La liberté, l État et les associations. Alexis de Tocqueville et Georges Sorel - article ; n°1 ; vol.14, pg 139-158
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La liberté, l'État et les associations. Alexis de Tocqueville et Georges Sorel - article ; n°1 ; vol.14, pg 139-158

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Description

Mil neuf cent - Année 1996 - Volume 14 - Numéro 1 - Pages 139-158
20 pages
Source : Persée ; Ministère de la jeunesse, de l’éducation nationale et de la recherche, Direction de l’enseignement supérieur, Sous-direction des bibliothèques et de la documentation.

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Publié le 01 janvier 1996
Nombre de lectures 17
Langue Français
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Extrait

Marco Gervasoni
La liberté, l'État et les associations. Alexis de Tocqueville et
Georges Sorel
In: Mil neuf cent, N°14, 1996. pp. 139-158.
Citer ce document / Cite this document :
Gervasoni Marco. La liberté, l'État et les associations. Alexis de Tocqueville et Georges Sorel. In: Mil neuf cent, N°14, 1996. pp.
139-158.
doi : 10.3406/mcm.1996.1155
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/mcm_1146-1225_1996_num_14_1_1155ETUDES
La liberté, l'Etat et les associations
Alexis de Tocqueville
et Georges Sorel
MARCO GERVASONI
Quelle place spécifique occupe Tocqueville dans la pensée
politique de Sorel ? Il ne s'agit pas de répertorier le nombre
de fois où Sorel se réfère à Tocqueville. Tocqueville est cité de
nombreuses fois dans Les illusions du progrès et dans les
Réflexions sur la violence, moins dans d'autres ouvrages, et
l'ouvrage de Tocqueville auquel Sorel se réfère le plus souvent
est sans doute L'Ancien Régime et la Révolution. Toutefois
l'influence de sur Sorel ne tient pas en quelques
citations : elle concerne la structure même de l'orientation théo
rique et politique de Sorel en ce qu'elle détermine la recherche
d'un nouveau concept de liberté, ainsi qu'une analyse du rapport
entre cette liberté et les transformations de la démocratie.
Tocqueville, les « deux libertés » et Sorel
De nombreux historiens, tels Giuseppe Santonastaso, Georges
Goriely, Daniel Lindenberg, John Stanley et Valentino Petrucci
ont déjà abondamment montré à quel point la pensée politique
de Sorel fut influencée par des penseurs libéraux et conservat
eurs 1. Ainsi Georges Goriely soulignait que l'inspiration de
Georges 1. Giuseppe Goriely, Santonastaso, Le pluralisme Georges dramatique Sorel, Bari, de Georges Laterza, Sorel, 1932 ;
Paris, Rivière, 1962 ; Daniel Lindenberg, « Mouvement proléta
rien et révolution religieuse : Georges Sorel critique de Renan »,
in Georges Sorel en son temps, J. Julliard et S. Sand (dir.), Paris,
Seuil, 1985, p. 189-203 ; Valentino Petrucci, II socialismo aristo-
cratico di Georges Sorel, Naples, Guida, 1984 ; John Stanley,
139 Sorel était à chercher dans le «libéralisme conservateur», qui
l'aurait conduit à mépriser la démocratie 2. A notre avis, toutef
ois, cette influence, et en particulier celle de Tocqueville, de
Renan et de Taine, va bien au-delà d'une simple critique de la
démocratie.
Le libéralisme français ne peut en effet être réduit au courant
« individualiste » qui remonte à Benjamin Constant et qui consi
dère l'individu comme la seule instance fondatrice existante
dans la société : celle-ci étant considérée comme le résultat d'un
contrat entre différents individus — ce que Marx appelait une
conception à la Robinson. Il y a en France un « autre » libé
ralisme, auquel adhère Tocqueville, fondé sur une double notion
de liberté : la liberté de l'individu autonome et la liberté de
l'individu au sein d'une association. Le libéralisme tocquevillien
en vient ainsi à considérer comme la plus importante
des institutions sociales qui existent indépendamment de l'ind
ividu lui-même. Robert Boesch a parlé à ce propos d'un « strange
liberalism » 3. Deux formes de liberté coexistent chez Tocqueville.
La liberté conçue, au sens kantien, comme autonomie de l'indi
vidu, c'est-à-dire indépendance de l'individu singulier par rapport
à la société — la « liberté négative » selon la définition d'Isaiah
Berlin. Tocqueville la décrit ainsi :
Chaque homme étant présumé avoir reçu de la nature
les lumières nécessaires pour se conduire, apporte en
