Lettre du 3 novembre 1675 (Sévigné)
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Marie de Rabutin-Chantal, marquise de SévignéLettres de Madame de Sévigné,de sa famille et de ses amisHachette, 1862 (pp. 209-213).464. — DE MADAME DE SÉVIGNÉÀ MADAME DE GRIGNAN.eAux Rochers, dimanche 3 novembre.Je suis fort occupée de toutes vos affaires de Provence ; et si vous prenez intérêt à[1]celles de Danemark, j’en prends bien davantage à celles de Lambesc . J’attendsl’effet de 1675cette défense qu’on devoit faire au parlement d’envoyer à la maisonde ville ; j’attends la nomination du procureur du pays, et le succès du voyage du[2]consul, qui veut être noble par ordre du Roi. J’ai fort ri de ce premier président , etdes effets de sa jalousie : on lui faisoit une grande injustice de croire qu’un hommeélevé à Paris ne sût pas vivre, et ne donnât pas plutôt une bonne couple de souffletsque des coups de plat d’épée : je suis bien étonnée qu’il soit jaloux de ce petitgarçon qui sentoit le tabac ; il n’y a personne qui ne soit dangereux pour quelqu’un :il me semble que le vin des Bretons figure avec le tabac des Provençaux.J’admire toujours qu’on puisse prononcer une harangue sans manquer et sans setroubler, quand tout le monde a les yeux sur vous et qu’il se fait un grand silence.[3]Ceci est pour vous, Monsieur le Comte : je me réjouis que vous possédiez cettehardiesse, qui est si fort au-dessus de mes forces ; mais, ma fille, c’est du bienperdu que de parler si agréablement, puisqu’il n’y a personne. Je suis piquée,comme vous, que l’Intendant ...

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Marie de Rabutin-Chantal, marquise de Sévigné Lettres de Madame de Sévigné, de sa famille et de ses amis Hachette, 1862(pp. 209-213).
464. — DE MADAME DE SÉVIGNÉ À MADAME DE GRIGNAN. e Aux Rochers, dimanche 3novembre . Je suis fort occupée de toutes vos affaires de Provence ; et si vous prenez intérêt à [1] celles de Danemark, j’en prends bien davantage à celles de Lambesc. J’attends l’effet de1675cette défense qu’on devoit faire au parlement d’envoyer à la maison de ville ; j’attends la nomination du procureur du pays, et le succès du voyage du [2] consul, qui veut être noble par ordre du Roi. J’ai fort ri de ce premier président, et des effets de sa jalousie : on lui faisoit une grande injustice de croire qu’un homme élevé à Paris ne sût pas vivre, et ne donnât pas plutôt une bonne couple de soufflets que des coups de plat d’épée : je suis bien étonnée qu’il soit jaloux de ce petit garçon qui sentoit le tabac ; il n’y a personne qui ne soit dangereux pour quelqu’un : il me semble que le vin des Bretons figure avec le tabac des Provençaux. J’admire toujours qu’on puisse prononcer une harangue sans manquer et sans se troubler, quand tout le monde a les yeux sur vous et qu’il se fait un grand silence. [3] Ceci est pour vous, Monsieur le Comte: je me réjouis que vous possédiez cette hardiesse, qui est si fort au-dessus de mes forces ; mais, ma fille, c’est du bien perdu que de parler si agréablement, puisqu’il n’y a personne. Je suis piquée, comme vous, que l’Intendant et les évêques ne soient point à l’ouverture de cette assemblée : je ne trouve rien de plus indigne, ni de moins respectueux pour le Roi, [4] et pour celui qui a l’honneur de le représenter. Si l’on attend que Monsieur de Marseille soit venu de ses ambassades, on attendra longtemps ; car apparemment il n’en fera pas pour une. Je me suis plainte à d’Hacqueville ; c’est tout ce que je puis faire d’ici, et puis voilà qui est fait pour cette année : n’en direz-vous rien à Mme de Vins ? Elle m’a écrit une lettre fort vive et fort jolie : elle se plaint de mon [5] silence, elle est jalouse de ce que j’écris à d’autres; elle veut désabuser M. de Pompone de ma tendresse ; il n’y a plus que pour elle : je n’ai jamais vu un fagot d’épines si révolté. Je lui fais réponse, et me réjouis qu’elle se soit mise à être tendre et à parler de la jalousie, autrement qu’en interligne. Je ne croyois pas qu’elle écrivît si bien ; elle me parle de vous, et m’attaque fort joliment. [6] J’eus ici, le jour de la Toussaint, M. Boucherat et M. de Harlay, son gendre, à dîner. Ils s’en vont à nos états, que