Rôle de l exil dans la diffusion de l image de l intelligentsia révolutionnaire - article ; n°3 ; vol.19, pg 235-249
16 pages
Français

Découvre YouScribe en t'inscrivant gratuitement

Je m'inscris

Rôle de l'exil dans la diffusion de l'image de l'intelligentsia révolutionnaire - article ; n°3 ; vol.19, pg 235-249

Découvre YouScribe en t'inscrivant gratuitement

Je m'inscris
Obtenez un accès à la bibliothèque pour le consulter en ligne
En savoir plus
16 pages
Français
Obtenez un accès à la bibliothèque pour le consulter en ligne
En savoir plus

Description

Cahiers du monde russe et soviétique - Année 1978 - Volume 19 - Numéro 3 - Pages 235-249
15 pages
Source : Persée ; Ministère de la jeunesse, de l’éducation nationale et de la recherche, Direction de l’enseignement supérieur, Sous-direction des bibliothèques et de la documentation.

Informations

Publié par
Publié le 01 janvier 1978
Nombre de lectures 18
Langue Français
Poids de l'ouvrage 1 Mo

Extrait

Georges Haupt
Rôle de l'exil dans la diffusion de l'image de l'intelligentsia
révolutionnaire
In: Cahiers du monde russe et soviétique. Vol. 19 N°3. Juillet-Septembre 1978. pp. 235-249.
Citer ce document / Cite this document :
Haupt Georges. Rôle de l'exil dans la diffusion de l'image de l'intelligentsia révolutionnaire. In: Cahiers du monde russe et
soviétique. Vol. 19 N°3. Juillet-Septembre 1978. pp. 235-249.
doi : 10.3406/cmr.1978.1319
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/cmr_0008-0160_1978_num_19_3_1319GEORGES HAUPT
ROLE DE L'EXIL
DANS LA DIFFUSION DE L'IMAGE
DE L'INTELLIGENTSIA RÉVOLUTIONNAIRE*
I
« Les sympathies de l'intelligentsia russe à l'égard du socialisme
constituent un de ses traits distinctifs les plus caractéristiques. Les
avis peuvent différer sur la profondeur et la solidité de ces sympat
hies ; mais il ne fait pas de doute que chez l'intelligent russe
moyen, on ne décèle aucune attitude d'hostilité à l'égard du socia
lisme, analogue à celle si souvent rencontrée chez les représentants
des classes cultivées à l'Ouest. \J intelligent russe, auquel les
problèmes sociaux ne sont en général pas étrangers, adhère habi
tuellement plus ou moins au socialisme et parfois lui est fanat
iquement dévoué. Ceci saute tellement aux yeux qu'il est presque
inutile de le démontrer, »*
L'auteur de ces considérations, l'économiste connu Tugan-Bara-
novskij, reprend ainsi en 1910 à son compte l'opinion bien enracinée,
l'image consacrée de l'intelligentsia russe.
L'assimilation du mot intelligentsia aux concepts révolution, socia
lisme, son association aux adjectifs révolutionnaire et /ou socialiste,
remontent aux années 1870. Le lien établi entre le terme intelligentsia et
le mouvement révolutionnaire russe, en l'occurrence le populisme,
entraîne un changement dans sa signification et dans son usage. « Intell
igentsia » se teinte d'un vernis idéologique ; son acception sociologique se
double d'une interprétation normative : le terme sert à désigner le
plus souvent une couche, ou une classe, à qui on attribue, à partir des
années 1880, comme trait significatif et commun l'opposition au régime.
L'intelligentsia en tant que groupe est caractérisée dès lors par ses atti-
* Dans l'esprit de Georges Haupt cette communication aurait dû être reprise
et complétée avant d'être publiée ; elle devait servir d'introduction à une série
d'études dont deux monographies sur les personnages centraux de la présente
contribution : Constantin Dobrogeanu-Gherea et Anna Kuliscioff.
L'appareil critique de la communication a été établi sous la responsabilité de
Jutta Scherrer et de Mihnea Berindei.
Cahiers du Monde russe et soviétique, XIX (3), juil.-sept. IÇ78, pp. 235-249. 236 GEORGES HAUPT
tudes mentales spécifiques, par sa volonté d'engagement ; elle se voit
investie d'une mission historique, de fonctions émancipatrices. A cet
égard, la définition donnée par l'un des chefs de Narodnaja Volja,
L. Tihomirov dans le livre La Russie politique et sociale est édifiante.
« Dispersée dans toutes les classes, Y intelliguentia semble composer une
classe particulière, liée par une unité spirituelle et morale, l'unité de sa
mission historique. Dans toutes les classes, Y intelliguentia joue le rôle
d'une sorte de ferment qui, dans le milieu où il se trouve, fait naître
l'esprit critique, les aspirations à la science, à la justice. »2
Ce livre, publié à Paris en 1886 et qui reçut un bon accueil, fournissait
