1 DELINQUANCE ET TOXICOMANIE Marie Danièle Barré, Denis Richard, Jean-Louis Senon RESUME La relation entre toxicomanie et délinquance est l’objet de nombreuses controverses depuis des années ainsi que d’une littérature abondante. La causalité, réversible, des deux comportements a abouti à des positions très contrastées sur le plan méthodologique et des résultats des études existantes. L’objectif de ce dossier est d’en dresser un tableau introductif. En France les statistiques proviennent des sources admlnistratives pénales sur le délit d’usage de stupéfiants (ILS) ou sur la prévalence de la toxicomanie chez les détenus. Le taux de consommation de drogues dans la population « judiciarisée » est toujours supérieur aux autres milieux, quelles que soit les pays (sources présentées pour la France, les Etats-Unis, le Canada). la plupart des sources statistiques présentent néanmoins de nombreux biais: la population arrêtée et/ou condamnée n’est pas représentative de la population toxicomane; l’incarcération doit être resituée comme un moment particulier de la carrière du toxicomane; les échantillons étudiés (population en traitement; données auto-reportées aux USA) sont parfois trop spécifiques pour être considérées comme représentatives de la population toxicomane. Une typologie des relations entre toxicomanie et délinquance est dressé par les auteurs: le lien intrinsèque entre les effets psychopharmacologiques des produits et le comportement criminogène ne repose sur aucune ...
1DELINQUANCE ET TOXICOMANIEMarie Danièle Barré, Denis Richard, Jean-Louis SenonRESUMELa relation entre toxicomanie et délinquance est lobjet de nombreuses controverses depuis desannées ainsi que dune littérature abondante. La causalité, réversible, des deux comportements aabouti à des positions très contrastées sur le plan méthodologique et des résultats des étudesexistantes. Lobjectif de ce dossier est den dresser un tableau introductif. En France lesstatistiques proviennent des sources admlnistratives pénales sur le délit dusage de stupéfiants(ILS) ou sur la prévalence de la toxicomanie chez les détenus. Le taux de consommation dedrogues dans la population « judiciarisée » est toujours supérieur aux autres milieux, quellesque soit les pays (sources présentées pour la France, les Etats-Unis, le Canada). la plupart dessources statistiques présentent néanmoins de nombreux biais: la population arrêtée et/oucondamnée nest pas représentative de la population toxicomane; lincarcération doit êtreresituée comme un moment particulier de la carrière du toxicomane; les échantillons étudiés(population en traitement; données auto-reportées aux USA) sont parfois trop spécifiques pourêtre considérées comme représentatives de la population toxicomane. Une typologie desrelations entre toxicomanie et délinquance est dressé par les auteurs: le lien intrinsèque entreles effets psychopharmacologiques des produits et le comportement criminogène ne repose suraucune étude sérieuse et apparait erroné, par contre ce lien varie suivant le degré de sévérité delusage; les liens économiques du fait de limplication de lusager dans le trafic (même si onpénalise moins pour revente de drogues que pour les autres délits); les liens sociologiques quidéterminent la délinquance comme partie intégrante du « mode » ou « style » de vie de lusagertoxicomane. en définitive la causalité entre les deux phénomènes demeure incertaine tant lesrésultats divergent. Selon S .Brochu, il ny a pas un toxicomane ou un délinquant mais unepersonne (en interaction) avec un ensemble de systèmes (opportunités ou contraintes).1. A PROPOS DES LIENS ENTRE COMPORTEMENTTOXICOMANIAQUE ET COMPORTEMENT DELINQUANTDENIS RICHARD1JEAN-LOUIS SENON2Les psychotropes engendrent par leur seule existence un imaginaire social où dominentquelques thèmes récurrents depuis le XIXème siècle. La délinquance en fait partie. Cependant,bien que de nombreuses études réalisées depuis les années soixante aient souligné lexistence deliens entre abus de drogues et délinquance, leur nature ne saurait être comprise comme unerelation simple de causalité directe. La nature de cette relation fait lobjet depuis de nombreusesannées de controverses et deux types de positions extrêmes se confrontent :·certains spécialistes, faisant foi de leur inclination prohibitionniste, soutiennent que lusagede drogues serait intrinsèquement criminogène·dautres estiment que le toxicomane est conduit à la délinquance par le besoin de se procurerune substance prohibée : toute violence, résultant dun interdit, résulterait directement dunchoix de société.La vérité, comme souvent, oscille entre ces deux positions.I. DES STATISTIQUES ELOQUENTES1D.E.A. Droit Pénal et Sciences Criminelles, Praticien Hospitalier, Chef de service Hôpital Henri Laborit et Université, Poitiers2 Chargé dEnseignement de Criminologie, Praticien Hospitalier, CHU & Hôpital Henri Laborit, Université, Poitiers
