Lettre de Saint-Évremond à la duchesse Mazarin, le 1er jour de l’an 1683
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Charles de Saint-ÉvremondŒuvres mêléeserXXXVIII. Lettre à la duchesse Mazarin, le 1 jour de l’an 1683.À LA MÊME, LE PREMIER JOUR DE L’AN 1683.Je vous souhaite une heureuse année, quand je ne puis en avoir de bonnes, ni enespérer de longues. C’est une méchante condition, Madame, d’être mal satisfait duprésent, et d’avoir tout à craindre de l’avenir : mais je me console de ce malheur,par la pensée que j’ai de me voir bientôt en état de vous servir. Vous savez quevous n’avez point de serviteur si dévoué que moi en ce monde. Mes vers vousapprendront que je ne serai pas moins attaché à vos intérêts dans l’autre. Comptezdonc sur mon ombre, comme sur ma personne ; et soyez assurée d’une fidélitééternelle jointe à une égale discrétion. Je ne viendrai point vous importuner au jeupar ma présence ; je ne viendrai point vous effrayer par des apparitions ; je ne voustroublerai point par des songes, et n’inquiéterai en quelque manière que ce puisseêtre le peu d’heures que la Bassette vous laisse pour le sommeil.Voilà des effets de ma discrétion, apprenez ceux de mon zèle. Je vais déclarer laguerre à Hélène et à Cléopâtre pour l’amour de vous ; je vais réduire des rebelles,et remettre des indociles dans le devoir. Mais pour cela, Madame, j’ai besoin d’uneinstruction que je vous demande dans mes vers : vous ne sauriez me l’accorder troppromptement. Autant de temps que vous tarderez à me la donner, autant deretardement apporterez-vous à votre gloire.1Je m’aperçois ...

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Charles de Saint-Évremond Œuvres mêlées er XXXVIII. Lettre à la duchesse Mazarin, le 1jour de l’an 1683.
À LA MÊME, LE PREMIER JOUR DE L’AN 1683.
Je vous souhaite une heureuse année, quand je ne puis en avoir de bonnes, ni en espérer de longues. C’est une méchante condition, Madame, d’être mal satisfait du présent, et d’avoir tout à craindre de l’avenir : mais je me console de ce malheur, par la pensée que j’ai de me voir bientôt en état de vous servir. Vous savez que vous n’avez point de serviteur si dévoué que moi en ce monde. Mes vers vous apprendront que je ne serai pas moins attaché à vos intérêts dans l’autre. Comptez donc sur mon ombre, comme sur ma personne ; et soyez assurée d’une fidélité éternelle jointe à une égale discrétion. Je ne viendrai point vous importuner au jeu par ma présence ; je ne viendrai point vous effrayer par des apparitions ; je ne vous troublerai point par des songes, et n’inquiéterai en quelque manière que ce puisse être le peu d’heures que la Bassette vous laisse pour le sommeil.
Voilà des effets de ma discrétion, apprenez ceux de mon zèle. Je vais déclarer la guerre à Hélène et à Cléopâtre pour l’amour de vous ; je vais réduire des rebelles, et remettre des indociles dans le devoir. Mais pour cela, Madame, j’ai besoin d’une instruction que je vous demande dans mes vers : vous ne sauriez me l’accorder trop promptement. Autant de temps que vous tarderez à me la donner, autant de retardement apporterez-vous à votre gloire.
1 Je m’aperçois que ma raison, Trop longtemps au corps asservie, Est prête à quitter sa prison, Pour goûter le bonheur d’une plus douce vie.
Bientôt je verrai ces beautés Qui sont dans les Champs-Elysées, D’un repos éternel et de biens enchantés, Heureusement favorisées.
Je verrai dans ces lieux charmants Les Hélènes, les Cléopâtres, Dont les fameux événements Font tant de bruit sur nos théâtres.
Là, s’informant de vos beaux yeux, Et de tous les traits d’un visage Qui nous est donné par les dieux, Comme le plus parfait ouvrage ; Elles sauront que vos appas Auroient ôté Paris à son aimable Hélène ; Qu’Antoine, que César, près de vous n’auroient pas Regardé seulement le sujet de leur peine ; Et vous auriez sauvé d’un funeste trépas Deux héros malheureux que perdit cette reine.
