Fariboles
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Description

CHARLES ET MELANIE
Après une soirée passée comme tant d’autres à somnoler devant la
télé, Charles et Mélanie viennent de se coucher. L’obscurité de leur
chambre recouvre d’un voile tranquille leur intimité dont l’ardeur s’est
attiédie au fil des années. “Dans le mi-temps du lit, la rivière est profonde.”
Sur une rive Mélanie s’endort en caressant le souvenir d’une
jeunesse qui reste enfouie quelque part. Sa pensée vagabonde, folâtre
puis se dissipe en un rêve qui flotte sans l’atteindre au-dessus de sa
mémoire.
Charles, immobile, dans une attitude de sommeil est absorbé par
une réflexion bien étrange. Un reportage récent sur la mission
exceptionnelle d’un brise glace U.S. l’a profondément marqué. Ce navire
est parti à l’assaut de la banquise pour tenter de délivrer une baleine en
danger de se laisser enfermer. L’opinion publique américaine s’est
mobilisée pour savoir s’il parviendrait à la rejoindre avant qu’elle périsse
asphyxiée sous la croûte de la calotte glaciaire qui commence à se former
autour d’elle. La couverture médiatique de cette expédition est d’autant
plus large qu’elle constitue un cadeau fait aux écologistes en période
électorale pour la désignation du futur président. Pourquoi Charles
accorde-t-il tant d’intérêt à ce fait divers aussi éloigné de ses
préoccupations courantes? La réponse à cette question n’est sans doute
pas simple. Toujours est il qu’il vit cet événement avec une passion qui lui
permet de découvrir le monde ...

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Publié le 15 avril 2011
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Langue Français

Extrait

CHARLES ET MELANIEAprès une soirée passée comme tant d’autres à somnoler devant la télé, Charles et Mélanie viennent de se coucher. L’obscurité de leur chambre recouvre d’un voile tranquille leur intimité dont l’ardeur s’est attiédie au fil des années. “Dans le mi-temps du lit, la rivière est profonde.” Sur une rive Mélanie s’endort en caressant le souvenir d’une jeunesse qui reste enfouie quelque part. Sa pensée vagabonde, folâtre puis se dissipe en un rêve qui flotte sans l’atteindre au-dessus de sa mémoire. Charles, immobile, dans une attitude de sommeil est absorbé par une réflexion bien étrange. Un reportage récent sur la mission exceptionnelle d’un brise glace U.S. l’a profondément marqué. Ce navire est parti à l’assaut de la banquise pour tenter de délivrer une baleine en danger de se laisser enfermer. L’opinion publique américaine s’est mobilisée pour savoir s’il parviendrait à la rejoindre avant qu’elle périsse asphyxiée sous la croûte de la calotte glaciaire qui commence à se former autour d’elle. La couverture médiatique de cette expédition est d’autant plus large qu’elle constitue un cadeau fait aux écologistes en période électorale pour la désignation du futur président. Pourquoi Charles accorde-t-il tant d’intérêt à ce fait divers aussi éloigné de ses préoccupations courantes? La réponse à cette question n’est sans doute pas simple. Toujours est il qu’il vit cet événement avec une passion qui lui permet de découvrir le monde fabuleux des grands mammifères marins.Demain, dans son bureau d’agent général d’assurance, en repointant sa comptabilité, il parcourra encore quelques milles imaginaires pour accompagner ces troupeaux de géants vers la fête annuelle de leur parade nuptiale, dans les mers des tropiques.Mélanie, sa toilette et les soins de la maison achevés se rendra à sa boutique pour répéter les mêmes gestes et présenter les mêmes objets que la veille. Certes ce magasin d’antiquité est sa création. Elle y a consacré ses efforts et son goût. Elle y trouve bien des satisfactions mais cela ne lui suffit plus pour s’épanouir. Elle a soif de fantaisie. Son appétit de vivre, d’entreprendre, de partager des émotions se heurte à l’éloignement de Charles. Oh, il n’est pas désagréable, non; il est comme absent. L’impression de solitude qu’elle en éprouve l’oppresse chaque jour d’avantage au point de l’amener à réagir.Malgré ce comportement qui lui échappe, Mélanie estime assez connaître son époux pour savoir recréer les conditions de l’harmonie des premières années de leur vie de couple. Tout y était source de joie, prétexte à rire, expression de tendresse. Chacun tourné vers l’autre avait le souci de lui plaire, non pour le séduire mais pour son plaisir. En repensant à cette période, le goût du clafoutis aux pruneaux lui revint à la bouche. Après tout, c’était bien par ce désert que leur histoire avait commencé.C’était, il y a dix ans, au coeur de la forêt landaise. Il pleuvait. Le hasard de la croisée des chemins les avait réunis en franchissant un “tuc” qui surplombait l’étang noir”. Là, ils avaient ressentis les mêmes
