Commémoration. Témoignage d un ancien déporté - article ; n°1 ; vol.54, pg 89-102
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Vingtième Siècle. Revue d'histoire - Année 1997 - Volume 54 - Numéro 1 - Pages 89-102
Commemoration. Testimony from a former deportee, Georges Petit.
First deported to Compiègne and then to Buchenwald, Georges Petit offers a personal reflection on his itinerary and on the discrepancy between official memory (that acknowledges the heroism of the deportees and the abnegation of the communists) and individual memory. That me- mory today has difficulty transcribing the meaning of the concentrationary experience in a period in which totalitarianisms seem forever banished.
14 pages
Source : Persée ; Ministère de la jeunesse, de l’éducation nationale et de la recherche, Direction de l’enseignement supérieur, Sous-direction des bibliothèques et de la documentation.

Informations

Publié par
Publié le 01 janvier 1997
Nombre de lectures 44
Langue Français
Poids de l'ouvrage 1 Mo

Extrait

Georges Petit
Commémoration. Témoignage d'un ancien déporté
In: Vingtième Siècle. Revue d'histoire. N°54, avril-juin 1997. pp. 89-102.
Abstract
Commemoration. Testimony from a former deportee, Georges Petit.
First deported to Compiègne and then to Buchenwald, Georges Petit offers a personal reflection on his itinerary and on the
discrepancy between official memory (that acknowledges the heroism of the deportees and the abnegation of the communists)
and individual memory. That me- mory today has difficulty transcribing the meaning of the concentrationary experience in a
period in which totalitarianisms seem forever banished.
Citer ce document / Cite this document :
Petit Georges. Commémoration. Témoignage d'un ancien déporté. In: Vingtième Siècle. Revue d'histoire. N°54, avril-juin 1997.
pp. 89-102.
doi : 10.3406/xxs.1997.3634
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/xxs_0294-1759_1997_num_54_1_3634DOCUMENT
COMMEMORATION
TÉMOIGNAGE D'UN ANCIEN DÉPORTÉ
Georges Petit
Les récits de déportés abondent. Mais quelle a été la réception par le public du
le témoignage de Georges Petit, par- premier livre de Primo Levi?1. J'essaierai
delà sa sincérité parfois iconoclaste, est de montrer que la tentative de déshuman
d'abord une réflexion sur la dialectique isation a été près de réussir.
qui oppose occasionnellement mémoire Auparavant, je donnerai les raisons qui
collective et mémoire individuelle; une m'ont empêché de répondre aux sollici
analyse, aussi, des rapports tumultueux tations dont j'étais l'objet et qui m'ont fait
qui unissent l'acteur à des passés aux différer de cinquante ans ce témoignage.
multiples visages. J'essaierai, tout au long de ces pages, de
garder le ton sobre que j'ai aimé chez mes
Mille neuf cent quatre-vingt-quinze prédécesseurs. À la fin, et dans la conti
a été l'année du cinquantenaire nuité de mes réflexions de l'époque, je
de la libération des camps de tenterai d'examiner la valeur de l'expé
concentration; une année de commémora rience concentrationnaire au regard des
tions officielles et de commentaires risques de barbarie qui continuent de
convenus. Mais aussi une année de peser sur le monde.
grande activité éditoriale sur l'histoire de
la seconde guerre mondiale, sur le O LE DÉSIR DE TÉMOIGNER ET LES RAISONS nazisme et sur le communisme. En France, DE MON SILENCE
cependant, la mémoire des camps est res
tée dominée par l'idéologie communiste- En atterrissant au Bourget le 13 mai
nationaliste forgée durant la guerre et qui 1945, au sortir d'un rêve fantastique de
privilégiait, dans les récits de déportation, près de deux ans, j'eus l'impression d'arri
les aspects les plus dramatiques de la ver dans un pays qui n'en finissait pas de
répression nazie et l'héroïsme de la résis fêter sa libération. L'autobus qui nous
tance que les déportés avaient opposée, emportait à l'hôtel Lutétia était décoré de
dans les camps, à cette répression. En petits drapeaux et, à chaque carrefour, des
revanche, ces récits minimisaient l'aspect gens venaient nous voir, nous congratu-
pervers de l'entreprise nazie, à savoir la
déshumanisation de ses victimes. Il y eut
1. Robert Antelme. L'espèce humaine, Paris, Gallimard, 1947; cependant des témoignages sobres et luci Primo Levi, Si c'est un homme, Turin, De Silva, 1947 (trad,
des, mais qui a lu Robert Antelme? Et française Paris, Julliard, 1987).
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1er, nous offrir à boire, et leurs visages et la joie devait aussi éclairer mon visage.
