Les Passagers de La Comète N°10
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Les Passagers de La Comète N°10

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07 LeSuicidé Comédie– 16&17janvier N. ERDMAN– A. PARÉJ’y emmène mes élèves ! Quand, en deux saisons à peine, une Artiste C’est une pièce sur les raisons Associée et le collectif d’artistes qu’elle anime se qui nous ont fait rester vivants‚ sont implantés avec autant de forces dans la vie alors que tout nous poussait au de la Scène Nationale et que des élèves de tou s suicide.horizons ont pu déjà voir avec bonheur une petite forme impétueuse et féroce, drôle et poétique avec [Nadejda Mandelstam]l’Histoire de la fille…, on est bien heureux et curieux en voyant son nom en haut de l’affiche, à la tête d’une création de taille. Car on connaît son sens de la scène et du texte, de la drôlerie et de la gravité mêlées, sa simplicité à rendre tout:Le Suicidé, Cauchemar ou farc ? accessible en préservant néanmoins la profondeur Tout commence par un bout de saucisson réclamé dans la nuit. Dans ces temps de restrictions et de famine féroce de du propos. l’après révolution soviétique, cela prête à rire et à pleurer. Au Anouch Paré, dès lors, n’aurait pu choisir une milieu d’une nuit, un homme réveille sa femme, affamé. Ne pièce anodine pour prendre le risque de la grande supportant pas la scène de ménage qu’il provoque, il se av enture d’une création qui mobiliserait les plus réfugie à la cuisine, pour pouvoir tranquillement déguster du grandes forces desAllumettes Associées.a Elle è m esaucisson de foie, sans rien savoir de la farce que le destin donc choisi une pièce forte du XX siècle, une lui réserve. Les quelques instants de sa disparition suffisent à pièce qui est dans l’air du temps, une pièce qui, sa femme et à sa bellemère pour se persuader qu’il veut en tout en ayant faussement l’air daté, se propose en finir. En effet, pourquoi ne mettraitil pas un terme à cette vie fait de nous brandir sous le nez un miroir profond de chien, en se donnant un bon coup de pistolet ? On lui et terriblement moderne. saute dessus comme un fou dangereux, on lui demande de Écoutons Anouch parler du texte :Ce texte me « rendre le pistolet qu’il vient de se fourrer dans la bouche. paraît un texte de salubrité publique : détergentDans cette ère de folie banale, le moindre geste anodin peut par le dire, décapant par le vide. Certainementêtre déformé, compris de travers. Un signe minuscule devient beaucoup d’autres pistes que celles développéesmajuscule, grotesque, grimaçant. Un saucisson se ici pourront être découvertes autour de cetransforme en pistolet. N’importe quoi peut conspirer à la perte risible d’un homme, risible et tragique. Suicidé  Comédie. (…) Car il s’agit de jouer : l’on Ainsi naissent la pièce et l’intrigue. Sémione Sémionovitch sent si fort que Meyerhold, metteur en scène Podsékalnikov est un autre Barbouillé : il avoue être, comme ème génial du XX siècle, y a travaillé avec Erdman dans la farce de Molière, « le plus malheureux de tous les qu’il n’y a qu’à tenter de retrouver la Joie et la hommes ». Mais puisque sa femme le soupçonne de pertinence qui ont conduit à ce montage, ces pulsions suicidaires, il va se faire un plaisir d’entrer dans son répliques, ces scènes dont certaines semblent le jeu et d’éprouver ses pouvoirs de maîtrechanteur. La fruit d’improvisations au plateau, servies par une menace d’un suicide lui donne une contenance, et mieux, écriture ciselée et radicale, traduites en plus avec une identité. Il se passe enfin quelque chose dans sa vie. Il une vitalité tonifiante. »cesse de se réfugier au fond de son lit. La mort le tient Dès lors, on ouvre l’œil et tend l’oreille, on se debout ! penche sur le manuscrit et le lourd et essentiel Et la farce continue de plus belle. Brusquement, la rumeur du contexte historique qu’il draine avec lui, on se suicide attire comme des mouches toutes sortes d’individus. débarrasse des clichés qui font du théâtre russeTous veulent profiter de l’occasion. « Il faudrait être fou, dans de cette époque, devraiton diresoviétique ?, des ce grand cauchemar fou, pour ne pas être fou ». On pièces au lourd message idéologique et on demande au futur cadavre de ne pas se contenter d’une mort regarde avec un regard frais et neuf un texte avec mesquine, inutile, égoïste. Son geste peut se transformer en la bienveillance dont on devrait jamais se départir. acte héroïque de résistance contre la République des Soviets ! Ou en acte romantique exaltant l’Absolu de Et il faut bien le dire, dès les premières lignes du l’Amour ! Éprouvés par un sentiment d’abandon et d’inutilité, manuscrit, on rit, on s’étonne devant le culot du laissés sur le bord de la route de l’Histoire, tous ces morts propos, la liberté inénarrable ici du ton, qui doit vivants de la société civile écrasée par Staline ont besoin beaucoup à la traduction d’A. Markowicz à la fois d’un cadavre pour espérer se refaire, être entendus, mettre typique et contemporaine. Ce qui frappe en mouvement l’opinion publique ! Ce suicidé leur redonne finalement, c’est la plasticité dramaturgique du de l’avenir et les délivre d’un présent insupportable. Il leur propos, sa force scénique et dramatique, sa rend l’espoir et, comme on sait, «l’espoir ne meurt qu’en grande propension à faire rire et à permettre avantdernier ». l’invention scénographique. Podsékalnikov est soudain placé sur un piédestal. Ce pauvre Le propos d’Anouch et de son équipe devient alors « orphelin du merveilleux » trouve enfin un sens héroïque à essentiel car, par la force contemporaine d’une son existence : se sacrifier au tout venant. Mourir devient sa création d’aujourd’hui, on approche l’époque raison de vivre. Il est enfin devenu vivant, vivant parmi les stalinienne avec un œil à la fois intemporel et ombres. cruellement moderne, avec au cœur et à l’esprit Ainsi, paradoxe, la vie continue. Et peutêtre même l’envie soudaine de regarder notre époque où les commencetelle. C’est là tout le génie de cette farce. Plus la mort continue à approcher, plus la vie veut continuer à dictatures idéologiques ont semblé reculer voire continuer. Un pied dans la tombe, Podsékalnikov finit par s’effondrer, avec à la fois, comme une évidence et refuser catégoriquement de se tuer. « Happy end » de courte un étonnement mêlés, un sourire et une gravité durée, puisqu’au tout dernier moment, un autre martyr, d’aujourd’hui, nouveaux où les dictateurs sont voulant suivre son « exemple », donne le dernier mot à la ailleurs, parfois si proches et s i familiers… mort. P.V.
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