Dialogues des morts (Lucien)
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Dialogue des mortsLucien de SamosateTraduction d'Eugène TalbotSommaire1 1. Diogène et Pollux2 2. Pluton, Crésus, Midas, Sardanapale et Ménippe3 3. Ménippe, Amphiloque et Trophonius4 4. Mercure et Charon5 5. Pluton et Mercure6 6. Terpsion et Pluton7 7. Zénophante et Callidémide8 8. Cnémon et Damnipper9 9. Simylus et Polystrate10 10. Charon, Mercure, plusieurs morts, Ménippe, Charmoléus, Lampichus,Damasias, un philosophe, un orateur11 11. Cratès et Diogène12 12. Alexandre, Annibal, Minos et Scipion13 13. Diogène et Alexandre14 14. Alexandre et Philippe15 15. Achille et Antiloque16 16. Diogène et Hercule17 17. Ménippe et Tantale18 18. Ménippe et Mercure19 19. Éaque, Protésilas et Paris20 20. Ménippe et Éaque21 21. Ménippe et Cerbère22 22. Charon, Ménippe et Mercure23 23. Protésilas, Pluton et Proserpine24 24. Diogène et Mausole25 25. Nirée, Thersite et Ménippe26 26. Ménippe et Chiron27 27. Diogène, Antisthène, Cratès, un mendiant28 28. Ménippe et Tirésias29 29. Ajax et Agamemnon30 30. Minos et Sostrate1. Diogène et PolluxDiogènePollux, je te recommande, aussitôt que tu seras retourné là-haut, car c’est à toi, jepense, à ressusciter demain, si tu aperçois quelque part Ménippe le chien, et tu letrouveras à Corinthe près du Cranium, ou bien au Lycée, riant des disputes desphilosophes, de lui dire : « Ménippe, Diogène t’engage, si tu as assez ri de ce quise passe sur la terre, à venir dessous rire encore davantage. En haut, tu n’es ...

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Dialogue des mortsLucien de SamosateTraduction d'Eugène TalbotSommaire1 1. Diogène et Pollux2 2. Pluton, Crésus, Midas, Sardanapale et Ménippe43  43..  MMeérncipurpee ,e tA Cmhpahriloonque et Trophonius65  65..  TPelurtposni oent  eMt ePrlcuutroen87  87..  ZCénnéompohna nette  Deta mCnaillpidpéermide19 09 .1 0S.i mCyhlaurso ent,  PMoelrycsturraet,e plusieurs morts, Ménippe, Charmoléus, Lampichus,Damasias, un philosophe, un orateur1121  1121..  AClreaxtaèns derte ,D iAongnèibnael, Minos et Scipion13 13. Diogène et Alexandre1154  1154..  AAlcehxilalen derte  Aentt iPlohqiliupepe1176  1176..  DMiéongipèpnee  eett  THaenrtcaullee1198  1198..  ÉMaéqniupep, eP reot téMseilracsu reet Paris2210  2210..  MMéénniippppee  eett  CÉaerqbuèere2223  2223..  CPrhoatréosnil, aMs,é Pniluptpoen  eett  PMreorsceurrpeine2254  2254..  NDiiroégeè, nTeh eert siMtea uest olMeénippe26 26. Ménippe et Chiron2287  2287..  DMiéongipèpnee,  eAt nTtiirstéhsèianse, Cratès, un mendiant3209  3209..  AMjianxo se t eAt gSaosmtreamtenon1. Diogène et PolluxDiogènePollux, je te recommande, aussitôt que tu seras retourné là-haut, car c’est à toi, jepense, à ressusciter demain, si tu aperçois quelque part Ménippe le chien, et tu letrouveras à Corinthe près du Cranium, ou bien au Lycée, riant des disputes desphilosophes, de lui dire : « Ménippe, Diogène t’engage, si tu as assez ri de ce quise passe sur la terre, à venir dessous rire encore davantage. En haut, tu n’es pastoujours certain d’avoir à rire ; car, comme on dit, qui sait au juste ce qu’il advientaprès la vie ? Mais en bas tu riras sans fin, ainsi que moi, quand tu verras lesriches, les satrapes, les tyrans rabaissés, perdus dans l’ombre, sans autredistinction que des gémissements, arrachés à leur mollesse et à leur lâcheté par lesouvenir des choses de là-haut ». Dis-lui cela ; et ajoute qu’il ait soin de venir labesace pleine de lupins, ou bien d’un souper d’Hécate trouvé dans quelquecarrefour, d’un œuf lustral, ou enfin de quelque chose de pareil.Pollux
