L initiation d un ashamur - article ; n°1 ; vol.57, pg 141-152
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L'initiation d'un ashamur - article ; n°1 ; vol.57, pg 141-152

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Description

Revue du monde musulman et de la Méditerranée - Année 1990 - Volume 57 - Numéro 1 - Pages 141-152
12 pages
Source : Persée ; Ministère de la jeunesse, de l’éducation nationale et de la recherche, Direction de l’enseignement supérieur, Sous-direction des bibliothèques et de la documentation.

Informations

Publié par
Publié le 01 janvier 1990
Nombre de lectures 18
Langue Français
Poids de l'ouvrage 1 Mo

Extrait

Elleli Ag Ahar
L'initiation d'un ashamur
In: Revue du monde musulman et de la Méditerranée, N°57, 1990. pp. 141-152.
Citer ce document / Cite this document :
Ag Ahar Elleli. L'initiation d'un ashamur. In: Revue du monde musulman et de la Méditerranée, N°57, 1990. pp. 141-152.
doi : 10.3406/remmm.1990.2362
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/remmm_0997-1327_1990_num_57_1_2362AG AHAR* Elleli
L'INITIATION D'UN ASHAMUR
L'année de la dernière famine [1984], l'Aïr et tout le pays touareg était renversé,
plongé dans une misère noire. Les animaux, les hommes mouraient et s'entassaient
dans l'abîme d'où l'on ne revient pas. Seuls les vautours survolaient les charognes
qui jalonnaient la route des puits, des parcours de transhumance et des enclos.
Misère et malédiction du pays!
Certains hommes forts avaient laissé leurs tentes, leurs enfants, leurs femmes
pour s'éparpiller vers le nord à In Guezzam, Tamanrasset, Djanet, Ghat et jusqu'au-
delà en Libye. Sur le chemin qui mène à ces pays, ils sillonnaient le désert et les
villes. D'autres étaient partis là-bas pour s'entraîner au feu moderne dans les trou
pes de Kadhafi. Certains s'en étaient allés à pied, et ceux qui avaient encore un
chameau ou un vieil âne étaient restés pour tenir, à quatre pattes, la région déser
tique entre l'Aïr et l'Ahaggar; ils accompagnaient les commerçants qui voulaient
passer la frontière entre le Niger, le Mali et l'Algérie. Ceux qui avaient un capital
pour constituer leur propre commerce, sur leurs épaules et leur cou, sur de vieux
ânes ou des chameaux harassés, continuaient aussi la «fraude» (afrod), la vie aux
marges du monde. En cette période de sécheresse, le trafic était difficile. Il fallait
être fort et avoir un bon animal de bât pour s'éloigner des régions surveillées par
les voitures des douaniers algériens et par l'armée du Niger et du Mali, le doigt
toujours plié sur la gâchette et les yeux exorbités à l'affût du moindre Touareg
qui sillonnerait le désert avec quelques poignées pour nourrir sa famille en sui
vant des lisières où même la mort n'oserait s'attarder...
* Ce récit a été recueilli en janvier 1990 et traduit en français par Hawad et Hélène Claudot-
Hawad.
RE.M.M.M. 57, 1990/3 142 / E. Ag Ahar
Un matin entre les matins de ces années de chaos culbutant leurs victimes, le
vent emportait tout ce qui venait de perdre l'équilibre de ses jambes. Moi, avec
l'un des fils de la sœur de ma mère, appelé Bankuren, nous étions des enfants
de quinze ans. Un jour, on s'est réveillé au campement et parmi nos mères, nos
frères, nos parents, notre tribu, toute la société, personne ne possédait plus un
fil ni un grain pour couvrir sa dignité ou la nourrir. Les gens du campement pas
saient la journée entière sans goûter à la moindre cuillère, à moins qu'un homme
n'arrive de la teshumaray leur procure un repas puis s'en retourne. Alors, nous
avons fait teshumara comme tout homme. Le matin à l'aube, nous avons pris nos
hardes en bandoulière, affamés et affaiblis, nous avons quitté nos mères et nos
parents geignant de la misère et de l'humiliation de ces années, du chagrin et de
la nostalgie du passé, mais surtout nous pleurant, nous qui les quittions et qui
n'étions que des enfants pas encore prêts pour le monde, l'univers et le désert qui
nous attendaient.
Le jour même, à pied, nous avons quitté le campement et en pleine route on
a rattrapé d'autres exilés portant leur eau sur le dos. Nous sommes passés par le
puits de Serfatek et de Taziwet. Les étapes étaient longues entre les puits, séparés
par l'été et la sécheresse. Au puits de Taziwet on a fait notre plein d'eau et on
est remonté vers le puits de En-Bikas («du cabot») en traînant les pieds et en titu
