Langues et problèmes d éducation en Haïti - article ; n°61 ; vol.15, pg 117-127
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Description

Langages - Année 1981 - Volume 15 - Numéro 61 - Pages 117-127
11 pages
Source : Persée ; Ministère de la jeunesse, de l’éducation nationale et de la recherche, Direction de l’enseignement supérieur, Sous-direction des bibliothèques et de la documentation.

Informations

Publié par
Publié le 01 janvier 1981
Nombre de lectures 178
Langue Français

Extrait

Alain Bentolila
Léon Gani
Langues et problèmes d'éducation en Haïti
In: Langages, 15e année, n°61, 1981. pp. 117-127.
Citer ce document / Cite this document :
Bentolila Alain, Gani Léon. Langues et problèmes d'éducation en Haïti. In: Langages, 15e année, n°61, 1981. pp. 117-127.
doi : 10.3406/lgge.1981.1871
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/lgge_0458-726X_1981_num_15_61_1871Alain Bentolila, Léon Gani
Université Paris V
LANGUES ET PROBLÈMES D'ÉDUCATION EN HAÏTI
Depuis 1975 se déroulent en Haïti des expériences pédagogiques prenant en
compte le créole comme langue d'enseignement. Ces recherches expérimentales tou
chent à l'enseignement non-formel (alphabétisation des adultes) et, depuis 1977, un
programme expérimental de rénovation pédagogique utilise la langue créole durant
les premières années du cycle primaire. Nous nous proposons dans cet article de pré
senter les objectifs et les démarches de ces expériences en analysant la complexité de
ces processus et le cadre socio-linguistique dans lequel ils s'inscrivent.
1. La situation socio-linguistique
Le créole est la langue parlée par la totalité de la population haïtienne ; le fran
çais est la langue officielle, instituée comme telle par la Constitution de 1926, élabo
rée à l'époque de l'occupation américaine. Cependant, l'article 35 in fine de la Const
itution de 1964 indique que : « La loi détermine les cas et conditions dans lesquels
l'usage du créole est permis et même recommandé pour la sauvegarde des intérêts
matériels et moraux des citoyens qui ne connaissent pas suffisamment la langue fran
çaise. »
En fait, ce laissez-passer accordé au créole s'est limité à l'éventuel usage du créole
oral dans le cadre des tribunaux et des administrations, la langue écrite restant le
domaine réservé du français et l'éducation se faisant exclusivement en langue fran
çaise.
Actuellement, les monolingues de langue créole représentent 80 % au moins de la
population vivant en Haïti. Ils sont, sauf très rares exceptions (dans les aires concer
nées par des actions d'alphabétisation en créole), analphabètes. Cette population est
essentiellement constituée de paysans mais regroupe aussi une partie importante du
prolétariat et du sous-prolétariat urbains.
Une autre partie de la population (15 à 20 %) est généralement considérée
comme étant bilingue. En réalité, on peut évaluer, d'après la stratification sociale
rapportée aux problèmes de langues, qu'à peine 3 % des Haïtiens, appartenant prin
cipalement à la bourgeoisie, ont une compétence linguistique leur permettant d'envi
sager toute situation de communication en créole ou en français. Pour autant, sur le
plan de la performance, cette minorité dévoile des tendances diglossiques en fonction
des objets de discours, des positions sociales relatives en situation de communication,
etc.
Le reste de ces dits « bilingues » ont en réalité une compétence linguistique très
inégale selon les deux langues, qui se manifeste dans des situations de discours dis
tincts. Quantitativement, les volumes de discours en créole sont très largement supé-
117 rieurs aux volumes de discours en français. Ce groupe, constitué par une majorité de
petits employés, d'artisans, de chauffeurs et de personnel de service, vit une situation
de diglossie déséquilibrée au niveau qualitatif, caractérisée dans ce cas par un
énorme déséquilibre quantitatif.
Cette situation socio-linguistique détermine des attitudes et des comportements
que chaque groupe manifeste de façon particulière.
1.1. La population monolingue de langue créole
Les monolingues de langue créole participent d'une civilisation où le créole oral