Je lui dirai tout cela, Diogène ; mais pour que je le reconnaisse mieux, fais-moi sonportrait.DiogèneC’est un vieillard chauve, ayant un manteau plein de trous, ouvert à tous les vents, etrapiécé de morceaux de toutes couleurs : il rit toujours, et se moque, la plupart dutemps, de ces hâbleurs de philosophes.PolluxIl ne sera pas difficile à trouver avec ce signalement.DiogèneVeux-tu bien aussi te charger d’une commission pour ces philosophes eux-mêmes ?PolluxParle : cela ne sera pas non plus lourd à porter.DiogèneDis-leur en général de faire trêve à leurs extravagances, à leurs disputes sur lesuniversaux, à leurs plantations de cornes réciproques, à leurs fabriques decrocodiles, à toutes ces questions saugrenues qu’ils enseignent à la jeunesse.PolluxMais ils diront que je suis un ignorant, un malappris, qui calomnie leur sagesse.DiogèneEh bien ! dis-leur de ma part d’aller se... lamenter.PolluxJe le leur dirai, Diogène.DiogèneQuant aux riches, mon cher petit Pollux, dis-leur aussi de ma part : « Pourquoi donc,insensés, gardez-vous cet or ? Pourquoi vous torturer à calculer les intérêts, àentasser talents sur talents, vous qui devrez bientôt descendre là-bas avec uneseule obole ? »PolluxTout cela leur sera dit.DiogèneDis à ces gaillards beaux et solides, Mégille de Corinthe et Damoxène le lutteur,qu’il n’y a plus chez nous ni chevelure blonde, ni tendres regards d’un œil noir, ni vifincarnat des joues, ni muscles fermes, ni épaules vigoureuses : mais tout n’est icique poussière, comme l’on dit, un amas de crânes sans beauté.PolluxCe n’est pas difficile d’aller dire cela à tes gaillards beaux et solides.DiogèneMais aux pauvres, dont le nombre est grand, et qui, mécontents de leur sort,déplorent leur indigence, dis-leur, Laconien, de ne plus pleurer, de ne plus gémir ;apprends-leur qu’ici règne l’égalité, qu’ils y verront les riches de la terre réduits àleur propre condition ; et, si tu veux bien, reproche de ma part à tes Lacédémoniensde s’être bien relâchés.PolluxNe dis rien, Diogène, des Lacédémoniens : je ne le souffrirais pas ; mais ce que tumandes aux autres, je le leur ferai savoir.
DiogèneEh bien ! laissons en paix les Lacédémoniens, puisque tu le veux ; mais porte mesavis à ceux dont je t’ai parlé.2. Pluton, Crésus, Midas, Sardanapale et MénippeCrésusNous ne pouvons supporter, Pluton, que ce chien de Ménippe demeure avec nous :envoie-le s’établir ailleurs, ou bien nous émigrerons dans un autre endroit.PlutonHé ! quel mal vous a-t-il donc fait ? Il est mort comme vous !CrésusDès que nous gémissons et que nous nous rappelons avec regret les choses de là-haut, Midas son or, Sardanapale ses plaisirs, et moi mes trésors, il se met à rire, ilnous insulte, il nous appelle esclaves, coquins ; d’autres fois, il chante pour troublernos lamentations ; enfin, il est insupportable.PlutonQue disent-ils, Ménippe ?MénippeLa vérité, Pluton : je déteste ces lâches, ces misérables, qui, non contents d’avoirmal vécu, se rappellent, tout morts qu’ils sont, et regrettent les choses de là-haut ; jesuis charmé de les vexer.PlutonC’est mal : ils sont assez punis par l’étendue de leur perte.MénippeToi aussi tu es fou, Pluton, d’approuver leurs regrets.PlutonJe ne les approuve pas ; mais je ne puis souffrir qu’il y ait sédition parmi vous.MénippeCela ne fait rien : vous, les plus méchants des Lydiens, des Phrygiens et desAssyriens, sachez bien que je ne vous lâcherai pas ; partout où vous irez, je voussuivrai pour vous molester, pour vous chanter aux oreilles et me moquer de vous.CrésusQuoi ! ce n’est pas là un outrage ?MénippeNon ! l’outrage, c’était votre conduite, quand vous vouliez qu’on vous adorât, quandvous faisiez les insolents avec des hommes libres, quand vous oubliiezcomplètement qu’il faut mourir ! Pleurez donc, aujourd’hui que vous avez perdu toutcela !CrésusOù sont, grands dieux, mes immenses richesses ?sadiMOù est mon or ?SardanapaleOù sont mes plaisirs ?
