L envers de 1900. Le lexique des luttes et de l organisation ouvrières en France - article ; n°1 ; vol.5, pg 103-126
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L'envers de 1900. Le lexique des luttes et de l'organisation ouvrières en France - article ; n°1 ; vol.5, pg 103-126

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Mots - Année 1982 - Volume 5 - Numéro 1 - Pages 103-126
L'ENVERS DE 1900. LE LEXIQUE DES LUTTES ET DE L'ORGANISATION OUVRIÈRES EN FRANCE On connaît trop la façade «belle époque» de 1900. Derrière le boom industriel, les textes qui donnent une voix à ceux qui l'ont réalisé de leurs mains surprennent par l'ampleur du vocabulaire misérabiliste et la vigueur des résurgences révolutionnaires et quarante-huitardes. L'évocation des luttes sociales puise à tel point dans ces registres que s'affrontent de vrais mythes (au sens de Sorel) : militarisation et capitaliste, attente du Grand Soir, lequel prend la suite du Grand Jour en s'appuyant dans le discours d'extrême gauche sur la dynamique grève-généraliste. Dans le concret quotidien, les grandes lexies font place aux dénominations des grévistes et des anti-grévistes : des systèmes marqués s'opposent, que domine le heurt des rouges et des jaunes; l'organisation ouvrière sort aussi de l'illégalité, après avoir cherché ses mots et ses structures au cours du siècle. Bourse puis syndicat, de loin plus productif sur le plan morphologique, triomphent avec fédération de la concurrence lexicale et organisent autour d'eux un lexique cohérent. Ainsi, à l'aide de formants anciens remotivés, tout un système de désignation des hommes et des groupes se met en place, avec la fin du 19e siècle, pour répondre aux besoins d'une société bousculée et neuve.
THE OTHER SIDE OF 1900. THE LEXICON OF THE LABOUR STRUGGLES AND ORGANIZATION IN FRANCE The false front of the «belle époque» in 1900 is only too well known. In the background of the industrial boom, the texts which speak for those who made it possible by the sweat of their own brow, are surprising, due to the extent of pauperist vocabulary and to the vigorous revival of revolutionary trends dating from 1793 and 1848. The evocation of social struggles draws on there registers to such an extent that some real myths (in Sorel's sense), come into confrontation: the heroic and military aspects of words such as phalanges ouvrières, guerre sociale, Dieu capital, vampirisme, capitaliste, and the expectancy of the Grand Soir, which follows the Grand Jour relying in extreme left wing discourse, on the dynamic grève-généraliste. In everyday reality large lexical items give way to the designation of strikers and scabs: marked systems oppose one another and are dominated by the clash of the rouges and the jaunes ; labour organization emerges from unlawfulness after having looked for its words ans structures throughout the century. Bourse, fédération and then syndicat, which is by for the most productive on the morphological level, triumph in the lexical competition and organize a coherent lexicon around themselves. Thus, with the help of old remotivated formants, a complete system of designation for men and groups is put into place, on the end of the 19th century, to meet the needs of a new society rushed off its feet.
24 pages
Source : Persée ; Ministère de la jeunesse, de l’éducation nationale et de la recherche, Direction de l’enseignement supérieur, Sous-direction des bibliothèques et de la documentation.

Informations

Publié par
Publié le 01 janvier 1982
Nombre de lectures 37
Langue Français
Poids de l'ouvrage 1 Mo