impressions partagées entre l’émerveillement, la sérénité et le bien-être qu’ils apprécièrent un long moment sans parler. Le paysage s’enfuyait devant eux jusqu’à l’horizon. Au loin, l’océan se perdait dans la grisaille du ciel. Les cimes des pins adoucissaient les ondulations des dunes. L’orage arrivant, ils se réfugièrent dans une palombière. En son centre, un mobilier rudimentaire en bois rassemblait une table et deux bancs. Alentour les postes de tir offraient une belle perspective vers le nord. Ils s’installèrent et Mélanie sortit de son panier un clafoutis aux pruneaux dont ils se régalèrent jusqu’à l’embellie. Ce qu’il advient par la suite n’appartient qu’à eux mais depuis , Charles et Mélanie ne se sont plus quittés.Ce matin là, un avis de la poste signalait dans le courrier de Charles l’arrivée d’un paquet à son nom qu’il devait personnellement retirer. Il se présenta donc au guichet. En signant le bon de retrait , il remarqua la provenance du colis: Soustons. Tiens. Qui donc pouvait lui adresser cet envoi et que contenait il?De retour à son bureau le nom de l’expéditeur ne l’avait pas mis sur la voie. Il trancha la ficelle de sisal qui enveloppait un emballage de papier kraft. Lui même recouvrait un carton sur lequel était déposée en évidence une enveloppe cachetée. Il l’ouvrit et eut l’agréable surprise de reconnaître l’écriture de Mélanie. Elle marquait l’anniversaire de leurs dix années de vie commune depuis leur rencontre dans la palombière de “l’étang Noir”. Sans la moindre allusion aux nuages qui l’avait parfois assombrie, elle évoquait le bonheur de cette période. En terminant elle l’invitait le soir même à partager le clafoutis aux pruneaux qu’elle avait commandé au boulanger-patissier de Soustons en le priant de joindre cette lettre au gâteau. Charles s’attendrit un instant puis éprouva une certaine confusion pour avoir laissé passer cette date. Enfin, tout à l’heure il ferait le nécessaire pour se rattraper.Le téléphone sonna. Un client déclarait un dégât des eaux en demandant sa prise en charge dans le cadre des garanties de sa police. Affaire courante et sans gravité mais qu’il faut gérer selon une procédure bien précise: prévenir les experts et la compagnie, remplir les imprimés et les ordres de missions, vérifier les dates de validité des contrats, la nature et le nombre des sinistres antérieurs...En fin d’après midi, la compagnie l’appelait pour la mise à jour d’un vieux fichier: tâche laborieuse qui nécessitait la consultation de documents archivés à la cave dans un endroit difficile d’accès.Aussi quand Charles rentra un peu plus tard que d’habitude, il avait de très bonnes raisons d’être content d’avoir terminé s journée.Mélanie l’attendait pour un dîner aux chandelles. Dix bougies éclairaient une table décorée de bruyères et de genets, dressée pour eux deux. En la voyant, Charles blêmit: il avait oublié le clafoutis au bureau.Quelques jours plus tard, Charles s’était replongé dans ses abysses. Quand il n’était pas absorbé par ses activités professionnelles, il se retranchait dans la lecture d’ouvrages de vulgarisation sur la migration des baleines. La progression de ses connaissances l’amenait à de nouvelles interrogations qui renforçaient le mystère de leurs voyages. Ingénieux, il
