Science linguistique et normativité: le cas de Ferdinand Brunot - article ; n°1 ; vol.16, pg 88-98
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Description

Langue française - Année 1972 - Volume 16 - Numéro 1 - Pages 88-98
11 pages
Source : Persée ; Ministère de la jeunesse, de l’éducation nationale et de la recherche, Direction de l’enseignement supérieur, Sous-direction des bibliothèques et de la documentation.

Informations

Publié par
Publié le 01 janvier 1972
Nombre de lectures 28
Langue Français

Extrait

René Lagane
Science linguistique et normativité: le cas de Ferdinand Brunot
In: Langue française. N°16, 1972. pp. 88-98.
Citer ce document / Cite this document :
Lagane René. Science linguistique et normativité: le cas de Ferdinand Brunot. In: Langue française. N°16, 1972. pp. 88-98.
doi : 10.3406/lfr.1972.5706
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/lfr_0023-8368_1972_num_16_1_5706René Lagane, Paris-X-Nanterre.
SCIENCE LINGUISTIQUE ET NORMATIVITÉ :
LE CAS DE FERDINAND BRUNOT
Le refus de mêler description et prescription est un des principes
le plus fermement exprimés par les linguistes contemporains. Il n'y a guère
de cours ou de manuel d'introduction à la linguistique qui ne consacre à
cette question un chapitre où est soulignée l'originalité de la linguistique
par rapport à l'image de la grammaire couramment répandue dans le
public.
Qu'il s'agisse de la démarche radicale de la linguistique distribution-
nelle, qui vise à éliminer toute intervention de l'observateur dans le
champ d'observation, ou de celle, plus pénétrante, de la linguistique
generative, qui prend en compte les réactions de l'observateur, le statut
de science revendiqué par la linguistique lui impose de ne formuler que des
jugements de réalité. A cet égard, la décision de grammaticalité/agramma-
ticalité du locuteur natif en présence d'un énoncé, prise en considération
par la linguistique generative, est à interpréter comme un simple constat
de réalité /non réalité par rapport à une situation de communication, et
non comme un jugement de valeur impliquant la condamnation des énon
cés non conformes à un certain modèle et une pression sur les usagers de
la langue pour ou contre l'emploi de ces énoncés.
Or, les études de langues avaient été mises sous le signe de la science,
et de la science la plus positiviste, bien avant le spectaculaire essor de la
linguistique que nous connaissons aujourd'hui, et de ce fait, la grammaire
traditionnelle s'était trouvée remise en question. Toutefois, cette orienta
tion scientifique n'avait pas nécessairement entraîné une distinction
rigoureuse entre la notion de fait et celle de droit en matière de langue,
entre l'analyse objective d'un code et l'appréciation esthétique d'un
modèle culturel.
L'œuvre de Ferdinand Brunot est significative sous ce rapport :
en effet, la référence à la science y est fréquente et appuyée, spécialement
88 réaction contre l'enseignement usuel de la grammaire 1 et contre beauen
coup des exigences des puristes, et pourtant le langage de Brunot est
souvent normatif.
Assurément, Brunot n'aime pas les puristes, à qui il reproche leur
mesquinerie, leur fausse logique, leur ignorance du passé de la langue
et leur méconnaissance des lois de l'évolution linguistique. Il s'élève contre
de nombreuses règles des grammaires contredites par la pratique courante.
La compréhension dont il fait preuve à l'égard, par exemple, de solution
ner, de malgré que, de celui suivi d'un participe, du tour ils ont bu leur
bouteille chaque montre bien la distance qui le sépare du purisme. Il signale
parfois des traits de la langue populaire, ou de la langue technique, ou
administrative, ou commerciale, etc. en indiquant simplement leur niveau
d'emploi : attitude d'observation scientifique, nullement d'appréciation
normative.
Pour mieux légitimer un tour critiqué par les grammairiens, il fait
quelquefois appel à ce que la science révèle du passé de la langue :
Le peuple dit : j'ai déjeuné avec un poulet; on dînait avec trois harengs
(Cl. Tillier, Benj. 1, 11); je déjeune avec une tasse de lait (Lab. Vive Tic, 1, 5).
Cet emploi est du reste blâmé par les grammairiens. La phrase suivante de