bant. Parmi nous, il y avait de petits enfants qui marchaient à pied, certains étaient
nus et pourtant ils sautillaient comme des oiseaux devant nous. Les mirages st
agnaient sur le désert et superposaient nos illusions d'un miroir à un autre miroir
où grimaçait le soleil et tournoyaient les tourbillons. J'ai regardé les enfants et
les vieillards qui continuaient de marcher en fermant les yeux et j'ai regardé mon
cousin Bankuren dans la douleur de la fatigue et de la soif qui a répondu à
regard en souriant. Dans l'éclat de ses dents jaunies par son haleine desséchée,
j'ai imaginé le sourire de sa mère le jour où nous serions de retour aux tentes,
ceinturés et enturbannés d'un voile de quinze mètres, portant une «Kalach» et
un shakmara (sac marin).
Front face au vent brûlant qui descendait de l'Ahaggar vers la rocaille de galets
de l'Azaouar, nous marchions tous en silence. De temps en temps, nous discu
tions et chantions, et de nouveau le paysage changeait et nous nous penchions
sur notre destinée et le sort qui nous attendait, au-delà de la frontière d'Algérie.
Nous tous, surtout les jeunes, ne rêvions que de routes sillonnées par les ishumar
chantant la poésie des chemins, les ishumar portant les «Kalach» et les sacs marins
bourrés d'explosifs. Nous rêvions aussi de Toyotas remplis d'ishumar reliant les
terres. Tous ces cauchemars et ces illusions s'agitaient dans nos âmes et dans nos
têtes qui n'avaient, comme turban de l'honneur, que le brasier du soleil aiguisant
la résistance dans nos cerveaux, la teshumara et le défi (égha) que nous portions
en bandoulière, seules provisions qui nous éloignaient de ceux qui jouaient avec
nos âmes et les pesaient dans les mesures qui sont entre la vie et la mort. De temps
en temps sur les grimaces de mon cousin, je lisais la haine et la violence emmagas
inées dans son cœur contre les gens des villes qui paralysaient notre vie. Les quel
ques vieilles chamelles affamées que certains utilisaient comme animaux de bât
pour porter l'eau de leurs enfants, s'épuisèrent l'une après l'autre, au puits de
Teshaghert, et certaines, enceintes, avortèrent, expulsant des rejetons de chame-
lons dans le désert. Les uns tombaient morts desséchés, d'autres étaient vivants,
mais vite nous les avons dépassés sans nous attarder en les abandonnant, cernés L'initiation d'un ashamur / 143
par une horde de vautours blancs et gris. Rien, même une chamelle avortant n'aurait
pu nous interrompre. Pourtant, Dieu le sait, s'il y a une chose que nous aimons,
ce sont les chameaux! La liberté commence sur un chameau qui te porte dans
le désert!
Bref, certaines vieilles chamelles avortaient, d'autres mouraient. Chaque fois qu'un
chameau tombait, nous savions qu'un des piliers de notre monde venait de s'écrouler.
Mais quand on voyage dans le désert, on n'a pas de temps à perdre ni d'autre
tourne-tête que de traverser la mort le plus vite possible, car dans ces lieux, der
rière chaque horizon, se recroquevillent mille morts. Le désert que nous parcour
ions, nous le connaissions mais nous n'avions pas la force de l'affronter comme
l'affrontaient autrefois notre nomadisme ou nos caravanes. Nous n'étions qu'une
troupe désordonnée, des os sur lesquels avait séchée la peau d'un corps nu.
Après quelques jours, à l'aube, un mirage nous renvoya les bâtisses d'Assamaka,
le semblant de frontière de ce qu'on appelle l'Algérie. Depuis la veille, nous nous
étions séparés en deux groupes. Les forts avaient pris le reste de l'eau en s'apprê-
tant à contourner le poste-frontière et les faibles qui n'avaient plus peur de rien
devaient passer directement par le poste. Les militaires, dès qu'ils nous ont vu
éparpillés dans le désert sont venus nous accueillir, non pas avec de l'eau ou de
la nourriture mais avec des fusils. Avant qu'ils n'arrivent devant nous, un vieil
lard qui traînait la jambe a crié : «Regardez, nous sommes moribonds et pourtant
ils ont peur des ombres de nos souffles ! Qu'est-ce que cela serait si nous étions
vivants et armés!» Face à face, en plein désert, nous nous sommes heurtés aux
militaires. Ils nous ont encerclés avec leurs fusils et ont fouillé nos baluchons de
hardes, en tremblant. Ils en déchiraient certains, coupant les nœuds des
avec un semblant de provisions. Tous nos balucho

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