l’on ouvre quand tout le monde y est : ils me dirent leur harangue : elle est fort belle. La présence de M. Boucherat sera salutaire à la province et à M. d’Harouys. M. et Mme de Chaulnes ne sont plus à Rennes. Les rigueurs s’adoucissent ; à force d’avoir pendu, on ne pendra plus. Il ne reste que deux mille hommes à Rennes ; je crois que Fourbin et Vins s’en vont par Nantes ; Molac y est retourné. C’est M. de Pompone qui a protégé le malheureux dont je vous ai parlé. Si vous m’envoyez le roman de votre premier président, je vous enverrai, en récompense, l’histoire lamentable, avec la chanson, du violon qui fut [7] roué à Rennes. M. Boucherat but à votre santé ; c’est un homme aimable et d’un [8] très-bon sens il a passé par Veret ; il a vu à1675Blois Mme de Maintenon, et M. du Maine qui marche : cette joie est grande. Mme de Montespan fut au-devant de ce joli prince, avec la bonne abbesse de Fontevrault et Mme de Thianges : je crois [9] qu’un si heureux voyage réchauffera les cœurs des deux amies. Vous me faites un grand plaisir, ma très-chère, de prendre soin de ma petite : je suis persuadée du bon air que vous avez à faire toutes les choses qui sont pour l’amour de moi. Je ne sais pourquoi vous dites que l’absence dérange toutes les amitiés : je trouve qu’elle ne fait point d’autre mal que de faire souffrir ; j’ignore entièrement les délices de l’inconstance, et je crois pouvoir vous répondre, et porter
la parole pour tous les cœurs où vous régnez uniquement, qu’il n’y en a pas un qui ne soit comme vous l’avez laissé. N’est-ce pas être bien généreuse de me mêler de répondre pour d’autres cœurs que le mien ? Celui-là, du moins, vous est-il bien assuré. Je ne vous trouve plus si entêtée de votre fils : je crois que c’est votre faute ; car il avoit trop d’esprit pour n’être pas toujours fort joli. Vous ne comprenez point encore trop bien l’amour maternel : tant mieux, ma fille ; il est violent ; mais à moins que d’avoir des raisons comme moi, ce qui ne se rencontre pas souvent, on peut à merveille se dispenser de cet excès. Quand je serai à Paris, nous parlerons de nous revoir : c’est un désir et une espérance qui me soutiennent la vie.
Adieu, ma très-chère ; je serois ravie, aussi bien que vous, que nous pussions nous [10] allier peut-être aux Machabées; mais cela ne va pas bien ; je souhaite que votre lecture aille mieux : ce seroit une honte dont vous ne1675pourriez vous laver, que de ne pas finir Josèphe : hélas si vous saviez ce que j’achève, et ce que je souffre du [11] style du jésuite, vous vous trouveriez bien heureuse d’avoir à finir un si beau livre.
1. ↑LETTRE 464. — On lit dans laGazettedu 16 novembre, sous la rubrique de Lambesc en Provence, le 27 octobre 1675, l’article suivant : « Le comte de Grignan, lieutenant général pour le Roi en cette province, où il commande depuis longtemps, ayant convoqué, par l’ordre de Sa Majesté, l’assemblée générale des états, il en fit l’ouverture le 21 de ce mois ; et il représenta avec tout le succès possible l’intérêt particulier et général qui engage les députés de se disposer à fournir au Roi un secours considérable, dans une conjoncture où Sa Majesté soutient les efforts de tant d’ennemis conjurés et protège si puissamment les peuples opprimés de Sicile. » 2. ↑Voyez la lettre du 16 octobre précédent, p. 184 et 185. 3. ↑Voyez ci-dessus, la note 1. 4. ↑Il avait été décidé que le lieutenant général qui représentait le Roi aurait le pas sur les évêques dans les états des provinces ; et depuis cette décision, les évêques s’abstenaient souvent d’y assister. (Note de l’édition de 1818.) Voyez la lettre du ig janvier 1674, tome III, p. 381 et 382. 5. ↑Voyez la lettre du 17 novembre suivant, p. 235. 6. ↑Sur Boucherat, voyez tome II, p. 3o8, note 5 ; et sur Nicolas de Harlay, p. 433, fin de la note 2. — Ils étaient tous deux commissaires du Roi aux états de Bretagne. 7. ↑Voyez la lettre précédente, p. 207. 8. ↑Elle ramenait le due du Maine des eaux de Baréges. 9. ↑Voyez la lettre du 7 août précédent, p. 22 et suivante. 10. ↑Voyez la lettre du 13 octobre précédent, p. 177. 11. ↑Le P. Maimbourg. Voyez ci-dessus, p. 134 et 137.
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