un exposé détaillé de l'histoire et de la théorie de l'intelligentsia révo
lutionnaire. Tihomirov ne fit que formuler l'interprétation donnée au
terme intelligentsia par la « jeune génération », fixa l'image prête à se
diffuser dans la gauche occidentale. La mise sur le même plan de l'intell
igentsia et des révolutionnaires russes se généralise par la suite au point
que le mot emprunté au russe est adopté comme tel dans le vocabulaire
de toutes les langues européennes, et que le terme est toujours connoté
à gauche3.
Comment et pourquoi un tel glissement se produit-il, et quelle est la
signification de la démarche?
Sur le plan philologique, la recherche d'Otto Wilhelm Millier montre
comment, dans les écrits révolutionnaires des années 1870, l'utilisation du
mot passe de la « jeune » à la « vraie » intelligentsia et finalement par
extension du champ de signification sert à désigner les groupes révolu
tionnaires4. Le processus sémantique reflète à sa manière les mutations
en cours dans le profil, l'horizon mental, les attitudes et la sensibilité
d'une nouvelle génération de révolutionnaires russes, ou la « jeune intell
igentsia » ; l'image construite fixe l'identité qu'ils cherchent à se donner,
et exprime la conscience qu'ils ont d'eux-mêmes. Le climat des années 1870-
1880 va encourager cette évolution. Ainsi, en réponse au terrorisme, la
vague anti-intellectuelle croissante en Russie dans les années 1880, la
campagne des conservateurs contre l'intelligentsia assimilée aux révolu
tionnaires, contribuent largement à associer les deux mots dans la
conscience des contemporains, en premier lieu en Occident. Or, un tel
rapprochement ne fera que concourir à la formation de la conscience de
groupe, au lieu de discréditer ses visées, et consacrer l'identité attribuée.
Comment se produit la diffusion de l'image en dehors des frontières de
la Russie ? Quelles ont été les répercussions de l'emploi particulier de ce
terme sur la conscience de soi-même de l'intelligentsia russe ? L'étude de
l'émigration russe de la seconde moitié du xixe siècle et de ses liens enche
vêtrés avec les diverses franges de l'opinion publique des pays d'accueil,
en premier lieu avec les milieux libéraux, socialistes et anarchistes, est
susceptible de fournir des éléments de réponses. Le sujet n'a rien de neuf,
ni d'original. Il a été largement exploité, et dévalorisé, par l'histori
ographie soviétique des années 1950-1960, dont l'acharnement à démont
rer l'influence réelle ou imaginaire de la pensée russe, à l'aide d'exagéra
tions et d'extrapolations, enlève toute crédibilité à la démarche.
Cependant l'exilé russe, le révolutionnaire errant, vecteur, agent
propagateur des idées socialistes à travers le monde, artisan d'une certaine
image de la Russie à l'étranger n'est pas seulement une figure mytholo- l'intelligentsia et le rôle de l'exil 237
gique ; il est un personnage bien réel. L'influence qu'il exerce, le rôle qu'il
joue ne se laissent pas comptabiliser au profit du rayonnement interna
tional de la culture et de la pensée russes. Composante d'un phénomène
ample et complexe de circulation des idées au xixe siècle, l'action des
proscrits russes à l'étranger s'inscrit le plus souvent dans le système de
communication d'un milieu socialiste restreint, d'un monde où les liens
sont étroits au delà des frontières, où les exilés politiques des différentes
nationalités exercent une influence souterraine. L'action des exilés russes,
étendue dans l'espace, est limitée dans le temps ; elle se réduit au fond et
en premier lieu à la génération de la « jeune intelligentsia » des années 1870,
dont l'exode massif, conséquence des répressions accrues, conduit à la
création de centres d'exil dans plusieurs pays européens. Autour de ces
centres se regroupent des colonies russes, surtout dans les villes universi
taires où la présence d'étudiants d'Europe de l'Est est sensible. Ils y
fondent leurs cantines, leurs sociétés de secours, leurs salles de réunions,
leurs bibliothèques, leurs typographies et leurs journaux, se constituent
en sous-culture où l'exilé politique donne le ton.
Figures familières du paysage politique européen des années 1880-
1890, les révolutionnaires russes occupent une place de choix dans le
milieu socialiste, pour une double raison : d'abord, l'étranger n&#

  • Univers Univers
  • Ebooks Ebooks
  • Livres audio Livres audio
  • Presse Presse
  • Podcasts Podcasts
  • BD BD
  • Documents Documents