2I. 1 . Etudes européennes :En France, la plupart des études diligentées par lAdministration Pénitentiaire reposentsur la qualification de linfraction ayant conduit le délinquant en prison. Celles qui visent àévaluer au plan épidémiologique le lien toxicomanie-prison ne rendent pas compte de la réalitédune toxicomanie chez linculpé-incarcéré, ne serait ce quen raison de la distinction artificielleentre psychotropes légaux et drogues illégales. Par ailleurs, selon les cas, on pourra négliger laqualification dinfraction à la législation sur les stupéfiants ou, au contraire, la surajouter defaçon discutable, notamment dans le cas dune infraction à la législation sur les étrangers.Lusage épisodique nest pas distingué de la conduite addictive.Une étude française sintéressant à la population incarcérée retrouve en 1986 unemoyenne nationale de 10,7% de toxicomanes (consommation régulière supérieure à deux prisespar mois dans les trois mois précédents lincarcération) dans la population des entrants enprison: essentiellement des hommes de moins de trente ans, célibataires, de nationalitéfrançaise, utilisant lhéroïne, souvent récidivistes (55% des cas), lincarcération ayant le plussouvent eu lieu pour une raison extérieure à la législation sur les stupéfiants; dans cettepopulation, près de 62% des individus utilisaient une substance psychoactive quotidiennement(Kensey & Cirba 1989).Il est évident que ces chiffres ont très largement augmenté en une décennie. On estimeainsi que la population des toxicomanes à Fleury-Mérogis représente 50% de lensemble desdétenus. Cependant, cette proportion varie largement selon la localisation de létude: cetteproportion nest que de 17% à Bordeaux (cité par Sueur & Rouault 1993). Entre 60 et 70% dessujets ont débuté leur conduite toxicomaniaque avant une première incarcération et près de 50%dentre eux sont passés devant un tribunal pour enfants avant dinitier leur toxicomanie. Ladélinquance semble donc préexister largement avant la toxicomanie.Létude menée en 1990 par le CESDIP (Barré 1994) a consisté en lanalyse de documentspoliciers provenants de la Préfecture de police de Paris et concernant environ 1100 individus.Sur cette cohorte, 39% des individus sont usagers de drogues illicites - la terminologie policièrene distingue pas selon le degré de dépendance - et 27% impliqués dans des procéduresconcernant le délit dusage et tout autre délit. 13% des individus sont usagers de droguesdonnant lieu à une forte dépendance.Létude de J.M. Lahosa menée en Espagne en 1989 rapporte quenviron 39% desdétenus de sexe masculin et plus de 41% des détenues de sexe féminin ont consommé au moinsune fois une drogue à un fort potentiel addictif.I. 2 Etudes américaines :Le Bureau des Statistiques de Justice américain rapportait en 1993 que 44% desindividus incarcérés dans les prisons locales américaines et 50% de ceux incarcérés dans lesprisons étatiques avaient consommé une drogue illicite dans le mois précédant la commission dudélit, 30% en utilisant même de façon quotidienne. Cette statistique révèle égalementquenviron 30% des délits ou des crimes ayant justifié lincarcération étaient commis juste aprèsune utilisation de drogue, cette proportion sélevant à près de 40% pour les adolescents.Le « Drug Use Forecasting System », programme permettant dévaluer la prévalence de lusagede drogues illicites chez les individus arrêtés dans vingt quatre villes américaines jugéesreprésentatives (par recueil durine et auto-révélation de la consommation), montre quentre 50et 80% des hommes et 45 à 85% des femmes présentent des traces de drogue dans lurine -essentiellement du cannabis et de la cocaïne pour lhomme et de la cocaïne, des médicamentset de lhéroïne chez la femme - (Schneeberger & Brochu 1995). Ces taux sont 17 à 25 foissupérieurs à ceux relevés dans la population de référence. Le choix des psychotropesconsommés distingue sensiblement la population carcérale américaine de la populationaméricaine générale : en Europe, lhéroïne domine largement les statistiques (70% à plus de90% des usagers de substances psychoactives incarcérés), suivie par le cannabis, lesmédicaments psychotropes et enfin la cocaïne ou le crack alors quaux Etats-Unis, lespsychostimulants dominent le tableau (Schneeberger & Brochu 1995).I. 3 Etudes québecoises :
3Létude de C. Forget publiée en 1990 (Schneeberger & Brochu 1995) montre que plusde 75% des individus incarcérés à Montréal ont consommé une drogue illicite au moins cinq foisau cours de leur vie (contre moins de 20% pour la population de référence); plus de 50% de cesmêmes individus reconnaissent avoir usé de drogues prohibées dans le mois ayant précédélincarcération.Selon dautres études (Brochu 1995), un tiers des délinquants incarcérés seraient mêmesdépendants, de cannabis, de cocaïne, de médicaments ou, bien sûr, dalcool. Ces produits sontsouvent aussi mélangés dans un contexte de polytoxicomanie. Au Canada, lusage de cannabischez les femmes incarcérées est cinq fois plus fréquent que dans la population de référence;lusage de cocaïne y est 75 fois plus fréquent chez les individus ayant des problèmes avec lajustice que dans lensemble de la population.II. DES RELATIONS AMBIGUËSDe nombreuses analyses montrent que les individus connus comme délinquantsprésentent un taux de consommation de psychotropes plus élevé que la moyenne de lapopulation: il est cependant impossible den déduire que la délinquance soit la conséquencedirecte dun abus de drogues (dailleurs les statistiques se limitent trop souvent à apprécierlusage et non labus, ce qui pourtant stigmatise deux comportements très différents). Lamotivation et les antécédents psycho-sociologiques du délinquant doivent impérativement êtrepris en compte. Labus de drogues compte seulement, parmi dautres paramètres, au nombredes facteurs de criminalité avec une prégnance fonction de la personnalité étudiée. Il est doncdélicat de distinguer un délinquant/toxicomane dun toxicomane/délinquant sans se livrer à uneanamnèse exhaustive du mode de vie du sujet: on découvre alors fréquemment que cest unmode de vie délinquant qui a conduit à labus de psychotropes et non linverse.Les caractéristiques du champ cognitif de lindividu délinquant permettent de comprendre cellesdu toxicomane, dans