Le rapport présente les conclusions d'une mission effectuée en Turquie du 13 au 17 septembre 2004, chargée du suivi de la candidature de ce pays à l'Union européenne. Il s'attache principalement à la manière dont sont respectés les critères de Copenhague : torture et pénalisation de l'adultère, relations de l'appareil d'Etat avec le pouvoir politique, relations de l'Etat laïc avec les religions, relations avec les communautés kurdes et arméniennes. Il indique quelles sont les autres questions fondamentales posées par la candidature de la Turquie : implications institutionnelles, économiques et budgétaires, politique étrangère et de défense, vision de l'Europe au XXIème siècle. Il fait état des travaux de la Délégation et présente de nombreuses annnexes.
Paternité, pas d'utilisation commerciale, partage des conditions initiales à l'identique
Langue
Français
Extrait
N° 1834 _______
ASSEMBLÉE NATIONALE CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958 DOUZIÈME LÉGISLATURE
Enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale le 5 octobre 2004
RAPPORT D'INFORMATION
DÉPOSÉ
PAR LA DÉLÉGATION DE L'ASSEMBLÉE NATIONALE POUR L'UNION EUROPÉENNE (1),
surla Turquie et l’Union européenne,
ET PRÉSENTÉ
PARM. GUYLENGAGNE ,
Député.
________________________________________________________________ (1) La composition de cette Délégation figure au verso de la présente page.
La Délégation de l'Assemblée nationale pour l'Union européenne est composée de :M. Pierre Lequiller,président; MM. Jean-Pierre Abelin, René André, Mme Elisabeth Guigou, M. Christian Philip,idéstsenicvpre- François; MM. Guillaume, JeanClaude Lefort,secrétaires Alfred; MM. Almont, François Calvet, Mme Anne-Marie Comparini, MM. Bernard Deflesselles, Michel Delebarre, Bernard Derosier, Nicolas Dupont-Aignan, Jacques Floch, Pierre Forgues, Mme Arlette Franco, MM. Daniel Garrigue, Michel Herbillon, Marc Laffineur, Jérôme Lambert, Edouard Landrain, Robert Lecou, Pierre Lellouche, Guy Lengagne, Louis-Joseph Manscour, Thierry Mariani, Philippe Martin, Jacques Myard, Christian Paul, Didier Quentin, André Schneider, Jean-Marie Sermier, Mme Irène Tharin, MM. René-Paul Victoria, Gérard Voisin.
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SOMMAIRE _____
Pages
Avant-propos du Président PIERRELEQUILLER ................7
I. LE RESPECT DES CRITERES POLITIQUES DE COPENHAGUE.................................................................15
A. Deux dossiers majeurs pour la crédibilité des réformes : la torture et la pénalisation de l’adultère .........17
1) La torture est-elle aujourd’hui systématique et répandue ?.................................................................................. 17
2) Que conclure de la valse-hésitation du gouvernement sur la pénalisation de l’adultère ? ............................................ 23
B. Les relations de l’appareil d’Etat avec le pouvoir politique .................................................................................27
1) Le rôle politique de l’armée et ses rapports avec le pouvoir civil................................................................................ 27
2) Le rôle-clé de la justice dans l’application des réformes........ 32
C. Les relations de l’Etat laïc avec les religions ......................33
1) Les progrès de la liberté religieuse pour les religions non-musulmanes et les courants minoritaires de l’Islam....... 33
2) La laïcité dans le Traité constitutionnel de l’Union européenne et dans la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme........................................... 36
D. Les relations de l’Etat unitaire avec les communautés kurde et arménienne .............................................................39
1)
Du rejet de l’indépendance politique à la reconnaissance des droits culturels des Kurdes...................... 39
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2) Le difficile réexamen de l’histoire d’une tragédie .................. 42
II. LES AUTRES QUESTIONS FONDAMENTALES POSEES PAR LA CANDIDATURE DE LA TURQUIE À L’UNION EUROPEENNE........................45
A. Les implications institutionnelles, économiques et budgétaires de l’adhésion .....................................................45
1) Le défi de l’intégration de la Turquie dans les institutions communautaires .................................................... 45
2) Les défis de l’intégration économique d’un pays à fort potentiel, concernant l’économie souterraine, l’épargne dormante, la corruption et l’exode rural................................. 48
B. La politique étrangère et de défense ...................................55
1) L’indispensable apaisement des tensions avec le voisinage ..................................................................................... 55
2) La Turquie « aiguillon » d’une politique étrangère et de défense européenne plus ambitieuse ? ..................................... 58 C. La vision de l’Europe au XXIèmesiècle ...............................62
1) Les frontières de l’Union européenne...................................... 62
2) Le projet de l’Union européenne.............................................. 65