MénippeÀ la bonne heure ! Pleurez donc, pendant que je vous cornerai à la tête le fameux :Connais-loi toi-même ; c’est, en effet, ce qu’on peut chanter de mieux, pourrépondre à de pareils gémissements.3. Ménippe, Amphiloque et TrophoniusMénippeAujourd’hui, Amphiloque et Trophonius, que vous voilà morts, je me demandecomment on a pu vous dédier des temples et vous regarder comme des devins ;comment les hommes sont assez fous pour vous croire des dieux.Amphiloque Eh quoi ! Est-ce notre faute, s’ils ont l’extravagance de penser ainsiau sujet des morts ?MénippeMais ils ne penseraient pas ainsi si, de votre vivant, vous n’eussiez fait croire parquelques prestiges que vous connaissiez l’avenir, et que vous pouviez répondre àceux qui vous interrogeaient.TrophoniusMénippe, Amphiloque, ici présent, sait ce qu’il doit répondre pour se justifier ; moi,je suis un héros, et je donne des oracles à quiconque descend auprès de moi. Maistu me parais n’avoir jamais voyagé à Lébadie ; autrement, tu ne serais pas siincrédule.MénippeQue dis-tu ? Il faut avoir été à Lébadie, s’être affublé d’une toile ridicule, avoir prisun gâteau entre les mains et s’être glissé dans ton antre par son étroite ouverture,pour savoir que tu es mort, comme nous, sans autre distinction que toncharlatanisme ? Mais, au nom de la divination, qu’est-ce qu’un héros ? Je l’ignore.TrophoniusC’est un composé d’homme et de dieu.MénippeC’est, dis-tu, un être qui n’est ni homme, ni dieu, mais les deux ensemble. Où doncest alors ta moitié divine ?TrophoniusElle rend des oracles en Béotie, Ménippe !MénippeJe ne comprends pas, Trophonius, ce que tu dis ; je vois clairement que tu es tout àfait mort.4. Mercure et CharonMercureFaisons nos comptes, nocher, si tu veux bien ; voyons combien tu me dois, afin quenous n’ayons pas de nouvelles discussions à ce propos.CharonFaisons nos comptes, Mercure ; il vaut mieux que nous soyons fixés à cet égard etque nous n’ayons pas d’affaire.MercureJe t’ai apporté, d’après ta commission, une ancre de cinq drachmes.Charon
C’est cher !MercurePar Pluton, je l’ai achetée cinq bonnes drachmes ; et une courroie à lier les rames,deux oboles.CharonMets cinq drachmes et deux oboles.MercurePlus une aiguille pour raccommoder la voile, cinq oboles.CharonAjoute-les.MercurePlus de la cire pour boucher les trous de ta barque, des clous, un câble dont tu asfait une hypère, le tout deux drachmes.CharonFort bien ! tu as acheté cela à bon marché.MercureVoilà ; à moins que nous n’ayons oublié quelque chose dans le calcul. Quand doncdis-tu que tu me payeras cela ?CharonAujourd’hui, cela m’est impossible, Mercure ; mais si une peste, une guerre, nousenvoie ici nombreuse compagnie, on trouvera quelque chose à gagner sur laquantité, en fraudant sur le péage.MercureEt moi, je serai réduit à souhaiter que ces fléaux arrivent, pour y trouver à rentrerdans mes fonds.CharonIl n’y a pas d’autre moyen, Mercure. Il nous vient bien peu de monde, comme tuvois ; on est en paix.MercureCela vaut encore mieux, dût ton remboursement se faire attendre ! Cependant tu terappelles, Charon, quels morts nous arrivaient autrefois, tous braves, couverts desang, presque tous blessés. Maintenant, c’est