la mesure où délinquance et toxicomanie réalisent deux stratégies (parmidautres) pour tenter deffacer la douleur de conflits inconscients. Elles sont égalementconcernées par une dépendance - une véritable assuétude à la délinquance se construisant defaçon progressive -. Cette fuite en avant dans une « carrière » délinquante perdure jusquà ceque le toxicomane/délinquant découvre, ou quon lui propose, une autre stratégie dadaptationlors dune «crise de saturation criminelle » (Hubert & Hundleby 1993).Il semble donc pertinent de postuler lexistence de relations entre toxicomanie et capacitédadaptation plutôt quentre toxicomanie et délinquance. Lexpérience de linadaptation sociale,ou même le simple sentiment dinadaptation, ont des conséquences plus manifestes sur labusde psychotropes que lexpérience de la délinquance. Les recherches actuelles ne permettent devérifier ce postulat que de façon empirique (Brochu 1993).Il semble que la majorité des consommateurs de substances psycho-actives ne sont pas et neseront jamais impliqués dans une quelconque forme de délinquance autre que celle... généréepar lexistence même dune prohibition sur ces produits (cf. § III.4.). Il napparaît pas de façonclaire que la majorité des individus judiciarisés userait régulièrement de psychotropes, les étudesdonnant lieu à controverses.III. TYPOLOGIE DES LIENS PSYCHOTROPES-DELINQUANCEIl est aujourdhui classique de distinguer à la suite des travaux de P.J. Goldstein (1985)divers types de relations susceptibles dunir les drogues ou les psychotropes légaux et ladélinquance :- liens pharmacologiques: le produit est en lui-même générateur de comportements violents- liens économiques: la dépendance conduit lusager à commettre des actes délictueux- liens sociologiques: la délinquance fait partie intégrante du style de vie de la plupart destoxicomanes (P.J. Goldstein évoque une violence « systémique »).
4III. 1 . Délinquance psycho-pharmacologiqueLe modèle le plus ancien établit un rapport entre intoxication et délinquance dufait des effets psychopharmacologiques propres aux produits absorbés. Ce modèle ne sestrévélé pertinent que pour établir une relation entre alcool et délinquance. Lhypothèse la pluscommunément retenue repose sur laction supposée desinhibitrice du psychotrope, mais rienna jamais pu être démontré en ce sens. Une seule chose est assurée: les psychotropes nepossèdent pas, en eux-mêmes, deffets criminogènes, contrairement à de nombreuses allégationsdont les plus médiatisées furent sûrement celles avancées par Harry Anslinger, responsable duBureau fédéral des Narcotiques américain dans les années 50, lorsquil fit du cannabis l h«erbedu crime ».Lincidence de lalcoolisme chez les toxicomanes ne suffit cependant pas à expliquer pourquoileur casier judiciaire est alourdi par de nombreux délits contre les personnes: ils sont à lévidenceplus violents que les alcooliques ordinaires. Ceci résulte probablement de leur appartenance àune sous-culture dans laquelle la violence sert à résoudre les conflits les plus divers (cf. § III.3.).La littérature ne livre guère que des études ne reposant que sur des échantillons de populationréduits. Les liens pharmacologiques entre psychotropes et délinquance, lorsquils existent,restent peu significatifs. Lorsquon leur pose la question, la majorité desdélinquants/toxicomanes affirment que la participation des toxiques à leur délinquance restenégligeable, exception faite de quelques observations anciennes concernant les barbituriques(notamment Tinklenberg & Woodrow 1974, cf. monographie du NIDA n°103) et dautres plusrécentes concernant les benzodiazépines.Les manifestations psychiatriques liées à lusage de psychotropes et susceptibles dengendrerdes comportements délinquants sont essentiellement de trois types :- Action confusogène :Elle peut se manifester avec tous les psychotropes, mais nous la rencontronsnotamment lors de lassociation dalcool et de cannabis, lors de la consommation dune quantitéexagérée de cannabis ou lors de lutilisation dune préparation particulièrement riche entétrahydrocannabinol (THC).- Action paranoïde :Diverses données concordent à souligner notamment le fait que les psychostimulants(amphétamines dont lecstasy et ses analogues, cocaïne sous forme de crack), la phencyclidine(PCP, angel dust ou poussière dange) ainsi que les barbituriques daction rapide puissentinduire des actes violents survenant dans le cadre dépisodes psychotiques paranoïdes. Onrelate également des actes violents ayant pu survenir lors de périodes de sevrage chez desalcooliques, certains héroïnomanes ou des crackmen.- Action desinhibitrice (libération instinctuelle) :Ce type deffet est décrit chez lusager dalcool, de cannabis, ainsi que, de façonponctuelle, chez les usagers de benzodiazépines. Les benzodiazépines précisément comptentparmi les molécules les plus fréquemment prescrites et... auto-administrées. Elles sont toutesconnues pour faciliter les passages à lacte sur fond dictus amnésique. Parmi elles, unemolécule retient actuellement lattention du criminologue: le flunitrazépam (Rohypnol®). Cethypnotique benzodiazépinique manifeste dune façon peut-être plus flagrante que dautresmolécules voisines des propriétés desinhibitrices et amnésiantes que les usagers francophonesdésignent sous une appellation hautement suggestive: « être en Roche » (Jamoulle 1995). Leséléments princeps du tableau clinique de prise compulsive de flunitrazépam ont été posés il y après de vingt ans (Teo et coll. 1979), époque où des usagers de ce produit ont été impliquésdans divers types daffaires criminelles.
