Catégorisation et construction du vocabulaire - article ; n°14 ; vol.7, pg 37-48
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Description

Faits de langues - Année 1999 - Volume 7 - Numéro 14 - Pages 37-48
12 pages
Source : Persée ; Ministère de la jeunesse, de l’éducation nationale et de la recherche, Direction de l’enseignement supérieur, Sous-direction des bibliothèques et de la documentation.

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Publié par
Publié le 01 janvier 1999
Nombre de lectures 109
Langue Français
Poids de l'ouvrage 1 Mo

Extrait

Mireille Brigaudiot
Laurent Danon-Boileau
Catégorisation et construction du vocabulaire
In: Faits de langues n°14, Octobre 1999 pp. 37-48.
Citer ce document / Cite this document :
Brigaudiot Mireille, Danon-Boileau Laurent. Catégorisation et construction du vocabulaire. In: Faits de langues n°14, Octobre
1999 pp. 37-48.
doi : 10.3406/flang.1999.1263
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/flang_1244-5460_1999_num_7_14_1263Catégorisation et construction du vocabulaire
Danon-BoileaiT*
Mireille Brigaudioť et Laurent
«chien» un chien et Comment l'enfant parvient-il en fin de compte à nommer
non une vache? Et à l'inverse comment parvient-il à utiliser le mot «vache»
devant des images aussi différentes que celle d'un bovidé hilare, emblème d'une
pâte fromagère molle, comme devant l'effigie d'une reine des alpages, emblème
cette fois d'un chocolat au lait industriel? Sans compter que, même citadin, dès
son premier contact direct avec la réalité du réfèrent animé, il aura recours au
terme convenable pour désigner la bête à cornes. Dans la littérature du sujet, la
construction de la catégorisation chez l'enfant est envisagée comme une
succession d'étapes.
Quand un enfant commence à employer un mot pour désigner un réfèrent
donné, il ne le fait que dans un contexte très spécifique. Ce mot en est
dépendant ("context-bound", Werner & Kaplan 1963, Bloom 1973, Bates & al.
1979, Harris & al 1988). «Cui-cui» par exemple désignera uniquement le canari
en cage sur la fenêtre de la gardienne. Aucun autre oiseau dans aucune autre
cage ne sera alors associé à l'onomatopée.
Ensuite, le signifiant s'émancipe du contexte étroit où il est d'abord apparu, et
«cui-cui» va se dire d'autres oiseaux dans d'autres cages. Puis le terme subit une
nouvelle extension au-delà de son champ de pertinence, au point de désigner
tout ce qui vole (mouches et abeilles comprises). On parle alors de surextension.
Il faut attendre un peu plus tard, entre 1 an et demi et deux ans, pour que
l'enfant entame un mouvement de correction spontané qui va progressivement
lui permettre de ramener l'emploi de «cui-cui» au domaine des oiseaux, tandis
que d'autres termes vont apparaître pour désigner les mouches et les abeilles
(c'est la période dite d'explosion du vocabulaire).
La progression du lexique semble suggérer un lien entre catégorisation et
acquisition du vocabulaire référentiel. Mais ce lien est complexe. Faut-il penser
que la catégorisation précède le langage, l'inverse, ou qu'il y a entre les deux
une relation dialectique? Comment comprendre qu'un signifiant «décolle» du
contexte étroit où il est initialement cantonné? Par ailleurs, comment modéliser
la logique qui régit les mouvements de surextension, puis de réduction de
l'emploi des mots? Il n'est pas sûr que le terme de catégorisation renvoie dans
les deux cas à un processus du même nature.
*" * IUFM LEAPLE Versailles. - UMR 8606 CNRS - Université Paris V. Mireille Brigaudiot et Laurent Danon-Boileau 38
1. Propositions d'ensemble
Pour saisir l'organisation de la catégorisation dans le vocabulaire référentiel
de l'enfant, il nous semble nécessaire de revenir au début du langage.
De manière très schématique, dans les productions initiales en lisière du
langage on peut distinguer plusieurs étapes. D'abord, peu avant 1 an,
accompagnant certaines mimiques marquées, on observe des cris dont la valeur
hésite entre expression et intention signifiante. Ils s'opposent cependant par
l'intonation : l'intonation montante d'appel contraste avec l'intonation
descendante de surprise. Chacun de ces deux cris marque un malaise devant