naissant un droit égal et imprescriptible à vivre indépendant
de ses semblables en tout ce qui n'a rapport qu'à lui-même,
et à régler comme il l'entend sa propre destinée 4.
Selon Tocqueville, c'est la conception la plus « moderne » et
la plus « juste » de la liberté, une conception qui a été fondée
par l'avènement du monde moderne.
Toutefois, dans De la Démocratie en Amérique, le concept
de liberté ne signifie pas seulement « la liberté d'agir seul »,
« La critique conservatrice du libéralisme », in Georges Sorel,
M. Charzat (dir.), Paris, L'Herne, 1986, p. 94-106.
2. G. Goriely, op. cit., p. 7-2S.
3. Robert Boesch, The Strange Liberalism of Alexis de Tocquev
ille, Ithaca-Londres, Cornell University Press, 1986.
4. Alexis de Tocqueville, « L'état social et politique de la
France avant et depuis 1789 », in De la démocratie en Amérique.
L'ancien Régime et la Révolution. Souvenirs, J.-C. Lamberti et
F. Melonio (eds.), Paris, Laffont, 1986, p. 943.
140 la liberté pour l'individu de faire ce qu'il considère c'est-à-dire
comme juste 5. La deuxième forme de liberté est celle qui conduit
les hommes à « agir en commun ». Si, aux yeux de Tocqueville,
cette liberté ne peut exister sans que soit respectée la liberté
comme indépendance, la liberté d'agir avec d'autres individus,
« de combiner ses efforts avec les efforts de ses semblables »,
n'est pas moins importante et moins « naturelle » 6. Tocqueville
considère que l'existence de cette liberté est strictement liée à
celle d'un humus qui en permet la croissance, or cet humus
est la société. Ainsi, empêcher la liberté d'association revient
non seulement à détruire la liberté individuelle mais les fon
dements mêmes de la société.
C'est ici que se situe le noyau dur de la proposition tocque-
villienne, reprise par Sorel. En recourant à cette notion de liberté,
Sorel pose les problèmes de la démocratie et du socialisme. Mais
la conception tocquevillienne de la liberté suppose une repré
sentation pluraliste de la société fondée sur l'association en tant
qu'institution au sein de laquelle les individus peuvent exercer
leur liberté. Le rôle essentiel reconnu à constitue
le deuxième volet de l'influence tocquevillienne chez Sorel.
La liberté et les mœurs
Dans « L'ancienne et la nouvelle métaphysique », Sorel avait
donné cette définition de la liberté :
5. C'est en reconnaissant l'importance de cette « deuxième
liberté» que Tocqueville s'éloigne de la réflexion de Benjamin
Constant, d'ailleurs il n'avait jamais lu. Comme l'écrit Jean-
Claude Lamberti, « les libertés individuelles, à ses yeux, valent
par leur destination et non par elles-mêmes [...] la liberté poli
tique n'est pas pour Tocqueville, comme pour Constant, la simnle
garantie des libertés individuelles, elle est désirable pour elle-
même, car l'homme ne s'accomplit que dans la liberté politique,
dans l'association » (J.-C. Lamberti, Tocqueville et les deux
démocraties, Paris, PUF, 1983, p. 107). Sur les rapports entre la
pensée de Tocqueville et celle de Constant, voir J.-C. Lamberti,
«De Benjamin Constant à Tocqueville», France Forum, 203-204,
avril-mai 1993, p. 19-26 ; sur Benjamin Constant, voir aussi
B.M. Fontána, Benjamin Constant e il pensiero post-rivoluzio-
nario, Milan, Baldini e Castoldi, 1995.
6. A. de Tocqueville, De la Démocratie en Amérique, in Œuvres
p. complètes, 198. J.-P. Mayer (éd.), vol. 1, t. I, Paris, Gallimard, 1951,
141 la question du milieu artificiel qui est la condition Cest
fondamentale de notre liberté; les anciens métaphysiciens
se proposaient, sur le libre arbitre, un problème inintelligible
de mécanique : ils voulaient que des machines puissent
produire des effets indéterminés [...] Nous sommes libres
en ce sens que nous pouvons construire des appareils qui
n'ont aucun modèle dans le milieu cosmique; nous ne
changerons rien aux lois de la nature mais nous sommes
libres de créer des séquences ayant une ordonnance qui
nous est propre 7.
Nous voyons ici que Sorel distingue la liberté de l'homme
selon quatre aspects : 1) la liberté de l'homme s'identifie avec
son action qui consiste dans la production d'outils ; 2) ces outils
sont artificiels car ils ne répondent pas aux lois de la nature ;
3) ces lois sont efficientes, mais ne limitent par la liberté de
l'homme, car l'homme existe grâce 

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