5Mais dautres benzodiazépines donnent lieu à des comportements délinquants, avec unevariabilité vraisemblablement culturelle: triazolam (Halcion®) aux Etats-Unis, témazépam(Normison®) au Royaume-Uni, clonazépam (Rivotril®) en Australie, diazépam (Valium®)dans nombre de pays européens. Toutes ces molécules sont prisées des héroïnomanes, qui lesutilisent parfois comme substituts de lhéroïne, avec tableau détat de semi-conscienceassociant obnubilation, euphorie, dysarthrie avec sialorrhée, ébriété, sensation dinvincibilité,levée des inhibitions avec éventuelle agressivité, manifestations paranoïdes, passage à lactesuivi dun endormissement avec amnésie antérograde totale ou presque. Ce tableau estpotentialisé par lalcool. Ces produits donnent une forte tolérance, avec une importantecompulsion pour lobtenir. Il semble que certains usagers utilisent sciemment desbenzodiazépines pour se desinhiber avant de commettre des délits.Le recours à des psychotropes avant de commettre un délit, réalisé de façon consciente ou non,procure souvent à lusager de drogues la force pour agir et constitue une manière dexcuse, cequi représente un avantage notable dans le système judiciaire nord-américain, où laconsommation de psychotropes est perçue par les juges comme une circonstance atténuantepermettant à linfracteur de bénéficier facilement de remises de peines ou de mesuresalternatives à lemprisonnement.III. 2 Délinquance économico-compulsiveLes liens entre délinquance et drogue paraissent évidents et parfaitementdémontrés dès que lon se situe sous langle économique. Il existe une forte corrélation entre unusage répétitif de drogues coûteuses et ayant un fort potentiel addictif (héroïne, cocaïne,phencyclidine) et la perpétration de crimes destinés à obtenir de largent, notamment desliquidités (criminalité acquisitive).La délinquance a aussi dans ce contexte pour objet de permettre la « gestion » de comptes dutrafic mais aussi la possession de territoires dexploitation (vente de drogue, zones deprostitution). Les études évaluant spécifiquement cet aspect sont rares: mentionnons lunedentre elles, réalisées au Québec entre 1970 et 1986, montrant quenviron 40% des règlementsde compte pour lesquels le mobile était connu se trouvaient provoqués par des conflitstransactionnels, dont plus de 60% découlant de conflits directement induits par le trafic (Brochu1995).Les liens entre prostitution (évoquée ici pour mémoire, comme activité lucrative; car il ne sagitpas dune forme de délinquance) et psychotropes illicites sont évidents: une majorité detoxicomanes des deux sexes sy adonnent, sans bien sûr que lon puisse imaginer aujourdhuiun lien de causalité entre des rapports qui restent purement vénaux et lusage de tel ou telpsychotropes (contrairement aux allégations caricaturales des aliénistes et des policiers duXIXème siècle qui voyaient en lopium ou la cocaïne des produits inclinant à la luxure !) - lerecours aux psycho-actifs peut néanmoins constituer un moyen de négocier avec la tensionpsychique induite par la prostitution -.III. 3 Délinquance systémiqueToutefois pour certains auteurs, les liens entre toxicomanie et délinquance relèventessentiellement de la sociologie: ils participent dun «style de vie » au sens de Dollard Cormierou encore dune modalité de «carrière » au sens où lentendait Howard S. Becker. Cetteperspective est aujourdhui illustrée par les travaux de criminologues québécois et notammentpar Serge Brochu (Brochu 1995).Pour ces chercheurs, ladoption dun mode de vie déviant constitue le ferment dun risque dedélinquance et/ou de toxicomanie, avec association dune criminalité lucrative et dunecriminalité avec violences. Ce troisième modèle, le plus récent, est dit systémique. Il repose surune interaction complexe entre un milieu criminogène, un style de vie déviant, le marché de ladrogue. Le produit nest plus responsable en lui-même de la délinquance mais cest linteractionentre des individus ayant un style de vie déviant et opérant des transactions illégales dans unenvironnement criminogène qui est prise en compte.Ce modèle ne saurait cependant valider lexistence dune relation de causalité entre usage dedrogues et délinquance, puisque des formes mineures de délinquance précèdent toujours lusage
6de drogues. Diverses études sont en ce sens édifiantes: la majorité des héroïnomanesdélinquants a déjà commis des délits avant de devenir toxicomanes (Sarnecky 1989, Brochu1995), à ce point que les adolescents fichés par la police pour vol entre 11 et 15 ans risquentbeaucoup plus que les autres de réitérer des actes délictueux. Cette forme de délinquanceaccompagne la toxicomanie et se pérennise même lorsque le sujet est devenu abstinent: lesauteurs anglo-saxons la qualifie de délinquance « concomitante ». Il existe donc plutôt un liencorrélationnel entre toxicomanie et délinquance. Les deux comportements, qui apparaîtraient àla puberté, seraient accompagnés par dautres manifestations dinadaptation sociale(fréquentation de pairs délinquants, décrochage scolaire, conduites à risque). Il faut cependantsouligner que les styles de vie déviants existaient évidemment avant que les stupéfiantsnoccupent la place médiatique actuelle.La violence systémique au sens de P.J. Goldstein correspond à celle communément évoquéedans les médias. Il faut souligner, et cest là une conclusion prévalant pour les travaux anglo-saxons comme européens, que le lien le plus important entre drogues et délinquance découle dela violence même du système de trafic. Impliquant non seulement les acteurs du trafic maisencore nombre de personnes qui y sont étrangères, elle concerne des groupes sociauxdésorganisés - où lexpression naturelle de la violence est banale - et qui sont économiquementdéfavorisés. Les sociologues américains ont établi des liens entre ce type de délinquance, lesfacteurs économiques et la déstructuration familiale. La violence systémique paraît ainsi unepathologie de lécologie sociale.III. 4 Délinquance auto-induiteLe simple fait de posséder des substances inscrites sur la liste des stupéfiants permet auregard des lois de considérer comme délinquants tous les toxicomanes, bien quil sagisse làdune délinquance sans incidence sociale intrinsèque. Cest la c«riminalité accessoire » descriminologues canadiens.Il faut néanmoins souligner que les condamnations pour simple usage de stupéfiants sontminoritaires dans lensemble des condamnations frappant des toxicomanes: ainsi en France, en1991, environ 32% des condamnations portaient sur deux infractions, 30% sur trois et 0,2% surquatre et plus (Timbart 1994) La fréquence des condamnations pour infractions multiples estdonc très élevée: 63% contre 20% en moyenne pour dautres types de contentieux (Timbart1994).Dans tous les cas il faut souligner que le lien entre drogue et délinquance varie selonlindividu et le contexte culturel: chez certains, la consommation facilitera un passage à lacte,chez dautres la délinquance aura dune façon parallèle à la toxicomanie valeur de conduite àrisque et chez dautres enfin, la délinquance, cantonnée au domaine de la vente, du recel ou duvol, aura pour seule finalité dobtenir les moyens financiers de subventionner la conduiteaddictive.IV. TYPE DE CONDUITE ET TYPE DE PERSONNALITEDe nombreuses études de criminologie clinique envisagent le profil de la personnalitédélinquante (Bricout 1990). Le tableau que brosse Jean Pinatel dun sujet caractérisé parlégocentrisme, lagressivité, lindifférence affective et la labilité est certes pédagogique maissûrement trop caricatural. Etienne de Greef puis Sutherland expliquent le phénomène en partantde la subjectivité propre du sujet étudié; ils évoquent un « processus criminogène » au seinduquel le passage à lacte est déterminé par un sentiment dinjustice conduisant le délinquant àse désengager à légard dautrui et des valeurs sociales dominantes. Le criminologue québécoisMarcel Fréchette explique quant à lui quun sentiment puissant d é«loignement interpersonnel »caractérise la pensée dun délinquant difficilement capable de percevoir des ressemblances avecautrui.Le système des variables relatives aux risques de toxicomanie ressemble fortement àcelui qui sattache à celui des conduites délinquantes au point quils sont souvent confondus:familles caractérisées par une absence de discipline, relations parents-enfants perturbées, pèrealcoolique, difficultés financières, etc. Des variables non familiales présentent également unecorrélation significative avec le risque de devenir toxicomane ou/et délinquant: insuccès scolaire,qualité des activités de loisir, antécédents judiciaires des fréquentations, profil psychologique,relations avec les services sociaux, etc.
7Les travaux récents apportent des éclairages plus novateurs sur les motivations et les conduitesdu délinquant toxicomane. Il semble plus conforme à la réalité de voir dans la personnedélinquante « une personne en transformation à travers un tissu de relations et dinteractions(...), son comportement ne constituant quune particule élémentaire du problème» (Pirez &Digneffe 1992).Lutilisation de drogues doit donc être comprise dans une perspective large, embrassantlensemble des expressions psychopathiques des états limites. Si, dans ce domaine, la cliniquepsychiatrique de ladulte reste peu opérante (le DSM-IIIR se contente de décrire unepersonnalité antisociale (301.70) caractérisée par un trouble des conduites et un comportementantisocial et irresponsable depuis lâge de quinze ans), la clinique de ladolescent apporte enrevanche une compréhension psychodynamique essentielle. Dès 1977, Henri Flavigny décrivaitles formes nouvelles de la psychopathie des états limites et ses symptômes cardinaux: passages àlacte répétitifs, impulsivité, auto- et hétéro-agressivité, besoin de satisfaction immédiatecontrastant avec la passivité, le désoeuvrement et la dépendance sur fond dangoisse essentielleet de frustration affective permanente. Les toxicomanes délinquants ont tous en ce sens unebiographie stéréotypée: discontinuité brisante des relations affectives précoces, traumatismesnombreux dans lenfance (abandons, séparations violentes, deuils, agressions, etc.). Laséméiologie des états limites psychopathiques de ladulte est donc proche de celle décrite chezladolescent, avec cependant une symptomatologie marquée par labsence de spécificité :·qualité particulière de langoisse : lintolérance du patient aux fluctuations de son niveaudangoisse est constante et permet souvent de comprendre les automutilations quisurviennent tout autant dans les moments dangoisse suraiguë que lorsque le sujet seretrouve confronté à une sensation de vide insoutenable·pathologie de lagir où les passages à lacte (tentatives de suicide, fugues, délinquance,conduites à risque, conduites addictives) sont interprétés comme une lutte contre la passivitéavec une illusion de contrôle de la réalité·dépressions brutales, intenses, rapidement résolutives, avec une symptomatologie dominéepar la défaillance narcissique, caractérisées par une sensation de vide et un sentiment dedévalorisation·épisodes de décompensation psychotique transitoire susceptibles de revêtir lallure depsychoses délirantes aiguës, détats confusionnels ou dun syndrome de régression psycho-comportementale grave avec refus de communiquer et de salimenter·comportements de dépendance avec addictions multiples : alcool, drogues, psychotropesdivers dans une recherche de défonce·troubles de lidentité et du comportement sexuelLes toxicomanies représentent un processus pathologique évoluant généralement vers lachronicité avec le développement dune dépendance importante au(x) produit(s), envahissanttotalement le sujet dans sa chair comme dans son esprit, mais aussi dans ses liens avec lasociété. Cest en cela un trouble grave et souvent manifeste des conduites, dont le caractèreéminemment médiatisé ne doit pas occulter dautres formes de relations au chimique qui, pourêtre plus discrètes, nen sont pas moins aptes à perturber suffisamment le comportement dunindividu pour le faire occasionnellement relever du champ de la criminologie.BIBLIOGRAPHIELes sociopathes: essai de caractérisation de laBARREM-D.,FROMENTB.,AUBUSSONDEpersonnalitésociopathique.CAVARLAYB.EditionsAlexandreLacassagne,Lyon,110p.,1990Toxicomanie et délinquance: du bon usage de lusagerdeproduitillicite.BROCHUS.CentredeRecherchesSociologiquessurleDroitetlesDrogueetcriminalité,unerelationcomplexe.InstitutionsPénales,212p.,1994PressesdelUniversitédeMontréal,226p.,1995BRICOUTJ.GASSINR.Criminologie.
