'histoire nous montrera la justice humaine satisfaite de son peu de ressemblance avec la justice divine, tant que la raison d'état sera en colère, tant qu'un épouvantablevae victisrégnera, tant qu'on écoutera un cri de clémence comme on écouterait un cri séditieux, tant qu'on refusera de faire tourner sur ses gonds la seule porte qui puisse fermer la guerre civile, l'amnistie! (Profonde émotion.—Applaudissements prolongés.)
Cela dit, je conclus. Et je conclus par l'espérance.
Ayons une foi absolue dans la patrie. La destinée de la France fait partie de l'avenir humain. Depuis trois siècles la lumière du monde est française. Le monde ne changera pas de flambeau.
Pourtant, généreux patriotes qui m'écoutez, ne croyez pas que je pousse l'espérance jusqu'à l'illusion. Ma foi en la France est filiale, et par conséquent passionnée, mais elle est philosophique, et par conséquent réfléchie. Messieurs, ma parole est sincère, mais elle est virile, et je ne veux rien dissimuler. Non, je n'oublie pas que je parle aux hommes de Paris. La responsabilité est en proportion de l'auditoire. Une seule chose est à la taille du peuple, c'est la vérité. Et dire la réalité, c'est le devoir.
Eh bien, la réalité, c'est que nous traversons une heure redoutable. La réalité, c'est que, si la nuit complète se faisait, il y aurait des possibilités de naufrage. Les crises succèdent aux catastrophes. J'espère cependant.
Je fais plus qu'espérer. J'affirme. Pourquoi? Je vais vous le dire, et ce sera mon dernier mot.
La marche du genre humain vers l'avenir a toutes les complications d'un voyage de découvertes. Le progrès est une navigation; souvent nocturne. On pourrait dire que l'humanité est en pleine mer. Elle avance lentement, dans un roulis terrible, immense navire battu des vents. Il y a des instants sinistres. A de certains moments, la noirceur de l'horizon est profonde; il semble qu'on aille au hasard. Où? à l'abîme. On rencontre un écueil, l'empire; on se heurte à un bas-fond, le Syllabus; on traverse un cyclone, Sedan (mouvement); l'année de l'infaillibilité du pape est l'année de la chute de la France; les ouragans et les tonnerres se mêlent; on a au-dessus de sa tête tout le passé en nuage et chargé de foudres; cet éclair, c'est le glaive; cet autre éclair, c'est le sceptre; ce grondement, c'est la guerre. Que va-t-on devenir? Va-t-on finir par s'entre-dévorer? En viendra-t-on à un radeau de laMéduse, à une lutte d'affamés et de naufragés, à la bataille dans la tempête? Est-ce qu'il est possible qu'on soit perdu? On lève les yeux. On cherche dans le ciel une indication, une espérance, un conseil. L'anxiété est au comble. Où est le salut? Tout à coup, la brume s'écarte, une lueur apparaît; il semble qu'une déchirure se fasse dans le noir complot des nuées, une trouée blanchit toute cette ombre, et, subitement, à l'horizon, au-dessus des gouffres, au delà des nuages, le genre humain frissonnant aperçoit cette haute clarté allumée il y a quatre vingts ans par des géants sur la cime du dix-huitième siècle, ce majestueux phare à feux tournants qui présente alternativement aux nations désemparées chacun des trois rayons dont se compose la civilisation future: Liberté, Égalité, Fraternité. (Applaudissements prolongés.)
Liberté, cela s'adresse au peuple; Égalité, cela s'adresse aux hommes; Fraternité, cela s'adresse aux âmes.
Navigateurs en détresse, abordez à ce grand rivage, la République.
Le port est là. (Longue acclamation. Cris de: Vive la république! Vive l'amnistie! Vive Victor Hugo!)
