Le bestiaire poétique d Ausiàs March - article ; n°1 ; vol.14, pg 243-260
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Description

Annexes des Cahiers de linguistique hispanique médiévale - Année 2000 - Volume 14 - Numéro 1 - Pages 243-260
18 pages
Source : Persée ; Ministère de la jeunesse, de l’éducation nationale et de la recherche, Direction de l’enseignement supérieur, Sous-direction des bibliothèques et de la documentation.

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Publié par
Publié le 01 janvier 2000
Nombre de lectures 115
Langue Français
Poids de l'ouvrage 1 Mo

Extrait

Christian Camps
Le bestiaire poétique d'Ausiàs March
In: Annexes des Cahiers de linguistique hispanique médiévale, volume 14, 2000. Ausias March (1400-1459).
Premier poète en langue catalane. pp. 243-260.
Citer ce document / Cite this document :
Camps Christian. Le bestiaire poétique d'Ausiàs March. In: Annexes des Cahiers de linguistique hispanique médiévale, volume
14, 2000. Ausias March (1400-1459). Premier poète en langue catalane. pp. 243-260.
doi : 10.3406/cehm.2000.2214
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/cehm_0180-9997_2000_sup_14_1_2214LE BESTIAIRE POÉTIQUE
D'AUSIÀS MARCH
Nous nous sommes intéressé au bestiaire dans les poésies
amoureuses d'Ausiàs March. Ces compositions ne sont cependant
pas un traité zoologique et, encore moins, une encyclopédie. Notre
démarche initiale a consisté à relever, au cours de la lecture, les
noms se rapportant aux poissons, aux insectes, aux reptiles, aux
oiseaux, aux mammifères et aux invertébrés. Nous avons ainsi
dénombré 37 animaux différents, dont 19 mammifères, 13 oiseaux
(14, si on ajoute le terme générique), 4 insectes, 2 reptiles, 1 inver
tébré, 1 animal fantastique, 1 poisson (c'est le terme générique), sur
un total de 85 occurrences. Leur présence est donc réduite, car ces
animaux sont dispersés dans l'œuvre ; leur emploi va être
subordonné à telle ou telle situation ou à tel état d'âme. C'est ce
que nous nous sommes proposé d'étudier. Ces animaux-là sont-ils
uniquement incorporés pour leur propre comportement ou
représentent-ils des symboles, des métaphores, des exemples, des
allégories ?
Parmi les grands mammifères sauvages, c'est le lion qui occupe
la place d'honneur avec 6 occurrences. Rappelons que, dans les
bestiaires du Moyen Age, il est le premier cité. Dans le poème 2
(v.18), les lions apparaissent dans un environnement qui ne leur est
pas du tout naturel ; eux qui sont habituellement les rois de la forêt
par excellence séjournent dans le domaine aquatique, alors que les
poissons, mentionnés dans la même composition, peuplent un
endroit inattendu et surtout défavorable — la forêt —, car :
Menys que lo peix es en lo bosch trobat
e los Iléons dins l'aygua an lur sojorn,
la mi amor per null temps pendra torn,
sol conexent que de mi.us doneu grat. 244 Christian Camps
Ausiàs March procède volontairement à l'inversion de la nature des
animaux, de leur comportement inné, en les situant hors de leur
aire de prédilection. Virgile, dans PÉglogue I, avait déjà inversé les
rôles ; les cerfs paissaient dans l'eau et les poissons peuplaient le
rivage :
Ante leves ergo pascentur in aethere cervi
et fréta destituent nudos in litore pisces.
Dans cette poésie, la fermeté de l'amour du poète ne peut se
manifester, et ce contraste est exprimé avec beaucoup de relief par
l'image d'un patron de barque, surpris par la tempête, qui ne peut
regagner le port, les vents lui étant contraires, et par l'emploi des
antithèses des poissons trouvés dans les bois et des lions dans l'eau.
Ainsi, les données les plus élémentaires sont modifiées, l'ordre
naturellement établi est bouleversé, c'est ce qu'a voulu traduire A.
March en imitant Virgile, mais en prenant soin d'opter pour
d'autres mammifères.
Dans la 105e poésie, strophe XXI, le lion est présenté avec ses
attributs naturels — les griffes — , qui le rendent particulièrement
redoutable, et ce caractère agressif, violent, cruel est, de plus, mis
en valeur par le verbe tèmer et le qualificatif fort qui accompagnent
la mention leo, le lion qui est considéré comme l'ennemi direct,
l'adversaire redouté, l'incarnation du pouvoir autoritaire et
tyrannique. Mais là, le poète s'adresse à ceux qui ne craignent pas
