Le «choc des civilisations» occulte les valeurs universelles
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Le «choc des civilisations» occulte les valeurs universelles

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Langue Français

Extrait

ISABELLE STUCKI
«
A
vant la fin de la guerre
froide,
l’Occident
avait
un
ennemi. Et quand cet ennemi
s’est effondré, il a fallu en
trouver un autre. L’islam a
lentement endossé ce rôle.»
Invité jeudi soir à Neuchâtel
par le groupe des Amis du
Monde
diplomatique,
Alain
Gresh, rédacteur en chef du
Monde
diplomatique
,
a
débusqué «le piège du choc des
civilisations» devant un large
auditoire.
Dès la chute du mur de Berlin,
les
thèses
se
multiplient.
L’intellectuel
américain
Fukuyama parle de la fin de
l’Histoire: plus personne ne
conteste le capitalisme libéral,
qui va s’étendre à toute la
planète. Aux yeux de Samuel
Huntington, le nouveau conflit
sera d’ordre idéologique: voici
le
«choc
des
civilisations»
musulmanes, confucéennes et
occidentales. «Le 11 septembre
2001 va permettre à cette thèse
de devenir l’élément moteur de
la politique américaine. Les
néoconservteurs au pouvoir ont
trouvé un ennemi», explique
Alain Gresh.
Al-Quaida représente une réelle
menace. Mais les amalgames
vont bon train. Aveuglés par
l’idée
d’une
guerre
des
civilisations, les Américains ne
perçoivent plus réellement ce
qui se passe sur le terrain, en
Irak. «Prendre le souhait des
Irakiens de ne pas vouloir être
gouvernés
par
un
peuple
étranger pour du terrorisme ne
peut que conduire à un conflit
de plus en plus sanglant et à
une impasse.»
SHARON,
HOMME
DE
PAIX...
En Palestine, Sharon se sert du
11 septembre pour faire appel
aux Etats-Unis: «Vous avez
Ben
Laden,
nous
avons
Arafat»,
déclare-t-il.
Bush
adopte l’idée jusqu’à considérer
Sharon comme un homme de
paix. Aujourd’hui, le débat se
concentre sur la bande de Gaza.
La construction du mur et la
colonisation de la Palestine en
sont
occultées.
Tandis
que
Sharon espère que la scène
palestinienne implose.
Ce qui se passe en Irak et en
Palestine nous permet de nous
demander ce qu’est une guerre
de civilisation. Aux yeux de
certains idéologues américains,
les Arabes, les musulmans et
les autres nous haïraient non
pas pour nos exactions en Irak,
mais pour ce que nous sommes
et représentons: à savoir la
démocratie et la liberté.
Une conception des choses qui
nourrit l’idée de guerre des
civilisations
perçues
comme
autonomes et ne communiquant
pas entre elles. «Nous savons
que l’idée même de civilisation
est
en
constante
évolution.
L’histoire de chaque pays est
soumise
à
débat,
à
reconstruction. Il n’y a pas
quelque chose qui s’appellerait
la «civilisation occidentale». Et
encore
moins
«civilisation
musulmane
». Alors, quand
nous parlons d’islam, savons-
nous de quoi nous parlons?
LE PIÈGE DU DISCRÉDIT
Pour Alain Gresh, les valeurs
universelles et les principes
fondamentaux, comme l’égalité
entre
les
hommes
et
les
femmes, doivent se développer
selon
les
particularités
des
sociétés. Et ne doivent pas leur
être imposées. La manière dont
l’Occident
s’y
prend
pour
défendre ces valeurs n’est pas
la
bonne.
«En
Irak,
les
Américains
discréditent
les
idées dont nous voulons être les
porteurs. Dans le monde arabe,
comment voulez-vous parler à
quelqu’un de démocratie et de
liberté, alors que cette personne
voit tous les jours ce qui se
passe en Palestine, avec l’appui
des Américains et le silence des
Européens?»
Du coup, les discours du type
Al-Quaida prennent du poids.
«Autant je pense que le concept
de choc des civilisations est
faux, autant je pense qu’il peut
être
majoritairement
adopté
demain
dans
les
sociétés
occidentales et musulmanes»,
affirme
Alain
Gresh.
Qui
observe,
d’un
côté,
«Bush,
prôner une guerre sans fin
contre le terrorisme islamique
et,
de
l’autre,
Ben
Laden
entamant une guerre sans fin
contre les croisés et les juifs».
Deux discours se répondent. Et
la situation est d’autant plus
dangereuse que ces discours
correspondent à une certaine
réalité.
«Les
Irakiens
comprennent de plus en plus les
bombardements
américains
comme une attaque contre les
musulmans. Dans cette attaque,
le seul qui résiste est Ben
Laden. Il est vrai que ce dernier
jouit d’une certaine sympathie
dans un certain nombre de pays
musulmans. La passivité de la
communauté internationale et
des régimes arabes est telle que
Ben Laden devient le seul
acteur auquel se raccrocher.»
Et quand Ben Laden commet
un attentat, les gens ont peur et
stigmatisent
les
musulmans.
«Nous avons là un risque qu’il
ne faut pas sous-estimer et qui
commence dans nos rapports
avec les musulmans que nous
côtoyons
dans
nos
propres
pays. A l’échelle internationale,
nous pourrions nous retrouver
enfermés dans un choix entre
Ben Laden et Bush. Je n’ai
envie de choisir ni l’un ni
l’autre.»
Le «choc des civilisations» occulte
les valeurs universelles
NEUCHÂTEL
• Pour le rédacteur en chef du «Monde diplomatique», Alain Gresh, le concept de
«guerre des civilisations» est un piège qui tend à renforcer deux discours extrêmes.
LE COURRIER
SAMEDI 30 OCTOBRE 2004
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