Le linguiste et le discours - article ; n°45 ; vol.11, pg 112-126
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Description

Langages - Année 1977 - Volume 11 - Numéro 45 - Pages 112-126
15 pages
Source : Persée ; Ministère de la jeunesse, de l’éducation nationale et de la recherche, Direction de l’enseignement supérieur, Sous-direction des bibliothèques et de la documentation.

Informations

Publié par
Publié le 01 janvier 1977
Nombre de lectures 254
Langue Français
Poids de l'ouvrage 1 Mo

Extrait

Pierre Kuentz
Le linguiste et le discours
In: Langages, 11e année, n°45, 1977. pp. 112-126.
Citer ce document / Cite this document :
Kuentz Pierre. Le linguiste et le discours. In: Langages, 11e année, n°45, 1977. pp. 112-126.
doi : 10.3406/lgge.1977.1940
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/lgge_0458-726X_1977_num_11_45_1940P. KUENTZ
Paris VIII
LE LINGUISTE ET LE DISCOURS
L'idée que la linguistique moderne s'achèvera dans une méthode
d'analyse des discours accompagne les premiers pas de cette discipline.
Depuis Saussure l'imminence de cet avènement n'a cessé d'être proclamée.
Le maintien de cette promesse et son maintien à l'état de promesse
peuvent conduire à s'interroger sur la fonction d'un mécanisme de « diffé-
rance » qui assure la constante répétition du geste par lequel cette naissance
est à la fois annoncée et retardée. Ne s'agirait-il pas de poser ainsi, sous la
forme du mirage, un horizon illusoire dont on peut se demander s'il n'est
pas nécessaire à la linguistique pour assurer sa scientificité ? Ne s'agit-il
pas de construire ainsi l'alibi qui permet de dissimuler les conditions pra
tiques du discours du linguiste lui-même ?
Une explication circonstancielle d'un phénomène qui peut sembler
marginal paraîtra peut-être suffisante. Dans le cadre de l'interdisciplinarité
à la mode, n'est-il pas inévitable que le linguiste soit tenté d'offrir, sur le
marché des « méthodes », des procédures « prêtes à porter » ? L'annonce de
la mise au point de techniques d'analyse des discours ne peut qu'allécher
tous ceux dont l'activité se déploie autour des énoncés. Sociologues, anthro
pologues, historiens et surtout littéraires cherchent des « pilotes ». Le cré
dit d'une discipline, on le sait, est lié à la mise en place de « méthodes »
exportables.
En témoigne, notamment, le succès des procédures proposées il y a plus
de vingt ans par Harris (1952). Mais en témoigne également, il faut le dire,
l'attitude adoptée sur ce point par ce linguiste. Au moment-même où sa
construction requiert le plus fortement l'élaboration d'une démarche li
nguistique complexe, il affirme l'exportabilité de sa méthode, en réduisant
l'apport linguistique à des opérations purement « techniques ». Alors que
le développement de l'article le conduit à développer, en une sorte d'append
ice interne, l'ébauche des qu'il formalisera dans ses Structures
mathématiques du langage (1968), il écrit, pour « rassurer » l'usager éventuel :
[...] même si l'on n'est pas linguiste, on peut apprendre beaucoup sur le
texte en utilisant (en plus de la méthode d'analyse interne du texte) une
liste pré-établie des principales équivalences grammaticales pour la
langue en question (p. 34).
Les avantages d'une telle position pour le succès interdisciplinaire de
la linguistique sont évidents. Elle justifie à l'avance la lecture qui a été faite
de cet article par les usagers. On n'en a retenu que les « résultats », c'est-à-
dire ce qui était immédiatement applicable ; on en a négligé la problémat
ique. L'idée que la linguistique peut fournir un certain nombre de « boîtes
noires » qu'il suffit de brancher sur un « texte » pour obtenir des résultats
« intéressants » ne pouvait que séduire de nombreux utilisateurs, d'autant
plus que rien n'interdit de multiplier les branchements. L'ignorance, où
l'on est censé pouvoir se maintenir, des mécanismes internes permet, en effet,
112 de combiner entre eux les gadgets. Les petites machines « marchent » tou
