Aux origines de l'économie sociale de marché état, économie et conjoncture dans l'allemagne du 20e siècle - article ; n°1 ; vol.34, pg 175-191

Werner Abelshauser

Description

Vingtième Siècle. Revue d'histoire - Année 1992 - Volume 34 - Numéro 1 - Pages 175-191
At the origins of social market economy. State, economy and conjuncture in 20th century Germany, Werner Abelshauser.
The thesis developed by Mancur Oison in The Rise and Decline of Nations (1982) stimulates an analysis of the paths through which Germany gradually oriented itself towards ordo-liberalism and social market economy. While for M. Oison only brutal ruptures imposed by circumstances could lead to the recomposition of a given economic order, the author states, on the contrary, that German-style interventionism is rooted in a whole historical coherence that, starting with the industrial take-off of the 19th century, went through the blocked modernity of the Weimar period and reached its most decisive moment in the 1929 crisis and the Third Reich.
17 pages
Source : Persée ; Ministère de la jeunesse, de l’éducation nationale et de la recherche, Direction de l’enseignement supérieur, Sous-direction des bibliothèques et de la documentation.

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• Publié par: VINGTIEME_SIECLE-_REVUE_D-HISTOIRE
• Publié le: 01 janvier 1992
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Extrait

Werner Abelshauser
Aux origines de l'économie sociale de marché état, économie et
conjoncture dans l'allemagne du 20e siècle
In: Vingtième Siècle. Revue d'histoire. N°34, avril-juin 1992. pp. 175-191.
Abstract
At the origins of social market economy. State, economy and conjuncture in 20th century Germany, Werner Abelshauser.
The thesis developed by Mancur Oison in The Rise and Decline of Nations (1982) stimulates an analysis of the paths through
which Germany gradually oriented itself towards ordo-liberalism and social market economy. While for M. Oison only brutal
ruptures imposed by circumstances could lead to the recomposition of a given economic order, the author states, on the contrary,
that German-style interventionism is rooted in a whole historical coherence that, starting with the industrial take-off of the 19th
century, went through the blocked modernity of the Weimar period and reached its most decisive moment in the 1929 crisis and
the Third Reich.
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Abelshauser Werner. Aux origines de l'économie sociale de marché état, économie et conjoncture dans l'allemagne du 20e
siècle. In: Vingtième Siècle. Revue d'histoire. N°34, avril-juin 1992. pp. 175-191.
doi : 10.3406/xxs.1992.2538
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/xxs_0294-1759_1992_num_34_1_2538AUX ORIGINES DE L'ÉCONOMIE
SOCIALE DE MARCHÉ*
ÉTAT, ÉCONOMIE ET CONJONCTURE
DANS L'ALLEMAGNE DU 20e SIÈCLE
Werner Abelshauser
A l'heure où, plus que jamais, fleurit privilégient peu à peu des intérêts particuliers
en France le discours sur le « capitalisme au détriment de la productivité économique
rhénan » et son système d'économie so et de la capacité d'action sociale, et qu'ainsi
ciale de marché, il est bon de s'interroger les circuits de la croissance
sur la tradition intellectuelle et politique tendent à se scléroser. L'histoire aurait
qui a peu à peu conduit l'Allemagne à montré que seuls des bouleversements dra
adopter un modèle d'interventionnisme matiques ou des interventions extérieures
libéral. Le chemin qui mène à Fordo-libé- brutales permettent de redéfinir l'ordre éc
ralisme de la République fédérale s'en onomique et le rôle que l'Etat doit y jouer,
racine en effet dans toute une cohérence et de rétablir l'ajustement entre des situations
historique qui, partant du décollage économiques et sociales renouvelées.
industriel du 19e siècle, passe par la Tel est le point clé de la théorie de
modernité bloquée de Weimar pour Mancur Oison sur les causes de la croissance
connaître son moment le plus décisif avec et de la décadence des nations, selon laquelle
la crise de 1929 et le Troisième Reich : la ligne suivie par leur développement dé
de ce point de vue, ce dernier ne consti- coule de la structure des systèmes de repré
sentation des intérêts1. Plus les intérêts tue-t-il pas, paradoxalement, une
« étape » plutôt qu'une rupture ? particuliers parviennent à s'organiser à long
terme dans des sociétés stables, moins l'équi
Les questions liées à l'ordre de l'éc libre des intérêts économiques repose sur la
onomie (Ordnungspolitik) et donc aussi collaboration de groupements englobant les
celle du rôle de l'Etat dans l'économie « grands » intérêts économiques, et, selon la
