Le film comme composition musicale
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CHAPITRE 4 Le film comme composition musicale Apparu dès les années 1910 dans différentes publications sur le cinéma1, le courant du musicalisme atteint son apogée en France dans l'après-guerre, avant de décliner à l'apparition du sonore. Pour l'instant peu étudiée, cette mouvance tente de définir les paramètres filmiques à l'aide de certains éléments propres à la structuration du langage mu- sical («rythme», «mélodie», «contrepoint», «harmonie», «leitmotiv», «tension»-«résolution», «cadence», «symphonie»...)2.
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Extrait

CHAPITRE 4
Le film comme composition musicale
Apparu dès les années 1910 dans différentes publications sur le
1cinéma , le courant du musicalisme atteint son apogée en France dans
l’après-guerre, avant de décliner à l’apparition du sonore. Pour l’instant
peu étudiée, cette mouvance tente de définir les paramètres filmiques
à l’aide de certains éléments propres à la structuration du langage mu-
sical («rythme», «mélodie», «contrepoint», «harmonie», «leitmotiv»,
2«tension»-«résolution», «cadence», «symphonie»...) . Dans l’une des
rares études dévolues à cette question, Alberto Boschi (1998: 84) dis-
tingue deux tendances au sein du courant «musicaliste». Minoritaire et
radicale, la première serait attachée à l’idée d’un cinéma non narratif
et non figuratif, et verrait les fondements de l’organisation et de la struc-
ture des films régis par des éléments d’ordre musical. Plus modérée et
largement diffusée, la seconde utiliserait dans un sens métaphorique, avec
une certaine «désinvolture», certaines notions empruntées au lexique
de la musique. Comme je vais le démontrer ici, cette opposition s’avère
trop schématique: il existe en fait toute une gradation d’opinions, qui
peuvent emprunter des modes discursifs différents. En outre, ce ne sont
pas les déclarations les plus radicales ou émises par les critiques les
plus compétents en musicologie (Emile Vuillermoz, Paul Ramain...)
qui doivent être considérées comme les plus rigoureuses sur le plan
théorique.
3A peu d’exceptions près ,l’importance du paradigme musicaliste en
France fait l’objet d’un constat unanime tant de la part de ses défenseurs
que de ceux qui s’y opposent. En 1926, Juan Arroy se réfère explicite-
ment à la domination de cette problématique, avouant partager lui aussi
l’idée de « profondes affinités » entre le cinéma et l’art musical. Il ne juge
pas nécessaire de revenir sur des termes comme « cinéma symphonique »
ou «orchestration des images», qui lui paraissent déjà suffisamment
abordés lors de nombreux articles et conférences (Arroy 1926a: 161). Ce
sont des figures prestigieuses qui interviennent dans le débat musicaliste,
c’est-à-dire ceux qu’on reconnaît alors comme les principaux critiques
cinématographiques, tels Vuillermoz et Léon Moussinac. A ces discours
s’ajoutent les prises de positions de personnalités clés comme Louis176 CHAPITRE 4
Delluc et Ricciotto Canudo. Parmi les cinéastes figurent Abel Gance,
qui définit le cinéma comme une «musique de la lumière», et surtout
Germaine Dulac, théoricienne de la «symphonie visuelle» et du «cinéma
intégral». Enfin, un critique moins connu dévoue l’essentiel de son acti-
rvité théorique à cette approche: le D Paul Ramain, scientifique de
province qui publie dans la seconde moitié des années 1920 une série
impressionnante d’articles centrés sur les rapprochements entre film,
musique et psychanalyse freudienne. Une revue cinématographique
accorde en 1926 un rôle central à ses publications dans la diffusion des
idées musicalistes, occultant la participation essentielle d’Emile Vuiller-
moz ou de Léon Moussinac à cette problématique:
«Des articles comportant des rapprochements entre la musique, le rêve, voire
même la psychanalyse de Freud, et le cinéma, parurent dans la grande presse
française, réunissant des adeptes, soulevant des oppositions. De la discussion
jaillit la lumière. Puissent les idées originales, mais très fortement pensées,
rde M. le D Ramain, créer de nouvelles possibilités d’art cinématographique!»
