« Le Grand Soir », un mythe de fin de siècle - article ; n°1 ; vol.19, pg 79-94
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Description

Mots - Année 1989 - Volume 19 - Numéro 1 - Pages 79-94
LE « GRAND SOIR », UN MYTHE DE FIN DE SIÈCLE D'abord dans la ligne du « Grand Jour », le « Grand Soir » emprunte ses images au millénarisme chrétien ; il se radicalise jusqu'à accompagner des complots anarchistes inspirés de nihilisme et suscite la peur des bourgeois. Objet de moquerie aussitôt, refusée par les syndicalistes partisans de la Grève générale, l'image se projette sur la Grande Guerre puis sur la Révolution bolchevique. Elle semble récupérée par l'extrême droite.
THE « GRAND SOIR », A MILLENARIAN MYTH The expression « Grand Soir » could be translated by « Night of Reckoning ». The origin is to be found in the Biblical tradition, but inside secular, radical, atheistic or ironic speeches. A first « Grand Soir » is related with nihilist conspirators and consequently with frightened bourgeois. Mocked and rejected by the trade-unionists dreaming of General Strike, the image is cast on the Great War, then on the Bolchevik Revolution. The millenarian fear seems to rise again, at the extreme right wing.
EL «GRAND SOIR » (LA « GRAN NOCHE »), UN MITO DE FIN DE SIGLO. En la linea del terna del « Grand Jour » (« Gran dia »), el « Grand Soir » (la « Gran noche ») toma sus imágenes del milenarismo cristiano. Se radicaliza al acompaňar conspiraciones anarquistas inspiradas del nihilismo que asustan a los burgueses. Objeto de burla, enseguida rechazado por los sindicalistas partidarios de la Huelga general, la imagen se proyecta sobre la primera guerra mundial y luego sobre la revolución bolchevique. Parece ser recuperada por la extrema derecha.
16 pages
Source : Persée ; Ministère de la jeunesse, de l’éducation nationale et de la recherche, Direction de l’enseignement supérieur, Sous-direction des bibliothèques et de la documentation.