avait imaginé un système d’observations par satellite à partir de photos à infra rouge. Il pensait ainsi possible d’assister en direct au ballet grandiose de ces monstres au sang chaux convergeants dans chaque hémisphère vers l’équateur pour repartir se nourrir à la saison suivante à l’approche des pôles. Pendant qu’il était emporté dans ses rêveries, Mélanie se morfondaient cherchant le moyen de rompre cette barrière qui le séparait de son époux.Elle entreprit une nouvelle tentative sur un terrain où elle ne s’était jamais aventurée bien loin: celui de la volupté. Mignonne et bien faite, elle avait adopté un style simple, sportif, d’une élégance discrète, façon tailleur croisé ou pantalons de velours selon les circonstances. Le bleu de ses yeux était à peine souligné par un léger fard à paupières. Ses cheveux bruns, assez courts, le plus souvent ramenés en arrière, dégageaient avec franchise l’ovale de son visage souriant.Son charme naturel et spontané résidait surtout dans sa joie de vivre de façon saine et sage, fruit d’une éducation stricte qu’elle avait bien acceptée et assimilée.Ainsi, au fil des semaines qui suivirent l’incident du clafoutis, un changement s’opéra en elle. Une mèche claire apparut sur son front apportant une nouvelle lumière à son regard. Ses chemisiers s’entrouvraient en décolletés plus échancrés qui dévoilaient une lingerie qu’elle avait renouvelée avec un soin raffiné. Parfois, elle portait à même la peau un caraco de satin rendant à son buste une liberté qui prolongeait chaque mouvement de son corps d’une émotion très sensuelle. La nuit, elle portait des parures troublantes et vaporeuses. Dans ses moments de tendresse avec Charles son attitude aussi était différente. On eut dit que la maîtresse avait supplanté l’épouse. Elle donnait à leurs rencontres charnelles une allure de fête galante consacrée aux plaisirs des jeux de l’amour. Charles, docile, s’accommodait avec satisfaction de ce nouveau comportement sans que cela n’affecte pour autant son affection pour ses nouvelles amies à fanons.Ce soir là, ils étaient au salon, sur un épais tapis de laine, devant la cheminée. Ils avaient retrouvé un instant la saveur du clafoutis au pruneaux. Mélanie était allongée sur le ventre, jambes jointes, pieds évasés. Drapée dans un voile de mousseline, elle s’offrait au regard de Charles qui l’observait à la lueur du feu de bois.- Tu crois aux légendes, ma chérie?- ... Elle sourit- Je suis certain qu’elles ne doivent rien au hasard ni à l’imagination des conteurs. Ce qui relève aujourd’hui du fantastique peut très bien refléter une ancienne réalité. Regarde, par exemple, le squelette des cétacés, leurs nageoires pectorales comportent une ossature composée d’un bras, d’un poignet, et d’une main de cinq doigts. Certains savants estiment que peut être, cet animal vivait primitivement sur terre. Après tout, quand on connaît le fonctionnement de son système cardio vasculaire, on retrouve une certaine logique. La nature est une merveille d’intelligence et de beauté . Alors quand on pense aux sirènes, on- Ah non Charles, arrête, arrête.Furieuse, elle sortit en claquant la porte. Charles demeura stupide sans
comprendre son emportement. Nonchalant, il s’attarda un moment dans la pièce avant d’aller dormir. Le lendemain, Mélanie, toute colère envolée présentait l’assurance de quelqu’un qui sait ce qu’il va faire.Quelques temps plus tard, Charles fit une découverte inattendue. Alors qu’il fouillait de façon bien innocente dans le secrétaire de Mélanie, à la recherche de timbres, il retrouva leur album de photos. Il le feuilleta un moment avec plaisir, plutôt flatté de se revoir avec plusieurs kilos et quelques années de moins. En le reposant parmi tous ces objets qui lui étaient familiers, il remarqua un petit cahier protégé par une couverture cartonnée bleue qu’il ne connaissait pas. Il le saisit. La belle écriture ronde de Mélanie remplissait des dizaines de pages ponctuées de dates. Elle tenait donc un journal. Le premier étonnement dépassé, sa curiosité l’emporta sur le scrupule qu’il éprouvait à lire ce texte dont elle ne lui avait jamais parlé. Au moment où il entreprit sa lecture, il entendit le bruit de la serrure de la porte d’entrée. Mélanie rentrait. Tel un gamin pris en faute, il remit de l’ordre à la hâte en reportant à plus tard la suite de ses investigations. Que pouvait elle donc écrire? La connaissant parfaitement, il n’imaginait pas ce qu’elle pouvait bien y raconter. Perplexe, ses pensées l’emportaient dans un tourbillon