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Description

Vade Retro Virus Paul ALMA
Et si la vie était vraiment la seule maladie sexuellement transmissible mortelle à 100%?
Et si les virus étaient des outils indispendables à notre adaptation?
Et si le vie n'avait pour vocation que le développement protéique?
Et si vous lisiez ce bouquin?

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Publié le 26 août 2015
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Langue Français

Extrait

Vade Retro Virus
Paul ALMA
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chap 1
"Ô belle Lounia, Doux et chaleureux longs rayons, Eveil de ma passion, En ce jour iras-tu? Ici, là-bas, Chez toi, comme chez moi, Dans tous nos petits coins parisiens, Où nous fûmes si bien, Le gris est quotidien. Il vient de plus en plus Obscurcir ce ciel, Si bas, Nuages de pollution qui s'amoncellent, Hélas encore aujourd'hui, Maints nuages de pluie... Le temps est trop mou, Sombre effet d'un temps trop emprunt, Mauvaise augure pour nous? Je me rappelle amant, Tu me manques. Tout mon vouloir, tout mon désir, S'obstinent, Toutes mes envies, en devenir... Mise en scène cruelle de mes allants, Je t'aime trop, Pour avec toi ne plus être, Pour me contenter d'un piètre, D'un désuet trop nonchalant "A bientôt"... Jordu, accoudé à son bureau, face à la fenêtre entrouverte, se figea un long moment, accordant le rythme de ses pensées aux volutes toutes aussi tourmentées des nuages qui passaient dans ce ciel bas, déclamant quotidiennement une météo qu’il qualifiait maintenant d’insipide, contraction d’insidieux, studieux et stupide, car la journée qui s’annonçait ne lui donnerait pas une fois de plus la possibilité de s’évader. Il inspirait à contrecœur l’air poisseux qui s’immisçait depuis les fenêtres dans son studio, et si cette pollution le picotait certes aux coins des yeux, il était surtout profondément ému, mélangeant ces larmes et sa grise mine à bien d’autres
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pigments, et qui donnaient à son visage d’autres chatoiements, plus colorés, un tantinet plus violents... Il ne savait plus comment manifester ses sentiments pour elle, il était en permanence à la recherche de soins palliatifs pour tenter d’amoindrir cette souffrance liée à l'absence de contact charnel, il voulait tellement être contre celle qu’il aimait tant… Ce nouveau poème n’avait plus pour vocation de séduire sa dulcinée, car il n’avait pas le moindre doute sur l’amour qu’ils se portaient mutuellement, mais lui servait plutôt de testament amoureux. Il s'obstinait ainsi à vouloir souffler sur les braises de ses propres tourments, pour qu’elles puissent continuer d’attiser ses émotions et ne puissent jamais devenir ces cendres glauques et froides qu’incarnaient pour lui les âpres ressentiments. Malgré tous ses efforts, il ne pouvait pas en écrire plus aujourd’hui, tant cette rengaine lui semblait quand même de plus en plus vaine et désespérée. Chaque mot, chaque lettre, étaient pour lui un nouveau mantra qu'il psalmodiait ainsi toute la journée, pour s'aider à avancer. Ces courriels en forme de poésie était la dernière façon qu'il avait trouvée pour se motiver, se donner du courage, pour continuer de croire qu'il pourrait bientôt la rejoindre, véritable "auto-coaching" lui permettant de maintenir en éveil tous ses sens et ne pas sombrer dans le découragement et la dépression. Il ne se souvenait en effet que trop de ses cours de psychologie à la faculté de médecine, qui l'avaient à l'époque tellement passionnés, jusqu’à ce qu’il y soit maintenant lui-même directement confronté. Au choc de la séparation avait succédé, comme l'exigeait la règle édictée par les psychologues, le temps du déni, le refus de croire à cette nouvelle réalité. Jordu avait toujours été un bon élève, respectueux de ses maîtres, et s'était donc soumis de bonne grâce à ces deux premières étapes. L’effondrement et les pleurs avaient cédé le pas au refus, ce qui lui avait tout d’abord convenu, lui octroyant ainsi plusieurs mois d'espoirs aussi fous que vains. Sa passion restait ainsi palpable à l’ombre du déni, et se trouvait même transcendée dans une surveillance aussi émouvante qu’obsessionnelle de la porte de l’appartement, où il guettait à tout instant un mouvement imminent de sa promise qui passerait le seuil, vain espoir et promesse non tenue. Puis, avançant un peu plus dans son deuil, il avait cessé de courir après cette femme chimère, et s'était alors beaucoup mieux senti en contractant la colère, l'étape des coups qu’on donne, qui répondent au coup dur reçu, ces coups que donne l'âme tirée au couteau. Et cette violence seyait cette fois parfaitement à ses sentiments, à l’ardeur de son tourment. Aussi ne voulait-il plus dorénavant abandonner cette saine colère, et il l’utilisait maintenant et la cultivait pour pouvoir résister maintenant tout aussi violemment aux phases suivantes de ce protocole inéluctable que devaient représenter, selon Elisabeth Kübler-Ross, le vécu d'un deuil et la séparation d'avec un être cher. Il se voulait être l'exception qui confirme la règle.