8Dalloz, paris, 2ème édition, 766 p., 1990SARNECKI J.JAMOULLEM.Rapportsentrelabusdedrogueetladélinquance.«RaEptpreoretndeRorecchheer»che,collectifdeSantédeGilly-Haies,ConseildelEurope,série035,Strasbourg,1989Gilly,Belgique,123p.,1995SCHNEEBERGERP.,BROCHUS.Alcool, drogues illicites et criminalité: étude duneMARIODELAROSA,E.Y.LAMBERT,B.populationincarcéréeàlétablissementdedétentiondeGROPPERTrois-Rivières.Drugsandviolence:causes,correlates,andPsychotropes,1,pp.63-81,1995consequences.NIDAResearchMonographn°103,NIDA,Rockville,SUEURC.,ROUAULTT.275p.,1990ToxicomanesenprisonRevue Documentaire Toxibase, 1, 14 p., 1993LEVESQUE M.Lacriminalitéetlaconsommationdedrogues:uneTIMBARTO.doubleproblématique.Lusagedestupéfiantsdanslescondamnationsin:BrissonP;LusagedesdroguesetlatoxicomanieInfostatJusticen°38,MinistèredelaJustice,Paris,(volumeII),GaëtanMorin,Montréal,p..255-271,19941994MERLO G.Norme, légalité et criminalité chez les toxicodépendants.Conseil de lEurope, série 035, Strasbourg, 1989ROGALSKI C.J.Imbecility, pauperism and crime: an appraisal of theirrelationship to substance use, abuse and dependence.The International Journal of the Addictions, 30, (1), p.1-96, 19952. TOXICOMANIES ET DELINQUANCES : METHODES ETRESULTATSMARIE-DANIELE BARRE*INTRODUCTIONLétude des relations entre toxicomanie et délinquance fait lobjet dune littérature trèsabondante. La recension établie par S. Brochu (1995) compte plus de 500 références. Parailleurs la liaison causale postulée entre les deux comportements est fréquemment mise en avantpar les acteurs tant du champ pénal que médical en raison de lintérêt quelle revêt pour justifierune politique auprès des usagers de drogues (Mackenzie D.L et Uchida C.D., 1994), (SetbonM., 1995), (Webb V. J. et Delone M.A., 1996). Malgré tout, on constate souvent quunecertaine confusion semble régner lorsquon compare les résultats des différentes recherches. Ilconvient en effet de souligner les difficultés méthodologiques de leur mise en oeuvre du fait desproblèmes de définition et de mesure touchant tant « la toxicomanie » que « la délinquance » etdonc a fortiori leur intersection. Il en résulte une grande hétérogénéité des résultats.I. SOURCES ET DEFINITIONS* Docteur en Démographie, CESDIP/CNRS
9« Toxicomanie » et « délinquance » sont deux catégories du discours. Leur sens varie beaucoupen fonction de la source qui fonde leur observation et leur mesure. Les catégories sont en effetsoit issues de sources administratives, soit reconstruites par le chercheur à partir dinterviews,de données auto-reportées. Chacune de ces sources mérite quon sinterroge sur son intérêt etses limites.I.1 - Les sourcesI.I.1 - Les sources administratives pénalesCest un sujet classique de la sociologie criminelle que de souligner les limites de lutilisation dessources administratives pour mesurer des comportements (Ph Robert et al.., 1994). Il ne datepas daujourdhui. En 1830 alors que la publication des Comptes Généraux de la justicecriminelle mettait lopinion publique en émoi, A. de Candolle mettait en garde sescontemporains contre lutilisation des statistiques criminelles : la grandeur du rapport [entre lasomme des délits connus et celle des délits commis] dépendra surtout de lactivité de lajustice à atteindre les coupables, du soin que ces derniers prendront de se cacher, et de larépugnance quéprouveront les individus lésés à se plaindre, ou de lignorance où ils serontpeut-être sur le tort qui leur est fait1. Dans un article fondateur en sociologie pénale, Kitsuseet Cicourel (1963) avaient analysé les limites mais aussi lintérêt des statistiques administrativeset engagé la recherche dans deux directions : [les formes qui doivent être expliquées sont]celles qui définissent des membres de la société comme déviants dans ses structures et cellesqui entretiennent et activent des processus officieux ou officiels de contrôle social2.Dans cet esprit, les recherches effectuées sur le traitement policier des infractions à la législationsur les stupéfiants (ILS) mentionnent bien la liaison entre les logiques de fonctionnement desdifférents services impliqués dans lidentification de la population toxicomane et la répressiondes ILS. Le délinquant comme le toxicomane tels quil sont saisis par la police sont le fruitdune définition légale, la conséquence dun travail policier et linteraction entre leur histoirepersonnelle-leur trajectoire- et laction policière. On peut se référer à lanalyse de M. Setbon destrois modes dopérer de la police : le «ramassage », le flagrant délit et la recherche des« affaires » (Setbon, 1995). De même, dans une enquête réalisée à Paris on a pu observercomment à deux services de police différents correspondent deux types dusagers de produitsillicites : lusager interpellé par les services de la sécurité publique, réprimé en tant que tel etlusager interpellé par les services de police judiciaire ciblé en raison de son insertion dansles réseaux de vente et de trafic (Barré, 1994).Ainsi il est clair que pour caractériser un individu les sources du système pénal ont leurs limitesmais il sensuit également que tout échantillon constitué à partir de ces sources devra êtreconsidéré comme particulier et les résultats de son analyse non généralisables.I.1.2 - Les sources administratives et la constitution des échantillonsQuelles soient pénales ou sanitaires, les sources administratives ont leurs spécificités. Ce queR. Padieu (1995) a analysé en ces termes : la partie observée [de la toxicomanie] nest pas àlimage du toutnotamment du fait de lattitude des toxicomanes envers les institutions[...]des institutions envers les toxicomanes et