exprimaient une sincère reconnaissance. Il est vrai que j'étais alors bien trop jeune
et bien trop naïf pour comprendre quelles Notre joie d'être rentrés semblait s'être
luttes et quels calculs jouaient dans ces étendue à toute la ville et la traversée
manifestations d'euphorie. Je savais seudepuis la lointaine banlieue jusqu'au
lement que les gaullistes et les communcœur de Paris prenait l'allure d'une
istes se disputaient les mérites de la apothéose. Cela avait-il un sens? Heureux
Résistance et la glorification de sa mais encore meurtri, étonné d'être là, je
mémoire. En ce qui concerne la déportatme sentais un rescapé, un simple rescapé.
ion, sa mémoire et sa célébration, les Et je me demandais quelle était la valeur
communistes étaient en voie de l'emportdes épreuves que j'avais subies, ce
er, si bien que le 15 mai, étant passé de qu'elles pouvaient signifier pour les gens
l'hôtel Lutétia à la rue Leroux pour y recequi m'acclamaient.
voir du linge, un costume et une paire Moi, je venais d'une étrange contrée où
de chaussures, je ne m'étais pas rendu la qualité d'être humain m'avait été
compte que j'avais quitté le cadre d'un contestée, où l'on avait tenté de m'avilir
ministère pour celui d'une association. pour justifier le mépris avec lequel on me
Cette confusion des rôles, lorsque j'en pris traitait. L'imbécillité de mes persécuteurs
conscience, m'apparut d'ailleurs sous un n'avait pas diminué ma terreur devant les
jour plutôt sympathique et je n'en fus pas menaces précises auxquelles j'avais été
trop troublé. exposé mais, l'alerte passée, elle m'avait
Pour revenir à mes premiers pas dans chaque fois rempli d'une secrète jubila
Paris libéré, la chaleur de cet accueil, cette tion : le système nazi me déniait la qualité
sollicitude, cette bienveillance et ce sourd'homme alors que je savais, en accord
ire de la police, tout cela était décidément avec le bon sens le plus ordinaire et sans
trop beau. Comment mes compatriotes qu'aucun doute ne subsistât que j'étais
avaient-ils pu changer aussi radicalement? bien un homme. Par conséquent, c'était
Acquittaient-ils à ce moment une dette le système qui déraillait: vainqueur ou
contractée les années précédentes ou vaincu, il laisserait dans l'histoire la trace
posaient-ils un maillon dans un échange d'un régime aussi ridicule qu'inhumain.
de bons procédés à venir? Que voulait- Désireux de vivre, j'avais en conséquence
on de moi? À vrai dire, les questions qu'on décidé de donner tous les signes exté
me posait m'en donnaient quelque idée: rieurs de l'obéissance et de garder entière
il me fallait être ce blanc Parsifal si résisma capacité d'observation et de jugement.
tant sous l'Occupation, si honnête et si Mais ce 13 mai 1945 le cauchemar était
solidaire dans les camps, cet être de doulbien terminé et notre bus traversait les
eur qui avait tant payé pour les autres faubourgs sous les acclamations. Et au fur
(Parsifal ou Jésus ?) et aussi le témoin irret à mesure que j'avançais, le temps qui
éfutable de la grandeur française et de s'était écoulé si lentement dans le camp,
l'infamie allemande. Hélas, mon expés'accélérait, se contractait et finissait par
rience ne me conduisait pas à ces concluss'abolir, me laissant dans un présent direc
ions-là. La capacité de résistance qui tement rattaché au passé d'avant mon
m'avait permis d'observer et de juger mes arrestation. N'était-ce pas juste la veille
bourreaux allait-elle me faire défaut dans que je me déplaçais avec tant de méfiance
l'euphorie du retour? Allais-je me laisser dans cette ville hostile? Qu'à mon retour
emporter par le flot de reconnaissance de les agents de police me sourient tenait du
mes concitoyens ? Allais-je pour une gloire prodige. Dévoilaient-ils là leur vérité
clinquante renoncer à ma liberté de juge- cachée? Tout le monde souriait d'ailleurs
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ment? Le refus d'accepter la raison domi organisation et anarchie entremêlées que
nante et d'entrer dans le rôle qu'on voulait nous avions connues. Il est vide et ces
me faire jouer opéra de nouveau et je me vues nous montrent en vérité l'aspect,
pris à sourire d'observer le début de mise dans ce camp, du phénomène imprévu
en place d'une mythologie de la déport qu'avait été l'écroulement sur place du
ation. Comment cela se fit-il? système nazi.
Quand on nous pressa

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