un homme empoisonné par son filsou par sa femme, un débauché qui s’est fait enter le ventre ou les jambes ; ils sonttous pâles, sans vigueur, sans ressemblance avec nos guerriers, et le plus grandnombre nous arrivent, à ce qu’il paraît, par suite de pièges qu’ils se sont tenduspour avoir leurs richesses respectives.CharonC’est que l’argent n’est pas chose à dédaigner.MercureTu ne trouveras donc pas mauvais que je te redemande avec un peu d’âpreté ceque tu me dois.5. Pluton et MercurePlutonConnais-tu ce vieillard, tout à fait vieux et cassé, le riche Eucrate, qui n’a pasd’enfants, et dont l’héritage est pourchassé par des gens qui sont bien cinquante
mille ?MercureOui ; il est de Sicyone, n’est-ce pas ? Qu’en veux-tu dire ?PlutonLaisse-le vivre, Mercure, au delà des quatre-vingt-dix ans qu’il a déjà vécu ; ajoutes-en même, s’il se peut, autant et plus encore ; mais tous ses flatteurs, et le jeuneCharinus, et Damon, et tous les autres, détache-les-moi ici à la suite les uns desautres.MercureCela paraîtra tout à fait étrange.PlutonNon pas ; mais tout à fait juste. Et qui donc peut leur faire souhaiter la mort de cevieillard ? Pourquoi, sans être ses parents, veulent-ils s’approprier ses biens ?Mais, ce qu’il y a de plus infâme, c’est qu’en dépit de ces souhaits, ils lui font la couraux yeux de tous. Tombe-t-il malade, leurs desseins secrets se révèlent à tout lemonde, malgré la promesse qu’ils font d’offrir des sacrifices, s’il recouvre la santé ;enfin la flatterie de ces hommes sait prendre mille formes ; voilà pourquoi je désirequ’il soit immortel, et que les autres s’en aillent avant lui, après avoir tenu pour rienla bouche ouverte.MercureIl y aura de quoi rire à voir ces rusés compères. Mais Eucrate ne les attrape déjàpas mal, en les nourrissant d’espérances ; on croit toujours qu’il va mourir, il seporte mieux qu’un jeune homme, et c’est en vain que ses flatteurs se repaissentdéjà de sa succession, qu’ils se partagent, et rêvent pour eux une vie toute debonheur.PlutonEh bien ! qu’il dépouille sa vieillesse, et que, semblable à Iolas, il redevienne jeune,tandis que ceux-ci, déçus dans leur espoir, abandonneront une richesse qu’ilsn’auront vue qu’en songe. Que ces misérables viennent ici, emportés par une mortmisérable !MercureLaisse-moi faire, Pluton ; avant peu je te les enverrai tous, à la file ; ils sont sept, jecrois.PlutonDétache-les-moi ! Eucrate, de vieillard devenu jeune, conduira chacun d’eux autombeau.6. Terpsion et PlutonTerpsionEst-il juste, Pluton, que je meure à trente ans, et que Thucrite, qui en a plus dequatre-vingt-dix, vive encore ?PlutonC’est on ne peut plus juste, Terpsion, puisque Thucrite, en vivant, ne souhaite pas lamort de ses amis ; au lieu que toi, tu ne cessais de lui tendre des pièges, dansl’attente de son héritage.TerpsionMais ne fallait-il pas qu’un vieillard, qui ne peut plus user de sa richesse, sortît de lavie, et cédât la place aux jeunes gens ?PlutonVoilà de nouvelles lois, Terpsion ! Quand un homme ne peut plus user de la