répond à la totalité des besoins de communication à l'intérieur d'une même commun
auté. Cette population est exclue dans son immense majorité du monde de l'écrit et
baigne dans une culture orale reposant sur des traditions bien établies. Cette culture
connaît une créativité et un dynamisme certains qui dépassent le domaine du conte,
du proverbe ou de la devinette et se manifestent par exemple dans les réunions des
conseils communautaires paysans où se traitent des problèmes touchant l'agriculture,
la santé, les échanges économiques et l'alphabétisation. Lors de ces réunions et au
cours d'autres activités collectives, le créole oral prend normalement en charge aussi
bien des faits techniques que des faits d'organisation. Cependant, cette prise en
charge se caractérise par des formes d'analyse de la réalité au travers de schémas de
pensée d'une civilisation orale, avec ses limites quant à l'objectivation, aux capacités
d'abstraction et de synthèse, à la conservation de données. Ces limites sont évidentes
en ce qui concerne l'étendue des réseaux de communication entramant l'isolement
relatif de ces communautés et leur participation réduite à la vie nationale.
Si cette population ne parle pas le français, elle est loin d'ignorer son existence et
surtout son statut social. Pour les monolingues de langue créole, le français repré
sente incontestablement un moyen de promotion sociale qu'ils ont fort peu de chance
de s'approprier. D'où le sentiment d'infériorité qu'ils éprouvent face à un locuteur
parlant français ou qui, s'adressant à eux en créole, introduit dans son discours des
marques morphologiques ou des expressions stéréotypées françaises qui l'identifient
comme étant bilingue.
Réciproquement, le paysan monolingue qui s'adresse à un bilingue ou a fortiori à
un blanc aura tendance à introduire dans son discours des éléments parfois allogènes
au créole afin de laisser croire qu'il n'est pas ignorant du français. Par exemple, le
locuteur monolingue dont le système phonologique ignore les voyelles centrales (/y/,
/ф/, (œ/) sait parfaitement que le bilingue les utilise là où lui-même utilise le /i/ et
le /e/. S'adressant à nous, un paysan a émis l'énoncé suivant :
abità veyçt ap maže dyYy (Les paysans de Verrettes mangent du riz)
alors même que le bilingue dira bien /diyi/. Ces marques morpho-sociologiques révè
lent à l'évidence la conscience qu'ont tous les locuteurs haïtiens de la situation respect
ive des deux langues rapportée à la stratification sociale.
L'écrit, privilège du français, s'impose à ces milieux monolingues dans certaines
situations, en particulier dans les rapports avec l'administration et à l'école. Dans
tous ces cas, le monolingue de langue créole se retrouve dans des situations qui
jouent systématiquement et fortement en sa défaveur. Lorsqu'il est obligé d'entrer en
relation écrite avec l'administration, il aura nécessairement recours à un interméd
iaire bilingue qui ne manque pas de l'exploiter. A l'école, il devra acquérir des con
naissances dans une langue qu'il ne connaît ni n'utilise, ce qui le condamne à un
échec scolaire presque certain.
118 d'autres situations empreintes d'une solennité traditionnelle (demande en Dans
mariage par exemple), on est contraint d'utiliser un langage écrit largement st
éréotypé, mêlant des structures créoles à des structures françaises. Ce mésolecte écrit
dit « français marron » est l'apanage de ceux qui, dans les communautés, ont fonc
tion d'écriture.
1.2. Le groupe diglotte
Dans le groupe en majorité diglotte, le créole oral est utilisé massivement quelle
que soit la position sociale du locuteur dans toutes les situations qui n'ont pas un
caractère solennel et quand on ne désire pas marquer expressément un rapport hié
rarchique. S'il va de soi en Haïti que les conversations courantes, y compris entre
hauts fonctionnaires de l'État, se font en créole, le français sera utilisé automatique
ment dès qu'il convient de marquer une distance, un rapport solennel d'autorité ou le
caractère officiel d'une situation.
Chez les petits employés, l'utilisation du français est limitée à certaines exigences
professionnelles

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