Corps, Regard, Discours - article ; n°1 ; vol.74, pg 108-128
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Description

Langue française - Année 1987 - Volume 74 - Numéro 1 - Pages 108-128
21 pages
Source : Persée ; Ministère de la jeunesse, de l’éducation nationale et de la recherche, Direction de l’enseignement supérieur, Sous-direction des bibliothèques et de la documentation.

Informations

Publié par
Publié le 01 janvier 1987
Nombre de lectures 16
Langue Français
Poids de l'ouvrage 1 Mo

Extrait

Jean-Jacques Courtine
Corps, Regard, Discours
In: Langue française. N°74, 1987. pp. 108-128.
Citer ce document / Cite this document :
Courtine Jean-Jacques. Corps, Regard, Discours. In: Langue française. N°74, 1987. pp. 108-128.
doi : 10.3406/lfr.1987.6438
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/lfr_0023-8368_1987_num_74_1_6438Jean-Jacques Courtine
Université de Grenoble II
CORPS, REGARD, DISCOURS
Typologies et classifications
dans les physiognomonies de l'âge classique
Quel rapport y a-t-il entre voir et dire? Entre observer et décrire?
Quel reflet du visible se laisse capter et traduire dans l'énonçable? Mais
aussi : comment un discours fait-il voir les choses, comment construit-
il un espace de visibilité qui mettra désormais les objets en lumière, qui
en ordonnera la perspective?
C'est de telles questions que je vais aborder ici, dans les limites d'un
exemple. Je les poserai à partir de discours portant sur un objet déte
rminé : le corps; à partir également de certaines manières de parler du
corps, de certains types d'énoncés dont la structure et l'agencement en
discours témoignent d'un rapport, d'une tension particulière entre voir
et dire : des typologies. Il s'agira ainsi de typologies discursives qui se
donnent le corps, la physionomie, le visage, l'expression comme objets;
mais le corps dans la perception de son extériorité, la physionomie dans
les détails de sa surface visible, le visage et dans le jeu de
leur apparence : le corps tel qu'il se trouve observé et décrit dans le
corpus des physiognomonies. L'écriture des traités de physiognomonie a
été en effet conçue, depuis l'origine, sur le modèle d'une typologie. Et
cette écriture en termes de types, listes et tableaux y est l'agent particulier
d'une conversion d'un regard sur le corps en discours sur le corps. C'est
enfin dans les physiognomonies de l'âge classique, dans les traités des
années 1550-1650 environ, que je choisirai des exemples. Et cela dans
la perspective suivante : montrer, tout d'abord, la fonction de la structure
typologique d'un discours comme opérateur d'une transformation du
visible en énonçable; caractériser, en second lieu, à travers une mutation
des discours sur le corps et des classifications qu'ils élaborent, l'émergence
au tournant des XVIe et xvir siècles d'une nouvelle « image », ou d'une
nouvelle « vision » du corps; considérer, enfin, les typologies discursives
comme des objets historiques et proposer ainsi quelques éléments de
compréhension du processus de formation des discours typologiques
modernes.
108 typologies du corps et leur histoire Les
Les physiognomonies sont ainsi à la fois des manières de dire et
des façons de voir le corps humain : des sémiologies de l'extériorité, de
l'apparence, de l'enveloppe corporelles. Elles sont en cela proches dans
leur principe et liées dans leur histoire à la sémiologie médicale. Il s'agit
bien ici et là de relever, par un exercice systématique du regard, des
indices affleurant à la surface du corps : des traits morphologiques ou
expressifs ici, et là des symptômes. Il s'agit encore de convertir les indices
que livre le parcours du regard sur le corps en signes, par renonciation
d'un discours qui attribue aux caractères perçus un statut signifiant, en
les dotant d'un sens : les symptômes deviennent alors les signes cliniques
de la maladie; les traits morphologiques du corps et surtout du visage
sont interprétés dans le discours physiognomonique comme signes, selon
l'époque, de vices ou de vertus, d'inclinations ou de passions de l'âme,
de penchants ou de caractères, de pulsions ou de formations psychiques.
Là cependant s'arrête l'analogie : la démarche physiognomonique est
semblable dans son principe à celle de la sémiologie médicale, mais les