II
LESEIZEMAI
I
LA PROROGATION
Le 16 mai 1877, un essai préliminaire de coup d'état fut tenté par M. le maréchal de Mac-Mahon, président de la République. Brusquement il congédia, sur les plus futiles prétextes, le ministère républicain de M. Jules Simon, qui réunissait dans la chambre une majorité de deux cents voix. Le nouveau cabinet, sous la présidence de M. de Broglie, ne fut composé que de monarchistes.
Deux jours après, un décret du président de la République prorogeait le parlement pour un mois.
Aussitôt les gauches des deux chambres tinrent chacune leur réunion plénière et rédigèrent des déclarations collectives adressées au pays.
Dans la réunion des gauches du Sénat, Victor Hugo prit la parole:
Dans quelles circonstances l'événement qui nous préoccupe se produit-il?
Laissez-moi vous le dire. Deux choses me frappent.
Voici la première:
La France était en pleine paix, en pleine convalescence de ses derniers malheurs, en pleine possession d'elle-même; la France donnait au monde tous les grands exemples, l'exemple du travail, de l'industrie, du progrès sous toutes les formes; elle était superbe de tranquillité et d'activité; elle se préparait à convier tous les peuples chez elle; elle prenait l'initiative de l'Exposition universelle, et, meurtrie, mutilée, mais toujours grande, elle allait donner une fête à la civilisation. En ce moment-là, dans ce calme fécond et auguste, quelqu'un la trouble. Qui? Son gouvernement. Une sorte de déclaration de guerre est faite. A qui? A la France en paix. Par qui? Par le pouvoir. (Oui! oui!—Adhésion unanime.)
La seconde chose qui me frappe, la voici:
Si la France est en paix, l'Europe ne l'est pas. Si au dedans nous sommes tranquilles, au dehors nous sommes inquiets. Le continent prend feu. Deux empires se heurtent en orient; au nord, un autre empire guette; à côté du nord, une puissante nation voisine fait son branle-bas de combat. Plus que jamais, il importe que la France, pour rester forte, reste paisible. Eh bien! c'est le moment qu'on choisit pour l'agiter! C'est pour le pays l'heure de la prudence; c'est pour le gouvernement l'heure des imprudences.
Ces deux grands faits, la paix en France, la guerre en Europe, exigeaient tous les deux un gouvernement sage. C'est l'instant que prend le gouvernement pour devenir un gouvernement d'aventure.
Une étincelle suffirait pour tout embraser; le gouvernement secoue la torche. (Sensation profonde.)
Oui, gouvernement d'aventure. Je ne veux pas, pour l'instant, le qualifier plus sévèrement, espérant toujours que le pouvoir se sentira averti par l'énormité de certains souvenirs, et qu'il s'arrêtera. Je recommande au pouvoir personnel la lecture attentive de la constitution. (Mouvement.)
Il y a là sur la responsabilité plusieurs articles sérieux.
J'en pourrais dire davantage. Mais je me borne à ces quelques paroles. J'ai une fonction comme sénateur et une mission comme citoyen; je ne faillirai ni à l'une ni à l'autre.
Vous, mes collègues, vous résisterez vaillamment, je le sais et je le déclare, aux empiétements illégaux et aux usurpations inconstitutionnelles. Surveillons plus que jamais le pouvoir. Dans la situation où nous sommes, souvenez-vous de ceci: toute la défiance que vous montrerez au nouveau ministère, vous sera rendue en confiance par la nation.
Messieurs, rassurons la France, rassurons-la dans le présent, rassurons-la dans l'avenir.
La république est une délivrance définitive. Espérance est un des noms de la liberté. Aucun piège ne réussira. La vérité et la raison prévaudront. La justice triomphera de la magistrature. La conscience humaine triomphera du clergé. La souveraineté nationale triomphera des dictatures, cléricales ou soldatesques.
La France peut compter sur nous, et nous pouvons compter sur elle.
Soyons fidèles à tous nos devoirs, et à tous nos droits. (Adhésion unanime.—Applaudissements prolongés.)
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