richesse pour le plaisir, il faut qu’il meure ? Mais le destin et la nature en ont décidéautrement.TerpsionMais c’est de cette décision même que je me plains. Il faudrait que les choses sefissent avec ordre ; que le plus vieux partît le premier, puis l’homme dont l’âge suitimmédiatement, et qu’on ne vît pas, par un renversement étrange, vivre un vieillardtout cassé, n’ayant plus que trois dents, presque aveugle, appuyé sur quatreesclaves, la roupie au nez, l’œil tout plein de chassie, insensible à tous les plaisirs,sépulcre vivant, risée de la jeunesse, tandis que meurent de jeunes hommesflorissants de vigueur et de beauté. C’est faire remonter un fleuve vers sa source.Du moins faudrait-il savoir, en définitive, quand mourra chacun de ces vieillards,afin de ne pas leur faire une cour inutile. Mais c’est ici le cas d’appliquer leproverbe : La charrue traîne les bœufs.PlutonTout cela se fait, Terpsion, avec plus de sagesse que tu ne penses. Pourquoidésirez-vous avec tant d’ardeur le bien d’autrui ? Pourquoi toutes vos intriguesauprès de vieillards sans enfants, afin de vous faire adopter par eux ? Vous méritezbien qu’on se moque de vous ; quand ce sont eux qui vous enterrent, tout le mondetrouve la chose amusante ; et plus vous avez fait de vœux pour les voir mourir, pluson rit de vous voir mourir les premiers. C’est un art nouveau de votre imagination,que cet amour pour les vieilles femmes et les vieillards, surtout quand ils n’ont pasd’enfants ; car ceux qui en ont ne vous semblent guère aimables. Il y a cependantbon nombre de ceux que vous aimez, qui devinent la perfidie de votre tendresse, etqui, ayant des enfants, font semblant de les haïr pour s’attirer vos hommages ; maisdans la suite, on voit exclus de leurs testaments ces anciens satellites de leurfortune ; l’enfant et la nature l’emportent, comme de juste, sur ces flagorneurs, quis’en vont grinçant des dents, avec un pied de nez.TerpsionC’est la vérité ! Ah ! que de bons morceaux m’a avalés ce Thucrite, que je croyaistoujours voir mourir, et qui, lorsque j’entrais, faisait entendre un gémissement sourd,un soupir exhalé du fond de sa poitrine, comme le cri plaintif du poussin qui sort del’œuf ! Si bien que, persuadé qu’il allait bientôt descendre au cercueil, je lui faisaismille présents, afin que mes rivaux demeurassent au-dessous de ma munificence.Souvent je passais la nuit sans dormir, rongé de soucis, faisant mes calculs, mesdispositions. Ce sont probablement ces inquiétudes et ces insomnies qui ont causéma mort. Et lui, après avoir avalé mon appât, riait, avant-hier, pendant qu’onm’enterrait !PlutonÀ merveille, Thucrite, vis le plus longtemps possible, toujours riche, toujours riant deces flatteurs, et ne meurs qu’après nous les avoir envoyés tous !TerpsionÀ présent, Pluton, mon plus grand plaisir serait de voir mourir Chariadès avantThucrite.PlutonSois tranquille, Terpsion ; et Phidon, et Mélanthe, et tous les autres enfin, viendrontici conduits par les mêmes chagrins.TerpsionApprouvé ; et longue vie à Thucrite !7. Zénophante et CallidémideZénophanteEt toi, comment es-tu mort, Callidémide ? Moi, qui étais parasite de Dinias, j’ai étéétouffé pour avoir trop mangé ; tu te le rappelles, tu étais présent à ma mort.Callidémide Oui, Zénophante ; mais ce qui m’est arrivé est incroyable. Tu connais,je crois, le vieux Ptéodore.
