Raymond Aron et l horreur des chiffres - article ; n°1 ; vol.1, pg 51-73
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Description

Histoire & Mesure - Année 1986 - Volume 1 - Numéro 1 - Pages 51-73
Alain GUERRE AU. Raymond Aron and the Fear of Figures. Despite several recent publications, studies on the foundations of historical research in France are still dominated by the works of Raymond Aron. The author examines Raymond Aron's thinking on the role of statistics in historical research, the underlying premises involved in Aron's analysis, its strengths and weaknesses.
La réflexion sur les fondements de l'activité historienne reste dominée en France, malgré quelques ouvrages récents, par les travaux de Raymond Aron. On analyse la manière dont R. Aron a compris et évalué l'aspect statistique des recherches historiques, et l'on montre les présupposés qui ont conditionné cette réflexion aronienne et en marquent la faiblesse.
23 pages
Source : Persée ; Ministère de la jeunesse, de l’éducation nationale et de la recherche, Direction de l’enseignement supérieur, Sous-direction des bibliothèques et de la documentation.

Informations

Publié par
Publié le 01 janvier 1986
Nombre de lectures 22
Langue Français
Poids de l'ouvrage 1 Mo

Extrait

Alain Guerreau
Raymond Aron et l'horreur des chiffres
In: Histoire & Mesure, 1986 volume 1 - n°1. pp. 51-73.
Résumé
.Alain Guerreau. Raymond Aron et l'horreur des chiffres.
La réflexion sur les fondements de l'activité historienne reste dominée en France, malgré quelques ouvrages récents, par les
travaux de Raymond Aron. On analyse la manière dont R. Aron a compris et évalué
l'aspect statistique des recherches historiques, et l'on montre les présupposés qui ont conditionné cette réflexion aronienne et en
marquent la faiblesse.
Abstract
Alain Guerreau. Raymond Aron and the Fear of Figures.
Despite several recent publications, studies on the foundations of historical research in France are still dominated by the works of
Raymond Aron. The author examines Raymond Aron's thinking on the role of statistics in historical research, the underlying
premises involved in Aron's analysis, its strengths and weaknesses.
Citer ce document / Cite this document :
Guerreau Alain. Raymond Aron et l'horreur des chiffres. In: Histoire & Mesure, 1986 volume 1 - n°1. pp. 51-73.
doi : 10.3406/hism.1986.908
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/hism_0982-1783_1986_num_1_1_908Histoire & Mesure, 1986, 1-1, 51-73
Alain GUERREAU
Raymond Aron et l'horreur des chiffres
Les contrastes ne sont pas l'aspect le moins prenant de la personnal
ité de Raymond Aron. Pierre Vilar a frappé la formule la plus juste :
« Raymond Aron ne plonge aux abîmes du Figaro que du haut des
sommets de la philosophie allemande, pour ressurgir soudain aux plages
académiques » (1). Le Petit Robert complète : « II est considère comme
l'un des principaux théoriciens de l'idéologie technocratique ». Philoso
phe de formation, R. Aron pourtant donna peu de textes théoriques (2),
et ceux-ci mêmes sont de part en part animés par une visée polémique qui
ne se camoufle pas en fausse objectivité papelarde. Pour lui, l'objet
essentiel était le monde où il vivait, perçu comme foncièrement
historique. Dès les années 1930, R. Aron avait choisi la voie d'un
idéalisme athée, rationaliste et antimarxiste, qui en fit un des apologistes
les plus écoutés du système politique et économique incarne dans les
« démocraties occidentales » de l'après-guerre. Bien que cette notoriété
ne l'ait pas écarté de l'Aima Mater, elle le plaça dans une situation fausse
f>ar rapport à ses collègues : comment prendre au sérieux son ouvrage sur
es « limites de l'objectivité » alors que son comportement semblait aux
antipodes d'un tel état d'esprit ?
Les quelques auteurs français qui, depuis 1945, ont publié des
ouvrages sur ce qu'on peut approximativement dénommer epistemologie
de l'histoire se sont, tous, largement inspirés de R. Aron, le pillant sans
vergogne tout en le citant le moins possible, sans jamais cependant
parvenir à en égaler la relative pertinence (3). Or ces imitateurs se
distinguent de leur modèle en ce qu'ils ont renoncé à aborder la question
de l'utilisation des nombres dans 1 étude des sociétés. Plus généralement,
il n'existe à ce jour aucun ouvrage qu'on puisse raisonnablement définir
comme manuel de statistique pour historien (4). Si, dans certains secteurs
limités de la recherche historique, l'usage des nombres semble à peu près
admis, cette situation demeure très minoritaire ; le développement de