Extrait

Maurice Tournier
L'envers de 1900. Le lexique des luttes et de l'organisation
ouvrières en France
In: Mots, octobre 1982, N°5. pp. 103-126.
Citer ce document / Cite this document :
Tournier Maurice. L'envers de 1900. Le lexique des luttes et de l'organisation ouvrières en France. In: Mots, octobre 1982, N°5.
pp. 103-126.
doi : 10.3406/mots.1982.1077
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/mots_0243-6450_1982_num_5_1_1077Abstract
THE OTHER SIDE OF 1900. THE LEXICON OF THE LABOUR STRUGGLES AND ORGANIZATION
IN FRANCE The false front of the «belle époque» in 1900 is only too well known. In the background of
the industrial boom, the texts which speak for those who made it possible by the sweat of their own
brow, are surprising, due to the extent of pauperist vocabulary and to the vigorous revival of
revolutionary trends dating from 1793 and 1848. The evocation of social struggles draws on there
registers to such an extent that some real myths (in Sorel's sense), come into confrontation: the heroic
and military aspects of words such as phalanges ouvrières, guerre sociale, Dieu capital, vampirisme,
capitaliste, and the expectancy of the Grand Soir, which follows the Grand Jour relying in extreme left
wing discourse, on the dynamic grève-généraliste. In everyday reality large lexical items give way to the
designation of strikers and scabs: marked systems oppose one another and are dominated by the clash
of the rouges and the jaunes ; labour organization emerges from unlawfulness after having looked for
its words ans structures throughout the century. Bourse, fédération and then syndicat, which is by for
the most productive on the morphological level, triumph in the lexical competition and organize a
coherent lexicon around themselves. Thus, with the help of old remotivated formants, a complete
system of designation for men and groups is put into place, on the end of the 19th century, to meet the
needs of a new society rushed off its feet.
Résumé
L'ENVERS DE 1900. LE LEXIQUE DES LUTTES ET DE L'ORGANISATION OUVRIÈRES EN FRANCE
On connaît trop la façade «belle époque» de 1900. Derrière le boom industriel, les textes qui donnent
une voix à ceux qui l'ont réalisé de leurs mains surprennent par l'ampleur du vocabulaire misérabiliste et
la vigueur des résurgences révolutionnaires et quarante-huitardes. L'évocation des luttes sociales puise
à tel point dans ces registres que s'affrontent de vrais mythes (au sens de Sorel) : militarisation et
capitaliste, attente du Grand Soir, lequel prend la suite du Grand Jour en s'appuyant dans le discours
d'extrême gauche sur la dynamique grève-généraliste. Dans le concret quotidien, les grandes lexies
font place aux dénominations des grévistes et des anti-grévistes : des systèmes marqués s'opposent,
que domine le heurt des rouges et des jaunes; l'organisation ouvrière sort aussi de l'illégalité, après
avoir cherché ses mots et ses structures au cours du siècle. Bourse puis syndicat, de loin plus productif
sur le plan morphologique, triomphent avec fédération de la concurrence lexicale et organisent autour
d'eux un lexique cohérent. Ainsi, à l'aide de formants anciens remotivés, tout un système de désignation
des hommes et des groupes se met en place, avec la fin du 19e siècle, pour répondre aux besoins
d'une société bousculée et neuve.MAURICE TOURNIER
UNITÉ DE RECHERCHE LEXICOLOGIE ET TEXTES POLITIQUES
INSTITUT DE LA LANGUE FRANÇAISE, SAINT-CLOUD, CNRS Mots, 5, 1982
L'envers de 1900
Le lexique des luttes et de l'organisation ouvrières
en France
Aucune appellation ne puise davantage aux sources les plus anciennement vivantes du
lexique que celles qui naissent à l'occasion des heurts de classes. Témoin, l'époque qui tourne
à l'articulation des 19e et 20e siècles en France. Aux désignants paupéristes, nobles et
héroïques que la tradition ouvrière fournit avec abondance viennent se joindre, en particulier
dans la presse et la chanson militantes que nous avons examinées, les mots-mythes d'une
symbolique renouvelée ainsi que l'ensemble des dénominations très spécifiques qui accompag
nent l'extension des grèves, légales depuis 1864, et la construction des syndicats