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Il était donc en colère depuis de longs mois, et cultivait soigneusement ce sentiment salvateur. Il se savait installé dans un faux deuil, mais refusait pourtant obstinément de délaisser son humeur déchaînée pour s'adonner benoîtement à celles de la négociation et de la dépression qui devaient théoriquement s’enchaîner selon la faculté, mais qui ne lui laissaient plus alors le moindre espoir de retrouver un jour sa dulcinée. Bien que souffrant de plus en plus du manque de tendresse, il refusait d'abandonner l'ivresse des sensations passées, et s'acharnait quotidiennement à maintenir en ébullition ses premiers émois, son amour pour Lounia. En attisant en permanence sa colère, en affûtant l'âme dans ses tourments, il sortait ainsi de l'anesthésie stuporeuse et du temps du déni pour mettre en sauce ses sentiments, véritable SOS des sentiments, à laquelle il rajoutait tous les jours un peu plus de piment. Pour ne pas oublier Lounia, il s'interdisait la moindre dérive qui l’amènerait vers la morne acceptation des faits, refusant définitivement de se résigner à cette séparation. Il voulait tellement la sentir encore près de lui qu'il préférait la violence d'une colère sans cesse renouvelée à une relégation morbide et définitive de ses tendres émois. Ce deuil avorté durait maintenant depuis près de trois années, trois ans à lutter ainsi, sans pouvoir la toucher ni même l'approcher, obligé de correspondre par web cam, e-mail et courrier aseptisé…
L’aube recouvrait l’ombre, il venait tout juste de se lever, réveillé comme de coutume par le bulletin écologique matinal du Docteur Ulm. Celui-ci énumérait religieusement en une longue litanie les régions de compatibilité du jour et celles à éviter. Ce présentateur ès sciences s’acquittait parfaitement sa mission, qui consistait finalement à faire sourire les gens du pire pour ne les laisser pleurer que du meilleur.
Il jeta un dernier coup d’oeil sur son texte affiché sur l'écran, mais ne l’envoya pas par sa boite email. Il préférait cette fois imprimer le poème, mais avec l’encre du regret, tant il aurait préféré le déclamer de vive voix en présence de son aimée. Il embrassa tendrement la feuille de papier non sans l'avoir humectée de quelques larmes, sachant que de toute façon elles seraient décontaminées avant de lui parvenir. Il enfouit ensuite la lettre dans l'enveloppe de papier autocollante, puis inséra le tout dans la pochette transparente d'expédition à stériliser. Cette simple feuille de papier qu’il aurait voulue remplacer par un parchemin fait de sa propre peau représentait en effet le seul contact matériel qui existait encore entre eux deux, car il savait qu'elle allait la toucher, l'étreindre, la froisser de ses douces mains dont les caresses lui manquaient tant. Ce papier devenait un succédané de sa peau en souffrance, où s’imprimaient tous ces maux. Il mit ses gants de plomb et sorti de la petite boite postale un timbre radioactif qu’il inséra dans l’enveloppe transparente. Pour limiter le rayonnement, et comme il avait la flemme de mettre son tablier de plomb réglementairement préconisé lors de la rédaction des courriers matériels à poster, il bondit prestement vers son bureau pour la déposer dans la boite aux lettres (BAL) qui
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était reliée à son ordinateur, et qui représentait une fidèle réplique en miniature du quatrième sarcophage édifié à Tchernobyl. La lettre de Jordu, une fois analysée par les caméras, déclencha une petite alarme sonore alors qu’elle disparu dans l’orifice de la boite aux lettres, comme si HAL.J poussait un petit cri de soulagement lors de l’émission, avant que l’on n’entende brièvement un enregistrement des chœurs de l’armée rouge qui confirmait l’envoi.