le roi des animaux (v.167) :
Lo qui no tern del fort leo les ungles
molt menys tembrà lo fibló de la vespa.
Dans la 120e poésie, le lion est encore mentionné avec l'adjectif
accolé fort pour bien souligner qu'il est le plus puissant des animaux
et qu'il peut tenir tête à n'importe qui. Avec la 106e composition,
c'est la hardiesse qui est relevée {ardus Iléons). A la poésie 102, le lion
est associé à la misogynie. Ce félin représente un réel danger, c'est
pourquoi le poète n'hésite pas à souligner son caractère carnassier,
lorsqu'il évoque son amour non partagé et la douleur causée par
l'infidélité de celle qu'il aime. Plus il aime, plus il souffre, et il en
vient à souhaiter que l'aimée serve de proie aux lions. Le lion
représente en effet le mal, la mort violente. Ce genre de châtiment
— que connaissait l'Antiquité — , particulièrement cruel et sauvage,
va de pair avec la nature fougueuse et agressive du lion. La femme
qui fait souffrir le poète ne mérite pas d'autre punition. Elle aussi
doit souffrir, et, seul, un animal réputé pour son extrême férocité,
peut la faire souffrir en la dévorant vivante. Les bestiaires du Le bestiaire poétique d'Ausiàs March 245
Moyen Age1 soulignaient la force du lion « fort plus que toute autre
créature, et qui, à cause de sa grande férocité, est toujours en quête
d'une proie à tuer, et qu'il lui est impossible de dominer sa
cruauté. »
Quant en desig d'ésser amat m'estench,
yo sent dolor mesclat d'un fret e calt,
car no.s pot fer e conech mon défait.
D'ad scapant, en pejor punt me prench :
mire son cors e totes ses fayçons,
e veig aigu qui l'ha conquest sens cost ;
com pus yo am, a dolor me acost ;
ladonchs desig sa earn per ais Iléons, (v. 145- 152)
Le loup (2 occurrences) est associé au renard, dans la 4e poésie,
pour évoquer le pouvoir d'amour de ces deux mammifères qui est
limité, aux dires du poète. Ausiàs March choisit, à bon escient, ces
deux animaux pour établir une distinction entre deux désirs
d'amour, d'un côté, l'appétit bestial, symbolisé par le loup et le
renard, de l'autre, un amour en accord avec la raison. La raison
qui est, selon le poète, la seule susceptible de conduire l'homme
vers le bien. Cette opposition raison / corps l'amènera alors à
disserter sur la théorie de l'amour idéal. Le loup est aussi évoqué
comme animal dominateur, puissant, qui dévore la brebis, donc
associé à la mort, tel qu'on le rencontre dans les fables de
l'Antiquité. Cette comparaison entre le loup et la brebis (Poésie
104) permet à A. March de dénoncer la tyrannie des puissants sur
les faibles et non sur ceux qui pourraient les inquiéter :
Així los reys los pobres executen
e no aquells havents en les mans ungles. (v.55-56)
« Ungles » sous-entendant ceux qui peuvent se rebiffer, les « ungles »
qui, nous l'avons noté, étaient les attributs du lion tout-puissant,
symbole de l'abus du pouvoir.
Nous venons de voir que le renard avait été associé au loup
dans le but de symboliser l'amour bestial. A. March utilisera trois
lexemes différents pour parler de cet animal : Renart, tout d'abord,
emprunté au personnage historique qui trompe les hommes.
Cf. poésie 30 :
1) Bestiaires du Moyen Age, traduits et présentés par Gabriel Bianciotto, Stock, 1995. Christian Camps 246
L'om de cor flach meta.l perill a part,
car sa honor limy de perill esta,
e lo tastart, per temps, venir porà
en ser temprat e usar de renaît, (v. 3 7-40)
Le renard est mis sur un même pied d'égalité que l'homme
téméraire qui deviendra modéré et peureux. Renard a le sens de
« peureux » dans le vers. Le terme guineu est employé pour désigner
l'animal rusé par excellence (Poésie 1 1 1) :
altres, havents d'aquell menys sentiment
que la guineu, molt astut animal.(v.37-38)
La troisième variante lexicale du renard est volp, à la poésie 103,
pour évoquer la fourrure de ce mammifère :
Erminis, marts no guarden de fredor
mes que la pell de la volp o d'anyell. (v.17-18)
Ainsi, trois vocables bien distincts sont employés par A. March
pour marquer trois attributions différentes : pour la couardise, il
utilise renart, pour la ruse, guineu et pour la fourrure, volp, ce qui
dénote, chez lui, une parfaite connaissance de la langue

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