ÉTHIQUE ET ENTREPRISES: LE POINT DE VUE AMÉRICAIN

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          ÉTHIQUE ET ENTREPRISES: LE POINT DE VUE AMÉRICAIN                       Jean Pasquero   Professeur Département des sciences administratives Université du Québec à Montréal C.P. 6192, succursale Centre-ville Montréal, QC Canada H2X 3X2     [phone]-3893 [phone] Fax [e-mail]       Pasquero, J. 2000. Éthique et entreprises : le point de vue américain. In Marcel Côté et Taieb Hafsi (Eds.), Le management aujourd’hui: une perspective nord-américaine (anthologie du management), Québec : Presses de l’Université Laval, et Paris : Economica, pp. 369-393, (1628 pp.)     Une première version de cet article a été présentée au Colloque international "Entreprises et sociétés" de l'Association internationale des sociologues de langue française Montréal, 21-23 août 1995 et publiée en 1997 dans les Actes du colloque (1997. Actes du congrès annuel de l'Association internationale des sociologues de langue française)

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  La problématique de l'éthique des affaires aux États-Unis se caractérise par son exceptionnelle vitalité. Cette vitalité revêt trois dimensions: succès médiatique, transformation des pratiques de gestion, et créativité théorique. Les trois sont étroitement liées, et chacune nourrit l'essor des deux autres. Au-delà de son importance sociologique, cette problématique a aussi créé les conditions d'un renouvellement en profondeur de la réflexion sur les relations entre l'individu, l'entreprise et l'économie de marché. Cependant, malgré les emprunts croissants qu'elle suscite à travers le monde, la conception de l'éthique des affaires née aux États-Unis n'est peut-être pas universelle, car elle est profondément enracinée dans la culture américaine. Telle est la perspective dans laquelle ce thème sera traité dans la présente synthèse.       INTRODUCTION     L'éthique des affaires aux États-Unis est tout d'abord un phénomène sociologique. Un véritable marché de l'éthique s'est créé, avec ses promoteurs, ses producteurs et ses consommateurs. Les médias -- presse populaire, presse d'affaires, téléjournaux et même romans télévisés -- tous se font l'écho d'une préoccupation qui est devenue centrale dans le discours sur la gestion. Les écoles de gestion n'y échappent pas. Des "cours d'éthique" sont dispensés dans des centaines de facultés à travers le pays; de nouveaux programmes d'études supérieures sont organisés autour de ce sujet; et de nombreuses universités, souvent parmi les plus prestigieuses, se sont dotées de chaires ou de centres de recherche qui multiplient séminaires, publications et conférences. La publication de manuels universitaires sur le sujet connaît l'une des plus fortes croissances de l'industrie de l'édition. Plusieurs revues scientifiques consacrées exclusivement à ce domaine ont vu récemment le jour, pendant que les revues établies ouvrent leurs colonnes à un questionnement éthique de leur discipline, dans les domaines parfois les plus inattendus. Plusieurs associations savantes spécialisées ont également été créées depuis quelques années, et certaines accomplissent avec succès leurs ambitions internationales.   Placées sous haute surveillance, les entreprises ont du se questionner sur leur pratiques. Loin de suivre le mouvement, plusieurs d'entre elles exercent un véritable leadership dans ce domaine. Elles introduisent des innovations dans leurs systèmes de gestion, qui sont ensuite analysées par les universitaires et débouchent sur de nouvelles conceptualisations théoriques. Par l'intermédiaire de la presse d'affaires, ou par celui des consultants ou des universitaires qui leur prodiguent conseils ou séminaires de formation en "éthique", ces avancées théoriques finissent à leur tour par influencer les milieux d'affaires.

 

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  Tout semble donc indiquer que l'intérêt pour l'éthique des affaires n'est pas une mode sans lendemain. Ce mouvement de fond déborde d'ailleurs largement le cadre du territoire américain, puisque de nombreuses recherches ou associations savantes de par le monde suivent ou s'inspirent délibérément du "modèle américain".   Au-delà de ses aspects plus particulièrement sociologiques, ce succès s'explique par la transformation profonde qu'a connue la notion d'éthique des affaires depuis quelques années. Jadis limité à une réflexion marginale sur le rôle de l'entreprise dans la société, le questionnement éthique interpelle aujourd'hui la pratique concrète de toutes les fonctions de gestion, et place chaque décideur devant sa conscience d'humain autonome et censément responsable. Petit à petit, ce questionnement conduit à une remise en cause des fondements épistémologiques de chacune des disciplines de la gestion. En effet, l'éthique des affaires n'est pas une discipline comme les autres au sein des facultés de gestion. Son rôle n'est pas qu'instrumental, la formation en management. Il est aussi critique. A ce titre, le questionnement éthique déstabilise les conventions reçues et rend problématique le sens même de "sciences" de la gestion.   La notion d'éthique des affaires aux États-Unis est fortement ancrée dans la culture américaine. Pour en pénétrer le sens, nous aborderons cette notion selon quatre perspectives, que nous formulerons sous forme de questions: 1) quelle histoire? 2) quel contenu? 3) quel paradigme? 4) quel avenir? Nous commencerons donc par examiner la genèse de cette notion depuis une trentaine d'années. Nous analyserons ensuite le champ qu'elle couvre. Nous continuerons avec les développements théoriques en cours. Nous terminerons par une réflexion sur la place du mouvement au sein des grandes tendances actuelles de la société américaine.    

 

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  LA GENÈSE D'UN PARADIGME: POURQUOI L'ESSOR DE L'ÉTHIQUE DES AFFAIRES AUX ÉTATS- UNIS?   Dans cette section, nous chercherons à comprendre la genèse de la notion d'éthique des affaires aux États-Unis. Nous aborderons d'abord ce qui nous paraît une cause fondamentale de cet essor, puis nous examinerons ses sources culturelles, pour terminer avec les jalons qui l'ont marqué.     Une cause fondamentale: les mutations du capitalisme   Comme nous le verrons plus bas, le questionnement éthique en affaires n'est pas une nouveauté aux États-Unis. S'il se distingue aujourd'hui, c'est d'abord par une certaine renaissance et surtout par l'étonnante force de sa prégnance. Ce renouvellement est avant tout lié aux transformations fondamentales que traverse le capitalisme contemporain. Le raisonnement éthique hérité de la tradition des Lumières et concentré sur le marchand et la petite entreprise est devenu obsolète. La société industrielle, et plus encore peut-être la société post-industrielle américaines, dominées par les grandes entreprises et les grandes institutions et par la rationalisation accélérée de la vie sociale et économique, exigent de nouveaux cadres d'interprétation (Wolfe, 1991).   Devant la montée d'organisations géantes et dépersonnalisées, privées ou publiques, trois types de relations connaissent une profonde mutation: la relation individu-entreprise, la relation individu-société, et la relation entreprise-société. Dans chaque cas se posent d'épineux problèmes normatifs de vie en société. Les fondements éthiques de notions aussi fondamentales que la liberté, le pouvoir, le développement de la personne, les vertus modèles, le rôle social, les droits et les obligations individuels, sont appelés à une remise en question radicale. L'importance prise par le discours autour de l'éthique des affaires, aux États-Unis comme ailleurs, tient au fait que l'entreprise est l'un des lieux privilégiés où le choc des contradictions entre normes sociales se vit le plus intensément.  

 

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