L'ordinateur de Jordu, qu'il surnommait HAL.J (J pour "junior") en hommage à celui du film de Stanley Kubrick, faisait office d'écran multifonctions. Il « écoutait » Ulm attentivement qui déclamait très solennellement le bulletin météo. Les quatre yeux caméra articulés autour de son écran regardaient la télévision située en face de lui, lui donnant l’aspect d’un escargot mutant affamé avec deux paires d’antennes recherchant avidement ses feuilles de salade, et il épluchait ainsi tout aussi attentivement les différentes pages télévisées du rapport quotidien. HAL.J enregistrait ainsi dans son logiciel toutes les données nécessaires à l’établissement des différents itinéraires possibles que pourrait emprunter son maître dans la journée. Il obtenait de surcroît les autorisations administratives pour qu’il puisse se déplacer librement dans l'éco arrondissement pour toute la journée. Jordu baillant de plus belle n’écoutait tout ceci que d’une oreille distraite, tant il était habitué à se reposer sur son fidèle acolyte. Il se versa son café qui l’attendait, sans lait, car la bouteille qu'il avait achetée la veille au soir était désormais verrouillée dans la porte du frigidaire, depuis que le clignotant rouge sur la porte venait de s’allumer, l'avertissant d’un danger à manger. Les données du bulletin alimentaire du jour que venait d’ingurgiter consciencieusement HAL.J pour les rentrer simultanément dans le disque dur de son collègue réfrigéré avaient en effet déclenché l'alarme pour le lait (on parlait alors d’alerte Hal-Al, ou d’HalAli ou dans ce cas précis d’HalAliLait). Pestant d’avoir trop tardé à se servir, il se résigna à ne pas prendre de ce dernier liquide, bouillant intérieurement, se contentant d’un café noir, non sans jeter un regard tout aussi sombre vers HAL.J imperturbable qui continuait consciencieusement son travail de décryptage des données. Il se contenta d’attraper rapidement un quignon de pain encore compatible pour son arrondissement acheté hier matin, et dont HAL.J ne voyait pas d'inconvénients à ce qu'il en consomme encore un peu aujourd'hui, mais avant le début d'après-midi. Son œil code barre au bout d’un des quatre longs tuyaux télescopiques s’allongea néanmoins dans l’urgence pour analyser l’aliment juste avant que celui-ci ne s’engouffre voracement dans la bouche de son maître, conformément aux données de sécurité alimentaire qu’on lui avait inculquées, mais que son patron aimait tant braver. Si les aliments portaient encore des noms alléchants, il ne fallait pourtant pas essayer de trouver un quelconque rapport avec ceux de même appellation que l’on pouvait consommer au siècle dernier. Chaque aliment était non seulement aseptisé, mais totalement déconditionné au niveau moléculaire, pour minimiser toute réaction immunitaire quand il rentrait dans les organismes humains, une alimentation tout autant déshumanisée que « désimmunisée ». On redonnait
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quand même chimiquement le goût initial de l'aliment, une fois celui-ci reconstitué, mais quand la date de péremption programmée arrivait, il se désagrégeait rapidement alors en un liquide verdâtre et nauséabond totalement rebutant, fruit de l’activité numérisée d’enzymes dits gloutons qui étaient relâchés par l’étiquette code-barres de surveillance . Une nouvelle forme d'appellation réellement contrôlée, obsédée par le propre, et qui n'avait plus rien de figuré. Des personnes spécialement formées au retrait des denrées périmées, les « Eboueurs Débarrasseurs de Frigidaires » (ou agents EDF), passaient alors quotidiennement au domicile de leurs clients pour vérifier les compteurs et s'acquitter de leur tâche. Ils étaient souvent recrutés pour plus de commodité au sein des concierges d'immeuble, dont les tâches se résumaient uniquement auparavant au nettoyage et à l’assainissement. Tous les aliments étant aux normes de stérilisation, toute variation importante dans la composition du produit déclenchait donc automatiquement un état d'alerte, sans que l'on sache vraiment d'ailleurs la teneur réelle des risques encourus pour les consommateurs. Jordu s'était fait non sans violence à cet usage, et s'en tenait strictement aux indications