TRAVAUX DE LA DELEGATION .....................................69
1) Réunion du mardi 5 octobre 2004.........................................69
2) Contributions des membres de la mission en Turquie .......85 a) Contribution de M. JEANPIERREABELIN, député de la Vienne, du 12 octobre 2004......................................... 85
b) Contribution de M. BERNARDSEESESLLFLDE, député des BouchesduRhône, du 5 octobre 2004 ........... 89 c) Contribution de MMEELISABETHGUIGOU, députée de SeineSaintDenis, du 12 octobre 2004 ......................... 93
d) Contribution de M.GUYLENGAGNE, député du Pas-de-Calais, du 11 octobre 2004 ...................................... 97
e) Contribution de M. CHRISTIANPHILIP, député du Rhône, du 29 septembre 2004............................................ 105
Annexe 1 : Composition de la délégation ...............................111
Annexe 2 : Programme de la visite en Turquie de la Délégation de l’Assemblée nationale pour l’Union européenne du 13 au 17 septembre 2004 ..........................113
Annexe 3 : Auditions du mercredi 8 septembre 2004 ...........117
Annexe 4 : Extraits des conclusions des Conseils européens concernant la Turquie......................................125
Annexe 5 : Documents d’organisations non gouvernementales sur les droits de l’homme en Turquie ................................................................................137
1) La situation des droits de l’homme en Turquie.................137
2) Evaluation récente du travail des centres de traitement et de réhabilitation des victimes de la Fondation pour les droits de l’homme en Turquie ..........142
Au cours de sa réunion du 9 octobre 2002, notre Délégation pour lUnion européenne a désigné un rapporteur général dinformation M. René André chargé de suivre le processus général de lélargissement et treize rapporteurs dinformation aux fins détudier, dans chacun des pays candidats, le processus dadhésion à lUnion européenne. Elle a ainsi confié à notre collègue Guy Lengagne le soin détudier le dossier de la Turquie.
Comme pour les autres pays candidats, une mission de la Délégation, comprenant quasiment toutes les sensibilités politiques, sest rendue en Turquie du 13 au 17 septembre 2004, à un moment où la question de louverture des négociations dadhésion était sous le feu de lactualité, avec notamment la controverse relative à la réforme du code pénal.
Elle était composée outre du rapporteur et de moi-même, par MM. Jean-Pierre Abelin, Bernard Deflesselles, Mme Elisabeth Guigou et M. Christian Philip. La mission sest rendue à Istanbul et à Ankara, puis, séparée en deux groupes, à Kars et à Elaziğ, dans lest du pays. Elle a pu ainsi avoir des entretiens avec différentes personnalités des milieux politique, militaire, administratif, ainsi que de la société civile et notamment avec les associations chargées de la défense des droits de lhomme.
Le présent rapport comprend le compte-rendu de la mission par le rapporteur, les travaux de notre Délégation du 5 octobre 2004, les contributions de chacun des membres de la mission, ainsi que différentes annexes.
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Ce document sinscrit dans le cadre de la mission générale dinformation des députés que notre Délégation sest vu confier sur les questions européennes. Sa seule ambition est dapporter une contribution au débat engagé sur léventuelle ouverture des négociations dadhésion de la Turquie à lUnion européenne, qui, après avoir fait lobjet dune recommandation de la Commission, le 6 octobre 2004, sera soumise à la décision des chefs dEtat et de Gouvernement de lUnion européenne le 17 décembre 2004.
INTRODUCTION
Mesdames, Messieurs,
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La mission effectuée en Turquie du 13 au 17 septembre 2004 par le Président de la Délégation de lAssemblée nationale pour lUnion européenne, son rapporteur chargé du suivi de la candidature de ce pays à lUnion européenne et quatre autres députés représentant diverses sensibilités politiques, sest déroulée à un moment crucial pour lavenir des relations entre lUnion européenne et ce pays candidat. La Commission européenne a, en effet, remis, le 6 octobre, un rapport et une recommandation sur la base desquels le Conseil européen décidera, le 17 décembre, si la Turquie satisfait aux critères politiques de Copenhague et si lUnion européenne ouvre sans délai des négociations dadhésion avec ce pays. Cette visite a permis de rencontrer de nombreuses personnalités turques et françaises à Istanbul et à Ankara, de bénéficier dun entretien avec ladjoint du chef dEtat-major général accordé pour la première fois à une délégation parlementaire, et de faire des déplacements dans deux villes de lEst pour mieux appréhender la diversité des situations et des perceptions.
La Turquie a accompli sa marche vers lEurope en deux temps.
Elle sest dabord transformée en 1923 en un Etat-nation et une république démocratique et laïque sous la conduite autoritaire du père fondateur de la Turquie moderne, Mustapha Kemal Atatürk, en sinspirant du modèle européen.
