Le jeune Élie Halévy et Karl Marx - article ; n°1 ; vol.17, pg 45-65
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Description

Mil neuf cent - Année 1999 - Volume 17 - Numéro 1 - Pages 45-65
21 pages
Source : Persée ; Ministère de la jeunesse, de l’éducation nationale et de la recherche, Direction de l’enseignement supérieur, Sous-direction des bibliothèques et de la documentation.

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Publié par
Publié le 01 janvier 1999
Nombre de lectures 16
Langue Français
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Extrait

Ludovic Frobert
Le jeune Élie Halévy et Karl Marx
In: Mil neuf cent, N°17, 1999. pp. 45-65.
Citer ce document / Cite this document :
Frobert Ludovic. Le jeune Élie Halévy et Karl Marx. In: Mil neuf cent, N°17, 1999. pp. 45-65.
doi : 10.3406/mcm.1999.1202
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/mcm_1146-1225_1999_num_17_1_1202Le jeune Elie Halévy
et Karl Marx
Ludovic Frobert
Dans les années trente, observant l'échec du travaillisme
anglais et l'évolution de l'expérience soviétique, Élie Halévy
conclut à la non-viabilité du socialisme ; ce régime, assure-t-il,
repose sur deux principes contradictoires, l'organisation et
l'émancipation l. Inspiré par la conjoncture politique de l'épo
que, ce jugement témoigne également de son pessimisme crois
sant. En 1936, Alain s'en fait l'écho en écrivant à l'épouse
ď Halévy : « Élie m'étonne [par sa] constance dans le déses
poir 2 ». Dans la période antérieure à 1914, le socialisme a, au
moins, le bénéfice du doute, et Halévy estime qu'il y a une
alternative démocratique aux virtualités autoritaires du socia
lisme3.
Chez Élie Halévy, les toutes premières années du siècle sont
caractérisées principalement par un investissement dans l'his
toire des idées économiques et sociales. Ce n'est qu'à partir
des années 1905-1910 qu'il se tourne plus volontiers vers
1. Élie Halévy, L'ère des tyrannies. Études sur le socialisme et la
guerre, Paris, Gallimard, 1938 (rééd., 1990).
2. Alain, Correspondance avec Élie et Florence Halévy, Paris, Gal
limard, 1958, p. 314.
3. En 1913, il écrit par exemple : « Pour ce qui est de moi, je recon
nais bien que le socialisme renferme le secret de l'avenir. Mais je ne
déchiffre pas ce secret, et suis hors d'état de dire si le socialisme
nous conduit à la république suisse universalisée ou au césarisme
européen» (lettre à Célestin Bougie du 1er octobre 1913, in Élie
Halévy, Correspondance (1891-1937), Paris, Éd. de Fallois, 1996,
p. 442).
45 l'histoire des faits et étudie, d'une part, les pratiques social
istes et, d'autre part, le peuple anglais. Entre 1900 et 1906, il
étudie le radicalisme philosophique et les doctrinaires social
istes. Ces investigations de jeunesse sont très marquées par sa
culture philosophique platonicienne. En 1896, dans La théorie
platonicienne des sciences, il avait étudié les deux dialectiques
ascendante et descendante dont l'enchaînement constituait,
pour Platon, le mouvement même de la pensée vers les Idées.
C'est cette trame platonicienne qui guide Halévy dans ses pre
mières recherches sur Bentham et sur Marx. L'un et l'autre
sont présentés non pas comme des hommes de génie, mais
comme des dialecticiens qui, sachant faire dialoguer des prin
cipes apparemment contradictoires - identification artificielle
et identification naturelle des intérêts, pour le premier, organi
sation et émancipation, pour le second - font progresser les
notions d'égalité et de liberté, socles de l'Idée de Démocratie.
Néanmoins, cette progression n'a rien de linéaire et mêle
constamment le même à l'autre. Cette participation des Idées
- les traces qui demeurent d'un mélange antérieur et le pro
cessus de décantation qui sépare une Idée des éléments qui lui
sont radicalement étrangers - est parfaitement illustrée par
l'analyse que propose le jeune Halévy de l'apport de Karl
Marx à la progression du « socialisme démocratique ».
Le 9 janvier 1902, sur la demande d'Emile Boutmy, Élie
Halévy inaugure à l'École libre des sciences politiques son
cours sur l'histoire du socialisme européen. C'est à cette occa