du CAC 40 (Carnet d'Alimentation Compatible des 40 produits de base de l'alimentation humaine) dont HAL.J affichait quotidiennement les résultats graphiques à l'écran. Cette peur panique de l'Occident pour ces mets aux dates dépassées était identifiée par certains penseurs comme une crainte irraisonnée de l'oxydant, appartenant au pire des passé, mais le sacro-saint principe du sain finissait néanmoins toujours par l’emporter sur la raison. Il attendit la fin du bulletin télévisé pour connaître les consignes d'habillement du jour. Puis il s'intéressa à l'itinéraire. En prenant le boulevard Sébastopol, depuis la place du Châtelet jusqu'à la rue Saint-Denis, et en restant sur le trottoir de gauche, il devait pouvoir marcher sans combinaison jusqu'au centre de vaccination. Cela lui convenait, car il n'avait nulle envie de prendre le métro en combinaison QBC, malgré la liberté paradoxale de mouvement que celle-ci lui permettait (le nucléaire n'étant plus un problème depuis longtemps, les seuls risques identifiés restaient les Quarks, le Biologique, et le Chimique). Les radiations ionisantes n'étaient plus en effet considérées comme un risque, puisque elles étaient utilisées quotidiennement pour aseptiser l'eau de l'alimentation, les différents aliments, et entraient couramment dans la composition des produits de cosmétologie. Les dentifrices notamment étaient radioactifs, pour stériliser la plaque dentaire, de même que les shampoings, les savons (qui donnaient un teint rayonnant), et bien sûr les bombes de mousse à raser qui permettaient elles aussi d'avoir un air radieux sans avoir à utiliser la moindre lame de rasoir. Un arceau de détection de radioactivité était d’ailleurs obligatoirement encastré autour de chaque porte à l'intérieur des appartements, avertissant les locataires, trop coquets et liftés, lorsque leur rayonnement était trop important. Ce dispositif verrouillait alors automatiquement la porte d'entrée pour ne les laisser sortir qu'une fois prise la Douche de RInçage et de Décontamination (D.RI.D). La qualité de l'eau et son degré de radiations étaient gérées par HAL-J qui s'occupait des réglages adéquats quand son maître avait ainsi un peu abusé des rayons cosmétologiques.
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Les dangers pour la santé résidaient donc officiellement surtout à l'extérieur des habitations, où les intempéries provoquaient régulièrement des crises de panique pour les habitants beaucoup moins résistants à l'impact des bactéries, virus, et autres événements imprévus et non codifiables. Le point noir de la journée était ce crachin qui ne cesserait théoriquement de tomber, susceptible de modifier à tout moment les données cartographiques et l'obligeant à éviter pour plus de sécurité tout contact avec cette pluie. Il ne fallait donc pas qu'il oublie son parapluie-bulle. Il avait encore en mémoire les difficultés survenues il y a trois semaines, quand des nuages de pluies salivaires déplacés par un subit vent d'Est avaient apporté par la même occasion deux colonies inattendues de myxovirus non prévues par le bulletin matinal. Les pluies salivaires, surnommées par certains humoristes « crachats-crachiens » (pour singer le fameux "cats and dogs" des anglo-saxons), correspondaient aux rejets des climatiseurs stérilisateurs des immeubles, aux contaminations virales spatiales, et aux rebuts des régions rurales qui vivaient encore dans une contamination permanente totalement rebutante pour les citadins. L'absence de parapluie-bulle ce jour là l'avait obligé à rester immobile devant la boulangerie où il venait d'acheter son pain, recouvert d'une capote de sécurité par les agents QBC. Il avait dû ainsi attendre trois bonnes heures, sans bouger, enfermé dans une housse à air comprimé, le temps que l'équipe mobile de vaccination et de décontamination décide des inhalations et des injections à lui programmer avant de lui autoriser tout nouveau mouvement. Puis les agents l'avaient emmené au centre de vaccination pour une séance de reprogrammation. Il ne pouvait décemment que se plier à ces obligations, étant lui même futur membre de ces équipes sanitaires mobiles chargées des préventions et des décontaminations.
