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Informations
Publié par | CAHIERS_DU_MONDE_RUSSE_ET_SOVIETIQUE |
Publié le | 01 janvier 1989 |
Nombre de lectures | 25 |
Langue | Français |
Poids de l'ouvrage | 1 Mo |
Extrait
Jean Bonamour
De Čackij à Hlestakov : Les métamorphoses de l'esprit dans
Gore ot uma de Griboedov
In: Cahiers du monde russe et soviétique. Vol. 30 N°3-4. Juillet-Décembre 1989. pp. 231-244.
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Bonamour Jean. De Čackij à Hlestakov : Les métamorphoses de l'esprit dans Gore ot uma de Griboedov. In: Cahiers du
monde russe et soviétique. Vol. 30 N°3-4. Juillet-Décembre 1989. pp. 231-244.
doi : 10.3406/cmr.1989.2188
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/cmr_0008-0160_1989_num_30_3_2188Abstract
Jean Вonamour, From Chatskii to Khlestakov: the metamorphosis of wit in Griboedov's Gore ot uma.
Woe from wit continues to be "an enigma not yet completely deciphered" (Blok). Both the title of the play
and certain confidences made by the author seem to hint at a "philosophical" purpose, of a general,
universal value. However, commentators do not find any trace of that trend in the play which remains a
satirical comedy of social-political significance.
The discrepancy between interpretations is to be linked to the very structure of the play itself. The play
is not a comedy in spite of its borrowing certain elements from the genre to incorporate them in a
complex system of polemics and play with the tradition of the comedy. On account of the free play with
various traditional devices, Woe from wit can be considered as "a theatrical poem" which by its very
essence favours rhythm and speech.
Résumé
Jean Bonamour, De Čackij à Hlestakov. Les métamorphoses de l'esprit dans Gore ot uma de
Griboedov.
Le malheur d'avoir de l'esprit reste une « énigme incomplètement déchiffrée » (Blok). Le titre de la
pièce, certaines confidences de l'auteur semblent faire allusion à une visée « philosophique » (de valeur
générale, universelle) dont les commentateurs ne retrouvent pas trace dans l'œuvre, comédie satirique
à portée socio-politique.
Cette instabilité des schémas interprétatifs n'a pas à faire l'objet d'un débat (qui a toujours été tranché
par les « doctes » concluant à l'absence d'« idée philosophique »). Il faut la rapprocher de l'instabilité
même, souvent remarquée, des structures de la pièce. Celle-ci n'est pas une comédie : si elle emprunte
des éléments au genre, c'est pour les inclure dans un système complexe de polémique et de jeu avec la
tradition de la comédie ; de la même façon, les thèmes satiriques constituent le plus souvent la matière
du discours mais non sa finalité. Ce libre jeu à partir d'éléments traditionnels (de toute nature : tradition
théâtrale, thèmes satiriques, registres stylistiques, etc.) constitue le «poème scénique» (l'expression est
de Griboedov) qui, par essence même, privilégie le rythme et le langage. Le « poème » n'est pas une
vérité cachée à l'intérieur de la pièce, il n'existe, comme la pièce elle-même, que dans la tension
dialectique avec celle-ci. Divers aspects de l'œuvre confirment cette analyse : rôle du langage, statut
des personnages, autonomisation des séquences, etc.
Si le personnage de Čackij, héros lyrique, joue un rôle majeur dans le « poème », ceci ne signifie
nullement une idéalisation impliquant l'identification héros-lecteur, le conflit profond ne se situant pas à
un niveau psychologique ou événementiel. Le conflit des codes n'est pas dépassé (d'où d'évidentes
analogies entre Le malheur d'avoir de l'esprit et le théâtre de l'absurde du XXe siècle). Foyer de
significations, Čackij est lui-même justiciable de la dynamique qu'il instaure. La comparaison avec le
Hlestakov du Revizor met en évidence de nombreuses analogies structurelles, variations, à quelques
années de distance, sur ce qu'on pourrait appeler le « vertige russe ».JEAN BONAMOUR
DE ČACKIJ A HLESTAKOV :
LES MÉTAMORPHOSES DE L'ESPRIT
DANS GORE ОТ UMA
DE GRIBOEDOV
Gore ot uma (Le malheur d'avoir de l'esprit), pièce satirique à titre
« philosophique » : le paradoxe pèse sur ce chef-d'œuvre classique, comme il a
pesé, semble-t-il, sur le destin de son auteur.
