Extrait de la publication comment je suis devenue fic comment je suis devenue fic Anne et Marine Rambach Roman Illustration de couverture de Anne Bordenave Extrait de la publication Alice a deux choses à dire à sa mère pour fêter l’anniversaire de ses quinze ans. Un : le Muffin Palace fait les meilleurs muffins du monde. Deux : elle veut devenir flic. Pour la mère d’Alice, cette annonce est un choc (la deuxième annonce, pas la première). Ses engagements militants ne lui ont jamais rendu la police sympathique… Et voilà qu’un client du Muffin Palace est la cible de tueurs à gages. La vocation d’Alice y résistera-t-elle ? Une bonne fusillade, ça remet les idées en place. Ou pas. Collection animée par Soazig Le Bail, assistée de Claire Beltier. Avec le soutien du C nl. C’était il y a six mois. L’anniversaire de mes quinze ans. Rue Rosa-Luxembourg, un salon de thé spécialisé dans les gâteaux américains venait d’ouvrir: le Mufn Palace. Évidemment j’avais une fête prévue avec les copains, mais j’avais é-ga lement obtenu de ma mère une invitation pour découvrir cet antre de la gourmandise – ça n’avait pas été trop difcile, la tentation était aussi intense pour elle. Papa ne vint pas avec nous. Il bossait à l ’hôpital – il est infrmier – mais nous ne le regrettions pas trop: ses questions sur la qualité biologique des farines ou sur la présence du prion de la vache folle dans la gélatine auraient donné un goût de cendre aux plus divines recettes.
comment je suis devenue flic Anne et Marine Rambach Roman Il l ust ra t d eAn
Extrait de la publication
Alice a deux choses à dire à sa mère pour fêter l’anniversaire de ses quinze ans. Un :le Muffin Palace fait les meilleurs muffins du monde. Deux :elle veut devenir flic. Pour la mère d’Alice, cette annonce est un choc (la deuxième annonce, pas la première). Ses engagements militants ne lui ont jamais rendu la police sympathique… Et voilà qu’un client du Muffin Palace est la cible de tueurs à gages. La vocation d’Alice y résistera-t-elle ?Une bonne fusillade, ça remet les idées en place. Ou pas.
Coectio aimée par Soazig Le Bai, assistée de Caire Betier.
Avec e soutie du Cnl.
C’était i y a six mois. L’aiversaire de mes uize as. Rue Rosa-Luxembourg, u sao de thé spéciaisé das es gâteaux américais veait d’ouvrir: e Muffi Paace. Évidemmet j’avais ue fête prévue avec es copais, mais j’avais éga-emet obteu de ma mère ue ivitatio pour découvrir cet atre de a gourmadise – ça ’avait pas été trop difficie, a tetatio était aussi itese pour ee. Papa e vit pas avec ous. I bossait à ’hôpita – i est ifirmier – mais ous e e regrettios pas trop: ses uestios sur a uaité bioogiue des faries ou sur a présece du prio de a vache foe das a géatie auraiet doé u goût de cedre aux pus divies recettes. Nous attedîmes doc e samedi après-midi pour y aer toutes es deux. Sur e chemi, je remaruai tout de suite a voiture garée au coi de a rue Auguste-Baui, avec e coducteur et so passager. Pedat ueues secodes, je me setis aspirée dasUn prophèteJacues Audiard ou u deMesrinede Jea-Fraçois Richet. Ça setait a poudre, e caoutchouc brûé et e sag. J’avais déjà das ’oreie e so des détoatios. Bie sûr, c’était juste ue impressio, u fim ue je me faisais, ce ui m’arrive assez souvet.