Ses études de médecine étaient bouclées depuis un an et demi, et la formation de vaccinateur mobile passait par cette étape militaire incontournable de deux ans dont il entrevoyait maintenant la fin. Cette décision de se former aux techniques de guerres anti-virales lui avait hélas été dictée par les événements. Amoureux de Lounia, étudiante en médecine comme lui, ils s'étaient vus éloignés l'un de l'autre suite à son malencontreux échec à l'examen de fin de sixième année de médecine. Changeant de statut en redoublant, il avait en effet dû intégrer la promotion suivante. Les conséquences de ce redoublement étaient catastrophiques pour lui, car elles avaient nécessité de facto une modification obligatoire de son statut vaccinal. En ce milieu de 21ème siècle, tous les étudiants admis en 2ème année de médecine devaient en effet homogénéiser leurs charges virales communes, harmoniser leur statut vaccinal, les élèves étant appelés à vivre ensemble du fait de leurs cursus pendant plusieurs années. Contrairement au péquin moyen, le seul fait de vivre obligatoirement dans le même éco-arrondissement n'était plus pour eux un gage suffisant de sécurité, car leurs études les exposaient théoriquement à des risques bactériens et viraux accrus. A chaque nouveau cru correspondait donc un millésime, ce qui permettait de codifier des soins de base gratuits et plus
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économiques pour la société en cas de CMU (Contamination Malencontreuse Universitaire). Chaque promotion avait sa salle de cours attitrée, depuis que la grève étudiante de 2018 leur avait donné le droit de suivre les cours sans leurs combinaisons QBC, sortes de nikabs nés de toilette à la turque entravant leur liberté. Les Professeurs avaient rapidement accédé à leurs revendications, car ils avaient de toute façon bien du mal à identifier les étudiants lors des examens, une fois ceux-ci engoncés et dissimulés dans leurs combinaisons de protection. Tous avaient encore en mémoire l'erreur qui avait permis à Madame Minie Dorcel de devenir médecin sans jamais avoir probablement ouvert le moindre bouquin. Ils s'étaient aperçus trop tard de la supercherie, lorsque cette jeune femme médecin fraîchement thèsée ayant cassé son bras lors d'une de ses séances habituelles d'espionnage vidéo dans les toilettes des garçons, s'était rendue aux urgences en se prescrivant elle-même une radiographie du fémur. Il lui fut impossible de nier alors les tricheries auxquelles elle s'était livrée, grâce au port obligatoire de sa tenue de protection, mais ce subterfuge avait néanmoins pleinement réussi puisque ses professeurs n'avaient aucune possibilité de savoir quels examens elle avait réellement passés. Elle était donc passée au travers les mailles du filet, et par défaut filer sans encourir la moindre sanction. Obsédée du cul baissé, et fraudeuse en QBC, elle s'était heureusement très rapidement reconvertie dans une médecine plus médiatique qui ne gênait plus trop ses pairs, n'ayant plus qu'à bosser sans avoir affaire directement aux patients. Les institutions universitaires tout en décidant d'occulter cette erreur, choisirent de cesser les contraintes liées au port de tenues de protection. Les étudiants avaient donc eu droit d'accès sans combinaisons QBC dans l'enceinte bien cadenassée de la faculté. Et si d'aventure ils désiraient malgré tout de même la porter, ils devaient obligatoirement lors des examens, l'abaisser pour passer leurs essais et pouvoir être classés, tout ceci sans abuser mais pour éviter les résultats biaisés. Le prix à payer d'une telle décision avait été l'isolement sanitaire in situ (ISIS) pour chaque promotion, et la nécessité de corriger le statut vaccinal de tout nouvel arrivant, à fortiori des redoublants, pour leur permettre de s'intégrer sans difficultés au groupe de leurs nouveaux camarades. Il avait donc dû se résigner à se séparer de sa compagne, même s’il aurait bien voulu l’obliger à redoubler pour qu’elle reste avec lui… Ne pouvant plus dès lors que correspondre avec Lounia que par contacts aseptiques, il n’avait plus de doutes sur la conduite à tenir, car il n’avait comme solution que de passer la qualification de vaccinateur mobile, seule capable de l'aider à retrouver et toucher la peau de son aimée!
Les contraintes inhérentes à ce choix étaient énormes, puisqu'aux techniques de guerre très éprouvantes physiquement, il lui fallait ajouter pendant ces deux années des séances de vaccinations quotidiennes regroupant l'ensemble des virus offensifs identifiés depuis près de deux siècles.
