L arroseur arrosé : Popper, « la télévision, un danger pour la démocratie » - article ; n°94 ; vol.17, pg 217-240
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L'arroseur arrosé : Popper, « la télévision, un danger pour la démocratie » - article ; n°94 ; vol.17, pg 217-240

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Réseaux - Année 1999 - Volume 17 - Numéro 94 - Pages 217-240
This article presents the epistemological roots of Popperian engagement against television. Driven by radical technological determinism, the Austrian philosopher of science saw television as a lethal threat to democracy. In his view, television professionals act irresponsibly by prioritizing violent programmes simply for the sake of increasing their market share, without any concern for the effects on society. He consequently suggested profound reform of the institution. The article shows that this denunciation adapts the philosopher's nominalist and individualistic theses, the basis of his theory of rational critique. It strives, moreover, to compare this theory to Habermas1 and Rorty's work, and notes that Popper exhibits very little knowledge of reception studies. The article concludes that his problématique is, paradoxically, based on induction - a philosophy which the epistemologist opposed throughout his life.
Cet article présente les filiations épistémologiques de l'engagement poppérien contre la télévision. Animé d'un déterminisme technologique radical, le philosophe des sciences autrichien perçoit en effet cette dernière comme un danger mortel pour la démocratie. Les professionnels de la télévision feraient preuve à ses yeux d'irresponsabilité en privilégiant la diffusion de programmes violents pour s'assurer des parts de marché conséquentes, sans se soucier des effets engendrés dans la société. Popper propose en conséquence de réformer profondément l'institution. L'article souligne que cette dénonciation adapte les thèses nominalistes et individualistes du philosophe, fondements de sa théorie de la critique rationnelle. Il s'attache par ailleurs à rapprocher celle-ci des travaux d'Habermas et de Rorty et revient sur la faible connaissance que Popper a des études sur la réception des messages télévisuels. L'article conclut que sa problématique relève paradoxalement de l'induction, philosophie par ailleurs combattue par l'épistémologue tout au long de sa vie.
24 pages
Source : Persée ; Ministère de la jeunesse, de l’éducation nationale et de la recherche, Direction de l’enseignement supérieur, Sous-direction des bibliothèques et de la documentation.

Informations

Publié par
Publié le 01 janvier 1999
Nombre de lectures 38
Langue Français
Poids de l'ouvrage 1 Mo