Rome a là des objets également connus : Sa Virginie et sa Lucrèce ; Mais, pour avoir suivi de farouches vertus, Elles gardent encor certain air de rudesse ; Et leurs rares attraits, odieux à Vénus, Ne jouiront jamais de la douce mollesse.
Sachant que j’ai l’honneur d’être connu de vous,
Elles voudront savoir si quelque amour trop vaine De jeu, d’amusement, ou de plaisir trop doux, N’ont pas gâté l’esprit d’une dame romaine.
Je leur dirai que votre cœur Est digne de leur république ; Ferme et constant comme le leur, Mais plus noble et plus magnifique.
Je dirai que du plus beau corps, Et de l’âme la plus parfaite, Nous voyons en vous les accords ; Et je ne dirai pas un mot de la Bassette.
Je leur dirai que Brute et Collatin Sont fort de votre connoissance ; Que d’Appius vous savez le destin, Et comment finit sa puissance : 2 Mais pour Coné, Mazenot et Morin , Ils seront passés sous silence.
De là, j’irai chercher les beautés de nos jours, Marion, Montbazon, modernes immortelles, À qui nous donnerons toujours L’honneur d’avoir été de leur temps les plus belles.
Je pense voir leurs déplaisirs, Je vois déjà couler leurs larmes ; Et le sujet de leurs soupirs, C’est d’entendre parler tous les jours de vos charmes.
Vous qui venez du séjour des mortels, Me dira-t-on dans une humeur chagrine, Nous cherchez-vous pour parler des autels Dressés partout à votre Mazarine ?
Ah ! c’est nous faire un enfer de ces lieux Qu’on destinoit aux âmes fortunées : Le mal que nous causent ses yeux Est plus grand mille fois que celui des damnés.
Ombres, goûtez le bien d’avoir jadis été Les merveilles de notre France. Heureuse est une vanité Que la mort met en assurance !
« Si le jour vous étoit resté, Vous en auriez haï la triste jouissance, Ou, du moins, auriez-vous cherché l’obscurité, Pour ne pas voir l’éclat de la divine Hortense.
« Mais que servent enfin tous ces chagrins jaloux ? Le grand maître de la nature Ne pourra-t-il former rien de plus beau que vous, Sans attirer votre murmure ?
« Hélène auroit plus de raison De murmurer et de se plaindre, Que madame de Montbazon ; Cependant elle sait sagement se contraindre.
« Celle qui put armer cent et cent potentats, Qui d’Hector et d’Achille anima la querelle ; Qui fit livrer mille combats, Où les dieux partagés étoient pour ou contre elle :
Hélène, à Mazarin ne le dispute pas ; Et vous auriez un cœur rebelle, Vous qui borniez l’honneur de vos appas Au peu de bruit que fait une ruelle ? »
À ces mots, sans rien contester, Nos ombres baisseront la tête ; Et, docile pour m’écouter, Chacune aussitôt sera prête.
Je dirai que vos yeux pourroient tout enflammer, Et, comme ceux d’Hélène, armer toute la terre ; Mais vous aimez mieux la charmer, Que la désoler par la guerre.
Je leur dirai que tous nos vœux S’adressent à vous seule au milieu de nos dames ; Que nos plus forts liens se font de vos cheveux ; Que le front, le sourcil, ont leur droit sur nos âmes.
Je dirai que tous les amants Voudroient mourir sur une bouche Qu’environnent mille agréments, Et de qui le charme nous touche.
De la gorge et du cou (ce miracle nouveau) L’orgueilleuse beauté sera bien exprimée : Les bras, les mains, les pieds dignes d’un corps si beau, Auront aussi leur part à votre renommée.
La chose jusque-là ne peut mieux se passer, Et leur confusion ne peut être plus grande : Mais si, voulant m’embarrasser, Elles me font une demande ; Si Marion veut s’informer De cet endroit caché qui se dérobe au monde, Et que je n’ose ici nommer, Que voulez-vous que je réponde ? Là, ma connoissance est à bout, Et je devrois connoître tout. Ô belle, ô généreuse Hortense ! Sauvez-moi de cette ignorance.
NOTES DE L’ÉDITEUR
1. Ces stances sont imitées de l’Épigramme de Maynard au cardinal de Richelieu : Armand, l’age affoiblit mes yeux, etc.
2. Les trois tailleurs de Bassette de Mme Mazarin.
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