denjeux des institutions envers la tutell.e Il restequil est difficile déchapper à ces sources. Lusage de produits illicites et la délinquance étant,dune part des comportements illégaux, dautre part des comportements présumés rares dumoins lorsquil sagit dabus, la plupart des recherches ciblent une sous-population, afin deconstituer un nombre suffisant dobservations pour lanalyse. Ces sous-populations particulièressont souvent atteintes soit à travers les institutions pénales, soit à travers les institutionssanitaires. Outre les biais généraux soulignés plus haut il en résulte des biais particuliers auxpopulations étudiées.La population arrêtée et/ou condamnée ne semble pas représentative de la populationtoxicomane. Certains auteurs ont trouvé que le nombre dinfractions commises par les usagersdhéroïne était extrêmement élevé et peu susceptible de donner lieu à des arrestations (Inciardi1 A. de Candolle (1832), citant A. Quetelet p 357.2 traduction empruntée à Ch-N Robert, publiée dans Pénombre, la Lettre grise, automne 96 n°2.
01et Pottieger, 1986). Les mêmes auteurs ont confirmé ce fait pour des usagers de crack et decocaïne 10 ans plus tard (Inciardi et Pottieger, 1994). Dautres ont souligné que larrestationnintervient pas nécessairement au hasard dans les histoires individuelles. En France R. et S.Ingold avaient mentionné ce fait dans leur travail sur les toxicomanes incarcérés, en 1986 :lincarcération ne se produit nullement de façon aléatoir,e [...] mais à la suite duneaccélération de la délinquance, cette dernière étant liée à une accélération de laconsommation des drogues. En ce sens elle peut constituer un indicateur biaisé des trajectoiresdu toxicomane. Ch.E. Faupel (1987) à partir de 30 interviews en profondeur dhéroïnomanesdistingue plusieurs phases, pas toujours séquentielles, des « carrières » de ces toxicomanes,phases où le rapport à la délinquance nest pas de même nature, si bien que dans chaque cas laprobabilité dêtre arrêté est très différente.Il se peut aussi que la probabilité dêtre arrêté soit différente selon le type de délit . Cest laquestion que posent Altschuler et Brounstein (1991) à partir de résultats tirés dinterviewseffectuées auprès dun échantillon de jeunes lycéens :le délit auto-reporté associé avec la plusgrande probabilité de se faire arrêter est la vente de drogue. Ball (1991) arrive à un résultatsemblable à partir dun échantillon dhéroïnomanes. Encore que sil constate, dans labsolu,que la raison la plus fréquente dêtre arrêté est bien la vente de drogues, en termes relatifs étantdonné le nombre très élevé dinfractions commises, la probabilité dêtre arrêté pour la vente dedrogues est plus faible que pour dautres délits.Les échantillons constitués à partir dindividus pris en charge par les centres de traitement ontaussi leur spécificité. Cette difficulté se trouve illustrée dans une étude sur lusage de crack etde cocaïne et la criminalité de rue aux Etats Unis. Inciardi et Pottieger ont constitué deuxéchantillons, lun dindividus pris en charge dans des centres de traitement et lautre à partirdusagers rencontrés dans la rue. A partir dinterviews ils ont constaté que léchantillonconstruit à partir des centres de traitement était constitué dindividus plus fréquemmentpolytoxicomanes et peu susceptibles de contrôler leur prise de produits mais moins souventdélinquants que léchantillon de rue (Inciardi et Pottieger, 1994). A linverseParker et al. (1988), en Angleterre, avaient trouvé que les usagers dits cachés, cest à dire nonconnus des institutions répressives ou de soins - interrogés grâce à la méthode denquête parboule de neige- avaient un style de vie très proche des usagers connus.Plus spécifiquement sur la question de la nationalité, Guerrieri et al (1982), en analysant lesinterpellations des étrangers en France avaient attiré lattention sur leur spécificité selon quilssont saisis dans leurs rapports aux administrations répressives ou de soins.I.1.3 - Les données auto-reportéesOn peut définir les données auto-reportées comme des données recueillies auprès des personnesconcernées par lenquête, ici des toxicomanes et/ou des délinquants, dans le cadre dinterviewsoù les sujets relatent leur consommation de drogues et/ou les infractions commises les situentdans un calendrier rétrospectif.Pas ou peu utilisées en France ce type de données lest assez fréquemment ailleurs notammentaux Etats Unis. En effet, a priori, les données auto-reportées, si elles sont fiables, couvrentlensemble des comportements étudiés -usage de drogue et criminalité- ce qui nest pas le casdes données policières ou judiciaires. La grande question reste cependant celle de leur fiabilité.Cette question a souvent été abordée et en règle générale la fiabilité est jugée assez bonne,quelle soit mesurée en comparant les résultats de deux enquêtes successives auprès des mêmespersonnes (Farrington, 1973), ou en rapprochant les données auto-reportées concernant lesantécédents de condamnations aux antécédents officiellement enregistrés (Jarvis et Parker,1989), (Sheley, 1994). Cependant lorsque les données auto-reportées sont issues dinterviewsauprès dindividus arrêtés et comparées aux résultats de tests urinaires, la fiabilité semblenettement moins bonne (Webb V.J., Delone M.A.,1996), ce qui souligne le fait, au demeurantévident, que les conditions de linterview sont primordiales pour obtenir des données fiables,que celles-ci soient recueillies auprès dindividus fréquentant des centres de soins ou arrêtés oudans les enquêtes boule de neige qui permettent laccès à des usagers non clients des institutionsde soins ou répressives.