d’interrogations. S’il avait dû tenir le même registre, il eut été bien succinct, répétitif et vite ennuyeux. Mélanie est vive et intelligente, si elle se donne la peine de rédiger ce texte qui l’accompagne au fil du temps et surtout si elle le lui cache, c’est tout un pan de sa vie qui lui échappe. Alors pourquoi? Après tout, peut être s’agit il d’un carnet de travail retraçant les particularités des meubles et bibelots de sa boutique. Charles a toujours été fasciné par son art pour présenter un objet. Fut il d’aspect quelconque, elle sait le situer dans un cadre. Elle vous perle des personnes qui l’ont possédé, des péripéties qui lui forgent une identité en le reliant souvent à des noms prestigieux. Mais oui, Mélanie aura consigné là des informations qu’elle glane au jour le jour, pour les besoins de son commerce. Rassuré par cette éventualité, il dût attendre le lendemain d’être seul dans l’appartement pour en avoir le coeur net. Hélas, Charles se trouva précipité avec stupeur dans les confidences d’un journal intime qui lui révélait sans aucune pudeur, une liaison qu’il n’avait jamais soupçonnée: Mélanie avait un amant. Elle y décrivait ses élans, leurs rendez vous, leurs ébats, ses sentiments. Atterré, il fondit en larmes. L’instant d’après, il remettait le cahier bleu à sa place et regagnait son bureau.La soirée fut pénible. Pour en apprendre plus, il feignit d’ignorer ce qu’il savait. Il voulut observer tout ce qui lui avait échappé: ses mensonges, ses retards et tous les petits signes qui accompagnent une vie amoureuse. Il se remémorait des détails sur sa façon de se coiffer, de s’habiller qu’elle avait transformée depuis peu. C’était donc ça. Mélanie perçut le malaise que son époux ne parvenait pas à dissimuler. Prudente, elle prétexta la fatigue d’une longue journée pour aller se coucher le plus tôt qu’elle put.Cette nuit là, le sommeil de Charles fut très agité. Long à s’endormir,
il sombra dans un cauchemar. A la tombée de la nuit, sur un océan déchaîné, à l’avant d’une chaloupe en bois, mue par une dizaine de robustes rameurs, il subissait les coups de boutoir des brisants soulevés par un vent qui hurlait à la mort. Soudain, un souffle puissant, tel un geyser, surgit de la lame. Les cris de l’équipage saluèrent avec effroi un énorme cachalot qui bondissait à quelques brasses avant de replonger. A plusieurs reprises il fit ainsi des bonds prodigieux. Sa masse colossale s’élevait hors de l’eau pour retomber en soulevant des paquets de mer qui menaçaient chaque fois davantage leur frêle embarcation. La bête avait des yeux bleus placés aux commissures d’une bouche gargantuesque où l’on devinait la provocation d’un rire moqueur. Dans un état de furie, Charles empoigna un premier harpon et le projeta avec une violence sauvage pour atteindre le monstre en plein flanc. Dix fois il le frappa, l’assaillant sans répit de nouvelles lances acérées qui déchiraient sa chair écarlate. Au paroxysme du combat, une vague gigantesque engloutit tout dans un même linceul d’écume blanche.A partir de là, Charles se laissa engluer dans une jalousie de plus en plus obsédante. Il ruminait dans ses pensées les mots impudiques qui puaient un adultère qui le révoltait: ceux qu’il avait lus. Sa rage était d’autant plus vive qu’il ne connaissait pas le nom de son rival alors qu’il savait tout de lui. Le journal ne lui avait épargné aucun détail: son odeur, le grain de sa peau, le galbe de ses muscles, le palmarès de ses performances et son art pour susciter un désir jusqu’à l’outrance. Chaque jours de nouveaux épisodes sataniques le torturaient davantage avec une cruauté criminelle. Ses efforts pour les surprendre demeuraient vains. Toujours à l’affût, il contrôlait toutes les allées et venues de l’infidèle. Sournois il lui tendait des pièges que Mélanie déjouait avec un naturel déconcertant.Plusieurs semaines s’écoulèrent ainsi sous une tension telle qu’elle décida enfin de parler.Il est vingt heures; Tous deux sont attablés en vis à vis à la salle à manger . C’est la fin d’un repas dans un silence devenu insoutenable.