sion qu'il découvre l'œuvre de Marx. Découverte capitale : en
novembre 1901, il écrit à Célestin Bougie, «ni Schmoller, ni
Wagner, ni tous les professeurs, ni tous les éclectiques ne
m'intéressent. J'appartiens tout entier à Karl Marx [...] Le
marxisme sera le pivot de mon cours cet hiver4 ». En 1913, il
A. Ibid., p. 313, lettre à Bougie du 9 novembre 1901. Ce premier
cours comprenait onze leçons : 1) L'économie politique de Ricardo et
les réactions qu'elle suscite ; 2) List ; 3) L'Historisme ; 4) Le marxis
me, théorie de la valeur ; 5) Le matérialisme historique ; 6) Mouve
ment syndical et lutte des classes ; 7) Réglementation de la lutte,
législation du travail ; 8) Suppression du conflit par la formule
coopérative ; 9) Suppression du conflit par la formule étatiste. Enfin,
deux leçons intercalées sur la concentration dans l'industrie et dans
l'agriculture. Quatre leçons, rédigées par É. Halévy et datées de
1903, ont été publiées dans son Histoire du socialisme européen
(Paris, Gallimard, 1948). Il s'agit des leçons sur List, l'Historisme et
les deux leçons sur Marx. En annexe on trouve également une leçon
46 écrira encore, « Marx était un homme de génie, au sens le plus
clair du mot 5 ». Élie Halévy n'a pu lire L'idéologie allemande
et le déplorait ; mais son cours cite, La sainte famille, Misère
de la philosophie, le Manifeste communiste, Introduction à la
critique de l'économie politique et naturellement Le Capital
dont il a lu les trois volumes durant l'hiver 1901-1902 et qu'il
place au tout premier rang. Cette découverte coïncide
d'ailleurs avec l'une des toutes premières vagues d'études
sérieuses consacrées, en France, à l'œuvre de Marx6. L'inté
rêt que manifeste Halévy pour cette doctrine va au-delà de son
cours, comme en témoignent deux autres textes contemporains
qui sont, à cet égard, très importants : d'une part, sa monograp
hie sur Thomas Hodgskin et, d'autre part, la controverse sur
le matérialisme historique qui l'oppose à Georges Sorel à la
Société française de philosophie. Nous y reviendrons.
Si le jugement que porte Halévy sur l'œuvre de Marx est
positif, il n'est pas sans nuance : cette œuvre constitue le point
culminant de la critique par « l'économie politique social
iste », de l'économie politique ricardienne, qui historiquement
a été la première version de « politique conservat
rice » 7. Le marxisme réussit là où Г historisme allemand de
sur marxisme et syndicalisme. Il faut relever que dans l'édition
définitive, les deux leçons sur Marx ont été interverties : initial
ement, É. Halévy présentait d'abord l'erreur que constituait la théo
rie de la valeur-travail pour ensuite insister sur les potentialités
analytiques du matérialisme historique. La leçon sur l'école autri
chienne et sur la théorie de la valeur-utilité a peut-être été insérée
dans le cours suivant, professée, suivant la règle des deux ans, en
1904. Il semble que dans ce cours, É. Halévy ait, en effet, complété
le tableau d'ensemble de l'évolution de la pensée économique au
XIXe siècle.
5. É. Halévy, Correspondance, op. cit., p. 441, lettre à Bougie du
14 septembre 1913.
6. Par ailleurs, Halévy témoignera avoir bénéficié, pour ce cours
inaugural, de l'aide et des conseils de Lucien Herr : voir la lettre à
Charles Andler du 24 août 1929, in ibid., p. 697-698. Sur la récep
tion du marxisme en France, voir Neil Mclnnes, « Les débuts du
marxisme théorique en France et en Italie (1880-1897) », Cahiers de
l'Institut de science économique appliquée, 102, juin 1960, p. 5-51 ;
voir aussi les développements plus récents de Shlomo Sand, L'illu
sion du politique. Georges Sorel et le débat intellectuel 1900, Paris,
La Découverte, 1985.
7. Les termes sont utilisés dans la leçon inédite intitulée La théo
rie autrichienne de la valeur, Fonds Halévy, ENS, carton 11, p. 7.
47 Roscher à Gustav von Schmoller a échoué 8 : il proWilhelm
pose une véritable alternative théorique, politique, philoso
phique à cette orthodoxie. Néanmoins, par ses racines, le
marxisme demeure lié à l'économie politique ricardienne.
Un problème d&#

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