ont connu un regain d'actualité avec le « logique de l'action collective » qu'Oison a
renouveau de l'approche institutionnelle. développée très tôt2, plus forte sera la
Une idée, en particulier, jouit d'une faveur tendance à toujours plus de réglementations,
certaine, celle qu'avec le temps les institu de bureaucratie et d'interventions politiques
tions perdent de leur flexibilité, qu'elles
* Cet article est issu d'un exposé présenté au séminaire de 1. Mancur Olson, The rise and decline of nations. Economie
H. Bruhns et de E. François à l'Ecole des hautes études en growth, stagflation, and social rigidities, New Haven, Londres,
sciences sociales sur « Orientations actuelles de la recherche 1982.
historique en RFA», en 1991, dans le cadre d'un séminaire 2. The logic of collective action. Public goods and the theory of
organisé avec le concours de la fondation Fritz Thyssen. groups, Cambridge (Mass.), 1965.
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sur le marché, bref à plus d'Etat et donc à bouché sur des réserves. Il est donc stimulant
de l'évoquer à propos de l'Allemagne. Je moins d'innovation, au ralentissement de
l'évolution des structures économiques et n'envisagerai pas ici l'ensemble de la sa
donc à celui de la croissance économique. théorie. Mon propos restera plus modeste,
Oison ne se propose pas seulement d'ex et il sera de montrer que, contrairement à
pliquer ainsi la stagflation du début des l'affirmation d'Oison, et même s'ils ont été
années 1980, les fortes différences de taux très puissants tout au long du siècle, ce sont
de croissance d'un pays à l'autre, voire les moins les chocs extérieurs que les crises
causes de la croissance et du recul écono internes au système économique qui ont
conduit à des ruptures dans l'ordre de celui- miques. Son propos est aussi de réactiver
la « Théorie générale » de Maynard Keynes 1 ci. Bien au contraire, telle est ma thèse, il
en lui ajoutant une dimension micro-éco faut, dans le cas allemand, parler de conti
nomique. Pour lui, ce n'est pas un hasard nuité si on envisage l'évolution de l'ordre
si la théorie de Keynes a vu le jour en économique d'après guerre.
On aura ainsi cerné des questions auxGrande-Bretagne dans les années 1920-1930,
c'est-à-dire dans une société écartelée entre quelles les lignes qui suivent ne feront qu'es
une profonde nécessité de renouveler ses quisser des réponses. La « révision de l'image
traditionnelle de l'histoire » 5 amorcée voici structures économiques et la répartition de
une décennie déjà par Knut Borchardt et la ses ressources, et, par ailleurs, sa faible
capacité à soumettre à cette exigence des controverse qui se poursuit depuis n'ont pas
intérêts particuliers et à adapter rapidement pu encore combler les lacunes de la
une économie sclérosée par une stabilité recherche. La tentative faite par Mancur
Oison lui-même pour appliquer sa théorie institutionnelle de plusieurs décennies à de
nouvelles relations de prix et de salaires (que à la réalité empirique de la République de
cela parût soluble « à long terme » même Weimar se contente, avec une sage modestie,
pour l'économie britannique ne constituait de poser des questions6.
pas une solution, aux yeux de Keynes). Oison Je retracerai tout d'abord le scénario des
résume ainsi ses conclusions : « Si la Grande- phases conjoncturelles pour en étudier les
Bretagne avait connu, à l'issue de la première effets sur l'Etat et l'ordre économique, ainsi
que la dépendance propre par rapport aux guerre mondiale, la même coupure institu
tionnelle que l'Allemagne à l'issue de la processus de mutation du système politique.
Puis je me demanderai si les expériences seconde guerre mondiale, Keynes n'aurait
sans doute pas écrit son ouvrage » 2. Une allemandes du siècle passé correspondent à
société économique ne peut modifier ses la thèse olsonienne de la « croissance et de
institutions par sa seule force. Il lui faut la décadence des nations ». Je terminerai par
quelques réflexions sur l'importance poliune impulsion extérieure, un choc, ou encore
une politique délibérément néo-libérale. tique de la crise économique mondiale en
Allemagne. Au cœur de ces réflexions, se Jusqu'à présent, la théorie d'Oison n'a
été testée que pour la période qui suit la trouvera la question d'un nouveau rôle de
seconde guerre mondiale3. Ces études de l'Etat et de la continuité de cet ordre éc
cas — par exemple celle de Franz Lehner onomique qui, sous le nom d'économie sociale
pour la Suisse4 — ont essentiellement
5. « Zwangslagen und Handlungsspielräume in der grossen
Wirtschaftskrise der frühen dreissiger Jahre », dans Bayerische
Akademie der Wissenschaften (Hrsg.), Jahrbuch