- Charles depuis quelques temps je suis un peu différente et je sens bien que tu commences à t’en rendre compte. Je suis lasse de cette comédie; arrêtons nos conneries, veux tu? Puisqu’il le faut, parlons en une bonne fois pour toutes et dépassons tout ça. Charles je t’ai trompé.- Tiens donc. Tu crois que je n’ai pas remarqué ton manège. Figure toi que ça fait lurette que j’ai repéré tes manigances. Je sais tout, tu m’entends? Tout: son odeur, tes frasques, tout. La façon scandaleuse dont tu t’es moquée de moi, tes mensonges...- Mais Charles, ce n’est pas ainsi que je t’ai menti.- Ah non et de quoi donc tu te gargarises dans cet infâme torchon que tu caches dans ton secrétaire?- Mais Charles, je ne te cache rien. Ce cahier, je l’ai écrit pour toi, rien que pour toi. Je le laisse assez en évidence à ta seule intention. Charles,
toutes ces choses ignobles que tu as lues, je les ai inventées. Oui Charles, j’ai besoin que tu m’aimes et que tu me le dise. J’ai cru en provoquant ta jalousie ton trouble exprimerait ce sentiment Pardon Charles, je suis une idiote. En blessant ton amour propre je t’ai repoussé alors que je cherchais le contraire. Il ne suffit pas que nous soyons côte à côte ou face à face pour être ensemble. Quelque part, tu t’échappes. Où qu’elle soit, Charles, amène moi sur ton île. Charles l’écoutait, stupéfait. D’abord incrédule puis sceptique, il finit par s’apaiser. Le couple rasséréné, chacun manifesta beaucoup de bonne volonté pour oublier cet incident grotesque.A la recherche de leur première union de la palombière de l’étang Noir, ils décidèrent d’y revenir pour un bref passage, le temps d’évoquer ensemble ce souvenir. Au-delà des vicissitudes qui les avaient séparés, ils gardaient la nostalgie des moments magiques qu’ils y avaient vécu.C’était un soir d’hiver. Trop tard pour s’engager dans un sentier en pleine forêt, ils choisirent de se promener le long de la plage de Soustons. Le soleil déclinait sur un horizon chargé de nuages flamboyants. La mer commençait à se retirer en dégageant une vaste étendue de sable qui se prolongeait à perte de vue. Ils marchaient, main dans la main, sans parler en éprouvant un bien-être profond. L’air vif de la brise du large était chargé d’embruns aux senteurs marines: toniques et iodées. Le grondement des rouleaux tonnait avec gravité dans cet univers grandiose.Au loin devant eux ils aperçurent une masse inerte, comme un gros tronc d’arbre que la marée venait de déposer. En s’approchant, ils reconnurent un baleineau qui s’était échoué. Il gisait, sans vie, recouvert des plaies infligées par les prédateurs de la mer. Blottis l’un contre l’autre, ils demeurèrent apitoyés. Les dernières lueurs du jour s’assombrirent en variations chatoyantes passant du rose au pourpre avant la tombée de la nuit. Retournant à leur hôtel, dans la plénitude d’une paix retrouvée, ils savaient que l’étreinte qui allait les unir porterait la promesse d’un enfant.* 
BAPTISTINC’était pendant une nuit de tempête, aux équinoxe d’automne, les lames frappaient avec violence la base du phare qui trônait dans la furie fantastique des flots déchaînés.Là, coupé du monde, douillettement blotti dans son lit breton, enchâssé dans la muraille, Baptistin, le gardien, rêvait.Dans sa quiétude, il percevait les vibrations de chaque coup de boutoir sur le roc dont il connaissait le rythme et l’impact. Elles ponctuaient sa vie depuis si longtemps qu’il savait en capter l’énergie. Il savait apprivoiser cette puissance de l’eau et du vent pour dominer le monde. Au moins son monde à lui qui , c’est vrai, était restreint, car bien sûr, Baptistin vivait seul.Toujours est il qu’en des circonstances aussi fortes, par la magie d’un tel athanor, il régnait en prince sur cette contrée heureuse, pourtant cernée de désolation.Soudain, il entendit frapper à son huis. La voix d’une vieille femme appelait:-Baptistin, Baptistin, ton phare est éteint. Il bondit hors de sa couche.