La Correspondance d un coin à l autre : Dialogue ou représentation ? - article ; n°1 ; vol.35, pg 91-103
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Cahiers du monde russe : Russie, Empire russe, Union soviétique, États indépendants - Année 1994 - Volume 35 - Numéro 1 - Pages 91-103
Alexandre BOURMEYSTER, La Correspondance d'un coin à l'autre : dialogue ou représentation ?
La Correspondance d'un coin à l'autre ne peut être réduite à une confrontation entre deux thèses : défense d'un thesaurus et appel à la tabula rasa... Le dialogue est dramatique car les interlocuteurs ne parlent pas de la même chose. Mais leur débat permet d'éclairer de façon pertinente les notions de civilisation et de culture et de révéler de façon paradoxale leurs identités respectives.
Alexandre BOURMEYSTER, The Correspondence across a room : dialogue or representation ?
The Correspondence across a room cannot he reduced to a confrontation between two theses : the defense of a thesaurus versus an appeal to a tabula rasa. The dialogue is dramatic because the interlocutors do not speak of the same subject. Nevertheless, their debate helps clarify the notions of civilization and culture and to reveal paradoxically their respective identities.
13 pages
Source : Persée ; Ministère de la jeunesse, de l’éducation nationale et de la recherche, Direction de l’enseignement supérieur, Sous-direction des bibliothèques et de la documentation.

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Publié par
Publié le 01 janvier 1994
Nombre de lectures 7
Langue Français
Poids de l'ouvrage 1 Mo