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Les vaccinations avaient beaucoup évolué depuis Pasteur, et le terme était devenu impropre à l'époque de Jordu. On parlait maintenant de vacci-programmation, nouvelle étape de l'aventure humaine, nouvelle révolution, même si Jordu était de moins en moins convaincu du bien fondé de cette nouvelle technique. Ainsi, ce matin, devait-il se rendre au centre de vaccination de la rue Saint-Denis pour recevoir l'information correspondant à pas moins de quatorze souches vaccinales, correspondant à l'année millésime 2015, une année riche en hantavirus du groupe Pulma puisant leur origine chez les indiens Navajos au siècle dernier. A l'issue de ces deux années, quand il serait complètement vacciné contre tous les virus connus au jour de sa certification, il lui faudrait néanmoins se soumettre ensuite quotidiennement à la prévention des nouveaux millésimes acquis les jours précédents, pour lui permettre d'accomplir en toute sérénité sa mission de protection sanitaire des populations. Plus son champ d'action serait vaste, plus les vaccinations seraient donc nombreuses et compliquées, avec la contrainte majeure de ne jamais prendre de retard dans le programme établi quotidiennement par ses pairs. Une fois certifié, il lui faudrait aussi accepter les bilans sanguins tri-hebdomadaires, un examen IRM du corps entier toutes les semaines, les tests d'aptitude psychologique bi-mensuels, car le métier auquel il se destinait était bien sûr éminemment à risque, ayant à affronter de multiples virus émergents, mutants ou inconnus. Mais de tout çà il en faisait peu cas, tant son désir inaliénable de retrouver Lounia transformait sa démarche en un véritable acte de foi. Il fit un petit signe affectueux de la main à Hal-J qui prenait sa douche de défragmentation en chantonnant du Franck Sinatra, passa sous le PAS de la porte (Portail Arceau de Sécurité) sans déclencher d'alarme et n'oublia pas cette fois de prendre son précieux et indispensable parapluie-bulle. Il descendit l'escalier de son immeuble, au milieu d'effluves fraîches et javellisées pulvérisées par sa concierge masquée, dûment certifiée EDF, qui attendait manifestement impatiemment son départ pour aller relever le compteur de péremption de son frigidaire.
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Chap 2 A la fin du 20ème siècle, le monde des humains fut confronté à de graves problèmes d'affections virales que l'on qualifia de maladies émergentes, sans se douter de tout ce que ce terme avait de prémonitoire. Car ce n'était en effet que la partie émergée de l'iceberg, les premières alertes qui annonçaient l'avènement d'une catastrophe écologique. Grippe espagnole en 1920, SIDA en 1980, SRAS en 2000, grippe aviaire en 2005, grippe A H1N1en 2009, coronavirus, autant de coups de semonces qui, s'ils inquiétèrent effectivement les humains, ne leurs permirent néanmoins pas de prendre conscience de l'ampleur réelle du danger. La tranquillité apparente procurée par Jenner et la variolisation, puis par Pasteur et les vaccinations, se révélait n'être en fait qu'un pis aller, un cours moment de répit dans un monde où les virus prenaient lentement mais sûrement le pouvoir. La vaccination avait pris son plein essor tout au long du 20ème siècle. Elle avait même étendu ses indications aux affections bactériennes, et on assistait année après année à la mise en place de calendriers vaccinaux de plus en plus complexes, toujours plus contraignants, surtout pour les enfants en bas âge. Ce principe de vaccination semblait si prometteur qu'il fit envisager aux plus optimistes la possibilité de faire disparaître complètement certaines maladies, flattant même le fantasme désuet, au demeurant très anglo-saxon, d'un monde pur et vierge de toutes bactéries ou virus. Mais plus on vaccinait, plus de nouveaux virus apparaissaient, et plus il fallait encore vacciner. Si l'origine étymologique de vaccin venait de "vacca", vache en latin, il fallut se résoudre à admettre que ce mot était à prendre hélas dans tous les sens du terme....