ZénophanteCe vieillard sans enfants, riche, et avec qui je te voyais souvent ?Callidémide Lui-même ! Je lui faisais une cour assidue, et il me promettait que jene perdrais rien à sa mort. Mais comme la chose traînait en longueur, et que lebonhomme vivait plus que Tithon, j’imaginai un chemin plus court pour arriver àl’héritage. J’achète du poison, j’engage l’échanson de Ptéodore à le mêler dans sacoupe, et, quand le vieillard, qui boit volontiers, demanderait à boire, à la tenir prêteet à la lui présenter : je lui jure que, s’il le fait ainsi, je lui donnerai sa liberté.ZénophanteEh bien ! qu’est-il arrivé ? Il me semble qu’il va se passer quelque chosed’extraordinaire.Callidémide Quand nous fûmes revenus du bain, le jeune homme, qui déjà tenaitles deux coupes toutes prêtes, l’une où était le poison pour Ptéodore, l’autre pourmoi, me présenta, je ne sais par quelle erreur, la coupe empoisonnée, et àPtéodore celle qui ne l’était pas. Il boit, et moi je tombe aussitôt à la renverse etj’expire à la place du vieillard. Eh quoi ! tu ris, Zénophante ? Tu ne devrais pas temoquer d’un ami !ZénophanteC’est que l’aventure est plaisante, cher Callidémide ! Et le vieillard ?Callidémide D’abord cette mort soudaine le troubla ; mais comprenant, je crois, cequ’il en était, il se mit à rire du tour que m’avait joué l’échanson.ZénophanteTu as eu tort de prendre le chemin le plus court ; la grande route était plus sûre,quoique un peu plus longue.8. Cnémon et DamnipperCnémonLe proverbe est bien vrai : Le faon a dévoré le lion.DamnippeD’où vient cette colère, Cnémon ?CnémonTu me demandes pourquoi je suis en colère ? J’ai laissé sans le vouloir,malheureuse dupe que je suis, mon héritage à qui je ne voulais pas, et je n’ai rienlaissé à qui je le voulais le plus.DamnippeComment cela s’est-il fait ?CnémonJe faisais la cour, dans l’espérance de le voir mourir, à Hermolaüs, homme trèsriche et sans enfants, et lui paraissait content de mes soins. Je crus faire un beaucoup d’adresse, en produisant en public mon testament, dans lequel je lui léguaistoute ma fortune, afin que, piqué d’émulation, il en fît autant.DamnippeQu’a-t-il donc fait ?CnémonJe ne sais ce qu’il a écrit dans le sien, car je suis mort subitement de la chute d’untoit. Hermolaüs a maintenant toute ma fortune ; comme un vrai loup marin, il a avalél’amorce et l’hameçon.Damnippe
Et par-dessus le marché, le pêcheur, qui s’est pris dans ses propres filets.CnémonJe le vois bien ; et c’est pour cela que je pleure !9. Simylus et PolystrateSimylusTe voilà donc arrivé aussi chez nous, Polystrate, après avoir vécu, je crois, à peuprès une centaine d’années ?PolystrateQuatre-vingt-dix-huit ans, Simylus.SimylusEt comment as-tu passé les trente ans que tu as vécu après moi ? Tu avais, eneffet, quelque soixante-dix ans, quand je suis mort.PolystrateTrès agréablement : on dirait que cela te paraît étrange.SimylusFort étrange : comment vieux, malade et sans enfants, pouvais-tu encore menerjoyeuse vie ?PolystrateD’abord, j’avais un pouvoir sans limites ; puis autour de moi une foule de jolisgarçons, de femmes charmantes, des parfums, des vins d’une odeur exquise, unetable comme on n’en voit pas en Sicile.SimylusVoilà du nouveau : je t’avais toujours cru fort économe.PolystrateOui ; mais, mon cher, tous ces biens m’arrivaient par les autres ; dès le matin unefoule de complaisants assiégeaient mes portes ; puis il me venait les plusmagnifiques présents de tous les points de la terre.SimylusTu as donc été roi après ma mort, Polystrate ?PolystrateNon ; mais j’avais des millions d’adorateurs.SimylusTu veux rire ? Des adorateurs, un homme de ton âge, avec tes quatre dents ?PolystratePar Jupiter ! c’étaient les premiers de la ville : vieux, chauve, comme tu vois, l’œilchassieux, la roupie au nez, j’étais pourtant l’objet de leur culte empressé, et celui-làs’estimait heureux qui obtenait un seul de mes regards.SimylusAurais-tu donc, nouveau Phaon, passé Vénus de Chio à l’autre rive ? Et cettedéesse aurait-elle accordé à tes vœux de redevenir un jeune homme, beau commeautrefois et tout aimable ?PolystrateNon ; mais tel que j’étais, j’étais l’objet de tous les vœux.
