Révolution française et mouvement national marocain - article ; n°1 ; vol.52, pg 218-228
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Description

Revue du monde musulman et de la Méditerranée - Année 1989 - Volume 52 - Numéro 1 - Pages 218-228
11 pages
Source : Persée ; Ministère de la jeunesse, de l’éducation nationale et de la recherche, Direction de l’enseignement supérieur, Sous-direction des bibliothèques et de la documentation.

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Publié par
Publié le 01 janvier 1989
Nombre de lectures 84
Langue Français
Poids de l'ouvrage 1 Mo

Extrait

Mustapha Sehimi
Révolution française et mouvement national marocain
In: Revue du monde musulman et de la Méditerranée, N°52-53, 1989. pp. 218-228.
Citer ce document / Cite this document :
Sehimi Mustapha. Révolution française et mouvement national marocain. In: Revue du monde musulman et de la Méditerranée,
N°52-53, 1989. pp. 218-228.
doi : 10.3406/remmm.1989.2302
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/remmm_0997-1327_1989_num_52_1_2302SÉHIMI Mustapha
RÉVOLUTION FRANÇAISE ET MOUVEMENT
NATIONAL MAROCAIN
Dans les années vingt, au Maroc, Lyautey s'opposait à l'affichage de la « Décla
ration des Droits de l'Homme et du Citoyen» dans les villes parce qu'elle procla
mait des principes spirituels jugés contraires à ceux de l'État chérifien. Voilà une
première hypothèque; la seconde, plus lourde encore, c'est que « 1789» faisait réf
érence à une matrice d'une autre nature que celle de la loi coranique, de la tradi
tion du sultanat historique dans un pays «protégé» par la France mais relevant
de «Dar El Islam».
Dans ces conditions, quel a été l'impact de « 1789 » dans la dialectique protecto
rat/nationalisme? La capacité messianique des principes proclamés voici deux siè
cles a-t-elle eu une influence (décisive ou non) sur le mouvement national? Et de
quelle manière? Ces interrogations de départ nous conduisent à ordonner un cer
tain nombre d'éléments de réponse en examinant tout d'abord les conditions his
toriques dans lesquelles s'est fait le «contact» entre les nationalistes et les idéaux
des révolutionnaires; puis l'on s'attachera aux traits constitutifs de ce croisement
d'idées en particulier pour ce qui est de l'élaboration, de l'expression et de la dif
fusion d'une culture constitutionnelle et libérale.
L'ANCRAGE
Comme tous les phénomènes culturels, celui de l'influence de la Révolution Fran
çaise sur le mouvement national marocain ne se fera pas sentir brutalement. Bien
au contraire : cela se manifestera d'une manière diffuse. Mais plusieurs zones de
RE.M.M.M. 52/53, 1989-2/3 Révolution française et mouvement national marocain I 219
«contact» entre eux auront pour ainsi dire un rôle d'avant-garde et par là-même
d'entraînement. L'un de ces terrains de rencontre sera naturellement favorisé lors
des séjours en France des étudiants marocains. Sans doute, n'étaient-ils pas des
milliers lors des années trente — ainsi, sur près de 1 400 bacheliers entre 1920
et 1934, seuls 43 étaient Marocains. Mais enfin, la bonne vingtaine d'entre eux
qui allait former le premier «noyau dur» de l'élite politique nationaliste a prati
qué les universités françaises, surtout celle de Paris. Ce qui ne pouvait que multi
plier les occasions de contacts avec d'autres étudiants de tous les continents, les
rencontres avec des journalistes de gauche et des militants, nourrir une féconde
confrontation de leurs idées traditionnelles avec les ferments de la modernité libé
rale; enfin, aiguiser leur esprit critique en développant chez eux une culture poli
tique plus ouverte sur les enjeux et les idéaux du monde contemporain. Bref, tout
cela plonge ces étudiants dans un monde nouveau qui va les aider à saisir les fon
dements de la société libérale d'accueil et à mieux saisir le contraste entre celle-ci
et sa projection coloniale au Maroc1.
« 1 789 » dans le discours nationaliste
La référence à « 1789» se fera, sous des formes variables, suivant les conjonctur
es et les acteurs politiques. Il ne s'agit pas à cet égard de « simples évocations,
ce sont souvent des invocations», comme on l'a noté également à propos de l'Algérie
(A. Angsthelm, 1986 : 398).
