Le tour ethnolinguistique de l analyse du discours - article ; n°105 ; vol.26, pg 114-125
13 pages
Français

Découvre YouScribe en t'inscrivant gratuitement

Je m'inscris

Le tour ethnolinguistique de l'analyse du discours - article ; n°105 ; vol.26, pg 114-125

-

Découvre YouScribe en t'inscrivant gratuitement

Je m'inscris
Obtenez un accès à la bibliothèque pour le consulter en ligne
En savoir plus
13 pages
Français
Obtenez un accès à la bibliothèque pour le consulter en ligne
En savoir plus

Description

Langages - Année 1992 - Volume 26 - Numéro 105 - Pages 114-125
12 pages
Source : Persée ; Ministère de la jeunesse, de l’éducation nationale et de la recherche, Direction de l’enseignement supérieur, Sous-direction des bibliothèques et de la documentation.

Informations

Publié par
Publié le 01 janvier 1992
Nombre de lectures 20
Langue Français

Extrait

M. Dominique Maingueneau
Le tour ethnolinguistique de l'analyse du discours
In: Langages, 26e année, n°105, 1992. pp. 114-125.
Citer ce document / Cite this document :
Maingueneau Dominique. Le tour ethnolinguistique de l'analyse du discours. In: Langages, 26e année, n°105, 1992. pp. 114-
125.
doi : 10.3406/lgge.1992.1628
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/lgge_0458-726X_1992_num_26_105_1628Dominique MAINGUENEAU
Université d'Amiens
LE TOUR ETHNOLINGUISTIQUE DE L'ANALYSE
DU DISCOURS
Demander à un analyste du discours de se pencher sur les conditions d'une
« ethnolinguistique de l'écrit », ce n'est pas lui faciliter la tâche : déjà confronté à de
grandes difficultés quand il cherche à délimiter ce « discours » dont il doit faire
l'« analyse », il ne trouvera guère de réconfort dans une « ethnolinguistique » aux
définitions flottantes ni dans une problématique de « l'écrit » où convergent bon
nombre d'apories philosophiques. Pourtant, à travers cette notion
d'« ethnolinguistique de l'écrit », on a la possibilité de caractériser une certaine
conjoncture de l'analyse du discours, un certain « tour » pris par cette discipline
depuis quelques années, de prendre acte d'un remodelage de l'ensemble de son champ.
Par « analyse du discours », nous entendons ici essentiellement les recherches qui
s'inscrivent dans la mouvance de ce qu'on appelle de manière indûment homogénéis
ante « l'école française », mais, au-delà, nous touchons inévitablement un mode
d'appréhension des textes qui n'est pas strictement délimitable. Pour dire les choses
de manière rapide, une ethnolinguistique de l'écrit participe d'un mouvement qui
s'écarte aussi bien de « l'analyse idéologique » des textes que de ce qu'on pourrait
appeler une « stylistique ». Une analyse idéologique interprète des contenus pour
rapporter les textes à une prise de position politique, au sens le plus large, à une lutte
pour le pouvoir. Une analyse stylistique, souvent solidaire de la précédente, traite ses
corpus comme le résultat d'un ensemble de « procédés », de moyens d'expression qui
correspondent à une certaine fonction communicative, elle-même liée à une typologie
des discours : dans telle situation d'énonciation, on efface les marques de subjectivité,
on use de tels temps verbaux, de constructions médio-passives, on cite de telle façon,
etc. Ces deux approches sont légitimes mais elles ne suffisent pas pour prendre
pleinement en charge la textualité : l'une y voit l'expression d'une revendication
sociale, l'autre une structure linguistique cohérente.
Or on a aussi bien besoin d'une démarche qui assume l'intrication dans le texte
d'une manière de dire et de rapports de pouvoir, la réversibilité foncière du texte et
du contexte. Zone d'échange que mime assez bien la duplicité du recomposé
ethno- linguistique : il y a bien du linguistique mais ce dernier doit se lire à travers
Vethno- d'un groupe qu'il présuppose et constitue. Il ne s'agit donc ni d'une sociologie
des institutions ni d'une étude des moyens d'expression, mais de la ligne qui les fait
passer l'un dans l'autre. L'« ethnolinguistique de l'écrit » apparaît ainsi moins comme
une discipline que comme un projet qui traverse plusieurs disciplines, celui de dégager
un processus énonciatif qui d'un même mouvement organise les textes et l'espace
social des hommes qui à divers niveaux vivent à travers eux.
Parler de « tour ethnolinguistique » pour caractériser ce projet, c'est au fond une