l'usage des ordinateurs tend à affecter les procédures de manipulation
des documents, mais sans modifier l'attitude des historiens à l'égard des
nombres (5). Ceux-ci restent, pour certains chercheurs, des entités
51 Histoire & Mesure
réputées malcommodes, voire dangereuses parce qu'incontrôlables, ce
qui se traduit par un usage minimal et un refus tenace de toute réflexion
de méthode sur un sujet obstinément voué à de prétendus « spécialistes »
(6).
Dans ces conditions, il faut reconnaître l'acuité intellectuelle de
Raymond Aron, un des très rares auteurs français du XXe siècle à avoir
cherché à élucider le rôle des chiffres au sein de la connaissance
historique. Mais cette conception aronienne est inacceptable : a priori(s),
erreurs, insuffisances d'information rendent le tout caduc. Or Aron a
voulu exposer une représentation cohérente de ce qu'il définissait comme
la connaissance historique, et c'est donc par rapport à cette cohérence
cju'il faut apprécier sa conception des données numériques : il existe une
étroite implication réciproque de ces deux plans et la critique, nécessair
ement globale, devra déboucher sur la mise en lumière des liens qui
unissent une conception plus rationnelle et plus réaliste des nombres dans
la recherche historique à plusieurs catégories fondamentales sans l'emploi
desquelles les opérations statistiques les plus performantes ne peuvent
entraîner aucun progrès des connaissances.
On s'efforcera d'abord de résumer analytiquement l 'ouvrage de R.
Aron, pour en dégager les articulations majeures et les concepts-clés ;
puis on reprendra les développements concernant deux auteurs -
Durkheim et Simiand -, à l'occasion desquels Aron précise la place qu'il
assigne aux données numériques et aux raisonnements statistiques ; on
montrera enfin les contresens qui invalident cette construction, pour
arriver à établir le groupe minimal de concepts autour desquels peut se
construire une conception rationnelle de la connaissance historique et
une pratique adéquate des statistiques susceptible de contribuer au
progres scientifique.
Philosophie scolaire et idéalisme
La thèse de doctorat de Raymond Aron fut soutenue et publiée en
1938 sous le titre : Introduction à la philosophie de l'histoire. Essai sur les
limites de l'objectivité historique. A peu près 350 pages, d'une lecture
difficile pour un historien, non qu'un vocabulaire spécial à prétention
technique en brouillerait le sens, mais parce que le style et l'enchaînement
des arguments portent la marque d'une rétnorique convenue.
L'introduction détermine rapidement la question de base, la « ques
tion de la vérité », qui se formule par analogie : « Etant donné un certain
état de nos connaissances expérimentales, une loi physique s'impose à
tous. Peut-on prêter la même validité, en fonction d'un certain état de
l'érudition, à une reconstitution historique ? » (7). Dès lors est posé,
l'universalité des propositions des historiens ne paraissant pas admise,
que le problème reel serait celui des limites de la science historique plutôt de ses fondements.
Le corps de l'ouvrage est divisé en quatre sections. La première,
52 Guerreau Alain
intitulée « le passé et les concepts d'histoire », s'ouvre par une virulente
attaque contre Cournot. Aron s'en prend tout particulièrement à la
notion d'ordre selon Cournot, qui, à ses yeux, interdit « les distinctions
qui s'imposent » entre « système rationnel » et « succession de cas
fortuits» (8) ; Cournot donne dans la « métaphysique », sinon dans la
« foi théologique ». A ce premier assaut succède un second, contre
Lamarck et Darwin, coupables d'avoir développé sans preuves la
doctrine de l'évolution et ae lui avoir donné une extension excessive.
Aron prétend observer une « crise » de la biologie (9), d'où ressortirait
l'impossibilité de choisir de manière nette entre diverses conceptions
(10).
L'évolution ainsi écartée, R. Aron en vient à l'histoire proprement
dite déclarée « irréductible » (11), car définie comme « la reprise
consciente du passé » (12). Point de vue qui se développe en aphorismes
décisifs : « l'histoire est toujours celle de l'esprit, même lorsqu'elle est
celle des forces de production » ; « on n'expliquera jamais la conscience à
partir de ce qui n'est pas conscient, ni la raison à partir de la non-raison ».
Encore un pas, et la transcendance surgit : « l'ordre spirituel est
transcendant aux réalités qu'explorent les sciences de la nature » (13).
Dans cette première section donc, R. Aron met en place une
définition de l'histoire humaine

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