Fleming, en découvrant par inadvertance en 1929 le premier antibiotique, avait certes pu offrir de nouvelles perspectives thérapeutiques dans la lutte contre les bactéries, mais il n'en était pas du tout de même pour les affections virales pour lesquelles les soins ne reposèrent longtemps que sur les vaccinations préventives. Les quelques molécules anti-virales créées dans l'urgence lors de l'épidémie de SIDA n'avaient pas permis d'obtenir les mêmes résultats qu'avec les antibiotiques. La course au TAMIFLU à l'automne 2005 et pendant l’hiver 2009 pour lutter contre les virus grippaux, s'avéra elle-même tout autant obsolète que médiatique, le nom du médicament finissant par évoquer plutôt pour certains une simple contraction des mots "tam-tam" et "superflu". En bons apprentis sorciers, rassurés par nos coups de balais, même faits de laurier, que nous permettait apparemment la vaccination, on ne s'était pas aperçu que celle-ci, en éradiquant certaines populations virales, libérait par la même occasion d'immenses espaces écologiques pour d'autres congénères souvent bien plus offensifs que ceux dont ils avaient pris la place. Une course sans fin s’était engagée, car en vertu du vieux principe de la colonisation des espaces laissés vacants, il fallait sans cesse fourbir des armes contre un nouvel envahisseur. Et si combattre selon ce principe semblait avoir fait le succès des antibiotiques, puisqu'on utilisait une population de champignons pour neutraliser l'espace occupé par une colonie pathogène de
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bactéries, la vaccination systématique prit la forme d'une lutte sans fin pour décoloniser les espaces stratégiques, sans que l'on cherche à préserver plutôt les équilibres écologiques, une technique militaire éprouvée s'apparentant peu ou prou à l'épuration ethnique. En 2025, un enfant qui naissait recevait à partir de son troisième mois de vie la bagatelle de 18 vaccins à faire toutes les 3 semaines, par piqûres car on ne connaissait pas encore d'autres modalités d'injection. On les surnomma les bébés hérissons, d'autant plus facilement que beaucoup de ces enfants développèrent outre une phobie des piqûres des troubles caractériels: ils étaient en effet irritables, se mettant en boule à la moindre remarque, piquant des colères au moindre prétexte. On essaya bien à cette époque la technique d'injection par pompe pneumatique, ou IPP, mais les multiples hématomes et contusions sur la peau de l'enfant n'étaient pas sans conséquences, plusieurs médecins se retrouvant incarcérés à tort pour suspicion de sévices à enfant. Les vaccins ne résistant pas aux sucs digestifs, on tenta de développer les techniques par inhalation nasale, ou cures de VIN (Vaccination par Inhalation Nasale), mais, outre leur peu d'efficacité, elles déclenchaient des gonflements du nez disgracieux et gênants, dit "syndrome du gros pif". Il fallut attendre encore plusieurs années pour que le Pr. Leclerc trouve enfin la solution, et crée ainsi les premiers supermarchés de la vaccination.
Ce tout à la vaccination, en poussant à l'inertie la recherche virologique, avait fini par avoir de graves conséquences sur les populations humaines car les virus en effet finirent par déroger de plus en plus fréquemment au dogme de la barrière d'espèce. ème Si pendant de longues années, avant le 20 siècle, les humains avaient pris l'habitude de vivre "en bonne harmonie" avec des virus connus contre lesquels ils avaient défini des stratégies thérapeutiques préventives, ils ne concevaient nullement qu'il faille s'adapter à d'autres intrus. Une fausse bonne conscience animait les populations dites développées. Dieu dans sa grande mansuétude n'avait-il pas donné en effet aux populations européennes de bons virus non mortels, pour évidemment réserver son fléau et son viral courroux aux autres populations du Sud de la planète? Comme on admettait qu'il existait des liens spécifiques et immuables entre chaque espèce animale et les colonies virales, chaque population finissait par "mériter" les virus dont elle avait la charge, et n'avait donc nullement à se préoccuper de ceux des voisins...
Il y avait donc, en vertu de ces conceptions vertueuses initiales, des virus humains, des virus simiesques, des virus aviaires, des virus porcins, tous spécifiques de chaque espèce et incapables théoriquement de sauter de l'une à l'autre. Plus encore, au sein même de l'espèce humaine, certains virus étaient considéré comme spécifiques de certaines populations, jusqu'à ce que cette douce léthargie soit secouée par le virus Marburg découvert en Allemagne en 1967 et qu'il ne donne naissance à son cousin mortel sur la population zaïroise habitant près de la rivière Ebola en 1995.
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