Mme Roland (Let. à Bosc, 2 octobre 1785) : « on déjeune avec du vin blanc »
montre bien qu'il n'est pas nouveau » (P.L 2., 663).
Ce mode d'argumentation apparaît puissant en ce qu'il combat les
grammairiens conservateurs avec leurs propres armes, en prouvant que
leur hostilité à ce qu'ils condamnent sans doute comme une innovation
n'est pas fondée (encore que dans ce cas précis l'exemple cité ne soit pas
parfaitement probant, car « déjeuner avec du vin blanc » peut signifier
que le déjeuner s'accompagne de vin blanc, et non consiste en vin blanc,
ce qui différencie cet exemple des précédents). Notons cependant que si
Brunot, dans des cas de ce genre, se donne un avantage de premier ordre
sur ses adversaires en les convainquant d'ignorance, il ne récuse pas pour
autant leur critère essentiel de correction : la conformité à l'usage du
passé.
C'est plus souvent au nom du respect dû à la réalité linguistique
contemporaine qu'il prend la défense d'un tour critiqué, s'il est largement
attesté, par exemple de la locution : ne pas... que :
Quand on veut annoncer qu'il y a quelque chose à ajouter, on se sert
couramment de ne pas... que. C'est une expression toute moderne : elle a été
combattue avec acharnement par E. Deschanel et par Littré; néanmoins
les exemples en sont extrêmement nombreux aussi bien chez les auteurs que
1. Cf. R. Lagane, « Science de la langue et pédagogie dans l'œuvre de Ferdinand
Brunot », Langue française, n° 14, mai 1972.
2. P.L. : La pensée et la langue, Paris, Masson 1922.
89 les journaux et dans la langue courante. D'une promotion de jeunes dans
filles très cultivées, aucune ne s'imaginait que ce fût une faute : z7 n'y a pas
que moi de bel homme dans le monde. (Scribe, L'ours et le pacha, se. 5.)
(P.L., 125.)
Malgré cela, la même loi de langage joue toujours. Le sens de la modalité
l'emporte. Le peuple dit : « On ne l'a pas fait quoiqu'il aurait fallu le faire. »
Flaubert a même écrit : bien que ses péchés auraient pu, sans déshonneur
pour elle ni inconvénient pour le monde, se répandre (Un cœur simple, 26).
On ne saurait trop le féliciter de cette « faute ». (P.L., 867.)
Le féliciter? Ce n'est pas, semble-t-il, le rôle du savant; c'est opposer
un jugement de valeur à un autre. En vérité, toute l'œuvre de Brunot
abonde en réflexions fort éloignées de l'objectivité scientifique. Il y a là
une manière de paradoxe.
Ce paradoxe se résout en partie pour qui considère, comme il le
faisait lui-même, que la connaissance scientifique peut valablement moti
ver le choix préférentiel d'un mode d'expression, c'est-à-dire en somme
constituer une « morale linguistique » (l'expression figure dans l'introduc
tion, rédigée par lui, du Précis de grammaire historique de Brunot et Bru-
neau). Le linguiste, selon Brunot, est habilité, par tout ce qu'il sait du
passé de la langue, à porter des jugements qui pourront favoriser l'évolu
tion de celle-ci dans le sens souhaitable.
Car il y a un sens souhaitable de l'évolution. Le tort des puristes est
de s'attacher à une tradition sans faire aucune distinction entre les bonnes
et les mauvaises innovations :
L'idée que la langue est fixée reste debout dans sa fausseté séculaire.
Et par là s'explique cette étroitesse de doctrine qui fait condamner pêle-
mêle les déformations corruptrices et les nouveautés heureuses (P.L., IX).
Le rôle du grammairien-linguiste ne se réduit pas à enregistrer l'usage,
il est aussi de guider sans cesse, avec discernement, la marche du langage :
Quand nous aurons fait les révisions nécessaires, que la grammaire
dogmatique, purgée de ses fautes, corrigée de ses excès, aura été ramenée à
son caractère véritable et réduit à son rôle, qu'elle sera le témoin fidèle de
l'usage, la conseillère modeste et judicieuse de ceux qui entendent parler et
écrire exactement, toujours éprise de l'ordre et de la règle, mais accueillante
aux créations justifiées et aux changements nécessaires, la réforme sera-
t-elle faite? (P.L., XIII.)
C'est pourquoi Brunot, qui avait souhaité la création d'un « bureau
d'observations » chargé de donner des consultations sur les problèmes
de langue, en particulier sur ceux de la néologie, accepta en 1937 la prési
dence, conjointement

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