La Cause du beau Guillaume/Texte entier
107 pages
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Description

Louis-Émile-Edmond DurantyLa Cause du beau GuillaumeHetzel, 1862 (pp. 3-340).PRÉLIMINAIRESILe village de Mangues-le-Vert, dans le centre de la France, fut mis en émoi, un matin, par la nouvelle qu’une personne étrangère à lacommune venait d’y acheter une maison et s’y installait.Le soir même, on sut, par le clerc du notaire, que l’acquéreur était un jeune homme appartenant à une des « bonnes familles » dudépartement, famille qui habitait le chef-lieu, sis à une dizaine de lieues de Mangues.Mais pourquoi le jeune homme avait-il acheté une médiocre maisonnette de mille écus bâtie à l’écart du village, et qu’y venait-ilfaire ?La curiosité des paysans et des semi-bourgeois formant la population du lieu fut fortement excitée par ce problème, et ne se lassaplus, ouverte ou sournoise, de poursuivre les moindres pas et gestes du nouveau venu, qui s’appelait M. Louis Leforgeur. L’étranger était un homme de vingt-cinq ans, petit, délicat d’apparences, plutôt laid qu’agréable, bien qu’il eût une physionomie douceet spirituelle. Sans sa barbe, les gens de Mangues l’eussent pris pour une femme déguisée.Dès le second jour, il engagea à son service, par l’intermédiaire de l’aubergiste, une vieille fille nommée Euronique ou plutôtUronique, selon la prononciation locale, et qui avait la réputation d’être une parfaite cuisinière.Euronique, qui possédait « du bien », revenait chez elle chaque soir. Aussi fut-elle interrogée avec avidité sur le « petit monsieur » ...

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Langue Français
Poids de l'ouvrage 9 Mo