professionnels, rendus légaux en 1884.
ENTRE LE PAUPERISME ET L'HEROÏSME
La présence constante dans les textes de l'ancienne expression paupériste est ce qui
frappe en premier l'historien d'aujourd'hui. «Les haillons et le pain conservent toute leur 104 MAURICE TOURNIER
puissance symbolique», écrit Michèle Perrot1. Le vocabulaire employé pour dépeindre les
déshérités, les pauvres, les malheureux 2 et les plus que pauvres, miséreux ou misérables 3, ne
paraît guère avoir varié depuis les dénonciations de la Monarchie de Juillet. Le maître-mot
est toujours Misère, patronyme de Jean l'ouvrier chanté par Pottier4. Au paupérisme,
appellation restée savante5, et aux pluriels des calamités, infamies, barbaries, souffrances6
subies par le prolétariat, font écho les mots du peuple, anciens comme la dèche (et les
déchards), la panade, la mistoufle (et les mistoufliers) ou récents comme la purée (et les
purotins), la mouise (1895) et la mouscaille (1901) au sens de pauvreté7. La longue théorie
des meurt-de-faim ou crève la faim les accompagne: «Nous sommes sans pain, sans habits,
beaucoup même sans gîte»8; «si tous ces malheureux [les trimards], au lieu de crever de
faim sur les routes, venaient se joindre à leurs frères de misère, notre société bourgeoise
aurait vécu»9.
1. Les ouvriers en grève, 1871-1890, (OG), Paris, La Haye, Mouton, 1974, tome 1, p. 164. Sur les écrits
d'origine ouvrière et sur la personnalité et le degré d'instruction de leurs rédacteurs, voir p. 252-258 et p. 312-395
de cet ouvrage fondamental. Le tome 2 (p. 607-644) contient une remarquable étude du « discours de la grève ».
2. «Au nom des déshérités et de la justice ... il est grand temps que le budget des pauvres échappe aux
entreprises des chevaliers de la philanthropie», Le Cri du peuple, (C du P), 4 juin 1892. Contradiction lexicale,
car qui dit encore pauvres n'évite pas philanthropie ...
3. Le roman de Hugo continue son succès non démenti depuis 1862. Sur les valeurs du mot misérables,
cf. R. Escholier, Europe, février-mars 1962, p. 9-11. Quant au terme de gueux, il se spécialise, en 1905-1907, dans
la désignation des vignerons du Midi : c'est la révolte des gueux.
4. Un roman de Louise Michel et Jean Guétré (L. Tynaire) de plus de mille pages est encore intitulé
La misère en 1881. De même un article du Parti ouvrier, (PO), du 25 mars 1900: «Cette misère n'est pas une
fatalité, comme on le prétend mais bien un crime social voulu ...» (p. 3).
5. Allemane ne croit pas, sous Casimir-Perier, à «la transformation radicale du paupérisme endémique en
un Eden national» (PO, 7 novembre 1894).
6. Plusieurs interventions au Congrès Japy (1899) sont encore de ce style. «C'est le droit de la revanche
contre les infamies et les calamités qu'on fait supporter au prolétariat» (Faberot, Parti ouvrier socialiste
révolutionnaire (allemaniste) POSR). «Le parti socialiste..., c'est le parti des miséreux, de ceux qui souffrent
toujours», conclut Ebers, Parti socialiste révolutionnaire (blanquiste) PSR.
7. Exemple: Le Père Peinard (PP), 21 avril 1889; 22 décembre 1889... En argot mouise (1829 et Vidocq =
la soupe, 1837) et mouscaille (17e siècle et Vidocq) désignent les excréments (cf. L. Sainéan. Les sources de l'argot
ancien, Paris, 1912, Genève, Slatkine reprints, 1973).
8. La Bataille, 8 février 1883. Le vieux terme galvaud désigne à l'époque les chômeurs qui courent derrière
les fiacres dans l'espoir de décharger les colis.
9. PO, 3 mars 1900. «Les trimardeurs ont des faims d'ioup» chante Clément («Taisez vos gueules»,
octobre 1897, in Cent chansons nouvelles, p. 71). Néologismes timides: un adjectif substantive se fait une petite L'ENVERS DE 1900 105
Un temps, entre 1883 et 1889, la pratique de meetings d'affamés dans les beaux quartiers
a hésité entre ses trois impulsions, regarder, provoquer, récupérer (pillage de boulangeries) :
«Venez étaler vos guenilles en face de la splendeur des riches, proclame l'appel au meeting
de la place de l'Opéra. Montrez votre misère aux accapareurs, non pour leur faire pitié mais
pour leur faire peur»10. Certe

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