Extrait

Alexandre Bourmeyster
La Correspondance d'un coin à l'autre : Dialogue ou
représentation ?
In: Cahiers du monde russe : Russie, Empire russe, Union soviétique, États indépendants. Vol. 35 N°1-2. pp. 91-
103.
Résumé
Alexandre BOURMEYSTER, La Correspondance d'un coin à l'autre : dialogue ou représentation ?
La Correspondance d'un coin à l'autre ne peut être réduite à une confrontation entre deux thèses : défense d'un thesaurus et
appel à la tabula rasa... Le dialogue est dramatique car les interlocuteurs ne parlent pas de la même chose. Mais leur débat
permet d'éclairer de façon pertinente les notions de civilisation et de culture et de révéler de façon paradoxale leurs identités
respectives.
Abstract
Alexandre BOURMEYSTER, The Correspondence across a room : dialogue or representation ?
The Correspondence across a room cannot he reduced to a confrontation between two theses : the defense of a thesaurus
versus an appeal to a tabula rasa. The dialogue is dramatic because the interlocutors do not speak of the same subject.
Nevertheless, their debate helps clarify the notions of civilization and culture and to reveal paradoxically their respective
identities.
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Bourmeyster Alexandre. La Correspondance d'un coin à l'autre : Dialogue ou représentation ?. In: Cahiers du monde russe :
Russie, Empire russe, Union soviétique, États indépendants. Vol. 35 N°1-2. pp. 91-103.
doi : 10.3406/cmr.1994.2376
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/cmr_1252-6576_1994_num_35_1_2376ALEXANDRE BOURMEYSTER
LA CORRESPONDANCE D'UN COIN A L'A UTRE
DIALOGUE OU REPRÉSENTATION ?
En la fatidique année 1920, alors que la Leninščina tisse, pour des décennies, le
voile noir de l'obscurantisme sur la Russie, les douze lettres échangées entre
Vjačeslav Ivanov et Mihail Gerschenson, le poète et l'historien, gravent une partition
énigmatique dans la mémoire du siècle. Elle continue aujourd'hui encore de défier
l'imagination des contemporains. Dialogue dérisoire entre deux intellectuels
condamnés par l'histoire ? Requiem pour la culture ? Cantique d'espérance à l'aube
des temps nouveaux ?
Il est tentant d'éclairer cette correspondance insolite, datée très exactement de la
mi-juin à la mi-juillet 1920, par son contexte historico-politique : révolution, guerre
civile, effondrement de l'Ancien Régime, avènement, peut-être, d'un monde nou
veau, épuré des tares du passé.
Il est permis également de lui donner une lecture exclusivement philosophique :
la crise de la culture, vécue à travers des catégories métaphysiques, des dilemmes
éthiques ou logiques, abondantes citations savantes à l'appui.
En 1909, Gerschenson dressait dans Vehi le bilan de la première révolution russe
et prononçait un réquisitoire impitoyable contre l'intelligentsia. Il l'accusait de nourr
ir des illusions dangereuses à propos du peuple, de subordonner toutes les valeurs
humaines aux intérêts de la société et en appelait à la responsabilité personnelle de
chacun.
Une décennie plus tard, sa discussion avec Vjač*. Ivanov se situe à un niveau
d'abstraction déroutant. Les deux protagonistes ne parlent-ils pourtant pas de la
même chose ? N'utilisent-ils pas le même lexique ? Ne se refèrent-ils pas aux mêmes
valeurs ? Où se situe donc l'enjeu d'un débat qui tourne court et s'achève, au mieux,
par une séparation à l'amiable ?
Divers jugements ont été avancés. On a parlé d'un faux dialogue : la Correspon
dance ne serait que la juxtaposition de deux monologues. Ou bien d'un dialogue raté.
Par la faute des interlocuteurs qui auraient exclu de leur réflexion les sujets brûlants.
Ou bien parce qu'ils n'en auraient retenu qu'un, la culture ! Mais pouvait-on parler
sérieusement de culture en 1920 ?
Cahiers du Monde russe, XXXV (1-2), janvier-juin 1994, pp. 91-104. 92 ALEXANDRE BOURMEYSTER
II faudrait d'abord s'entendre sur le sens donné ici au mot culture. La thèse du dia
logue raté ne peut qu'être dévalorisante. Elle mériterait au mieux d'enrichir le réper
toire du théâtre de l'absurde : un dialogue sans objet, puisque le thème débattu n'a pas
d'existence réelle.
Mais il convient d'abord de faire un sort à une autre lecture de la Correspon
dance, à l'épineuse question du troisième coin. Elle est soulevée par la métaphore du
rectangle : la chambre dont les interlocuteurs occupent les coins (les angles) oppos
és. La présence d'un tiers est-elle envisageable ? Oui, mais à condition qu'elle soit
justifiée par le débat lui-même.
Le mysticisme avoué de Vjač. Ivanov rendrait plausible la présence d'un tiers
invisible, le Sauveur. Après tout, c'est l'époque qui le veut : ne voit-on pas alors des
Christ partout ?
Le spiritualisme hégélien de Gerschenson ferait pencher plutôt pour l'hypothèse
d'un autre tiers, l'Esprit universel. Mais ce Grand Manipulateur des consciences indi
viduelles ne saurait se contenter d'un coin. Son ambition n'est-elle pas d'occuper tout
le terrain ?
Revenons à la Correspondance. La loi d'exclusion du tiers dans une situation de
dialogue (même raté) rend logiquement impossible l'usage de la métaphore du rec
tangle : elle ne saurait admettre plus de deux angles dans le quadrilatère occupé par
nos deux convalescents. Un problème métaphysique qui défie la géométrie !
Il est judicieux, en revanche, d'accepter la présence d'un tiers dans la mesure où
nous avons affaire à un texte écrit. Peu importent les motifs invoqués : le hasard, une
première lettre, rédigée en l'absence de l'autre. . . ou des raisons psychologiques qui
poussent deux hommes, deux amis, à prendre une certaine distance à l'égard d'un
patrimoine commun, un répertoire d'arguments familiers à tous les deux. La pour
suite de cette activité écrite, après un premier échange de lettres, et sa conservation
sous forme de texte, montrent l'intérêt que prennent les auteurs à cet effet de distan
ciation. Il leur permet d'ouvrir un mur dans leur chambre. Ce lieu clos se transforme
en scène de théâtre à l'intention d'un tiers imaginaire : lecteur ou public, pris à témoin
afin que l'éphémère d'un débat, dont ils ressentent tous deux l'importance, soit fixé
dans la mémoire du Temps.
Il n'est pas dans notre intention de théâtraliser ici, à la manière de leur contemp
orain, Nikolaj Evreinov, une activité cpistolaire qui mérite une lecture autrement
attentive. Il convient au contraire de souligner que l'expression théâtrale, le dialogue
scénique ne sont que des applications particulières, les reconstitutions artificielles
d'une incessante activité humaine : l'échange discursif. La Correspondance d'un coin
à l'autre en fournit une excellent illustration.
Construire sa propre identité, en imposer une à son interlocuteur, réfuter celle
qu'il propose lui-même, s'attribuer un rôle déjà consacré ou le refuser à l'autre, autant
de phases d'un duel transformé en spectacle. Les deux correspondants, vieux joueurs
habitués à la confrontation, en connaissent tous les coups.
Dans la Correspondance, l'implicite s'impose largement au détriment de l'expli
cite. Si chacun juge indigne de lui de détailler des arguments trop familiers, il prend
soin, par contre, de parer aussitôt les coups qui lui sont portés. Il faut rectifier imméd
iatement si on ne veut pas se laisser enfermer par l'adversaire dans des pièges, des
déterminations réductrices. Combien de fois, sous la plume de l'un comme de l'autre,
apparaît la même formule : « Vous avez raison, quand... mais... » LA CORRESPONDANCE D'UN COIN À L'A UTRE 93
Nous allons tenter, en citant abondamment le texte, de montrer qu'il s'agit bien
d'un dialogue, d'un débat. Quête d'identité ? Rejet ? Confirmation ? Les protagonistes
s'affublent respectivement de « défroques culturelles ». Ils les secouent ou bien les
acceptent tels des « vêtements sacrés ». La partie commence dans l'humour et
s'achève dans une tension difficilement soutenable. Son enjeu ? La fiabilité de la
notion de culture. C'est du moins ce

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