- Qui est là? Mais qui est là bon sang?Il ouvre la porte. Aveuglé parles gerbes d’embruns qui le fouettent au visage, il ne voit personne mais le son éraillé de cette voix répète:- Baptistin, Baptistin ton phare est éteint... Baptistin, Baptistin ton phare est éteint.De fait, l’obscurité est totale. Avec précipitation, Baptistin s’engage dans l’escalier en colimaçon qui le conduit au sommet du phare. De là, il aperçoit au loin les feux d’un navire. Conscient du danger, il s’active, à la lueur d’un bougie sur sa mécanique défaillante pour ranimer le foyer optique de ses énormes lentilles de verre. Vite, l’urgence se fait plus pressante à l’approche du bateau qui fait route sur lui, poussé à vive allure par le vent les vagues et le courant. Le vaisseau n’est plus maintenant qu’à trois encablures. Des salves d’éclairs illuminent le drame imminent. Dans un instant il va se fracasser sur la roche dans un naufrage inéluctable. Le vacarme satanique qui rugit dans la tourelle est assourdissant quand un formidable éclat de rire retentit en écho des entrailles du bâtiment:- Alors Baptistin, le très grand, le tout puissant Baptistin, que dis tu maintenant? Que fais tu? Regarde ces pauvres marins qui vont périr par ta faute. Vestale incapable, tu n’as pas su garder la flamme que l’on t’avait confiée.Stupéfait, Baptistin scrute au dehors. Le voilier n’est plus qu’à une encablure. Il pose ses outils et tente l’impossible. Il sort sur la plate-forme supérieure hurlant un cri terrible pour faire taire cette horrible voix. Puis il gonfle sa poitrine et souffle vers le ciel avec assez de force pour percer les nuages et découvrir la lune qui brillait dans toute sa clarté. Il la
décroche et la pose en douceur au sommet de son phare. Rayonnant à nouveau, il éclaire le passage d’une goélette gorgée d’allégresse qui évite l’écueil et poursuit sa route en filant sous le vent, quelque part, vers les étoiles. .  *L’AVENTURE DE BENJAMINBenjamin Martial était professeur de géographie au collège Saint Seurin dans une grande ville de province. Il s’y ennuyait. Tout était terne autour de lui. Il portait des costumes gris, n’avait que peu d’amis. Il vivait retranché derrière un mur de convenances où il affichait le comportement respectable d’un petit bourgeois. Compétent, patient, il aimait les enfants et ses élèves l’appréciaient. Chacun de ses cours était une aventure à la découverte d’un pays qu’il décrivait de façon merveilleuse. Il savait situer dans un décor magique tous les chapitres de son programme. Sa description des Indes était ponctuée d’épices, de senteurs de cannelle; il dépeignait l’Arctique à la lueur des reflets roses des icebergs miroitant au soleil de minuit. Les détails qu’il retenait enveloppaient sans la moindre invraisemblance, la réalité d’un monde où son imagination dérivait d’autant plus librement qu’il n’avait jamais voyagé.Ce jour là, Benjamin Martial était contrarié. Il n’aurait su dire pourquoi mais un malaise profond le rongeait. La monotonie de son existence lui paraissait insoutenable. Que pouvait donc espérer un enseignant de sa classe? Rien, sinon s’enfoncer un peu plus dans la routine dans laquelle il s’était laissé enfermer.Une envie folle lui traversa soudain l’esprit: partir, fuir très loin: l’Amérique; mieux, l’Amérique du Sud. Il se voyait contempler les chutes majestueuses d’Iguaçu, escalader les favelas aux rythmes des sambas des cariocas. Voilà; le temps était accompli, celui de l’école révolu, une nouvelle vie s’ouvrait devant lui. Cette perspective le remplit de joie et c’est le coeur léger qu’il se rendit au collège. En traversant la cour, il croisa le directeur de l’établissement qui lui fit part de la visite de l’inspecteur d’académie pour la semaine suivante. En temps ordinaire cette nouvelle aurait plongé Benjamin dans une nervosité inquiète en redoutant une observation désobligeante. Il salua pourtant cette annonce avec une indifférence souriante en pensant à l’embarras qu’allait provoquer son absence. Elle prendrait un relief qui lui donnerait une certaine importance , comme un signe de reconnaissance posthume. Bien sûr sa carrière serait brisée mais ce suicide professionnel ne manquait pas de panache. Ces rêveries flattaient sa vanité avec d’autant plus de facilité qu’il ne se connaissait pas cette petite faiblesse , habituait qu’il était à se dévaloriser dans des rôles en retrait.Ne voyant presque personne, il n’eut pas grand peine à garder son secret. Pour renforcer l’émoi que susciterait sa disparition, il choisit de partir le jour de la fameuse inspection.