l'état du monde qui brutalement vient de changer. Mais si l'appel marque
l'exigence d'un recours à l'autre comme appui, le cri de surprise manifeste à
l'inverse que le sujet parvient à surmonter son trouble en se fondant sur ses
seules ressources.
Un peu plus tard, autour de 1 an, le cri se diversifie encore. Il devient alors,
plus qu'un prolongement de l'expression mimique, un accompagnement du
geste (lequel s'est également différencié). Vers 1 an deux mois on observe cette
seconde étape. La parole s'autonomise de la mimique et du geste. On y relève
alors deux types de productions différentes. Il y a d'un côté des proto-mots qui
expriment ce que l'enfant ressent des changements brusques du monde qui
l'entoure. Il y a de l'autre des onomatopées qui s'inscrivent (puis anticipent)
dans les scénarios de certains jeux moteurs privilégiés.
Dans les mots qui cristallisent le ressenti (voir Preyer 1887), on classera par
exemple le «non» de refus de nourriture, ou bien ce qui exprime la satisfaction
devant un objectif atteint (sorte de «et voilà!» du langage de l'adulte). On y
rangera encore ce qui réclame le retour d'une satisfaction attendue (en gros un
«encore!»), à quoi il faut ajouter également le «ça!» associé au pointage et à la
mimique d'étonnement. Ici le langage ne correspond à aucune propriété de la
situation singulière où il émerge et à laquelle il se rapporte. Il traduit à chaque
fois un certain type d'éprouvé devant un changement d'état dans le monde, non
une propriété des choses du monde. C'est un modus vide de tout dictum. La
preuve en est que dans cette série, les proto-mots (qu'il s'agisse de «non», de
«ça», de «encore», de «voilà», ou de «a pu») sont indépendants de la nature du
réfèrent sur lequel ils portent. En termes simples, l'enfant utilisera le même
signifiant, «ça», pour désigner une vache, une voiture, ou une bicyclette. Il
suffit qu'il se trouve surpris par leur apparition dans son champ d'intérêt.
C'est à peu près en même temps (Deville 1891), et parallèlement à cette
ligne de production linguistique, que se développent des onomatopées comme
«brown broum» ou «meuh». Ici, on pourrait croire qu'il s'agit d'un ordre de
signifiants plus directement référentiel puisque cette fois l'enfant différencie
selon la nature de l'objet en cause, et qu'il ne dit pas «broum broum» quand il
joue avec une vache, ni «meuh» quand il joue avec une petite voiture. En
comparaison du premier axe (où chaque mot correspond à une identité de
ressenti), ce second axe (qui repose sur la mise en jeu de la motricité) exige une
différenciation indirectement liée à la nature du monde désigné. L'onomatopée
est sensible à la spécificité qualitative d'une situation donnée. Mais cela ne veut et construction du vocabulaire 39 Catégorisation
pas dire qu'elle ne désigne une chose pour autant. En fait, au début, elle ne
désigne rien du tout. L'onomatopée est initialement un élément qui fait partie
intégrante d'un scénario de jeu moteur organisé autour d'un objet particulier
(un animal, un véhicule). C'est la présence de cet objet au coeur du scénario qui
crée l'illusion de référencialité. Une onomatopée comme «broum broum» n'est
d'abord qu'un élément du mime qui se déploie autour de la petite voiture pour
faire comme si c'était une vraie voiture qui bougeait toute seule et qui faisait du
bruit toute seule. Il faut déployer une certaine motricité bucco-phonatoire pour
faire «broum broum». De ce point de vue, la motricité requise pour la
production du signifiant met celui-ci sur le même plan que le mouvement de la
main qui permet le lancement de l'objet sur le sol. Toutefois, le maillon moteur
que constitue «broum broum» est d'une essence particulière. Il va
progressivement devenir par métonymie un trait caractéristique de l'ensemble
du scénario (auquel l'enfant participe en entendant toujours «broum broum»,
Barrett & al. 1991) et permettre de définir le «fond» sur lequel celui-ci prend
forme.
Dans l'ensemble, le signifiant que constitue l'onomatopée a plusieurs effets.
D'abord il permet d'organiser des contrastes en relation avec la qualité des
referents. Le fait que l'enfant entende l'adulte dire «broum broum» en poussant

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