Elle sest ensuite amarrée au camp occidental au moment de la guerre froide en intégrant toutes ses organisations internationales : le Conseil de lEurope, en août 1949, lOrganisation du Traité de lAtlantique Nord, en 1951, lOrganisation européenne de Coopération économique, devenue lOCDE. Elle a donc déposé sa candidature au statut de membre associé de la Communauté économique européenne et laccord dassociation fut signé en 1963. Cet accord, destiné à permettre linstauration progressive dune
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union douanière, comportait en son article 28 une perspective dadhésion ainsi formulée : «Lorsque le fonctionnement de l’accord aura permis d’envisager l’ ceptation intégrale par la Turquie des ac obligations découlant du traité instituant la Communauté européenne, les parties contractantes examineront la possibilité d’une adhésion de la Turquie à la Communauté».
Cette perspective a été établie dans un contexte où, dune part, le rejet du projet de Communauté européenne de défense et les réalités stratégiques avaient conduit à confier le développement de léconomie de lEurope à la CEE et sa sécurité à lOTAN et où, dautre part, la Turquie ne pouvait échanger avec le monde turcophone en raison de lemprise de lUnion soviétique. La fin des blocs Est-Ouest en 1989 a redonné une nouvelle centralité à la Turquie et a ouvert à lEurope la possibilité de construire une politique étrangère et de défense et donc une union politique à côté de lunion économique et monétaire, mais elle na pas pour autant modifié la perspective dadhésion.
En avril 1987, la Turquie présenta sa candidature à ladhésion à la Communauté européenne. Le Conseil européen refusa douvrir des négociations dadhésion, sur avis défavorable de la Commission rendu en décembre 1989, en raison des transformations de la Communauté européenne résultant de la mise en uvre de lActe unique et de la situation politique et économique de la Turquie, en particulier son conflit avec un Etat membre, la Grèce, et de loccupation militaire dune partie du territoire de la République de Chypre.
Par laccord conclu le 6 mars 1995 sous présidence française avec la Grèce, Chypre et la Turquie, lUnion européenne sengageait à ouvrir des négociations dadhésion avec Chypre au plus tard six mois après la fin de la Conférence intergouvernementale dAmsterdam et la Grèce promettait de ne plus faire obstruction à létablissement dune union douanière avec la Turquie ni à la reprise dune assistance financière. Cette évolution conduisait le Conseil européen de Madrid, en décembre 1995, à lier les négociations dadhésion avec Chypre avec celles prévues avec les pays dEurope centrale et orientale.
Elle permettait également de signer en 1995 laccord dunion douanière UE-Turquie, entré en vigueur le 1erjanvier 1996.
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Mais le regain des tensions entre la Grèce et la Turquie autour dîlots de la Mer Egée conduisait la Grèce à bloquer à nouveau lassistance financière et la Turquie à tenter de sopposer à une adhésion de Chypre tant que ne serait pas reconnue la République turque du Nord de Chypre et ne serait pas ouverte la voie de sa propre adhésion. La Grèce et la Turquie parviendront ensuite à se rapprocher et à apaiser leurs tensions à partir des catastrophes sismiques intervenues en Turquie au tournant du siècle.
En décembre 1997, le Conseil européen de Luxembourg lance le processus dadhésion pour les pays candidats dEurope centrale et orientale et pour Chypre, mais il ne retient pas la candidature turque en raison notamment de la question des droits de lhomme et de la situation à Chypre. La Commission définit toutefois une stratégie européenne pour la Turquie.
En décembre 1999, le Conseil européen dHelsinki marque un tournant décisif en reconnaissant à la Turquie le statut de candidat, dans les termes suivants : «La Turquie est un Etat candidat qui a vocation à rejoindre l’Union sur la base des mêmes critères que ceux qui s’appliquent aux autres pays candidats». Cette décision de principe fait bénéficier le treizième candidat des mêmes droits que les autres, en particulier dune stratégie de pré-adhésion définie par lUnion européenne en mars 2001. Elle se traduit par ladoption par la Turquie dun programme national dadhésion, lexamen des progrès accomplis dans des rapports annuels de la Commission, un renforcement de laide financière de pré-adhésion et une extension de lunion douanière.
Toutefois cette décision ne comporte pas de calendrier pour louverture des négociations en raison de lampleur des réformes restant à accomplir et à mettre en uvre concrètement. En décembre 2002, le Conseil européen de Copenhague constate les progrès réalisés et fixe une clause de rendez-vous au Conseil européen du 17 décembre 2004 pour décider si le respect des critères politiques de Copenhague permet douvrir sans délai les négociations dadhésion avec la Turquie.
Contrairement à une impression assez répandue en Turquie, les pays candidats qui viennent dadhérer ou sont encore en négociations ont aussi connu de longues périodes dattente.