Le téléphone mobile - article ; n°65 ; vol.12, pg 27-33

Marc Guillaume

Description

Réseaux - Année 1994 - Volume 12 - Numéro 65 - Pages 27-33
En devenant portable et mobile, le téléphone s'émancipe des contraintes du domicile ou du bureau. Il devient totalement urbain, c'est-à-dire qu'il réalise l'idéal de la ville, fondé sur la commutation, la mobilité, l'insertion individuelle dans de multiples réseaux. L'espace urbain (la rue comme les transports collectifs) devra donc accueillir ces nouveaux usages, pour permettre en particulier des formes originales d'activités ambulatoires. Ces activités seront facilitées en outre par la transformation du téléphone en ordiphone, résultat de l'hybridation du micro-ordinateur portable et du téléphone. Cette prothèse de communication totale devra aussi s'adapter rapidement à de nouveaux besoins (de « décommunication », de commutation sélective) pour aboutir à une « hyper-communication » intelligente.
By becoming mobile and portable the telephone has freed itself from the home and office environments. It has become totally urban in that it realizes a city ideal based on switching, mobility and integration into multiple networks. The urban sphere (streets and public transport) will have to accommodate these new uses and make room for original forms of ambulatory activities. These activities will, moreover, be facilitated by the transformation of the telephone into the compuphone, a cross between a portable PC and a telephone. This total communication prosthesis will also have to adapt rapidly to new needs (of de- communication, of selective switching) in order to lead to intelligent hyper communication.
7 pages
Source : Persée ; Ministère de la jeunesse, de l’éducation nationale et de la recherche, Direction de l’enseignement supérieur, Sous-direction des bibliothèques et de la documentation.

Informations

• Publié par: RESEAUX
• Publié le: 01 janvier 1994
• Nombre de lectures: 44
• Langue: Français