jours plus ou moins et, dans le jeu incertain de l'« explication de texte », on
gagne à tous les coups, fût-ce un lot de consolation.
Ces emprunts injustifiés, dira-t-on, ont été souvent dénoncés par les
linguistes au nom de la « pureté scientifique » de leur discipline et rares sont
ceux qui se sont commis dans de telles opérations. Mais rares aussi sont ceux
qui les ont effectivement récusées jusque dans la pratique de leur discipline.
Tout se passe comme si la position d'une « analyse du discours » comme
« au-delà » de la démarche linguistique était, pour cette discipline, l'effet
d'une nécessité interne. En posant l'existence de l'analyse du discours comme
son au-delà toujours à venir, la ne cherche-t-elle pas à écarter
le soupçon qu'il s'agit-là, en fait, d'un en-deçà qu'elle n'a jamais pu entièr
ement neutraliser et qui fonctionne, à son insu, comme son toujours là ?
L'aspect « interdisciplinaire » du phénomène n'est pas aussi anecdoti-
que qu'il peut paraître. La reconnaissance d'un domaine à la fois hétérogène
et « voisin », celui de l'analyse du discours, permet au linguiste de reconduire
aux frontières un problème essentiel pour la fondation d'une science de la
langue et de le résoudre, en même temps, dans l'alibi offert par d'autres
disciplines.
Dire que la question ainsi écartée est une question « épistémologique »
serait encore une façon d'écarter le problème. Ce qui se désigne comme
« interdisciplinarité » n'est, le plus souvent, que la forme mythique qui dit
et dissimule en même temps la réalité pratique de l'université concurrent
ielle. Le découpage du « savoir » en « domaines » autonomes dont les échanges
sont régis par une loi de marché inscrit le problème « épistémologique »
dans la réalité institutionnelle des « disciplines », c'est-à-dire des matières
d'enseignement. Pratique pédagogique et démarche théorique se recouvrent
dans une confusion dont il faut bien reconnaître le caractère idéologique,
puisque c'est une confusion « efficace ».
Poser comme son extérieur cette analyse du discours toujours future,
n'est-ce pas, pour la linguistique, une de ces manœuvres idéologiques vitales
par lesquelles on essaie de gagner à la fois sur deux terrains inconciliables
pour éviter des mises en question ruineuses ?
La répartition des tâches entre une linguistique « proprement dite »
et des disciplines vouées à l'étude du discours, parmi lesquelles, à une place
ambiguë — tantôt « linguistique », tantôt « extralinguistique » — la rhéto
rique et la stylistique, semble destinée à assurer la protection d'un domaine
linguistique « strict ».
Ce partage s'autorise d'un modèle déterminé de l'activité scientifique,
qui n'est pas seulement « épistémologique », on le verra, puisqu'il assure la
répartition des rôles sur la scène universitaire.
Selon cette conception, on distinguera un domaine — supposé « neutre »
— des « faits » et un domaine — spécifiquement « scientifique » — de la
« théorie ».
Les « faits », qui sont des « données » plus ou moins naturelles, se situent
aux deux extrémités de la démarche scientifique, comme entrée et comme
sortie du dispositif théorique, selon le schéma suivant :
faits -> théorie -> faits
ou, si l'on admet le caractère circulaire du processus, tel qu'il s'exprime
dans l'affirmation que la « science rend compte des faits » :
faits ?± théorie
113 L'activité scientifique part de « faits », dont la collecte a pu être assurée
avant elle par des disciplines plus ou moins « impures ». Elle construit, à
partir de ce qui lui est ainsi « donné », une « théorie explicative » qu'elle
« vérifie », éventuellement, en l'appliquant aux faits ou en reconstruisant
les faits.
Ce schéma, ou du moins sa première branche, est présent chez la plu
part de ceux qui se sont préoccupés de fonder la démarche de la linguistique
moderne. Il est formulé clairement dans le traité de Nique (1974, p. 23) :
Les grammaires taxinomiqu.es sont à la fois antérieures et nécessaires à la
grammaire generative ; elles décriven

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