interprétations qu'elle propose ont un autre objet et une autre extension.
S'il s'agit toujours d'observer l'homme extérieur, c'est en effet pour devi
ner l'homme intérieur, ou psychologique, plutôt que l'homme
malade. La sémiologie médicale a su limiter peu à peu dans l'exercice
du diagnostic l'art de conjecturer, en le restreignant au signifié central
de la maladie; mais aussi en réglant, en instrumentalisant, en délimitant
et en épurant le regard clinique; en le reliant à d'autres données per
ceptives; en l'inscrivant dans les classifications rigoureuses d'un discours
qui à la fois décrive exactement son objet et veille à la propre consistance
et cohérence sémantique de ses unités minimales de dénomination, ainsi
que des modes de regroupement de telles unités en catégories, classes,
types l. Ce qui fut acquis peu à peu, et obtenu vers la fin du XVIIIe siècle
dans la médecine de Cabanis ou Pinel. La physiognomonie trahit en
revanche, dans son propos, ses origines divinatoires en étendant ses
jugements à la totalité du psychique; en allant souvent jusqu'à prédire,
à partir de la physionomie, le destin individuel; en ne mettant aucune
limite à l'empire du regard sur le corps, qui s'exerce à l'exclusion de
toute autre donnée perceptive; en organisant enfin ses repères immédiats
— traits, marques, qualités, plis et replis de l'enveloppe visible du corps
- dans d'incertaines classifications de caractères physiques, signes d'aléa
toires typologies de caractères psychiques.
Le partage, ainsi, est clair de nos jours : d'un côté la science médicale
et son savoir rigoureux et systématique, de l'autre la fausse science phy
siognomonique, son savoir douteux, ses taxinomies hasardeuses ou fan
taisistes, ses énoncés scientifiquement malfamés. Cette dernière en effet,
de Porta à Le Brun, de Le Brun à Lavater, Gall ou aux psychomorphologies
notamment 1. Sur p. cet 107-123. ensemble de points, voir M.Foucault, Naissance de la Clinique, Paris, PUF, 1963;
109 s'est vue peu à peu repoussée sur les marges, puis à contemporaines,
l'extérieur des savoirs positifs qui se donnent le corps humain comme
objet, et cela bien qu'elle n'ait jamais cessé de rencontrer un intérêt
social, mondain, ou simplement anecdotique 2.
Cela n'a cependant pas toujours été le cas : les énoncés et les clas
sifications médicales et physiognomoniques ont été longtemps indisso
ciables et leur séparation est relativement récente, si on la considère du
point de vue du temps long de la formation des savoirs : elle a l'âge de
l'idée moderne de science. Les premiers clivages apparaissent en effet
progressivement, quoique de manière très inégale, au tournant du XVIe
au XVIIe siècle. Mais longtemps encore au cours du XVIIe siècle des médecins
vont-ils rédiger des traités de physiognomome, et cette dernière va-t-elle
se réclamer de la médecine. Ainsi Jean Taxil, dans son Astrologie et
physiognomonie en leur splendeur (1614), insiste-t-il sur la nécessité de
la physiognomonie pour le médecin :
« Galien fait état de la physionomie qu'il assure, de l'autorité d'Hippocrate,
que si ceux qui se mêlent de la médecine en sont ignorants, ils sont en
perpétuelles ténèbres d'esprit et qu'ils commettent de lourdes fautes... Le
médecin donc, qui voudrait mépriser ces règles et ces enseignements ne
serait-il pas semblable au lierre qui ne demande que la chute de la muraille
qu'il entretient 3? »
Taxil est docteur en médecine, mais aussi astrologue. La physi
ognomonie est pour lui — comme pour R. Saunders, M. Wulson de la
Colombière, D. Laigneau 4 et bien d'autres encore au cours du XVIIe siècle
— un trait d'union indispensable entre astrologie et médecine. Car, outre
les signes « naturels » que sont les symptômes des maladies, le corps
recèle d'autres indices que le médecin doit lire dans les traits du visage,
les rides du front et les lignes de la main, tous ces signes que les astres
y impriment. La physiognomonie obéit alors à la fois au principe d'une
sémiologie médicale et à celui d'une divination astrologique. Pour Marin
Cureau de la Chambre - qui pourtant prend quelque distance à l'égard
de la « chiromance » — il importe encore, dans son Art de connaître les
hommes (1659), que le médecin prenne en considération les signes astro

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