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Mais tout de même je détaiai es occupats de a voiture, par curiosité, parce ue je e savais pas exactemet ce ui avait déceché e moi cette poussée d’imagiatio, esuite parce ue je m’e-traîe depuis des mois à mémoriser ’apparece des ges pour aticiper ma formatio de poicière – j’ai uize as et je sais uee est ma vocatio. Ecore igorais-je ue je devrais effectivemet doer e sigaemet précis des «idividus» ueues heures pus tard. Le coducteur avait ue tretaie d’aées. I était bod, es yeux gris, u mètre uatre-vigts autat ue sa positio assise derrière e voat permettait d’e juger. Peau très pâe. Nez droit. Lèvres assez charues. Meto saiat et mâchoires arges. Épaues imposates. I portait u pu e aie poaire kaki. I avait e regard cocetré et décidé. So voisi était très différet. I mesurait dix cetimètres de mois. I devait aussi ui redre trete kios. Maigre, voire maigre. Peau mate, cheveux crépus impatés e poite sur u frot très dégagé. Yeux marro avec des rides, ces rides ue es sourires aisset au coi des yeux. Magré sa maigreur, i avait es joues rodes, à a maro-caie. Ce ui me frappa, ce fut so air tedu, foemet stressé. I ’avait pas ’air détermié de so voisi. Et puis, surtout, je remaruai u détai ui pour moi avait ue sigificatio forte, et ui avait déceché mo aarme; i portait ue chaîe
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e or autour du cou, où étaiet accrochés trois pedetifs: ue croix, u cora et ue mezouzah. Je pesai tout de suite à mo ami Abde. U homme ui a besoi de rassember trois reigios sur ue seue chaîe est ueu’u ui a des sou-cis. Et puis, u homme ui porte u faux survê-temet Adidas, avec deux bades au ieu de trois, e roue pas e Lagua. Or es deux acoytes étaiet istaés das ue Lagua gris métaisé. Voià es ueues idices ui avaiet réveié e Sherock ui sommeie e moi. Ou putôt ’isatiabe rêveuse ui sommeie e moi etui s’ivete sas cesse de ouvees avetures. Car, e réaité, j’avais bie peu d’éémets pour justifier cette pogée soudaie das a fatasma-gorie des gagsters. Je tetai de me raisoer. Mo estomac souteaitmesefforts:«TuvasauMuffiPaace,disait-i. Tu ’es pas à pour t’iuiéter de ce ui arrivera, das to déire, à a baue voisie.» Oui, mo estomac est pus réaiste ue mo cer-veau, et, je e crais, aussi puissat. Je m’e aai doc, égère, isouciate, vers ma première fusiade.
Le Muffi Paace est ’edroit du mode e pus beau, e pus ispirat, e pus spiritue. I ’existe aucu ieu où es muffis sot pus gros i pus décorés. I faut voir ce tempe impaté au miieu des sodeurs de bassies et des épiceries
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d’où s’échappet des odeurs de muscade et de coriadre. Le décorateur ’a pas ésié sur es moyes: ue grade sae carreée de beu et de rose, des chaises, des tabourets et des tabes chro-m é s ,e t ,p a r t o u t ,d e sa f f i c h e s ,des photos, des statues revoyat aux heuresde goire de a comédie musicae américaie.U Gee Key gradeur ature e résie dase avec so parapuie; ue Cyd Charisse e reief sur e mur éted ue jambe ue et provocate au-dessus des têtes; sur ue affiche deRoyal Wedding,Fred Astaire, e smokig, vase avec Jae Powe. Quad mama et moi poussâmes a porte, Judy Garad chatait de sa voix etraîate, accompagée par ue coche joyeuse:«Clang, clang, clang, went the trolley, ding, ding, ding, went the bell»et e etedat cette chaso, et e pesat aux gâteaux, je me setis au paradis. Certes, ça ’aait pas durer. L’extase s’empara de moi uad j’approchai es vitries réfrigérées rempies de muffis pus gros ue e poig de Kig Kog, es us pistache-cerise, verts, goflés de fruits opuets, es autres baae-fraise, couverts d’u gaçage jaue par-semé de fraises aciduées, des chocoat bac sur-motés d’u sommet himaaye de eige cré-meuse, des citro-oisette costeés d’étoies e sucre sur esuees surfe u écureui e pâte d’amade. Autat dire ue Biy e Kid pouvait siphoer a Baue de Frace, ça ’aait pas
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décoer mo âme de mes papies. Je choisis u muffi chocoat et marshmaow dot e dessus était décoré d’ue Cadiac e gui-mauve. Mama, pus raisoabemet, se coteta d’u muffi orage avec ses bies de sucre. Ee e profita pour échager ueues mots avec a serveuse idiee, Kirti, dot ee avait aidé a famie. Puis ous rejoigîmes otre tabe avec otre pateau où s’étaiet ajoutésdeux verres de ait – ’accompagemet e pus judicieux pour ue dégustatio de muffis. Les otes flûtées du piao (oui, c’est possibe), rattrapées par es trompettes et es saxos deChea-tin On Me ouscaressaiet es oreies. Nous dégustâmes e siece.