Ce matin là, Benjamin était fin prêt. Il avait trié avec soin les effets qu’il emporterait. Limités au strict minimum, il avait surtout pris des dispositions auprés de sa banque pour retirer ses économies. Malgré la modicité de son traitement, elles représentaient un petit pécule tout à fait convenable pour partir et voir venir.Son dernier regard sur l’appartement fut chargé d’émotion où l’excitation de son départ était embrumée par le voile d’une nostalgie tissée dans le souvenir des années passées ici. Ce lieu gardait comme une empreinte de ses craintes, de ses doutes, des rencontres d’autant plus riches et fortes qu’elles avaient été rares. Il laissait ses livres comme on abandonne de vieux compagnons: à regret. En parcourant les rayons de sa bibliothèque, son attention se fixa un instant sur un cadre et sur un petit coffret en bois. Il le glissa dans son bagage et referma la porte derrière lui.La rue qui lui était si familière avait un aspect étrange. Il l’observait avec intensité comme pour bien graver ce décor dans sa mémoire. A l’arrêt du bus il avait l’habitude d’échanger quelques paroles avec la fleuriste qui tenait son étal en vis à vis.- Oh vous voilà bien chargé aujourd’hui Monsieur Martial. Benjamin esquiva sa remarque en lui répondant par une banalité sur le temps qu’il ferait puis il s’installa dans le car.A la gare, le train pour Paris était annoncé avec une demi-heure de retard. Certes, il n’était pas pressé et personne ne l’attendait mais ce léger contretemps le perturba. Ses pensées se bousculaient de façon un peu confuse comme si un doute mal défini jetait une ombre sur la perspective sa nouvelle vie. Monsieur Martial avait agi sans précipitation. En ayant pesé tous les aléas , il avait arrêté sa résolution. Oui, mais ce n’est pas parce que vous avez décidé de sauter d’un plongeoir de quinze mètres qu’il est recommandé de stationner trop longtemps sur la dernière marche à contempler le vide. L’émotion qui grandissait en lui n’était pas la peur d’un inconnu qui le fascinait mais sa conscience des liens affectifs qui l’entravaient. A tort ou à raison, il retira de son sac de voyage son cher petit coffret et relut les billets qu’il contenait. Il en ajouta un autre où il écrivit: ”Le plus bel ailleurs qui soit est enfoui dans le coeur de chacun, sous les secrets de nos désirs.” Puis, il rentra chez lui.* 
LES VOISINS SOLIDAIRESEn des temps reculés, dans une contrée lointaine, une rivière traversait un pays prospère. Les terres, fertiles, bien irriguées généraient d’abondantes récoltes. Leur négoce alimentait la fortune des marchands comme celle des paysans. Au-dessus, dans la montagne, la vie était moins facile. Les gens y étaient plus pauvres alors qu’ils travaillaient dans des conditions plus dures.Une nuit, le prince du Royaume d’En-Haut s’éteint. Son fils, jaloux de ceux d’En-Bas va rencontrer leur roi et lui dit:- J’espère que vous êtes satisfaits de l’eau que vous recevez de chez nous. A partir de maintenant il vous en coûtera dix mille écus par an.Le monarque d’En-Bas s’esclaffe. Son visiteur lui fait remarquer la facilité avec laquelle il pourrait détourner le cours de la rivière. Un barrage insignifiant au sortir de la source suffirait. Décontenancé par le danger d’une telle catastrophe, le malheureux sonne son Grand Chambellan et lui expose la situation. Ce dernier réfléchit puis sourit.