(introduction à Ramain 1926h: 4)
Comme nous l’avons vu au chapitre précédent, l’analogie musicale
permet de valoriser le cinéma en l’érigeant au niveau d’un art situé parmi
les formes d’expression les plus légitimées. Ce statut privilégié découle
de divers aspects fondamentaux de la musique, parmi lesquels se déta-
che tout d’abord sa nature systématique. Le cinéma, perçu par ses détrac-
teurs comme trop fruste et irrémédiablement inféodé à l’imprévisibilité
du réel qu’il enregistre, paraît d’autant plus devoir bénéficier d’un rappro-
chement avec un art dont le prestige repose en grande partie sur un en-
semble clairement défini de règles. Ricciotto Canudo (1911: 37) insiste
bien sur la précision rythmique absolue dont jouit le cinéma, en parti-
culier si on le compare au théâtre: «Aucun des acteurs qui se meuvent
sur la scène illusoire ne trahira son rôle, ou manquera d’une fraction de
seconde au développement mathématique de l’action. Tout est réglé avec
un mouvement d’horlogerie.» La récurrence des références à la musi-
que au sein des premières réflexions théoriques sur le film doit être mise
en relation avec la nécessité de dégager les «règles strictes» et la nouvelle
forme de «grammaire internationale» qu’Abel Gance (1927: 36) iden-
tifie encore comme les conditions de l’émergence d’un «style» spéci-
fique au cinéma.
Cette fascination pour la précision quasi scientifique des lois musi-
cales caractérise les préoccupations des tenants d’une rythmisation très
précise des films, qui cherchent à soumettre l’enchaînement des images
à un calcul rigoureux des durées. Cette référence au caractère minutieux
de la musique passe donc essentiellement par le biais de la métrique. De
cette mise en relation procède la volonté de voir le film s’organiser autour
d’une structure de cellules rythmiques. Léon Moussinac (1925a: 75)
propose en effet d’«enfermer [l]e rythme en de certains rapports mathé-
matiques, dans une sorte de mesure, dès l’écriture du scénario, d’autantLE FILM COMME COMPOSITION MUSICALE 177
que ces rapports semblent assez faciles à déterminer puisque la durée de
l’image et celle du film peuvent être représentées, dans le temps ou dans
l’espace, par un chiffre». L’auteur de Naissance du cinéma pense
bien à la notation musicale lorsqu’il développe le principe de mesures
cinématographiques. La détermination à l’avance de groupes d’accents
rythmiques isochrones, sur le modèle musical, est évoquée dans la théorie
comme dans le travail de nombreux cinéastes désireux d’exercer un
contrôle précis sur la structure temporelle de leurs films. Certains décou-
pages avant tournage d’Abel Gance, Germaine Dulac et Jean Epstein
portent ainsi la marque de telles aspirations, sous la forme d’indications
de durée en nombre d’images (sur la base de 16 photogrammes diffé-
rents par seconde) (voir infra pp. 117 et 454, note 36). Le réalisateur
Albert Guyot (1927: 41) proclame par exemple que le rythme est essen-
tiellement «assimilable à la mesure». Lorsqu’il affirme, en suivant expli-
citement Emile Vuillermoz, que les «règles de la composition cinéma-
tographique» sont toutes marquées par des «correspondan[ces]» avec
celles de la musique, il précise leur nature: une série de procédés tech-
niques spécifiques comme « l’ouverture à l’iris, la surimpression, le ren-
chaîné, le fondu». Lorsqu’il rend compte de leur fonctionnement, c’est
bien le contrôle de leur durée métrique qu’il désigne: «Ouvrez en quatre,
fondez en huit; six tours de réserve... Le réalisateur est un monsieur qui
compte. Quand il ne compte pas, il mesure. La précision mathématique
est à la base du cinéma comme elle est à la base de la musique.» Pour
étayer son propos, Guyot donne l’exemple du film d’Henri Chomette,
Cinq minutes de cinéma pur, qu’il prétend avoir étudié en profondeur
afin de parvenir à en dégager une structure très précise.
Mais, pour essentielle qu’elle soit, cette base rythmique ne peut expli-
quer à elle seule les allusions continuelles à la musique qui imprègnent
alors le discours des critiques comme des cinéastes. Si le détour par le
modèle musical permet d’une part de valoriser l’aspect scientifique du
cinéma en offrant l’exemple d’un art systématique fondé sur des struc-
tures précises, il peut d’autre part faire rejaillir sur le nouveau médium
les vertus toujours attribuées à la musique dans la réflexion esthétique,
et qui l’érigent en expression privilé

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