Informations

Publié par
Publié le 01 janvier 1989
Nombre de lectures 43
Langue Français

Extrait

Maurice Tournier
« Le Grand Soir », un mythe de fin de siècle
In: Mots, juin 1989, N°19. pp. 79-94.
Resumen
EL «GRAND SOIR » (LA « GRAN NOCHE »), UN MITO DE FIN DE SIGLO. En la linea del terna del « Grand Jour » (« Gran dia
»), el « Grand Soir » (la « Gran noche ») toma sus imágenes del milenarismo cristiano. Se radicaliza al acompaňar
conspiraciones anarquistas inspiradas del nihilismo que asustan a los burgueses. Objeto de burla, enseguida rechazado por los
sindicalistas partidarios de la Huelga general, la imagen se proyecta sobre la primera guerra mundial y luego sobre la revolución
bolchevique. Parece ser recuperada por la extrema derecha.
Abstract
THE « GRAND SOIR », A MILLENARIAN MYTH The expression « Grand Soir » could be translated by « Night of Reckoning ».
The origin is to be found in the Biblical tradition, but inside secular, radical, atheistic or ironic speeches. A first « Grand Soir » is
related with nihilist conspirators and consequently with frightened bourgeois. Mocked and rejected by the trade-unionists
dreaming of General Strike, the image is cast on the Great War, then on the Bolchevik Revolution. The millenarian fear seems to
rise again, at the extreme right wing.
Résumé
LE « GRAND SOIR », UN MYTHE DE FIN DE SIÈCLE D'abord dans la ligne du « Grand Jour », le « Grand Soir » emprunte ses
images au millénarisme chrétien ; il se radicalise jusqu'à accompagner des complots anarchistes inspirés de nihilisme et suscite
la peur des bourgeois. Objet de moquerie aussitôt, refusée par les syndicalistes partisans de la Grève générale, l'image se
projette sur la Grande Guerre puis sur la Révolution bolchevique. Elle semble récupérée par l'extrême droite.
Citer ce document / Cite this document :
Tournier Maurice. « Le Grand Soir », un mythe de fin de siècle. In: Mots, juin 1989, N°19. pp. 79-94.
doi : 10.3406/mots.1989.1467
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/mots_0243-6450_1989_num_19_1_1467Maurice Tournier
U.R.L Lexicométne et textes politiques
INaLF-CNRS, Saint-Cloud
« Le Grand Soir »,
un mythe de fin de siècle1
Le Soir révolutionnaire a d'abord succédé au Jour de la Justice
comme une récompense après la bataille. Il était le repos
chèrement conquis, dans l'achèvement du retournement des choses.
Babeuf proclamait : « Les pauvres seront logés dans les apparte
ments des riches au soir de la révolution » 2. Cette valeur sera
encore celle du communard Vermersch, qui l'évoquera comme
aboutissement.
La négativité des violences sociales s'est plutôt exprimée autour
du mot Nuit pendant la première moitié du siècle, « nuit funèbre »,
« nuit pleine d'angoisses » pour Lamennais 3, mais déjà « nuit
magique » de la liberté des peuples pour Borel4. Déployant leurs
images à partir du Dies irae biblique5, les prophètes de l'apo-
1. Cet article développe la seconde partie d'une contribution au colloque
« Révolte et société » de mai 1988 (Université de Paris I). Je remercie Cécile
Lucas pour les renseignements bibliographiques qu'elle m'a communiqués, au terme
de son enquête dans la presse anarchiste des années 1880 (cf. son mémoire de
documentologie, « Aux sources du Grand Soir », IUT Descartes, Université de
Paris V, mai 1988). Plusieurs citations proviennent aussi de l'article de Danièle
Steenhuyse : « Quelques jalons dans l'étude du thème du Grand Soir jusqu'en
1900 » (Le Mouvement social, 75, avril-juin 1971, p. 63-76). Remerciements enfin
pour d'anciennes attestations fournies par René Gallissot et Jacques Julliard.
2. Cité par Jean Servier, Histoire de l'utopie, Paris, NRF, 1967, p. 221.
3. « A la nuit funèbre qui couvre la terre/... /succédera le jour d'allégresse, le
jour de la rétribution » (Lamennais, commentaire de YEvangile, édition Pagnerre-
Perrotin, 1846, p. 224).
4. P.Borel, Le chant du réveil (décembre 1830), in G. Cogniot, La lyre d'airain,
Paris, Les Editions sociales, 1964, p. 42.
5. Voir en particulier Norman Cohn, Les fanatiques de l'Apocalypse, Paris,
Julliard, 1963, et Henri Desroches, Sociologie de l'espérance, Paris, Calmann-Lévy,
1973.
79 calypse collective n'ont fait que tardivement de cette évocation
nocturne le lieu nodal de la Révolution. En 1848, par exemple,
l'apocalypse reste essentiellement diurne1.
Contextes
Le Grand Soir, tel que nous le connaissons, n'a été repéré
pour la première fois qu'aux alentours de la Commune, et d'abord
chez des écrivains en mal d'exotisme, tel Villiers de L'Isle Adam.
Dans Azraël, poème en prose publié dès juin 1869, les Hébreux
sortent de la « Maison de servitude », guidés par Moïse, « le
Grand Soir où, bravant les chars furieux et les années, ils
s'enfuirent vers la terre promise »2. Est-ce le même biblisme de
la délivrance et de l'accès à un monde nouveau qui inspire la
dramatisation littéraire de Théophile Gautier lorsqu'il raconte en
1872 « ce grand soir à jamais mémorable d'Hernani »? A moins
que nous n'ayons affaire, là, tout simplement à un mot de théâtre,
car c'est ainsi que l'on nommait déjà la « grande première » d'une
pièce ou d'un opéra 3 ?
Un troisième exemple littéraire mériterait à lui seul de longues
analyses : A. Rimbaud. Relisons Le bateau ivre (1871). N'y
retrouve-t-on pas, à plusieurs reprises, l'image du soir catastro
phique, immédiatement suivi de l'aube triomphante qui en nait.
On y trouve bien le mouvement inverse de celui de Babeuf : le
soir précède le jour.
« Je sais les deux crevant en éclairs/.../ Je sais le soir,
L'aube exaltée ainsi qu'un peuple de colombes... »
« J'ai rêvé la nuit verte/.../, la circulation des sèves/... /et l'éveil jaune
et bleu... »
1. Citations dans M. Tournier, Un vocabulaire ouvrier en 1848, thèse d'Etat,
ENS de Saint-Cloud, 1975, vol. 2, p. 590-592.
2. Texte repris dans l'Epilogue des Contes cruels, Paris, Calmann-Lévy, 1883,
p. 377.
3. Histoire du romantisme (1877) cité par P. Sirven, Théophile Gautier, œuvres
choisies, Paris, A. Colin, 1895, p. 326. Oui, tous les « grands soirs » ne sont pas
apocalyptiques. Dans le monde du spectacle, un solennel mais non révolutionnaire
« grand soir » désigne la première représentation publique. Cet usage a perduré
jusqu'à aujourd'hui. Témoin, Charles Trenet : « Je suis engagé dans la revue
locale " Allô Perpigne ! " On répète au Municipal mais on jouera au nouveau
théâtre, dont on essuiera les plâtres. Le grand soir arrive » (in R. Cannavo, La
ballade de Charles Trenet. La France en liberté, Paris, R. Laffont, 1984, p. 48).
80 « soir historique » qui sera évoqué dans Les illuminations Le
ne prépare pas, c'est évident, au faux « grand Jour », spectacle
mondain des « premières communions » (1871) mais aux « grands
temps nouveaux où l'on voudra savoir » (Le Forgeron, 1870), au
« Matin » de la « marche des peuples », à « Noël sur la terre »
(Une saison en enfer, 1873). Rimbaud, écho innovateur de la
Commune, lecteur précoce des anarchistes... Précurseur, certaine
ment.
C'est en effet seulement dix ans, plus tard qu'apparaissent les
premières traces non littéraires d'un « Grand Soir » dévolu aux
bouleversements sociaux ; D. Steenhuyse les a retrouvées dans
certains événements inspirés de la « propagande par le fait ». Il
s'agit d'une tentative avortée de révoltes convergentes dues pour
les uns à des mineurs en grève1, pour d'autres à une «bande
noire » d'anarchistes 2, en août 1882 dans la région de Montceau-
les-Mines, Le Creusot et Blanzy. Le « Grand Soir » semble bien
y jouer le rôle de code de reconnaissance, ainsi que l'ont fait de
nos jours l'« heure H » ou le« jour J » ; il fait partie d'un discours
du complot.
On retrouve l'écho de ces mots de l'ombre, accompagnés
d'allusions à l'Internationale et, bien sûr, à la main des Juifs,
chez Edouard Drumont :
« Mon livre, j'en ai peur, ne sera com

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