Extrait

Marc Guillaume
Le téléphone mobile
In: Réseaux, 1994, volume 12 n°65. pp. 27-33.
Résumé
En devenant portable et mobile, le téléphone s'émancipe des contraintes du domicile ou du bureau. Il devient totalement urbain,
c'est-à-dire qu'il réalise l'idéal de la ville, fondé sur la commutation, la mobilité, l'insertion individuelle dans de multiples réseaux.
L'espace urbain (la rue comme les transports collectifs) devra donc accueillir ces nouveaux usages, pour permettre en particulier
des formes originales d'activités ambulatoires. Ces activités seront facilitées en outre par la transformation du téléphone en
ordiphone, résultat de l'hybridation du micro-ordinateur portable et du téléphone. Cette prothèse de communication totale devra
aussi s'adapter rapidement à de nouveaux besoins (de « décommunication », de commutation sélective) pour aboutir à une «
hyper-communication » intelligente.
Abstract
By becoming mobile and portable the telephone has freed itself from the home and office environments. It has become totally
urban in that it realizes a city ideal based on switching, mobility and integration into multiple networks. The urban sphere (streets
and public transport) will have to accommodate these new uses and make room for original forms of ambulatory activities. These
activities will, moreover, be facilitated by the transformation of the telephone into the compuphone, a cross between a portable
PC and a telephone. This total communication prosthesis will also have to adapt rapidly to new needs (of "de- communication", of
selective switching) in order to lead to intelligent "hyper communication".
Citer ce document / Cite this document :
Guillaume Marc. Le téléphone mobile. In: Réseaux, 1994, volume 12 n°65. pp. 27-33.
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/reso_0751-7971_1994_num_12_65_2505LE TELEPHONE MOBILE
Marc GUILLAUME
Réseaux n° 65 CNET - 1 994
27 — 28 soubassement technique du téléphone c'est
également le fil - le langage l'atteste, on
dit : un coup de fil - et son cheminement
souterrain, même s'il est le plus souvent
peu connu et mal compris. Les ondes hert
ziennes constituaient jusqu'à aujourd'hui
le domaine de la radio et de la télévision et
donc, en perdant son fil, le téléphone de
vient un objet hybride, pénétrant dans un
univers qui n'était traditionellement pas le
sien. Ici encore, le langage transcrit cette
hybridation par le terme de radiotéléphone.
Mais le rapprochement n'a pas lieu seu
lement au niveau de la technique et de
l'imaginaire de la technique mais aussi au
niveau des usages. Depuis longtemps, la
radio et, dans une moindre mesure, la télé
vision étaient devenues mobiles, dans les
véhicules individuels ou collectifs, et
même portables avec le walkman ou le
En devenant mobile, portable, cellu watchman. En devenant à son tour mobile,
laire - quel nom choisir ? Il faudra le téléphone qui appartient au monde des
peut-être en inventer encore un médias épidémiques (le bouche à oreille)
autre -, le téléphone va prendre une r et commutatifs (permettant toutes les lia
evanche éclatante. Après avoir été l'objet isons) rentre dans l'univers des usages r
technique le plus discret d'un XXe siècle éservés jusqu'à présent aux médias irra
qui a plutôt pris pour emblème l'automob diants (à partir d'un centre émetteur).
ile ou, dans le domaine de la communicat Ainsi, l'usage du téléphone de voiture
se rapproche de celui de l'autoradio, celui ion, la télévision, le téléphone va enfin ac
céder à la visibilité qui correspond à du téléphone portable, comme le Bi-Bop
l'importance de ses effets sur la société. Il aujourd'hui en France, évoque l'usage du
prendra un statut et remplira des fonctions walkman. Mais au-delà de cette apparence
qui n'étaient que partiellement assumées d'usage commune, la différence est consi
lorsqu'il était assigné à résidence, au do dérable : il ne s'agit plus d'être irradié pas
micile ou au bureau. Dans cette transfor sivement de musique ou de paroles, mais
mation, il est possible de distinguer cinq d'entrer en communication, de doubler la
lignes de force principales. communication « naturelle » avec l'env
ironnement immédiat, urbain le plus sou
Un objet devenu nomade vent, par une télécommunication artifi
cielle avec un autre espace physique et
La mobilité est évidemment la première mental.
ligne de cette transformation, celle qui On a souvent dit que le walkman, par
s'impose immédiatement à l'analyse et exemple, était un moyen de s'isoler, de
celle, aussi, qui représente la coupure, au s'évader de l'environnement immédiat, de
sens propre et dans l'imaginaire, la plus conjurer son insignifiance ou encore d'es
quiver les « foules solitaires » dans la ville manifeste. Certes, il existe depuis quelques
années des téléphones sans fil mais dans en s 'enfermant plus profondément dans
l'espace fonctionnel du travail, le tél une bulle individuelle. Cela peut être par
éphone doit, le plus souvent, rester attaché fois le cas mais c'est le plus souvent une
par un fil, réel et symbolique, au poste de vue superficielle et inexacte. Le walkman
est plutôt une façon de doubler le réel quo- travail. Dans l'imaginaire dominant, le
29 — tidien par une sorte de bande son approp ment l'idéal de la ville. La ville est, en ef
riée. La réalité n'est pas écartée mais so fet, par excellence, un ensemble enchevêt
norisée, contextualisée et elle peut prendre ré de commutateurs : de transport, de tél
ainsi une dimension théâtrale ou cinémato écommunications, de commerces (c'est
l'une des origines historiques - du moins graphique qui lui donne une densité inat
certains historiens l'affirment - des villes), tendue.
Avec un téléphone portable la réalité de rencontres et d'échanges de tout genre.
n'est pas doublée, elle est trouée, ouverte C'est ce qui fait la puissance d'attraction
- et bien sûr aussi les encombrements, les sur un autre espace. A tout moment, cet
risques et les nuisances - des villes. C'est autre espace est réellement ou potentiell
ement coprésent à l'environnement imméd aussi ce qui leur confère leur socialite
iat. Cela se produisait certes déjà au do propre, qui n'est plus fondée sur une mét
micile ou au bureau mais il s'agissait, dans rique géographique, à l'image de la social
ce cas, d'espaces familiers qui s'estom ite rurale : les proches ne sont plus les
voisins de hasard - l'urbanité conduit paient ou s'abolissaient aisément. Ou plu
tôt des usages s'étaient forgés lentement et même à feindre de ne pas les voir, de ne
même laborieusement pour permettre cet pas les importuner en tout cas, même si ce
sont des voisins de palier - ce sont ceux usage externe de l'intérieur : on avait pris
l'habitude, comme a pu l'écrire Paul Yon- qui sont choisis et rendus accessibles grâce
net, de « rentrer chez soi pour communiq à tous les moyens de communication et de
uer ». Il ne sera pas aussi simple d'abolir commutation. Or, jusqu'à maintenant,
cette socialite spécifiquement urbaine était l'espace urbain, l'enjeu étant d'ailleurs
plutôt de cohabiter simultanément dans en panne dans les lieux publics, dans les
deux espaces. Il faut et il faudra de plus en transports en commun : la ville se réduisait
plus conduire en téléphonant, se trouver à une foule en transit vers les espaces de
une contenance pour parler à une petite commutation, bureaux, magasins, domic
iles. Demain, les citadins branchés pou- boîte sur le trottoir ou dans le métro, in
venter des règles de civilité pour permettre ront vivre en public leur socialite privée,
que l'espace de la ville soit aboli ou total faire coexister la métrique géographique et
ement mis à l'écart, même provisoirement. celle de leurs proches. L'idéal de la ville
On vérifie au niveau des usages que les pourra se réaliser au niveau du piéton, de
médias irradiants sont fondamentalement la particule urbaine élémentaire.
secondaires : ils s'insèrent dans la socialite
quotidienne, le plus souvent comme un s Le travail ambulatoire
econd plan. Que ce plan soit envahissant,
qu'il