Extrait

Emmanuel Paris
L'arroseur arrosé : Popper, « la télévision, un danger pour la
démocratie »
In: Réseaux, 1999, volume 17 n°94. pp. 217-240.
Abstract
This article presents the epistemological roots of Popperian engagement against television. Driven by radical technological
determinism, the Austrian philosopher of science saw television as a lethal threat to democracy. In his view, television
professionals act irresponsibly by prioritizing violent programmes simply for the sake of increasing their market share, without any
concern for the effects on society. He consequently suggested profound reform of the institution. The article shows that this
denunciation adapts the philosopher's nominalist and individualistic theses, the basis of his theory of rational critique. It strives,
moreover, to compare this theory to Habermas1 and Rorty's work, and notes that Popper exhibits very little knowledge of
reception studies. The article concludes that his problématique is, paradoxically, based on induction - a philosophy which the
epistemologist opposed throughout his life.
Résumé
Cet article présente les filiations épistémologiques de l'engagement poppérien contre la télévision. Animé d'un déterminisme
technologique radical, le philosophe des sciences autrichien perçoit en effet cette dernière comme un danger mortel pour la
démocratie. Les professionnels de la télévision feraient preuve à ses yeux d'irresponsabilité en privilégiant la diffusion de
programmes violents pour s'assurer des parts de marché conséquentes, sans se soucier des effets engendrés dans la société.
Popper propose en conséquence de réformer profondément l'institution. L'article souligne que cette dénonciation adapte les
thèses nominalistes et individualistes du philosophe, fondements de sa théorie de la critique rationnelle. Il s'attache par ailleurs à
rapprocher celle-ci des travaux d'Habermas et de Rorty et revient sur la faible connaissance que Popper a des études sur la
réception des messages télévisuels. L'article conclut que sa problématique relève paradoxalement de l'induction, philosophie par
ailleurs combattue par l'épistémologue tout au long de sa vie.
Citer ce document / Cite this document :
Paris Emmanuel. L'arroseur arrosé : Popper, « la télévision, un danger pour la démocratie ». In: Réseaux, 1999, volume 17
n°94. pp. 217-240.
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/reso_0751-7971_1999_num_17_94_21482(7-
L'ARROSEUR ARROSE :
POPPER, « LA TÉLÉVISION, UN DANGER POUR LA
DÉMOCRATIE »
Emmanuel PARIS
Réseaux n° 94 - CNET/Hermès Science Publications - 1999 Karl Popper serait-il le « dernier philosophe », ainsi que se le
demande Alain Boyer en conclusion de son hommage, paru un an
après la mort de l'épistémologue autrichien? « Ce n'est pas
seulement un philosophe de grande envergure qui s'en va, écrit-il, c'est
aussi l'une des mémoires de ce siècle, de ses passions politiques et de ses
aventures intellectuelles1 ». Popper est bien sûr avant tout connu en tant que
philosophe des sciences : son ouvrage clé, La logique de la Découverte
scientifique2, a marqué les esprits avec la proposition d'un nouveau critère
de démarcation entre science et non-science : la « falsifiabilité » des
théories3. Au cœur de cette epistemologie réside un postulat fondamental :
l'erreur est pédagogique, elle permet par sa prise en compte le « progrès » de
la science. De sorte qu'on ne peut comprendre la dynamique de la pratique
scientifique qu'en tant qu'exercice systématique de la critique rationnelle.
Ce que l'on sait moins, ou ce que l'on n'est pas prêt à reconnaître4, c'est que
pour Popper la science n'est qu'un tremplin pour la formalisation d'une
philosophie plus vaste, celle de Y «unité des activités humaines» comme
l'intitule joliment Renée Bouveresse5. L'étude de la science ne l'intéresse en
effet que dans la mesure où elle permet de mettre à nu une méthode
1. BOYER, 1995, p. 271.
2. POPPER, 1973.
3. Toute théorie, dit Popper, est une conjecture ou une supposition librement créée par l'esprit,
qui s'efforce de résoudre les problèmes posés par les théories précédentes, et de décrire de
façon appropriée le comportement de certains aspects du monde ou de l'univers. Cette « vue
de l'esprit » doit être rigoureusement réfutée ou corroborée par l'observation et l'expérience.
Il faut éliminer les théories incapables de résister aux tests de ou de l'expérience
et les remplacer par d'autres conjectures spéculatives.
4. Jean Baudouin dénonce l'ostracisme récurrent dont serait victime Popper dans le « milieu
particulier de la philosophie politique » : « La réception en France de l'œuvre de Popper est,
à cet égard, édifiante. On tolère l'épistémologue mais on ignore l'idéologue » (BAUDOUIN,
1994 a, p. 9). On remarquera à notre tour que Popper considérait sa propre philosophie
politique comme celle d'un « amateur légitime », et ne s'est jamais donné pour but de
proposer une intelligence d'ensemble de notre modernité politique, à la différence d'un Leo
Strauss, Friedrich Hayek, John Rawls ou Jiirgen Habermas par exemple.
5. BOUVERESSE, 1998, p. 13. Réseaux n° 94 220
universellement valable, la démarche critique. Cette méthode est applicable
dans tous les domaines de l'action, y compris et surtout dans l'action
politique. Celle-ci n'est rationnelle que lorsqu'elle sait reconnaître ses
erreurs pour ensuite les éliminer et ainsi s'améliorer. Pour Popper, cette
politique n'a de chance de se déployer que dans une société « ouverte ». Une
telle société est capable de séparer ce qui est conventionnel de ce qui ne l'est
pas, de considérer les institutions comme des créations de l'homme reposant
sur l'interdépendance et la communication de ses membres par le moyen
d'intermédiaires organisés, de respecter le droit de chacun à prendre des
décisions personnelles. En résumé, une « société ouverte » faisant de
l'individu la valeur suprême6. On l'entrevoit, la philosophie politique de
Popper repose sur un axiome : les droits fondamentaux des individus ne sont
préservés que si la raison critique de chacun peut s'exercer de manière
pacifique. Car l'objectif politique absolu, s'il doit en exister un, est, selon
Popper, d'éliminer la violence.
Nombreux sont les épistémologues ayant mis au centre de leur système
philosophique la rectification de l'erreur comme ciment de la raison critique.
On peut citer comme exemple celui de Gaston Bachelard7. Mais Popper est
le seul à élargir aussi explicitement à l'action politique ce lien entre erreur et
raison. De plus, si le thème de la communication est tout aussi présent dans
le discours de Г epistemologie contemporaine, aucun n'y recourt aussi
systématiquement que Popper: «Je suis un rationaliste. J'appelle
rationaliste celui qui désire comprendre le monde et apprendre en
échangeant des arguments avec autrui. (...) Par « échanger des arguments »,
j'entends plus précisément le critiquer, susciter ses critiques et tâcher d'en
tirer des enseignements. L'art de l'argumentation est une variante un peu
particulière de Vart du combat, dans lequel les mots tiennent lieu d'épées et
dont le mobile est l'intérêt pour la vérité et le désir de s'en rapprocher de
plus en plus91. » Cette position toute socratique repose sur une vision
profondément rationaliste et individualiste des comportements humains.
Rationaliste puisqu'il faut systématiser la critique, individualiste car c'est
6. Voir POPPER, 1979.
7. « Une expérience scientifique est alors une expérience qui contredit l'expérience commune.
D'ailleurs, l'expérience immédiate et usuelle garde toujours une sorte de caractère
tautologique, elle se développe dans le règne des mots et des définitions ; elle manque
précisément de cette perspective d'erreurs rectifiées qui caractérise, à notre avis, la pensée
scientifique. » 1993, p. 10.
8. 1990, p. 26. L' arroseur arrosé 22 1
seulement si chacun se prend pour objet de connaissance et domaine d'action
qu&

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