Le constat a été souvent fait entre autres par un lecteur aussi attentif que
V. Hodasevič :
« Gore ot uma, si brillants qu'en soient les dialogues, si vivants qu'en soient les person
nages, si grandes qu'en soient les qualités théâtrales (qui sont nombreuses, en dépit de
défauts bien connus), n'en est pas moins une satire, une œuvre qui par sa nature même
reste pour ainsi dire au second plan de l'art. La quels que soient ses mérites, man
que d'ailes, comme la fable. »l
Le grand maître des études griboïédoviennes, N.K. Piksanov, est formel :
« Du début à la fin de la genèse de la comédie il n'y a pas, il n'y a jamais eu d'éléments
d'une "signification plus haute", philosophique. Ce n'est que dans les premiers projets
de l'œuvre qu'on peut admettre une telle orientation. Tout ce que nous savons des
diverses phases d'élaboration du texte - sur la base de souvenirs, de la correspondance
du dramaturge, des manuscrits de la pièce - nous assure que d'emblée la comédie s'est
présentée comme un ensemble à valeur descriptive et sociale, ne laissant pas place à des
thèmes philosophiques. Ceci exclut Gore ot uma du groupe des œuvres exprimant la
"douleur de ce monde" dans lequel étaient prêts à la ranger de trop zélés admirateurs. »2
Le pathos admiratif des commentaires scolaires et politiques occulte ce dia
gnostic mais ne le réfute guère. L'opposition entre satire et « philosophie » est irré
ductible. Seul Blok dépasse ce point de vue :
« [Griboedov...] s'afflige de l'échec d'une œuvre qui jusqu'à ce jour paraît insurpassée,
unique dans la littérature mondiale, incomplètement déchiffrée, symbolique dans le sens
véritable de ce terme. »3
Cahiers du Monde russe et soviétique, XXX (3-4),juil.-dic. 1989, pp. 231-244. 232 JEAN BONAMOUR
Ces réflexions se rapportent au célèbre texte de Griboedov sur sa piece :
« La première esquisse de ce poème scénique, telle qu'elle est née en moi, était beau
coup plus grandiose et d'une bien plus haute signification qu'elle ne l'est maintenant,
dans les futiles atours dont j'ai dû la vêtir. La puérile satisfaction d'entendre mes vers du
théâtre, le désir de leur assurer le succès ont fait que j'ai gâté mon œuvre autant qu'il
était possible. Tel est le destin de tous ceux qui écrivent pour la scène : si Racine et
Shakespeare ont subi le même sort, est-ce à moi de protester ? - Un beau poème laisse
beaucoup à deviner ; des pensées ou des sentiments à demi exprimés agissent d'autant
plus sur l'âme du lecteur que celle-ci, dans ses profondeurs cachées, recèle les cordes
que l'auteur a effleurées, souvent d'une seule allusion -, mais on l'a compris, tout est
déjà dit, clairement, fortement. Pour cela des deux côtés il faut ; chez l'un, le talent,
l'art ; chez l'autre, la faculté de percevoir, l'attention. »4
Suivent des considérations sur les conditions de la représentation théâtrale (dis
traction du public, en outre friand d'effets faciles - les « coups d'archet » -, plus
soucieux d'applaudir l'acteur que l'auteur, etc.).
Remarquons que ce texte, s'il évoque une dégradation du dessein initial,
n'oppose nullement le « poème » à la pièce de théâtre. C'est au cœur de la théâtra-
lité que se situe la difficulté, et cette théâtralité est aussi consubstanticllc au poème
scénique qu'à la pièce. La difficulté augmente seulement à raison de l'extrême
complexité du système artistique que constitue le « poème », où chaque élément
est en interaction avec les autres (odnim namekom) : le « poème scenique » ne s'est
pas dégradé en pièce, il s'est dégradé comme une pièce, comme clic inévitable
ment, mais davantage encore. Le texte n'autorise donc pas à opposer le projet ini
tial, « poème » à visée « philosophique », et l'œuvre achevée, pièce satirique.
Soulignons d'abord qu'on ne saurait imaginer une