des multiples manières de décrire l'incidence des courants pragmatiques sur l'analyse
des textes. Nous disons « les courants pragmatiques » puisqu'il s'agit moins d'une
doctrine homogène que d'une nébuleuse aux multiples entrées : le langage comme
114 la reflexivitě énonciative, l'interaction, le contexte discursif, etc. Cette affinité action,
entre pragmatique et ethnolinguistique n'a rien de surprenant : la réflexion sur les
actes illocutoires, en particulier, implique constamment une perspective ethnologi-
sante. La problématique de leur « réussite » est ainsi étroitement liée à une prise en
compte de la légitimité des agents et des rituels, à celle d'une « force » qui s'exerce
dans et par une communauté qui distribue les marques de reconnaissance.
Il peut sembler pourtant paradoxal de s'en remettre à une « ethnolinguistique de
l'écrit ». En général, on parle d'ethnolinguistique plutôt pour évoquer l'oralité du
mythe ou du conte populaire, en clair des types d'énonciations devenues marginales
dans nos sociétés : « l'ethnologie, dit Lévi-Strauss (1958 : 33), s'intéresse surtout à ce
qui n'est pas écrit ». Or l'école française d'analyse du discours a précisément affaire à
des textes écrits au sens le plus plein, à de V inscrit, à des archives (Maingueneau, 1991 :
21). Il s'agit non seulement d'énoncés dont la transmission le plus souvent passe par
le code graphique mais stabilisés, qui possèdent une valeur pour une
communauté, lui permettent de marquer un territoire symbolique par rapport à
d'autres positionnements discursifs.
Cette difficulté ne fait que s'accroître si l'on songe qu'une ethnolinguistique de
l'écrit semble également aller à contre-courant de l'énorme mouvement d'analyse de
la conversation qui innerve depuis quelques années l'étude du discours pour mettre en
évidence les différences socio-culturelles au sein des sociétés industrielles. Or, ici
encore, c'est l'oralité qui va de pair avec la référence ethnologique :
Des difficultés particulières naissent dès lors que des individus d'origines culturell
es différentes s'engagent dans des événements de langage publics, qu'il s'agisse de
réunions de commission, d'un entretien, de situation d'embauché ou de toute autre
situation d'interaction verbale finalisée (Gumperz, 1989 : 8).
Bien plus que l'écrit, les échanges oraux ne seraient-ils pas le véritable champ
d'application de l'ethnolinguistique dans nos sociétés ?
Certes, on peut toujours produire une définition de l'« ethnos » qui fasse de
l'ethnolinguistique une sorte d'équivalent de la sociolinguistique. Mais pour décrire
certaines évolutions dans la manière de penser renonciation des textes, il nous paraît
préférable de maintenir cette tension entre écriture et ethnolinguistique.
L'écriture, excluant l'interaction immédiate par la dissociation entre position
d'énonciation et position de réception, autonomise le texte, avec toutes les consé
quences que l'on sait sur le plan de l'organisation tant du pouvoir que des
connaissances : constitution d'un corps de scribes, possibilité de spatialiser le savoir,
de stabiliser le texte, de le conserver, de l'appréhender globalement et de le manipuler,
nécessité d'une herméneutique et d'un corps d'interprètes légitimes pour contrôler sa
lecture, etc. Par tous les biais l'écrit semble s'arracher à un regard ethnologique ; en
témoigne la célèbre condamnation de l'écriture dans le Phèdre de Platon :
C'est que l'écriture, Phèdre, a un grave inconvénient, tout comme la peinture. Les
produits de la peinture sont comme s'ils étaient vivants ; mais pose-leur une
question, ils gardent gravement le silence. Il en est de même des discours écrits. On
pourrait croire qu'ils parlent en personnes intelligentes, mais demande-leur de
t'expliquer ce qu'il disent, ils ne répondront qu'une chose, toujours la même. Une
fois écrit, le discours roule partout et passe indifféremment dans les mains des
connaisseurs et dans celles des profanes, et il ne sait pas distinguer à qui il faut, à
115 qui il ne faut pas parler. S'il se voit méprisé ou injurié injustement, il a toujours
besoin du secours de son père ; car il n'est pas capable de repousser une attaque et
de se défendre lui-même (275d).
Ici la paternité de renonciation est bien plus qu'une « métaph

  • Univers Univers
  • Ebooks Ebooks
  • Livres audio Livres audio
  • Presse Presse
  • Podcasts Podcasts
  • BD BD
  • Documents Documents