SimylusTu me proposes des énigmes.PolystrateRien cependant n’est plus commun que cette vive tendresse pour des vieillardsriches et sans enfants.SimylusAh ! je comprends à présent : ta beauté, homme étonnant, venait d’une Vénus d’or.PolystrateQuoi qu’il en soit, Simylus, je me suis bien amusé de tous ces adorateurs pourlesquels j’étais comme un dieu ; souvent je les malmenais, j’en faisais mettre à laporte ; tous alors se disputaient à qui se surpasserait en égards pour moi.SimylusMais à la fin quel parti as-tu pris au sujet de tes biens ?PolystrateJe disais publiquement à chacun d’eux que je lui laissais mon héritage ; il le croyait,et se montrait encore plus flatteur ; mais j’ai laissé un autre testament, un vrai que jegardais, et qui ne les a pas fait rire.SimylusEt quel est celui que tes dernières dispositions font ton héritier ? Est-ce quelqu’unde ta famille ?PolystrateNon, par Jupiter ! c’est un jeune esclave phrygien, d’une beauté parfaite, et quej’avais acheté depuis peu.SimylusQuel âge a-t-il à peu près, Polystrate ?PolystrateEnviron vingt ans.SimylusJe comprends maintenant comment il se rendait agréable.PolystrateIl méritait mieux que les autres d’être mon héritier, quoique étranger et perdu dedébauche ; et voici déjà que les premiers citoyens lui font la cour. Ainsi, il m’asuccédé en tout ; on le compte parmi les meilleures familles, malgré son mentonrasé et son jargon barbare ; enfin, on le dit plus noble que Godrus, plus beau queNirée et plus prudent qu’Ulysse.SimylusPeu m’importe : qu’on en fasse, si l’on veut, le généralissime de la Grèce, pourvuque les autres n’héritent pas !10. Charon, Mercure, plusieurs morts, Ménippe,Charmoléus, Lampichus, Damasias, unphilosophe, un orateurCharonSachez où nous en sommes ! Notre barque, vous le voyez, est petite, pourrie detoutes parts ; pour peu qu’elle penche d’un côté, elle va chavirer et sombrer. C’estqu’aussi vous arrivez tous ensemble, en si grand nombre et avec tant de bagages !
Oui, si vous montez avec tous ces paquets, je crains que vous ne vous en repentiezbientôt, surtout ceux d’entre vous qui ne savent pas nager.Les MortsQue faut-il donc faire pour traverser sans accident ?CharonJe vais vous le dire : il faut monter nus, et laisser tous ces fardeaux inutiles sur lerivage : à peine la barque pourra-t-elle vous recevoir en cet état. Veille donc, toi,Mercure, à n’admettre ici personne qui ne soit entièrement nu, et qui n’ait laissé,comme je l’ai dit, même son plus léger bagage. Debout auprès de l’échelle,examine-les, retiens-les, et ne laisse monter que ceux qui se seront dépouillés.MercureTu as raison, et je vais le faire. Quel est celui qui se présente le premier ?MénippeJe suis Ménippe. Tiens, Mercure, voici ma besace et mon bâton ; jette-les dans lelac ! Pour mon manteau, je ne l’ai point apporté, et j’ai bien fait.MercureMonte, Ménippe, le meilleur des hommes, et prends la première place, en haut, àcôté du pilote, pour avoir l’œil sur les autres. Quel est ce beau garçon ?CharmoléusL’aimable Charmoléus de Mégare, dont le baiser valait deux talents.MercureEh bien ! laisse là ta beauté, tes lèvres et leurs baisers, ta chevelure touffue,l’incarnat de tes joues, et toute ta peau. Très bien ! te voilà leste ! monte à présent.Et celui-ci avec sa robe de pourpre, son diadème, cet air farouche ? Qui es-tu ?LampichusLampichus, tyran de Gela.MercureEt pourquoi, Lampichus, tout cet attirail ?LampichusComment ! fallait-il donc, Mercure, qu’un tyran vînt ici tout nu ?MercureUn tyran, non, mais un mort ! Dépose-moi tout cela.LampichusHé bien ! voilà ma richesse par terre.MercureJette aussi par terre ton orgueil, Lampichus, et ton air dédaigneux : ils chargeraienttrop la barque, s’ils y montaient avec toi.LampichusMais laisse-moi au moins mon diadème et mon manteau.MercureNon pas ; il faut les quitter aussi.LampichusEt maintenant ? tu le vois, j’ai tout quitté.
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