Pourtat es deux occupats de a Lagua ’avaiet pas tout à fait uitté mo esprit. Je repesais à a chaîe autour du cou du passager, et, par associatio, je sogeais à Adbe. Abde me fait peser à ’homme Giette. Ceui ui se rase avec e rasoir à uatre ames. Grad, fort, ’œi briat, ’air soide, e mec ui ispire cofiace. Eh bie, Abde, c’est ’iverse. Commet j’ai pu me retrouver e cotact avec u te idividu, u aboé des ceues de dégrisemet,ususpecthabituedesdéitsdecatégorieZ? À cause de mama. Ma mère… J’ai uize as, tout e mode me dit u’i est
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temps ue je a harcèe, ue je ’isute,ue je a trouve ue, ue je coteste so autorité, ue je méprise sa maière de peser, de vivre, de s’habier. Je fais des efforts, mais je ’y arrive pas. Loa, ma meieure copie – ee est hyper patiete avec moi –, me dit: «T’as u’à a détester parce u’ee est parfaite! Tu pourrais ui reprocher de t’écraser, de t’étouffer avec sa perfectio!» Oui, je pourrais essayer. J’ai essayé! Mais j’ai échoué. Mama a trete-euf as, ee est rousse avec des cheveux ogs u peu boucés, ee a des taches de rousseur. Ee mesure u mètre soixate et oze. Ee pèse ciuate-sept kios e été,et ciuate-euf e hiver. Ee aime es robes e aie, es chaussures à taos hauts maisarges,etesgradscoiers.Ee’apasdemotre.À chaue fois u’ee a essayé d’e porter, ee a fii par a perdre. Ee aime ue tout soit propre, mais pas forcémet ragé. Ee itElle etLeCanard enchaîné, ee adore es comédies. Ee adore rire. Mama est bibiothécaire. Mais, comme ee dit: «J’ai deux bouots, u ui est payé, ’autre ui e rapporte rie mais ui pred autatde temps.» Ee appartiet à ue associatioui aide es étragers e situatio irréguière à obteiruecartedeséjour.C’estaisiu’Abdeest etré das otre vie: i était cadesti,i vouait rester. Quat au travai… Das ue maiso ormae, o dit: «Bojour!
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Commet aez-vous? Et es efats?» Das otre maiso, o dit: «Bojour! Commet aez-vous? Et es efats? Quees ouvees de a pré-fecture?» La préfecture déivre es cartes de séjour. Les papiers. Chez ous, o e pare ue de papiers: «J’ai eu mo passeport, maiteat je peux aer demader es papiers à a préfec-ture», «Is m’ot doé ue carte de trois mois», «J’ai pus de papiers, is m’ot adressé u arrêté de recoduite à a frotière». Beaucoup de ges passet à a maiso pour es papiers. Pour es avoir, pour dire merci parce u’is es ot eus, parce ue eur cousi Bidue e a besoi aussi. Mama pose du gâteau sur a tabe basse, fait du thé, ou du café, ou du vi chaud, et c’est parti: «Patati es papiers, patata es papiers…» O dirait ue secte de maiaues. Des adorateurs du papier. D’où Abde, doc.