Extrait

Louis-Émile-Edmond Duranty
La Cause du beau Guillaume
Hetzel, 1862 (pp. 3-340).
PRÉLIMINAIRES
I
Le village de Mangues-le-Vert, dans le centre de la France, fut mis en émoi, un matin, par la nouvelle qu’une personne étrangère à la
commune venait d’y acheter une maison et s’y installait.
Le soir même, on sut, par le clerc du notaire, que l’acquéreur était un jeune homme appartenant à une des « bonnes familles » du
département, famille qui habitait le chef-lieu, sis à une dizaine de lieues de Mangues.
Mais pourquoi le jeune homme avait-il acheté une médiocre maisonnette de mille écus bâtie à l’écart du village, et qu’y venait-il
faire ?
La curiosité des paysans et des semi-bourgeois formant la population du lieu fut fortement excitée par ce problème, et ne se lassa
plus, ouverte ou sournoise, de poursuivre les moindres pas et gestes du nouveau venu, qui s’appelait M. Louis Leforgeur.
L’étranger était un homme de vingt-cinq ans, petit, délicat d’apparences, plutôt laid qu’agréable, bien qu’il eût une physionomie douce
et spirituelle. Sans sa barbe, les gens de Mangues l’eussent pris pour une femme déguisée.
Dès le second jour, il engagea à son service, par l’intermédiaire de l’aubergiste, une vieille fille nommée Euronique ou plutôt
Uronique, selon la prononciation locale, et qui avait la réputation d’être une parfaite cuisinière.
Euronique, qui possédait « du bien », revenait chez elle chaque soir. Aussi fut-elle interrogée avec avidité sur le « petit monsieur »,
désignation qui s’attacha désormais au jeune homme.
Tout le monde pouvait voir Louis Leforgeur se promener continuellement aux environs de Mangues, dessinant et remuant une quantité
de vieilles pierres qui abondaient dans la campagne. Souvent aussi, il dînait à l’auberge, où il faisait de fréquentes stations.
Mais ces quelques notions ne suffisaient pas à rassasier la curiosité générale. Malheureusement Euronique de son côté n’eut à
donner que de vagues renseignements, tels que ceux-ci : le jeune homme paraissait être fort doux, facile à servir ; il ne parlait guère à
Euronique, lisait de gros livres, et possédait une malle mystérieuse ornée de figures de cuivre comme une châsse. Seulement la
vieille domestique n’avait jamais eu la chance de voir ouvrir devant elle la malle remplie d’étonnements et de merveilles.
L’aubergiste, lui, ayant été le guide des premiers pas de M. Leforgeur dans le pays, le questionna hardiment sur les motifs qui
amenaient le jeune homme à Mangues. En vain celui-ci allégua-t-il la beauté du site et le désir d’étudier l’archéologie, l’aubergiste ne
jugea point ces raisons suffisantes pour expliquer une installation aussi inattendue.
Louis Leforgeur passa donc un peu à l’état de bête curieuse dans le village, bien que les paysans lui témoignassent un certain
respect, dominés qu’ils étaient par l’idée de ses richesses et de sa position de monsieur. Ils reconnaissaient facilement en lui un être
supérieur aux personnages même les plus importants de Mangues.
Il est certain que la sagacité villageoise n’aurait pu deviner ni comprendre l’histoire de l’acquisition de la maison et du séjour du jeune
homme dans cet endroit, où jamais n’était arrivée pareille aventure.
II
Louis Leforgeur était un être assez bizarre, plein de qualités et de défauts, et dont le caractère devait à l’excessive sensibilité de ses
nerfs quelque chose de féminin.
Sa vie jusqu’à vingt-cinq ans avait semblé extérieurement endormie, car il ne quitta pas un seul instant sa famille, ne se lia jamais
avec les autres jeunes gens, s’éloigna de tout le monde et passa ses journées dans l’étude et la solitude, sans s’inquiéter des
accusations de sauvagerie qu’on portait constamment contre lui.
Son père et sa mère remplissaient consciencieusement tous les devoirs et suivaient les pratiques de la vie provinciale. Assez riches,
ils ne cherchèrent pas à destiner Louis à une carrière, et, dès l’enfance, le voyant aimer les livres, le silence et les recoins solitaires,
ils le laissèrent aller à sa guise.Les livres contribuèrent singulièrement à développer l’esprit de Louis. Quand il se trouva ensuite rapproché du petit monde provincial,
il éprouva une grande impression d’ennui et de dédain, et il fut impossible d’obtenir de lui le moindre rapport aimable avec les amis
de la maison. S’il restait dans le salon, c’était uniquement pour noter minutieusement les ridicules et les travers des gens qui
l’entouraient.
Il prit ainsi l’habitude de ne point parler, de ne se mêler à rien, de concentrer toutes ses sensations en lui-même sans les
communiquer. Il rêvassait continuellement. Mais tandis qu’il devenait très-dédaigneux, très-fier et en même temps très-sagace, le
manque de commerce avec le monde, l’inaction, la solitude le rendirent timide, et des que le moindre incident le mettait en cause il
rougissait devant les personnes qu’il méprisait et perdait contenance.
Cette façon de se replier sur lui-même le rendit très-nerveux, par suite très-personnel. Les riens de chaque jour agissaient fortement
sur lui. Ses contrariétés étaient des supplices, ses dérangements des souffrances. À dix-huit ans, il se sentit devenir malheureux,
mais la régularité d’une existence tranquille le dominait en l’étouffant. Très-défiant de lui-même à la pensée d’agir, violemment
sollicité de se lancer dans la vie par les désirs ordinaires à la jeunesse, par le sentiment qu’il avait de sa propre valeur, il se livra de
violents combats intérieurs qui absorbèrent toutes ses forces. Il ne savait par où commencer. Tenté par beaucoup de choses à la fois,
il manquait d’équilibre, voyait tout à l’extrême et se décourageait à la pensée que son existence n’aurait peut-être pas plus de largeur
que celle des provinciaux.
Paris lui faisait peur ; il tremblait de se trouver en contact avec la supériorité parisienne. Il interrogeait toutes les carrières, écrivait,
dessinait, rêvait un rôle important, se persuadait ensuite de son incapacité, tombait dans une sorte de désespoir et de marasme,
renonçait à tout, puis, un jour de soleil, il revenait à l’espérance.
De temps en temps, quelque femme jeune, qui venait chez sa mère, lui laissait une vive impression ; mais il redoutait les femmes,
craignait de mal s’y prendre et il étouffait régulièrement l’élan qui l’entraînait vers elles.
De sorte que plus il avançait en âge, plus il devenait silencieux, concentré, dégoûté, désolé et énigmatique pour sa famille. Cet état
de trouble ne lui inspirait que des résolutions extravagantes, et heureusement alors son intelligence se révoltait à la pensée de ces
folies. Les journées se passaient ainsi, et ce ne fut que vers vingt-cinq ans que, ne pouvant plus y tenir, Louis essaya d’échapper à
ses tourments en quittant sa famille.
Il songea d’abord à Paris, mais il préféra se familiariser avec la vie dans un milieu plus tempéré. Il se lança donc fort modérément sur
une pente ou il devait rouler brusquement, sans s’en douter, peu après ses premiers pas.
Il se lança fort modérément, puisqu’il se borna, au début, à un voyage d’un mois dans les environs de la ville natale.
À peine était-il de retour qu’une de ses tantes lui laissa en mourant cinq mille francs à titre de cadeau provisoire sur une succession
plus importante, dévolue de leur vivant aux parents de Louis. L’heure de cet héritage sonna la délivrance de Louis.
Avec ses cinq mille francs, Louis courut à Mangues si promptement qu’il s’en brouilla presque avec ses parents. Voici pourquoi il vint
à Mangues.
Pendant son voyage, Louis avait traversé Mangues. Le village lui apparut comme une sorte de paradis terrestre.
La campagne autour de Mangues « l’attendrit » particulièrement. Il s’enfonça avec délices sous le couvert de ces chemins bordés de
hautes haies pleines de senteurs et de fleurs à couleurs vives. L’ombre, joyeusement mêlée de soleil, que projetaient de jeunes
arbres au-dessus de sa tête, lui parut préparée exprès pour lui. Le vert lui sembla plus jeune, plus vigoureux dans les feuillages et
dans les gazons de ce village qu

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