Il convient ici de mettre l'accent sur le «système» qui s'établit ainsi, autrement
dit, la configuration où il situait la Métropole d'un côté et les musulmans du Maroc
de l'autre côté. La Métropole de ces années-là bénéficiait d'un statut rehaussé :
elle sortait en effet victorieuse de la première Grande Guerre. Ce n'était pas «la
mère» — comme l'indique l'étymologie — mais plutôt une sorte de «père dominat
eur» dont on attend l'aide, l'assistance, autant qu'on redoute ses foudres. Elle
paraît ainsi comme jouissant d'une protection particulière par son mythe, juché
sur sa gloire et sa mission civilisatrice universelle. Et c'est pourquoi elle est prat
iquement disculpée des abus coloniaux commis en son nom. La relation coloniale
est mise entre parenthèses : cette dialectique-là ne retient, en effet, que la France
de 1789. Que d'autres influences se fassent en même temps sentir, voilà qui n'est
pas incompatible : les nationalistes font «feu de tout bois», car subissant des pesan
teurs culturelles et politiques mêlées : la religion fournit toujours les fanions de
résistance; l'Orient alimente des normes et élargit les perspectives d'action; mais
une «certaine France» est en même temps intériorisée. Celle des «arts», mais aussi
celle «des armes et des lois»; celle des révoltes, aussi; celle, enfin, des modèles
français au premier rang desquels la Révolution, les révolutions, et tous les spas
mes de liberté et de libération qui les ont accompagnés.
La distinction manichéenne entre cette France-là — celle de 1789 — et l'« autre»
France — celle de la domination coloniale — est à la base de cette perception. Que
la première soit mystifiée, idéalisée et que cette vision-là soit entretenue par les
nationalistes, voilà qui n'étonnera guère au Maroc — militants algériens et tuni
siens de cette même époque s'accrochaient aussi à ces referents. Mais ils s'en ser
vaient pour fonder et légitimer leur propre discours nationaliste contre la France 220 / M. Séhimi
coloniale, c'est-à-dire réelle, celle que faisaient subir et endurer l'administration
du Protectorat, les colons, les hommes d'affaires ou les simples gardes-chasse.
Pareille dialectique va contribuer au développement d'une culture politique natio
naliste. Contrairement à ce qui a été écrit (J.P. Halstead, 1967 : 267) à propos
du Maroc, celle-ci ne se limite pas à une synthèse d'idées élaborées en d'autres
lieux : elle ne procède pas de la Salafiyya et du nationalisme arabe, issus eux-mêmes
d'une synthèse avec le courant libéral européen. Car ce serait oublier que le mou
vement national marocain — ainsi que les autres nationalismes maghrébins — a
contribué lui-même à formuler une réponse à cette même altérité, et ce dans des
conditions socio-historiques particulières. C'est pourquoi, cette idéologie national
iste ne peut être considérée comme une simple «boîte aux lettres» d'idées import
ées : elle a bien été, en tant que telle, producteur d'idées, participant ainsi à la
« fabrication » de l'idéologie nationale, sans que pour autant des influences exté
rieures soient à écarter. Car, en effet, c'est le «traitement» nationaliste de ces
emprunts extérieurs qui fait la différence et donne au mouvement national sa spé
cificité et son identité.
Au Maroc sans doute plus qu'ailleurs, cette thématique nationaliste ne peut être
valablement dissociée de «ce double processus de dissolution et de restructuration
inachevées dans lequel se trouvait engagée la société» (M. Camau, 1979 : 387).
Elle assume, en effet, les valeurs locales jugées «authentiques», mais elle revendi
que dans le même temps le droit d'accès à la «modernité», identifiée ou conforme
avec la liberté.
Ici, une interrogation de principe s'impose peut-être : jusqu'où allait l'adhésion-
revendication à l'héritage de 1789? L'élite du mouvement national ainsi concer
née vouait-elle vraiment une «confiance illimitée à l'image mythique de la France
idéale, celle de 1789 et ses encyclopédistes» (S. Chikh, 1981 : 41)? Faut-il y voir
plutôt un «discours flagorneur adressé au pouvoir dominateur qu'on veut imiter?
(A. Angsthelm, op. cit. : 399); ou bien plutôt une arme qui permet

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