11I.2 - Les définitionsI.2.1 - Le toxicomaneLa catégorie « usager de produits illicites » est facile à définir si ce nest à mesurer, mais elle nese confond pas avec la catégorie toxicomane, même si les deux se recouvrent en partie.Beaucoup dauteurs tiennent compte de ce point en distinguant plusieurs «niveaux » dusage de« drogues », en précisant des critères doccurrence et de fréquence, les niveaux allant de lusageoccasionnel à intensif et la drogue pouvant dans certains cas inclure lalcool. Fagan et al. (1990),dans leur étude en population générale distinguent 4 catégories : les non-usagers, les usagersdalcool, de marijuana et dedrogues « dures » ; les non-usagers incluent tous ceux qui ontutilisé une drogue quelle quelle soit une fois seulement dans lannée passée. Dautres sefocalisent sur une population plus homogène du point de vue du produit, les usagersdhéroïne, de cocaïne, de crack, mais là aussi la question de la nature de lusage se pose.Limportance de ces questions de définition est illustrée par les résultats dune étude qui, pourchaque produit ou groupe de produit, distingue quatre niveaux dusage : on montre que, quelque soit le produit, lactivité criminelle croît avec lintensité de lusage et que par exemplelactivité criminelle dun usager intensif dalcool est supérieure à celle dun usager occasionneldhéroïne (Hammersley et Morrison, 1988).Mais se limiter à une définition de lusage seul, aussi détaillée soit-elle, tenant compte de lanature du produit et de lintensité de son usage, est sans doute très réducteur. Altschuler etBrounstein (1991) suggèrent à partir de données auto-reportées que limplication dans la ventedu produit est sans doute plus significative que lusage en tant que tel : ainsi ceux qui usent de ladrogue et la vendent seraient proches dans leur comportement délinquant de ceux qui sontvendeurs uniquement alors que ceux qui ne sont quusagers, à lexclusion de la revente, serapprochent des non-usagers.I.2.2 - Le délinquantOn retrouve ici le même type de questionnement observé plus haut : les questions de champ etde frontière -de la déviance à la délinquance- , de mesure -loccurrence et la fréquence descomportements- , de catégorisation -la vente de drogues et les autres faits de délinquance.Dans une enquête auprès détudiants vivant dans des quartiers défavorisés, les auteurs ontconstruit une typologie du délinquant et de lusager de drogues impliquant une multitude dechoix hiérarchiques entre les différents comportements déviants rapportés et tenant compteaussi de la fréquence de ces comportements. Lun des résultats soulignés est que lassociationentre lusage de drogues et la délinquance dépend de la «sévérité » de la délinquance et du typede produits, ce qui souligne limportance des choix méthodologiques opérés dans la constructiondes catégories : quest-ce en effet que la sévérité ? Dans ce même travail les auteursrépertorient un certain nombre de recherches utilisant des classifications de la sévérité de ladélinquance fondées sur des critères différents et ils arrivent à des estimations très variables delimportance du groupe des individus non-délinquants ou peu sévèrement délinquants : de 15 à66% (Fagan et al., 1990). Webb et Delone (1996) arrivent à un résultat différent, lassociationentre lusage de drogues et la délinquance nest pas pour eux spécifique des faits de délinquanceles plus sévères. Ils insistent donc sur la nécessité de compter les faits de faible gravité et enparticulier des infractions de la circulation dans la prise en compte des faits de délinquance.En fonction des modèles évoqués pour expliquer la liaison entre toxicomanie et délinquance lesauteurs distinguent différents types de délinquance se rattachant souvent aux deux grandescatégories : délinquance contre les biens et délinquance contre les personnes. La vente dedrogues est traitée à part, soit comme un comportement délinquant, soit comme un deséléments descriptifs du « toxicomane ».Mais beaucoup danalyses ne se limitent pas aux faits de délinquance tels quils sont perçus parlopinion publique. Dans une recherche concernant lusage de cocaïne, les auteurs se sontintéressés à ses relations à la violence, violence perpétrée ou subie (Goldstein et al., 1991), endistinguant le cas des hommes et des femmes : ils suggèrent que lusage intense de cocaïne estplus souvent associé à la violence commise par les hommes et plus souvent à la violence subie