- Voilà Sire, ce que je vous propose. L’air pur du Pays d’En-Haut pourrait bien être pollué par d’épaisses colonnes de fumées nauséabondes. Il suffirait pour cela que vous décidiez d’installer assez d’usines aux frontières supérieures du Royaume. Je vous suggère d’en différer la construction moyennant une indemnité qui pourrait être fixée, par exemple à dix mille écus par an. Vous dégageriez ainsi la recette vous permettant d’acquitter le prix de l’eau.Le prince d’En-Haut repartit tout penaud. En chemin il rencontre maître Légitimus, un homme d’une probité absolue, chargé de la garde du Code Suprême des Devoirs. Le jeune monarque lui raconte sa mésaventure. L’homme de loi consulte le texte souverain. Il y découvre qu’autrefois, le pays d’En-Haut et le pays d’En-Bas n’en formaient qu’un seul qui appartenait à la famille du prince d’En-Haut.Le prince d’En-Haut, revient auprès de celui d’En-Bas pour lui annoncer que toutes les terres de ce qu’il croit être sa plaine sont à lui. Dans sa grande bonté il veut bien ne pas le chasser tout de suite mais en attendant, il lui interdit de réaliser ces usines dont il l’a menacé et lui réclame une première annuité de dix mille écus pour l’eau.Désemparé, le prince dépossédé rappelle son Grand Chambellan et lui fait le récit de cette pénible scène.Ce dernier réfléchit puis sourit.- Voilà, Sire, ce que je vous propose. Emparez vous du document de Maître Légitimus et brûlez le. Votre subordination réduite en cendres, vous retrouverez la plénitude de votre puissance dans le royaume.- Oui, tu as raison mais comment se procurer ce code?- Et bien voilà Sire, vous allez mentir.- Hélas, c’est impossible. Je ne sais pas mentir. Je n’ai jamais menti.- Sire, vous n’avez jamais menti parce que tous vos désirs ont été comblés par la grâce de votre royauté. Maintenant qu’elle vous est confisquée, profitez en pour commettre quelques mensonges et récupérer au plus vite cette couronne qui vous ramènera à l’observance de la stricte vérité.
- Après tout les lys ne poussent pas sur un lit de roses. Dis moi ton plan.Et bien voilà Sire, vous allez vous rendre auprès du prince d’En-Haut. Vous lui révélerez que Maître Légitimus n’a pas tout dit. Le Code Suprême des Devoirs précise bien que l’ensemble du pays appartient à la famille du prince d’En-Haut mais il poursuit en stipulant de nombreuses et très lourdes obligations. En particulier, il prescrit le reversement du superflu de toute personne au bénéfice des nécessiteux. Le prince d’En-Haut voudra contrôler ce qui en est et se fera apporter le Règlement. Tout à la joie de vous faire toucher du doigt votre erreur, il vous le présentera pour bien vous montrer que vous vous trompez. A cet instant, l’air grave, vous lui expliquerez que ce malheur qui vous frappe vous a plongé dans les ténèbres d’une cécité quasi complète. Alors, vous approchant avec une grosse loupe dans une main et une bougie dans l’autre, vous y mettrez le feu. C’est ainsi que le lendemain matin, le prince d’En-Bas se rend auprès de son nouveau maître et lui tient le langage hypocrite que lui a suggéré son conseiller. Le prince d’En-Haut lui demande de fournir la preuve de l’existence des droits qu’il réclame. Ce faisant, on envoie chercher Maître Légitimus.Quand celui-ci se présente avec son parchemin, le prince d’En-Haut se met à redouter d’autant plus cette nouvelle charge que, ne sachant pas lire, il ne peut vérifier ce qu’il en est. Il déclare alors de façon solennelle.- Mon ami, embrassons nous. Laissons là ces papiers. Partageons nos joies et nos peines et que nos efforts conjugués participent au bonheur de nos peuples. Point n’est besoin de charte entre nous. Je livre celle-ci au feu pour qu’il efface les errements du passé et que sa lumière guide notre avenir. *
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